L’Encyclopédie/1re édition/SÉNAT ROMAIN

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SÉNAT ROMAIN, (Gouvern. de Rome.) temple de sainteté, de majesté, de sagesse, la tête de la république, l’autel des nations alliées de Rome, l’espoir & le réfuge de tous les autres peuples ; c’est Cicéron qui donne cette belle définition du sénat dans son oraison pour Milon. Voici ses propres paroles : templum sanctitatis, amplitudinis, mentis, consiliique publici Romani, caput orbis, ara sociorum, portusque omnium gentium.

Tel étoit en effet ce corps respectable dans son institution, & sous les beaux jours de la république. Nous allons indiquer quelle fut son origine, sa constitution, sa jurisdiction, sa puissance, les lieux où il s’assembloit, le tems & la durée de ses assemblées.

Les citoyens qui composoient le sénat se nommoient sénateurs ; nous détaillerons, sous ce mot, leur nombre, leurs devoirs, leur état, leur rang, leurs honneurs & leur dignité.

Les délibérations, ou les decrets qu’ils rendoient, s’appelloient sénatus-consultes. Voyez Sénatus consulte.

Le sénat comprenoit la noblesse & le sacerdoce ; il comprenoit la noblesse, & Tacite l’appelle seminarium omnium dignitatum, quoique la plûpart des questeurs & des tribuns qui y étoient admis, à raison de la magistrature qu’ils avoient exercée, étoient souvent tirés des familles plébéiennes. Le sénat comprenoit aussi le sacerdoce ; c’est-à-dire que quoique les ministres de la religion ne fussent pas membres de ce corps, à l’exception du flamine Dial, ils pouvoient être sénateurs & devenir pontifes, augures & flamines. Ils ajoutoient dans ce cas à leurs titres le caractere de sénateurs.

L’opinion commune est que sous les rois de Rome, l’élection & le choix de tous les sénateurs, dépendoit uniquement de la volonté du prince, sans que le peuple eût droit d’y prendre part directement ou indirectement ; que les consuls qui succéderent au pouvoir des rois, eurent la même prérogative jusqu’à la création des censeurs qui depuis jouirent du droit particulier de nommer les membres du sénat, ou de les priver de ce rang. M. Middleton pense au contraire que les rois, les consuls, les censeurs agissoient dans cette affaire en qualité de ministres, & subordonnément à la volonté suprème du peuple, en qui le pouvoir absolu de créer les sénateurs a toujours résidé. Nous croyons aussi cette opinion la plus vraissemblable, parce qu’elle est fondée sur l’autorité de Denis d’Halicarnasse, qui s’est donné la peine d’écrire pour l’instruction des étrangers, & d’expliquer en antiquaire exact, ainsi qu’en historien fidele, le gouvernement civil de Rome & l’origine de ses lois.

Ce célebre auteur nous assure que quand Romulus eut formé le projet de composer un sénat qui devoit être de cent sénateurs, il se reserva seulement l’élection du premier ou du président de l’assemblée, & qu’il laissa l’élection des autres au peuple, puisqu’elle se fit par les suffrages, & de l’avis des tribus & des curies.

Le même Denis nous apprend que depuis l’alliance faite entre Romulus & Tatius roi des Sabins, le nombre des sénateurs fut doublé par l’addition de cent nouveaux membres que l’on prit des familles des Sabins, & que le peuple les choisit dans l’ancienne & même forme.

Lorsque sous le regne de Tullus Hostilius la ville d’Albe fut démolie, quelques-unes des familles de cette cité furent également inscrites dans le senat ; Tite-Live en compte six ; mais ce qu’il y a de plus probable, & que l’on doit supposer, c’est qu’il n’entra dans le sénat que le nombre d’albains nécessaire pour remplir les places vacantes, afin que ce corps fût complet, & qu’il se trouvât fixé à 200 personnes, ce qui ne fut point fait sans le consentement du senat & du peuple.

La derniere augmentation du sénat, sous le regne des rois, fut faite par Tarquin l’ancien. Il ajouta cent nouveaux membres à ce corps, & il les tira des familles plébéiennes. Il porta le nombre des sénateurs jusqu’à 300, au rapport de Tite-Live : ce prince en agit ainsi dans les vues d’un intérêt particulier, & pour s’assurer une faction puissante dans la personne des nouveaux sénateurs ses créatures.

Depuis l’expulsion des rois jusqu’à l’établissement de la censure, c’est-à-dire pendant un intervalle de plus de 60 ans, nous ignorons de quelle maniere on remplissoit les places vacantes des sénateurs ; mais s’il est vrai que le sénat commença dès-lors à être renouvellé par les magistrats annuels, qui vers ce même tems furent choisis par le peuple, c’est qu’il y avoit deux questeurs pris dans les familles patriciennes, cinq tribuns du peuple, & deux édiles plébéïens, qui en vertu de leurs charges, eurent l’entrée du sénat, & compléterent les places qui vaquoient ordinairement dans ce corps.

Dans le cas des vuides extraordinaires occasionnés par les malheurs de la guerre du dehors, les dissentions domestiques ou autres accidens, le sénat avoit besoin d’une augmentation plus considérable que celle qu’il pouvoit tirer des magistratures publiques. Or pour remplir les places vacantes dans de tels cas, il est vraissemblable que les consuls choisissoient dans l’ordre équestre un certain nombre de citoyens d’une probité reconnue qu’ils proposoient au peuple dans les assemblées générales, pour en faire l’élection, ou pour l’approuver ; & le peuple de son côté, pour autoriser la liste qu’on lui présentoit, donnoit à ceux qui y étoient nommés, le rang & le titre de sénateurs à vie.

Lorsque la censure fut établie, l’an de Rome 311, pour soulager les consuls du poids de leur administration, & pour examiner les mœurs de tous les citoyens, plusieurs sénateurs furent chassés du sénat par les censeurs, presque toujours pour des raisons justes ; quelquefois cependant par un esprit d’envie, ou par un motif de vengeance : mais dans des circonstances de cette espece, on avoit toujours la liberté d’appeller de ce jugement à celui du peuple ; de sorte que le pouvoir des censeurs, à proprement parler, n’étoit pas celui de faire des sénateurs, ou de les priver de leur rang, mais seulement d’inscrire ceux que le peuple avoit choisis de veiller sur leur conduite, & de censurer leurs défauts, objets sur lesquels ils avoient reçu du peuple une jurisdiction expresse. Cet usage de censurer les mœurs paroît fondé sur une ancienne maxime de la politique romaine, qui exigeoit que le sénat fût exempt de toute tache, & que les membres de ce corps donnassent un exemple de bonnes mœurs à tous les autres ordres de l’état.

Après avoir parlé de la création du sénat & de la maniere d’en remplir les places vacantes, il faut faire connoître le pouvoir & la jurisdiction de cet illustre corps. Les anciens auteurs qui ont traité des actions publiques, s’accordent tous à dire que le sénat donnoit son attache ou decrétoit, & que le peuple ordonnoit ou commandoit tel ou tel acte. Ainsi puisque rien de ce qui regardoit le gouvernement ne pouvoit être porté devant le peuple avant qu’il n’eût été examiné par le sénat : dans plusieurs autres occasions où la célérité & le secret étoient requis, & lorsque les décisions de ce corps étoient si justes & si prudentes, que le consentement du peuple pouvoit se présumer ; dans ces occasions, dis-je, le sénat ne prenoit pas le soin de convoquer le peuple, de peur de le déranger de ses affaires particulieres en le rassemblant inutilement ; & ce qui dans les premiers tems n’avoit eu lieu que pour des affaires de peu de conséquence, fut observé dans les suites lors des affaires les plus sérieuses & les plus importantes. Le sénat acquit donc ainsi une jurisdiction particuliere, & la connoissance de quelques matieres à l’exclusion du peuple, dont le pouvoir absolu s’étendoit sur-tout, suivant les lois & la constitution du gouvernement ; par exemple :

1.o Le sénat prit pour lui l’inspection & la surintendance de la religion, de sorte qu’on ne pouvoit admettre quelque nouvelle divinité, ni leur ériger d’autel, ni consulter les livres sibyllins sans l’ordre exprès du sénat.

2.o L’une des prérogatives de ce corps fut de fixer le nombre & la condition des provinces étrangeres, qui tous les ans étoient assignées aux magistrats ; c’étoit à lui de déclarer quelles de ces provinces étoient les consulaires, & quelles étoient les prétoriennes.

3.o Le sénat avoit entre ses mains la distribution du trésor public. Il ordonnoit toutes les dépenses du gouvernement ; il assignoit les appointemens des généraux, déterminoit le nombre de leurs lieutenans, de leurs troupes, des fournitures, des munitions & des vêtemens de l’armée. Il pouvoit, à sa volonté, confirmer ou casser les ordonnances des généraux, & prendre au trésor l’argent nécessaire pour les triomphes qu’il avoit accordés ; en un mot, le sénat avoit l’autorité dans toutes les affaires militaires.

4.o Il nommoit les ambassadeurs que Rome envoyoit, & fournissoit les secours nécessaires aux peuples indigens. Il ordonnoit la maniere dont on devoit recevoir & renvoyer les ministres étrangers, & rédigeoit ce qu’on devoit leur dire ou leur répondre, de sorte que pendant l’absence des consuls la république parut toujours gouvernée par le sénat. Il pouvoit, au bout de l’an, prolonger le commandement aux consuls, & le donner à d’autres. Tiberius Gracchus voulant diminuer l’autorité du sénat, fit passer la loi que dans la suite le sénat ne pourroit pas permettre que personne gouvernât plus d’un an une province consulaire. Mais il semble que les Gracches augmenterent par ce moyen plutôt qu’ils ne diminuerent l’autorité du sénat, puisque par la loi simpronia, dont parle Cicéron, Caïus Gracchus statua que le gouvernement des provinces seroit toujours donné annuellement par le sénat.

5.o Il avoit le droit d’ordonner des prieres publiques, des actions de graces aux dieux pour les victoires obtenues, ainsi que le droit de conférer l’honneur de l’ovation ou du triomphe, avec le titre d’empereur aux généraux victorieux.

6.o Une de ses affaires & de ses soins étoit d’examiner les délits publics, de rechercher les félonies ou les trahisons, tant à Rome que dans les autres parties de l’Italie, de juger les contestations entre les alliés & les villes dépendantes. Cependant quand il s’agissoit de juger des crimes capitaux, le sénat ne se croyoit pas le seul juge. En effet, lors du sacrilege de Clodius, quand les mysteres de la bonne déesse furent profanés, les consuls demanderent la jonction du peuple pour décider de cette affaire ; & il fut déterminé par un senatus-consulte que Clodius ne pouvoit être jugé que par les tribus assemblées.

7.o Il exerçoit non-seulement le pouvoir d’interpréter les lois, mais encore de les abroger, & de dispenser les citoyens de les suivre.

8.o Dans le cas des dissentions civiles, des tumultes dangereux de l’intérieur de Rome, & dans toutes les affaires très-importantes, le sénat pouvoit accorder aux consuls un pouvoir illimité pour le gouvernement de la république, par cette formule que César appelle la derniere ressource de l’état, que les consuls eussent soin qu’il n’arrivât aucun dommage à la république. Ces paroles donnoient une telle autorité aux consuls, qu’ils étoient en droit de lever des troupes comme bon leur sembleroit, faire la guerre, & forcer les sénateurs & le peuple ; ce qu’ils ne pouvoient pas exécuter, au rapport de Saluste, sans la formule expresse dont nous venons de parler.

9.o Le sénat étoit le maître de proroger, ou de renvoyer les assemblées du peuple, d’accorder le titre de roi à quelque prince, ou à ceux qu’il lui plaisoit de favoriser. C’étoit à ce corps de déférer les actions de graces ou les éloges à ceux qui les avoient mérités ; le pardon & la récompense aux ennemis, ou à ceux qui avoient découvert quelque trahison ; il avoit le droit de déclarer quelqu’un ennemi de la patrie, & de prescrire un changement général d’habits dans le cas de quelque danger, ou de quelque malheur pressant.

10°. Tels étoient les principaux chefs dans lesquels le sénat avoit constamment exercé une jurisdiction particuliere à l’exception du peuple. Ce n’étoit pas en conséquence de quelque loi expresse ; mais en se conformant aux coutumes & aux anciens usages qui avoient eu lieu dès les premiers tems ; & comme on éprouvoit, par une longue expérience, que c’étoit la maniere la plus utile de régler les affaires publiques, & la plus convenable pour maintenir la tranquillité & le bonheur des citoyens, cette jurisdiction fut, du consentement tacite du peuple, laissée entre les mains du sénat, bien plus comme une chose de convenance que de droit. Ainsi, dans l’objet du bien public, cet usage fut plutôt approuvé & toléré qu’il ne fut accordé.

Mais toutes les fois qu’un tribun entreprenant, ou que quelque magistrat factieux mécontent d’obtenir selon l’usage les dignités de la république, que le sénat étoit disposé à lui accorder, se déterminoit à recourir à l’autorité du peuple, pour obtenir quelque distinction particuliere ; dans ce cas, le peuple excité par les intrigues & l’artifice de ces hommes factieux qui se déclaroient leurs chefs, cherchoit à reprendre les différentes parties de cette jurisdiction dont j’ai parlé, & qui avoit toujours été administrée par le sénat. Depuis que cette méthode avoit été employée avec succès dans quelques cas, elle devint insensiblement le recours de tous ceux qui, pour satisfaire leur ambition, affectoient un caractere de popularité. Elle fut portée si loin à la fin, que le sénat fut dépouillé de tout son pouvoir & de toute l’influence qu’il avoit dans les affaires publiques.

Passons à la convocation & aux lieux d’assemblées du sénat.

Le sénat étoit toujours convoqué par le dictateur lorsqu’on le créoit dans quelque conjoncture critique ; mais dans tous les autres cas, le droit de convoquer le sénat appartenoit aux consuls, suprèmes magistrats de la république. Dans leur absence, ce droit étoit dévolu, selon les lois, aux magistrats subordonnés, tels que les préteurs & les tribuns. Il est vrai que ces derniers se croyoient fondés à convoquer le sénat dans quelque tems que ce fût, & lorsque les intérêts du peuple le requéroient ; mais malgré cette prétention, par respect pour l’autorité consulaire, on ne convoqua jamais de cette maniere le sénat, que lorsque les consuls étoient absens ; à moins que ce ne fût dans des affaires d’importance & dans des cas imprévus, où il falloit prendre une prompte détermination. Enfin, lorsque les décemvirs, les entre-rois ou les triumvirs furent établis pour gouverner la république, ce n’étoit qu’à eux qu’il appartenoit de convoquer le sénat, comme Aulugelle le rapporte après Varron.

Dans les premiers tems de Rome, lorsque l’enceinte de la ville étoit peu considérable, les sénateurs étoient appellés personnellement par un appariteur, ou par un courier, quelquefois par un crieur public, quand les affaires exigeoient une expédition immédiate. Mais dans les tems postérieurs, on les convoquoit d’ordinaire par le moyen d’un édit qui assignoit le tems & le lieu de l’assemblée, & que l’on publioit quelques jours auparavant, afin que la connoissance & la notoriété en fussent publiques. Ces édits n’avoient communément lieu que pour ceux qui résidoient à Rome, ou qui en étoient peu éloignés. Cependant quand il s’agissoit de traiter quelque affaire extraordinaire, il paroît qu’ils étoient aussi publiés dans les autres villes d’Italie. Si quelque sénateur refusoit ou négligeoit d’obéir à l’appel ; le consul l’obligeoit de donner des sûretés pour le payement d’une certaine somme, au cas que les raisons de son absence ne fussent point reçues. Mais dès que les sénateurs étoient parvenus à l’âge de soixante ans, ils n’étoient plus assujettis à cette peine, & ils n’étoient plus obligés de se rendre dans les assemblées, que lorsqu’ils le vouloient bien.

Dans les anciens tems, au rapport de Valérius, les sénateurs étoient si occupés du bien public, que sans attendre un édit, ils étoient dans l’habitude de se rassembler d’eux-mêmes sous un certain portique près du palais du sénat, d’où ils pouvoient s’y rendre promptement, dès que le consul étoit arrivé. Ils croyoient à peine digne d’éloge leur attention à s’acquitter des devoirs de leur état & de leurs obligations envers la patrie, si ce n’étoit volontairement & de leur propre gré, & s’ils attendoient le commandement d’autrui, ou l’intimation qui leur en seroit faite. Mais où s’assembloient ils ?

Les anciens Romains, pleins de religion & de vertu, avoient coutume d’assembler le sénat dans un lieu sacré dédié aux auspices, afin que la présence de la divinité servit à faire rentrer en eux-mêmes ceux qui songeroient à s’écarter des regles de la probité. Romulus le convoquoit hors de la ville dans le temple de Vulcain, & Hostilius dans la curie Hostilie. Nous lisons, dans les anciens auteurs, qu’après l’expulsion des rois, le sénat s’assembloit tantôt dans les temples de Jupiter, d’Apollon, de Mars, de Bellone, de Castor, de la Concorde, de la Vertu, de la Fidélité, & tantôt dans les curies Hostilienne & Pompéienne, dans lesquelles les augures avoient fait bâtir des temples pour cet effet. Tous ces temples formoient les lieux d’assemblée du sénat. Voyez Temples des assemblées du sénat.

Il y avoit des tems marqués pour assembler le sénat, savoir les calendes, les nones & les ides, excepté les jours des comices, pendant lesquels on traitoit avec le peuple. Dans ces jours là, la loi Papia défendoit d’assembler le sénat, afin que les sénateurs ne fussent point distraits dans leurs suffrages ; mais suivant la loi Gabinia, les sénateurs devoient s’assembler pendant tout le mois de Février pour répondre aux gouverneurs de provinces & recevoir les ambassadeurs. Lorsque le sénat s’assembloit dans les jours fixes marqués ci-dessus, on l’appelloit le vrai sénat ; lorsqu’il s’assembloit hors de ce tems-là, & extraordinairement pour traiter de quelque affaire de conséquence & inopinée, on le nommoit sénat convoqué ; & il l’étoit alors par le premier magistrat. De-là cette distinction de sénat ordinaire & de sénat convoqué, que nous lisons dans Capitolain, cité par Gordianus.

Le sénat, selon l’usage, s’assembloit toujours le premier de Janvier, pour l’inauguration des nouveaux consuls, qui prenoient alors possession de leurs charges. Il s’assembloit aussi quelques autres jours du même mois, selon les anciens auteurs, & il n’y avoit d’exceptés, qu’un ou deux jours de ce mois jusqu’au quinzieme. La derniere partie de Janvier étoit probablement destinée pour les assemblées du peuple ; le mois de Février étoit reservé tout entier par l’ancien usage au sénat, pour donner audience aux ambassadeurs étrangers ; mais dans tous ces mois généralement, il y avoit trois jours qui paroissent avoir été destinés d’une façon plus particuliere aux assemblées du sénat. Ces trois jours étoient les calendes, les nones & les ides ; c’est ce qu’on préjuge des fréquentes assemblées tenues dans ces jours, & qui sont rapportées dans l’histoire ; mais dans la suite des tems Auguste ordonna, par une loi, que le sénat ne pût régulierement s’assembler que deux jours du mois, les calendes & les ides.

On n’assembloit que très-rarement le sénat pendant les fêtes publiques, destinées à des jeux, & consacrées aux pompes de la religion, telles que les saturnales, que l’on célébroit dans le mois de Décembre, & qui duroient plusieurs jours consécutifs. Cicéron, lorsqu’il rapporte les disputes élevées dans le sénat en présence de deux cens sénateurs, appelle l’assemblée tenue dans cette occasion, une assemblée plus nombreuse qu’il n’auroit cru qu’elle dût l’être, lorsque les jours saints étoient déja commencés.

Le sénat, dans ses jours d’assemblée, ne mettoit sur le tapis aucune affaire avant le jour, & ne la terminoit point après le coucher du soleil. Toute affaire proposée & conclue avant ou après ce tems, étoit nulle & sujette à cassation, & celui qui l’avoit proposée étoit soumis à la censure ; de sorte que ce fut une regle stable, qu’on ne proposât aucune affaire dans le sénat après la quatrieme heure de l’après-dînée ; ce qui fait que Cicéron censure certains décrets prononcés par Antoine dans son consulat, comme rendus trop avant dans la nuit, & qui par cette raison n’avoient aucune autorité.

On voit cependant un exemple d’une assemblée du sénat tenue à minuit, l’an de Rome 290, à cause de l’arrivée d’un exprès envoyé par l’un des consuls, pour informer le sénat qu’il se trouvoit assiégé par les Eques & les Volsques, dont les forces étoient supérieures, & qu’il risquoit de périr avec toute son armée, si on ne lui envoyoit un prompt secours ; ce qui lui fut accordé tout de suite par un decret. C’est Denis d’Halicarnasse, l. IX. c. lxiij. qui le dit.

Le sénat étant assemblé, le lecteur sera sans doute bien aise de savoir la méthode que cette compagnie célebre observoit dans ses déliberations.

Il faut d’abord se représenter qu’à la tête du sénat étoient placés le dictateur & les consuls dans des sieges distingués, élevés, ainsi que nous le croyons, de quelques degrés au-dessus des autres bancs. Par égard pour la dignité de ces premiers magistrats, lorsqu’ils entroient dans la curie, tous les sénateurs étoient dans l’usage de se lever de leurs sieges. Le préteur Décius ayant manqué à ce devoir, un jour que le consul Scaurus passoit près de lui, ce consul le punit d’avoir méprisé sa dignité, & ordonna qu’on ne plaideroit plus à son tribunal.

Manuce croit que les magistrats inférieurs étoient placés à côté les uns des autres, au-dessous des sieges des consuls, chacun suivant son rang ; les préteurs, les censeurs, les édiles, les tribuns & les questeurs.

Il est toujours vrai que les sénateurs sur leurs sieges, gardoient entr’eux un ordre de préséance, pris de la dignité de la magistrature qu’ils avoient auparavant remplie. Lorsque Cicéron en parle, il indique cet ordre. C’étoit aussi celui que gardoient les magistrats en se plaçant, & lorsqu’il s’agissoit de proposer leur opinion, chacun dans son rang & à son tour.

Quelques savans conjecturent que les édiles, les tribuns & les questeurs, étoient assis sur des bancs séparés ; avec cette différence, que ceux des magistrats curules étoient un peu plus élevés que les autres. Il semble que Juvenal indique cette différence dans sa satire jx. 52. contre celui qui veut faire voir qu’il a une dignité curule. Ces bancs étoient en quelque sorte semblables à nos petites chaises sans dossier. Suétone, dans sa vie de Claude, c. xxiij. dit que quand cet empereur avoit quelque grande affaire à proposer au sénat, il s’asseyoit sur un banc des tribuns, placé entre les chaires curules des deux consuls. Mais il falloit aussi qu’il y eût d’autres bancs longs, de maniere que plusieurs sénateurs pouvoient s’y placer ; car Cicéron rapporte, dans ses épit. famil. iij. 9. que Pompée appelloit les décisions du sénat, le jugement des longs bancs, pour le distinguer des tribunaux particuliers de justice.

Indépendamment de la diversité des bancs, & des places assignées à chaque ordre de sénateurs, l’un des membres de ce corps auguste étoit toujours distingué des autres par le titre de prince du sénat. Cette distinction, qui avoit commencé sous les rois, eut lieu dans tous les tems de la république. On voulut conserver cette premiere forme établie par le fondateur de Rome, qui s’étoit reservé en propre le choix & la nomination du principal sénateur, qui, dans son absence & dans celle des rois, devoit présider dans cette assemblée ; le titre de prince du sénat étoit dans les regles, & par voix de conséquence donné à celui dont le nom étoit placé le premier dans la liste de ce corps, toutes les fois que les censeurs la renouvelloient. On eut attention de le donner toujours à un sénateur consulaire, qui avoit été revêtu de la dignité de censeur. On choisissoit l’un de ceux que sa probité & sa sagesse rendoient recommandable ; & ce titre étoit tellement respecté, que celui qui l’avoit porté étoit appellé de ce nom par préférence à celui de quelque autre dignité que ce fût, dont il se seroit trouvé revêtu. Il n’y avoit cependant aucun droit lucratif attaché à ce titre, & il ne donnoit d’autre avantage, qu’une autorité qui sembloit naturellement annoncer un mérite supérieur dans la personne de ceux qui en étoient honorés. Mais voyez Prince du sénat.

Le sénat étant assemblé, les consuls ou les magistrats qui en avoient fait la convocation par leur autorité, prenoient avant tout les auspices, & après avoir rempli les devoirs ordinaires de la religion par des sacrifices & des prieres, ils étoient dans l’usage de déclarer le motif de la convocation de cette assemblée, & de proposer les matieres des délibérations de ce jour. Par préférence à tout, on expédioit d’abord & sans délai les affaires de la religion & qui concernoient le culte des dieux. Lorsque le consul avoit soumis à l’examen quelque point, on le discutoit ; s’il étoit question de rendre un decret, il disoit son opinion à cet égard, & parloit aussi long-tems qu’il le vouloit ; il demandoit ensuite les opinions des autres sénateurs, en les appellant par leurs noms, & suivant l’ordre dans lequel ils étoient placés ; il commençoit par les sénateurs consulaires, & continuoit par les prétoriens.

Originairement on étoit dans l’usage d’interroger le prince du sénat le premier ; mais bientôt on ne se conduisit plus ainsi, & cette politesse fut accordée à quelque vieux sénateur consulaire, distingué par ses vertus, jusqu’aux derniers tems de la république, que s’introduisit la coutume fixe de donner cette marque de respect à ses parens, à ses amis particuliers, ou à ceux que l’on croyoit vraissemblablement d’un avis conforme à ses propres vues & à ses sentimens sur la question proposée.

Quelque ordre que les consuls observassent, en demandant les opinions le premier de Janvier, ils le gardoient pendant tout le reste de l’année. C. César, à la vérité, se mit au-dessus de cette regle & en changea l’usage ; car quoiqu’il eût au commencement de son consulat interrogé Crassus le premier, cependant ayant marié sa fille à Pompée, dans le cours de cette magistrature, il donna cette marque de prééminence à son gendre ; politesse dont il fit ensuite excuse au sénat.

Cet honneur d’être interrogé d’une maniere extraordinaire, & par préférence à tous les autres sénateurs du même rang, quoique d’âge & de noblesse plus ancienne, paroît ne s’être étendu qu’à quatre ou cinq personnages consulaires. Tous les autres sénateurs étoient interrogés suivant l’ancienneté de leur âge ; cette méthode étoit généralement observée pendant l’année, jusqu’à l’élection des consuls suivans, qui se faisoit d’ordinaire vers le mois d’Août. De ce moment jusqu’au premier Janvier, en conséquence d’un usage constamment suivi, on demandoit aux consuls désignés leurs avis, avant de le demander aux autres sénateurs.

Comme ils étoient sollicités de parler suivant leur rang, il n’étoit aussi permis à personne de le faire avant son tour, à l’exception des magistrats, qui semblent avoir eu le droit de parler dans toutes les occasions, & toutes les fois qu’ils le croyoient nécessaire ; c’est par cette raison sans doute qu’ils n’étoient pas interrogés en particulier par le consul. Cicéron dit, à la vérité, que dans certaines occasions il fut interrogé le premier de tous les sénateurs privés ; ce qui veut dire que quelqu’un des magistrats avoit été interrogé avant lui ; mais alors ils l’étoient par le tribun du peuple qui avoit convoqué l’assemblée, & qui donnoit naturellement cette préférence aux magistrats supérieurs qui s’y trouvoient présens. Mais on ne trouve point qu’un consul interrogeât d’abord quelqu’autre qu’un sénateur consulaire, ou les consuls désignés.

Quoique chaque sénateur fût obligé de dire son avis, lorsque le consul le lui demandoit, il n’étoit cependant pas restreint à la seule question qui se discutoit alors ; il pouvoit passer à quelqu’autre matiere, la traiter aussi longuement qu’il vouloit ; & quoiqu’il pût dire librement son avis, lorsque c’étoit son tour, le sénat ne s’occupoit point à le réfuter, & ne traitoit pas cette question épisodique, à moins que quelqu’un des magistrats ne la proposât dans la même assemblée. Ils avoient seuls le privilege de demander qu’on opinât sur quelque question, ainsi que le droit de renvoyer celle qui se traitoit. Toutes les fois qu’un sénateur donnoit son avis, il se levoit de son siege, & demeuroit debout jusqu’à ce qu’il eût achevé de parler ; mais quand il ne faisoit que se ranger à l’avis des autres, il demeuroit à sa place.

Les magistrats, dans la même séance, avoient la liberté de proposer des avis différens, & de traiter différentes questions dans le sénat. Si par hasard on vouloit remettre sur le tapis quelque affaire d’importance, & que les consuls eussent négligé de la proposer, ou qu’ils fussent éloignés de le faire, l’usage étoit que le sénat, par certaine acclamation, & qui devenoit générale, excitoit à la proposer, & lorsqu’ils refusoient de le faire, les autres magistrats avoient ce droit, même malgré eux.

Si quelque opinion proposée à l’assemblée du sénat renfermoit différens chefs, dont les uns pouvoient être approuvés & les autres rejettés, c’étoit encore l’usage de demander qu’elle fût divisée ; quelquefois d’un accord unanime, & par un cri général de l’assemblée exprimé par ces mots, divide, divide ; ou si dans la discussion des affaires il y avoit eu différens avis, si chacun de ces avis avoit été appuyé par un nombre considérable de sénateurs, le consul, sur la fin, étoit dans l’usage de les rappeller tous, pour que le sénat traitât séparément chacune de ces opinions ; mais en même tems ce magistrat préféroit, selon qu’il lui paroissoit convenable, l’opinion la plus favorable à la sienne ; il supprimoit alors, ou ne parloit pas de celle qu’il desapprouvoit. Dans le cas toutefois où il ne paroissoit ni difficulté ni opposition, on rendoit le decret sans demander & sans donner les avis à cet égard.

Quand une question avoit été décidée par le scrutin, on séparoit les parties opposées dans les différens côtés de la curie ou lieu d’assemblée ; ce que le consul ou magistrat qui présidoit en son absence, faisoit de cette maniere : « Que ceux qui sont de tel avis, passent de ce côté ; & que ceux qui pensent différemment, passent de celui-ci ». L’avis que le plus grand nombre de sénateurs approuvoit s’exprimoit dans un decret qui d’ordinaire étoit conçu dans les termes dictés par le premier de ceux qui avoient traité la question, ou par le principal orateuren faveur de cette opinion ; lequel, après avoir dit tout ce qu’il croyoit propre à la rendre agréable au sénat, terminoit son discours dans la forme du decret qu’il vouloit obtenir. Ce decret qu’on nommoit senatusconsulte, étoit toujours souscrit par un nombre considérable de sénateurs, en témoignage de leur approbation particuliere. Voyez Senatusconsulte.

La république ayant été opprimée par Jules-César, il formoit tout seul les sénatusconsultes, & les souscrivoit du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l’esprit. Le sénat se vit sans fonctions, sans crédit & sans gloire. Ensuite sous le regne des empereurs, ce même sénat, jadis si respectable, tomba dans la servitude la plus basse. Il porta l’adulation jusqu’à encenser les folies de Caligula, & jusqu’à décerner des honneurs excessifs à Pallas affranchi de Claude. Pline le jeune parlant de l’état de ce corps immédiatement avant le regne de Trajan, avoue qu’il étoit toujours muet ; parce qu’on ne pouvoit y dire sans péril ce qu’on pensoit & sans infamie ce qu’on ne pensoit pas. Mais j’ai cru devoir me borner à crayonner l’histoire du sénat dans le tems de ses beaux jours ; le lecteur peut consulter les savans qui ont le mieux approfondi cette matiere, Manuce, Sigonius, Hotman, Zamoléus, & récemment MM. Midleton & Chapman, dans de petits ouvrages pleins de goût, de recherches & de précision. (Le chevalier de Jaucourt)