L’Encyclopédie/1re édition/PHILIPPIQUES

PHILIPPIQUES, s. f. plur. (Littérat.) nom qu’on donne aux oraisons ou harangues de Démosthene contre Philippe, roi de Macédoine. Voyez Oraison.

On regarde les philippiques comme les pieces les plus importantes de ce célebre orateur. Longin cite un grand nombre d’exemples du style sublime qu’il tire de ces oraisons, & il en développe parfaitement les beautés. En effet, la véhémence & le pathétique qui faisoient le caractere de Démosthene, ne se produisent nulle part ailleurs avec plus de force que dans ces interrogations pressantes, & dans ces vives apostrophes avec lesquelles il tonnoit contre l’indolence & la mollesse des Athéniens. Quelque délicatesse qu’il y ait dans le discours du même orateur contre Leptines, les philippiques l’emportent encore, soit par la grandeur du sujet, soit par l’occasion qu’elles fournissent à Démosthene de déployer son principal talent, celui d’émouvoir & d’étonner.

Denys d’Halycarnasse met l’oraison sur l’Halonese au nombre des philippiques, & la compte pour la huitieme ; mais quelque respectable que soit l’autorité de ce critique, cette oraison sur l’Halonese n’a ni la force, ni la majesté qui, selon Cicéron, caracterise les philippiques de Démosthene ; aussi les savans la regardent-ils généralement comme un ouvrage supposé.

Libanius, Photius, & d’autres l’attribuent à Hegésipe, fondés principalement sur la langueur du style & sur la bassesse d’expression qui regnent dans cette piece, & qui sont diamétralement opposées à l’énergie & à la noblesse de l’élocution de Demosthene.

M. de Tourreil a donné une excellente traduction des philippiques de Demosthene ; c’est une chose extraordinaire que de voir tant d’esprit dans une traduction, & de trouver dans une langue moderne une aussi grande partie de la force & de l’énergie de Démosthene, & cela dans une langue aussi foible que la langue françoise.

Tel est le jugement que M. Chambers a porte de la traduction de M. de Tourreil, mais nos meilleurs écrivains en pensent bien différemment.

« On a laisse, dit M. Rollin, dans la derniere traduction de M. de Tourreil, quoique beaucoup plus travaillée & plus correcte que les précédentes, beaucoup d’expressions basses, triviales, & d’un autre côté le style en est quelquefois enfle & empoullé (& il donne des exemple, de l’un & de l’autre) ; défauts, ajoute-t-il, directement opposés au caractere de Démosthene dont l’elocution réunit en même tems beaucoup de simplicité & beaucoup de noblesse. M. de Maucroix en a traduit quelques discours, sa traduction moins correcte en quelques endroits me paroît plus conforme au génie de l’orateur grec ». Traité des études, tome II. page 335.

Cependant cette traduction de M. de Maucroix, selon M. l’abbé Massieu dans sa préface des œuvres de M. de Tourreil, n’est rien moins que parfaite, puisqu’on n’y trouve pas autant de fidélité & de force qu’on y rencontre d’élégance & d’agrément : or qu’est ce qu’une traduction qui manque de fidélité, & qu’est-ce qu’une traduction de Démosthene, surtout quand elle manque de force ?

Le même abbé Massieu, dans des remarques (dont l’original se garde manuscrit à la bibliotheque du roi) sur la seconde édition de M. de Tourreil, parle ainsi de ce dernier traducteur. « Le privilege d’entendre M.de Tourreil n’est pas donné à tout le monde. En beaucoup d’endroits, on doute qu’il s’entende lui-même. Il quitte le sens pour les mots, & le solide pour le brillant. Il aime les épithetes qui emplissent la bouche, les phrases synonymes qui disent trois ou quatre fois la même chose, les expressions singulieres, les figures outrées, & généralement tous ces excès qui sont les écueils des écrivains médiocres. Il ignore sur-tout la naïveté du langage, &c. » Préface de M. l’abbé d’Olivet sur sa traduction des philippiques de Démosthene. Seroit-ce toutes ces qualités qui auroient séduit M. Chambers, & décidé son admiration pour la traduction de M. de Tourreil ?

Il suffira d’ajouter que dans les remarques dont on a parlé, M. l’abbé Massieu compte treize fautes dans la traduction que M. de Tourreil a donné de la premiere philippique, & que le P. Jouvencien compte vingt-neuf dans celle de la premiere. On peut voir ces observations dans un ouvrage de M. l’abbé d’Olivet, intitulé philippiques de Demosthene & catilinaires de Cicéron, imprimé à Paris en 1744, où l’on trouve aussi une traduction latine de la premiere philippique par le P. Jouvenci.

On a aussi donné le nom de philippiques à quatorze oraisons de Cicéron contre Marc-Antoine. C’est Cicéron lui-même qui leur donna ce titre dans une épître à Brutus où il en parle, & la postérité l’a trouve si juste qu’il s’est perpétué jusqu’à nous.

La seconde de ces harangues a toujours été la plus estimée. Juvenal ne craint pas de l’appeller un ouvrage divin.

Quam te conspicuæ divina philippica famæ
Volveris à primâ quæ proxima.

Satyr. x.

Le nom même que Cicéron donna à ces pieces, qu’il eût dû naturellement appeller antoniques, marque assez le cas qu’il en faisoit, & combien il s’y étoit proposé d’imiter Démosthene, dont on dit qu’il avoit traduit la premiere philippique, mais cette traduction n’a pas passé jusqu’à nous.

Les philippiques de Cicéron lui couterent la vie ; Marc-Antoine en ayant été si irrité, que dans la proscription qui signala son triumvirat avec Auguste & Lepide, il obtint qu’on lui abandonneroit Cicéron, le fit poignarder, & attacher la tête & les mains de cet orateur sur la tribune aux harangues où il avoit prononcé les philippiques.

Durant la minorité de Louis XV. & sous le regne de M. le duc d’Orléans, il parut contre ce dernier prince un libelle en vers très-injurieux sous le nom de philippiques, par allusion au nom de Philippe que portoit. M. le régent. Plusieurs poëtes furent soupçonnés d’en être les auteurs, mais sur-tout la Grange, auteur de plusieurs tragédies, qui fut envoyé aux îles de Ste Marguerite, & ne s’en sauva que pour s’expatrier. M. de Voltaire en parle ainsi dans son épître sur la calomnie :

Vous avez bien connu, comme je pense,
Ce bon régent qui gâta tout en France :
Il étoit né pour la société,
Pour les beaux arts & pour la volupté ;
Grand, mais facile, ingénieux, affable,
Peu scrupuleux, mais de crime incapable,
Et cependant, ô mensonge ! ô noirceur !
Nous avons vu la ville & les provinces
Au plus aimable, au plus clément des princes,
Donner les noms… Quelle absurde fureur !
Chacun les lit, ces archives d’horreur,
Ces vers impurs, appellés philippiques,
De l’imposture, éternelles chroniques !
Et nul François n’est assez généreux
Pour s’élever, pour déposer contre eux.

Ils auront le sort de tous les libelles, ils seront oubliés, & la mémoire du prince qu’ils outrageoient ne périra point.