L’Encyclopédie/1re édition/RÉPUDIATION

RÉPUDIATION, s. f. (Jurispr.) Ce terme s’applique à deux objets différens.

On dit répudier une femme, c’est-à-dire l’abandonner & rompre l’engagement de mariage que l’on avoit contracté avec elle, en un mot, faire divorce avec elle, quoad fædus vinculum ; ce qui n’est point admis dans l’Eglise romaine, laquelle tient le lien du mariage pour indissoluble.

La séparation de corps & de biens n’est point un véritable divorce, ni une répudiation, n’opérant pas la dissolution du mariage. Voyez Divorce, Mariage, Séparation.

Répudier une succession, c’est y renoncer. Ce terme est sur-tout usité en pays de droit écrit ; dans les pays coutumiers on dit plus volontiers renoncer à une succession. Voyez Succession, Renonciation. (A)

Répudiation, (Droit canon.) Ce mot est aujourd’hui synonyme avec divorce, qui chez les Catholiques n’aboutit qu’à une séparation de biens & d’habitation. Voyez Divorce.

Je me contenterai d’observer en passant qu’il falloit que dans le xiij. siecle la répudiation fût une chose bien commune ; nous en pourrions citer plusieurs exemples, entr’autres celui de Philippe II. dit Auguste, qui répudia, 1°. Inberge, fille de Valdemar, &, 2°. Agnès de Méranie, laquelle en mourut de douleur en 1211. Mais de plus, nous voyons dans le contrat de mariage de Pierre roi d’Arragon, de l’an 1204, une clause qui étonneroit bien aujourd’hui : ce prince y promet solemnellement de ne jamais répudier Marie de Montpellier, & qui plus est, de n’en épouser jamais aucune autre pendant sa vie. Abrégé de l’hist. de France. (D. J.)

Répudiation, (Critiq. sacrée.) mot synonyme à divorce ; séparation du mari & de la femme, avec la liberté de se remarier. La loi de Moïse permettoit au mari de répudier sa femme quand il lui plaisoit, en lui envoyant seulement l’acte ou la lettre. Voyez Répudiation, lettres de.

Jésus-Christ voulant réprimer une licence qui ne dépendoit que du caprice, la condamne dans S. Marc, ch. x. vers. 2. 12. Dans saint Matthieu il s’explique davantage, & défend de répudier sa femme, si ce n’est pour cause d’adultere. Matth. ch. v. 32. & ch. xjx. vers. 9. Dans saint Luc, xvij. 18, il défend encore d’épouser la femme répudiée, & ajoute que celui qui l’épouse commet adulterre. Il paroît que la plûpart des anciens peres ont mal entendu le précepte de notre Sauveur, en appliquant à la femme répudiée pour cause d’adultere, ce que Jesus-Christ dit seulement de toute femme répudiée pour de legeres causes, comme les Juifs le pratiquoient. Là-dessus les Peres ont à la vérité reconnu qu’il étoit permis à un mari de répudier une femme adultere, mais ils se sont en même tems persuadés qu’il étoit défendu au mari d’épouser une autre femme, & à la femme répudiée d’épouser un autre mari pendant que les deux personnes séparées sont vivantes. On doute que ce soit-là l’ordonnance de notre Sauveur ; n’est-il pas plus naturel en critique de limiter aux divorces des Juifs la défense que Jesus-Christ fait de se remarier, sans l’appliquer au divorce que Jesus-Christ a permis ? autrement notre Seigneur seroit en contradiction avec lui-même, en permettant la dissolution du mariage dans le cas d’adultere, & en voulant que le mariage subsiste toujours, car il subsiste réellement si la femme répudiée devient adultere en épousant un autre mari, & si son mari le devient lui-même en épousant une autre femme. (D. J.)

Répudiation, lettre de, (Critiq. sacrée.) libellus repudii ; voici la loi du législateur des Juifs. Si un homme épouse une femme, & qu’ensuite elle ne trouve pas grace à ses yeux à cause de quelque chose de honteux, il lui écrira une lettre de répudiation, la lui mettra en main, & la renverra hors de son logis, Deutér. xxjv. 1. Comme on lit dans l’évangile ces mots : « Moïse vous a permis de répudier vos femmes à cause de la dureté de votre cœur, Matth. xjx. 8 » ; on demande ce que c’est proprement que la dureté du cœur, σκληροκαρδίαν, que notre Seigneur reproche aux Israélites, & qui donna lieu à la loi qui leur permit la lettre de répudiation. Les savans jugent que c’est, d’un côté, le penchant de ce peuple à la luxure, & de l’autre, la crainte d’une révolte, qui seroit infailliblement arrivée, si la loi leur eût imposé un joug particulier que les autres nations n’avoient point ; car le divorce étoit reçu non-seulement chez les Egyptiens, mais encore chez les autres nations voisines des Juifs, comme il paroît par l’exemple du philistin qui sépara la fille de Samson, & la maria à un autre. Jug. xv. Jesus-Christ condamne ce désordre, mais Clément d’Alexandrie, Stromat. l. III. p. 447. prétend que l’homme qui a répudié sa femme à cause d’adultere, peut en épouser une autre, & que c’est à cette occasion que notre Seigneur a dit que tout le monde n’est pas capable de vivre dans la continence.

La loi judaïque n’accordoit le privilege de donner la lettre de répudiation qu’au mari à l’égard de sa femme ; mais Salomé, sœur du roi Hérode, soutenue de la puissance de ce prince, s’étant brouillée avec Costabare iduméen son second mari, lui envoya contre l’usage & la loi la lettre de divorce, & fit passer par exemple nouveau sa volonté pour loi, ensorte que Costabare fut obligé de s’y soumettre. (D. J.)

Répudiation, (Hist. rom.) Les fiançailles chez les Romains pouvoient être rompues par la répudiation. Le billet qu’envoyoit celui qui répudioit, étoit conçu en ces termes : je rejette la promesse que vous m’aviez faite ; ou, je renonce à la promesse que je vous avois faite : & alors l’homme étoit condamné à payer le gage qu’il avoit reçu de la femme, & celle-ci étoit condamnée au double ; mais lorsque ni l’un ni l’autre n’avoient donné sujet à la répudiation, il n’y avoit point d’amende. Le divorce étoit différent de la répudiation ; il pouvoit se faire au cas que la femme eût empoisonné ses enfans, qu’elle en eût supposé à la place des siens, qu’elle eût commis un adultere, ou même qu’elle eût bû du vin à l’insçu de son mari : c’est du-moins ce que rapporte Aulu-Gelle, liv. X. c. xxiij, Pline, hist. nat. l. XIV. c. xiij. Enfin le sujet du divorce étoit examiné dans une assemblée des amis du mari ; quoiqu’il fût autorisé par les lois, cependant le premier exemple n’arriva que vers l’an 520, par S. P. Carvilius Ruga, à cause de la stérilité de sa femme ; mais dans la suite il devint fort fréquent par la corruption des mœurs. Voyez tout ce qui regarde cette matiere à l’article Divorce.

Je n’ajoute qu’un mot d’après Plutarque. Il me semble, dit-il dans sa vie de Paul Emile, qu’il n’y a rien de plus vrai que ce qu’un romain qui venoit de répudier sa femme dit à ses amis, qui lui en faisoient des reproches, & qui lui demandoient : votre femme n’est-elle pas sage ? n’est-elle pas belle ? ne vous a-t-elle pas donné de beaux enfans ? Pour toute réponse, il leur montra son soulier, les questionnant à son tour ; ce soulier, leur répartit-il, n’est-il pas beau, n’est il pas tout neuf ? n’est-il pas bien fait ? cependant aucun de vous ne sait où il me blesse. Effectivement, s’il y a des femmes qui se font répudier pour des fautes qui éclatent dans le public, il y en a d’autres qui par l’incompatibilité de leur humeur, par de secrets dégoûts qu’elles causent, & par plusieurs fautes legeres, mais qui reviennent tous les jours, & qui ne sont connues que du mari, produisent à la longue un si grand éloignement, & une aversion tellement insupportable, qu’il ne peut plus vivre avec elles, & qu’il cherche enfin à s’en séparer.

J’ai indiqué la formule du libelle de répudiation anciennement en usage chez les Romains ; celle du libelle de divorce portoit ces mots : Res tuas tibi habeto.

Nous ne sommes pas faits, je le vois, l’un pour l’autre,
Mon bien se monte à tant, tenez, voilà le vôtre.

(D. J.)