L’Encyclopédie/1re édition/SÉNÉ

SÉNÉ, sena, s. m. (Hisl. nat. Bot.) genre de plante, dont la fleur est composée ordinairement de cinq pétales disposés en rond. Le pistil de cette fleur devient dans la suite une silique presque plate, courbe & composée de deux membranes, entre lesquelles on trouve des semences qui ressemblent à des pepins de raisins, & qui sont séparées les unes des autres par de petites cloisons. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante.

Séné, (Mat. méd.) On trouve sous ce nom dans les boutiques de petites feuilles seches assez épaisses, fermes, pointues en forme de lance, d’un verd jaunâtre, qui ont une odeur legere & qui n’est point désagréable, d’un goût un peu âcre, amer & nauseabond.

On nous apporte deux sortes de séné ; savoir celui d’Alexandrie, ou séné de Seyde ou de la palte, ainsi appellé du nom d’un impôt que le grand-seigneur a mis sur cette feuille ; & celui qui s’appelle séné de Tripoly. Outre ces deux sortes de séné, on trouve encore le séné de Mocha, & le séné d’Italie. Ces deux dernieres especes se trouvent beaucoup plus rarement dans les boutiques, & elles sont bien moins efficaces que les deux précédentes.

Le sené d’Alexandrie est celui qu’on doit préférer, & qu’on doit choisir récent, odorant, doux au touché, dont les feuilles sont entieres & ne sont point tachées.

Les fruits du séné sont aussi en usage en Médecine ; ce sont des gousses oblongues, recourbées, lisses, applaties, d’un verd roussâtre ou noirâtre, qui contiennent des semences presque semblables aux pepins de raisin, & qui sont applaties, pâles ou noirâtres : c’est ce qu’on appelle dans les boutiques follicules de séné.

Les anciens médecins grecs & latins n’ont point connu le séné ; l’usage de cette plante est dû aux Arabes. Serapion est le premier qui l’ait fait connoître, & après lui Mesué. Parmi les nouveaux grecs, Actuarius est le premier qui en ait fait mention, & qui en ait exposé les vertus. Extrait de Geoffroi, Mat. med.

Les feuilles de séné contiennent, selon M. Cartheuser, une huile essentielle, mais en très-petite quantité, & une huile qu’il appelle crassius unguinosum, & qui est de l’espece des huiles végétales que nous avons appellées beurre ou huile séparable par la décoction. Voyez à l’article Huile.

Cet auteur a retiré environ sept grains de cette matiere d’une once de feuilles de séné. Ces feuilles contiennent aussi une partie odorante proprement dite ; car, selon le même chimiste, elles donnent une eau distillée d’une saveur & d’une odeur nauséeuse.

Il paroît que la vertu principale du séné dépend de cette partie volatile ; car non-seulement son goût & son odeur annoncent des propriétés médicinales, mais il est encore observé que le séné est dépouillé en très-grande partie de sa vertu, lorsqu’il a été soumis à une longue ébullition. Ceci est assez conforme à l’opinion la plus répandue ; car on a coutume de ne donner le séné qu’en infusion, ou d’en employer une plus grande dose lorsqu’on veut le faire bouillir, & cela précisément dans la vûe de ménager cette partie mobile, ou de la compenser. M. Cartheuser dit que la partie du séné qu’il appelle gommeuse, c’est-à-dire la partie fixe qu’on en retire par le menstrue aqueux, est plûtôt diurétique que purgative, & que la partie résineuse qu’on en sépare par l’esprit-de-vin, cause de vives tranchées, mais ne purge point ; ce qui confirme le sentiment commun que nous avons embrassé. Au reste M. Cartheuser compte encore parmi les principes médicamenteux d’une infusion de séné, son huile essentielle & son huile onguineuse ou butyreuse ; mais que ces principes possedent ou non une vertu semblable à celle de l’infusion du séné ; il est sûr qu’ils ne contribuent en rien à l’efficacité de cette infusion, puisque cette infusion ne les contient pas. Tout ce que nous venons de dire des feuilles de séné ; convient aussi très-vraissemblablement aux follicules.

Les feuilles & les follicules de séné fournissent un purgatif très-efficace, quoique son action ne soit point violente : l’une ou l’autre de ces matieres fait la base des potions purgatives le plus communément usitées. On les ordonne dans ces potions depuis un gros jusqu’à demi-once. On emploie aussi quelquefois le séné en substance & en poudre, mais seulement ou du moins presque uniquement dans les électuaires officinaux ; car on l’emploie bien quelquefois sous cette forme dans des remedes solides magistraux, mais très rarement.

Le séné cause souvent des tranchées : on croit que cet accident est moins à craindre si on a soin de le monder exactement des queues ou pédicules des feuilles ; on a taché d’ailleurs de corriger ce mauvais effet en mêlant avec le séné diverses substances aromatiques, fortifiantes ou carminatives, comme le gingembre, le nard, l’anis, le fenouil, la coriandre, &c. On la fait infuser encore dans la décoction des fruits secs & sucrés, tels que les raisins secs, les figues, les jujubes, les dattes, &c. ou de quelques racines sucrées où mucilagineuses, comme celles du polypode, de réglisse, de guimauve, tant pour châtrer sa trop grande activité, que pour masquer son mauvais goût. Voyez Correctif.

Certains sels, soit alkalis, soit neutres, tels que le sel de tartre, le nitre, le sel végétal, le sel de seignette, le tartre vitriolé, &c. dissous d’avance dans la liqueur destinée à tirer l’infusion du séné, sont regardés comme favorisant l’action menstruelle de cette liqueur, & comme corrigeant le principe du séné dont elle se charge. Ces deux effets de ces sels sont également peu constatés.

Dans un mémoire de l’académie royale des Sciences, année 1701, par M. Marchand, il est rapporté que les feuilles de la scrophulaire aquatique étant mêlées en partie égale avec le sené, & infusées ensemble, en corrigeoient le mauvais goût d’une maniere singuliere ; cette espece de correction est cependant absolument hors d’usage.

C’est au contraire une pratique très-commune de mêler aux infusions de séné du jus de citron : cette infusion, destinée à être prise en plusieurs verres, & qui porte alors le nom de tisane royale, est ordinairement chargée d’une bonne quantité de jus de citrons.

Il est observé que le séné est dangereux dans les maladies inflammatoires exquises, & sur-tout dans les hémorrhagies. Il est donc prudent de ne pas employer ce purgatif dans ces cas. On pense communément que les follicules de séné sont beaucoup plus foibles que les feuilles ; & comme la plûpart des malades, & sur-tout dans les grandes villes, se font une espece de gloire d’être foibles & délicats, tout le monde veut être purgé avec des follicules ; il seroit même malhonnête d’ordonner des feuilles de séné aux personnes d’un certain rang. Il y a peu d’inconvénient à se prêter à leur fantaisie sur ce point : les follicules sont réellement un peu moins actives que les feuilles, mais la différence n’est pas très-grande. Au reste les Medecins ont été divisés sur ce problème, savoir s’il falloit toujours préférer les feuilles de séné, ou bien les follicules.

Les follicules ont eu des partisans d’un grand nom, tels que Sérapion, Mesué, Actuarius, Fernel, &c. Geoffroi dit que tous les médecins de son tems étoient décidés pour les feuilles : le tour des follicules est revenu depuis.

Le séné entre dans le sirop de pommes composé, dans celui de roses pâles composé ; l’extrait panchymagogue, le lénitif, le catholicum, la confection hamech, les pilules sine quibus, la poudre purgative contre la goutte, &c. (b)