L’Encyclopédie/1re édition/PRYTANÉE

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PRYTANÉE, s. m. (Ant. grecq.) πρυτανεῖον, vaste édifice d’Athènes & d’autres villes de la Grece, destiné aux assemblées des prytanes, au repas public, & à d’autres usages.

La Guilletiere dit qu’on voyoit encore de son tems, près du palais de l’archevêque, les ruines du prytanée d’Athènes, ce tribunal où s’assembloit les cinquante sénateurs qui avoient l’administration des affaires de la république.

C’étoit dans le prytanée qu’on faisoit le procès aux fleches, javelots, pierres, épées, & autres choses inanimées qui avoient contribué à l’exécution d’un crime ; on en usoit ainsi, lorsque le coupable s’étoit sauvé ; & nous gardons encore parmi nous quelque chose de cet usage, lorsque pour faire plus d’horreur d’un parricide, & d’un assassinat énorme, on comprend dans les suites du supplice, l’anéantissement des poignards ou des couteaux qui ont été les instrumens du crime.

C’étoit dans une salle du prytanée que mangeoient les prytanes avec ceux qui avoient l’honneur d’être admis à leur repas ; & Pausanias observe que cette salle où se donnoient les repas, étoit appellée δόλος. Les lois de Solon étoient affichées dans cette salle, pour en perpétuer le souvenir. Les statues des divinités tutélaires d’Athènes, Vesta, la Paix, Jupiter, Minerve, &c. y étoient posées pour agréer les sacrifices qui se faisoient avant l’ouverture des assemblées publiques & particulieres. Dans la même salle étoient les statues des grands hommes qui avoient donné leur nom aux tribus de l’Attique, celle du fameux Antolique y étoit aussi, & celles de Thémistocles & de Miltiades servirent dans la suite à la flaterie des Athéniens, qui par une inscription postérieure, en firent honneur à un romain ou à un thrace.

On y recevoit les ambassadeurs dont on étoit content, le jour qu’ils avoient rendu compte à la république de leurs négociations. On y admettoit aussi le jour de leur audience, les ministres étrangers qui venoient de la part des princes, ou des peuples allies, ou amis de la république d’Athènes. Les ambassadeurs des Magnésiens furent admis à ce repas, lorsqu’ils eurent renouvellé le traité d’alliance avec le peuple de Smyrne.

C’étoit un honneur singulier que d’être admis au repas des prytanées hors des tems de la fonction des sénateurs, & les Athéniens dans les commencemens fort réservés à cet égard, n’accorderent une distinction aussi flateuse, que pour reconnoissance des services importans rendus à la république, ou pour d’autres grands motifs. Les hommes illustres qui avoient rendu des services signalés à l’état, y étoient nourris eux & leur postérité aux dépens du public. Quand les juges de Socrate lui demanderent selon l’ordonnance quelle peine il croyoit avoir méritée, il répondit qu’il croyoit avoir mérité qu’on lui décernât l’honneur d’être nourri dans le prytanée aux dépens de la république. Par une considération particuliere pour le mérite de Démosthène, on lui fit ériger une statue dans le prytanée ; son fils ainé, & successivement d’ainé en ainé, jouirent du droit de pouvoir y prendre leur repas.

L’idée que l’on avoit de l’honneur que les vainqueurs aux jeux olympiques faisoient à leur patrie, détermina l’état à leur accorder la faveur d’assister aux distributions & aux repas des prytanes ; & c’est ce qui fonde le reproche fait aux Athéniens du jugement injuste qu’ils avoient porté contre Socrate, qui méritoit à bien plus juste titre la distinction honorable d’être nourri dans le prytanée, qu’un homme qui aux jeux olympiques avoit le mieux su monter à cheval, ou conduire un char ; mais on n’avoit rien à objecter à la faveur accordée aux orphelins dont les peres étoient morts au service de l’état, d’être nourris dans le prytanée, parce que ces orphelins entroient sous la tutelle spéciale du sage tribunal des prytanes.

Il paroit de ce détail quel étoit l’usage d’une partie des vivres que l’on mettoit dans les magasins du prytanée. L’autre partie servoit aux distributions réglées qui se faisoient à certains jours aux familles qu’une pauvreté sans reproche mettoit hors d’état de pouvoir subsister sans ce secours, qui par autorité publique étoit distribué proportionnellement au nombre de têtes qui les composoient.

Callisthènes rapporte dans Plutarque que Polycrite, petite fille d’Aristide, à la considération de cet illustre aïeul, fut employée sur l’état des prytanes, pour recevoir chaque jour trois oboles, ne pouvant à cause de l’exclusion donnée à son sexe, prendre ses repas dans l’enceinte du prytanée.

La plus grande partie des villes de la Grece & de l’orient avoient des prytanes, & un prytanée. Il y en avoit à Mégare, à Olympie dans l’Elide, à Lacédémone, &c. Denys d’Halycarnasse a fait une comparaison assez suivie des tribunaux des Romains répandus dans les différentes villes de la république, avec les tribunaux des Grecs établis dans les différentes villes de l’enceinte de la Grece. Le lecteur peut voir la liste des prytanées de la Grece dans les mémoires de littérature. Il seroit facile, d’après les médailles & les inscriptions, d’y ajouter les noms de quelques-uns qui ont été omis ; mais je me contenterai d’observer que le prytanée de Cyzique passoit, après celui d’Athènes, pour le plus superbe de tous : il renfermoit dans son enceinte quantité de portiques dans lesquels étoient placées les tables des festins publics. Il fut ordonné par le decret du senat & du peuple de Cyzique rapporté par Spon, que la statue d’Apollodore de Paros seroit placée près les tables du premier portique dorique. Tite-Live, l. XLI. c. 20, rapporte que Persée, dernier roi de Macédoine, fit présent d’un service d’or pour une des tables du prytanée de cette ville.

Enfin il ne faut pas oublier de remarquer que comme on conservoit le feu de Vesta sur un autel particulier qui étoit dans le prytanée d’Athènes, & dont le soin étoit commis à des femmes veuves appellées prytanitides ; il arriva dans la suite du tems, qu’on appella du nom de prytanée tous les lieux où l’on conservoit un feu sacré & perpétuel. (D. J.)