L’Encyclopédie/1re édition/PHENICIENS

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PHENICIENS, Philosophie des, (Hist. de la Philosop.) voici un peuple intéressé, turbulent, inquiet, qui ose le premier s’exposer sur des planches fragiles, traverser les mers, visiter les nations, lui porter ses connoissances & ses productions, prendre les leurs, & faire de sa contrée le centre de l’univers habité. Mais ces entreprises hardies ne se forment point sans l’invention des sciences & des arts. L’Astronomie, la Géométrie, la Méchanique, la politique sont donc fort anciennes chez les Phéniciens.

Ces peuples ont eu des philosophes & même de nom. Moschus ou Mochus est de ce nombre. Il est dit de Sidon. Il n’a pas dépendu de Possidonius qu’on ne dépouillât Leucippe & Democrite de l’invention du système atomique en faveur du philosophe phénicien ; mais il y a mille autorités qui réclament contre le témoignage de Possidonius.

Après le nom de Moschus, c’est celui de Cadmus qu’on rencontre dans les annales de la philosophie phénicienne. Les Grecs le font fils du roi Agénor ; les Phéniciens, plus croyables sur un homme de leur nation, ne nous le donnent que comme l’intendant de sa maison. La Mythologie dit qu’il se sauva de la cour d’Agénor avec Harmonie, célebre joueuse de flûte, qu’il aborda dans la Grece, & qu’il y fonda une colonie. Nous n’examinerons pas ce qu’il peut y avoir de vrai & de faux dans cette fable. Il est certain qu’il est l’inventeur de l’alphabet grec, & que ce service seul exigeoit que nous en fissions ici quelque mention.

Il y eut entre Cadmus & Sanchoniaton, d’autres philosophes ; mais il ne nous reste rien de leurs ouvrages.

Sanchoniaton est très-ancien. Il écrivoit avant l’ere troienne. Il touchoit au tems de Moïse. Il étoit de Biblos. Ce qui nous reste de ses ouvrages est supposé. Voici son système de cosmogonie.

L’air ténébreux, l’esprit de l’air ténébreux & le chaos sont les principes premiers de l’univers.

Ils étoient infinis, & ils ont existé long-tems avant qu’aucune limite les circonscrivit.

Mais l’esprit aima ses principes ; le mélange se fit ; les choses se lierent ; l’amour naquit & le monde commença.

L’esprit ne connut point sa génération.

L’esprit liant les choses engendra mot.

Mot est, selon quelques-uns, le limon ; selon d’autres, la putréfaction d’une masse aqueuse.

Voilà l’origine de tous les germes, & le principe de toutes les choses ; de-là sortirent des animaux privés d’organes & de sens qui devinrent avec le tems des êtres intelligens, contemplateurs du ciel ; ils étoient sous la forme d’œufs.

Après la production de mot, suivit celle du soleil, de la lune & des autres astres.

De l’air éclairé par la mer & échauffé par la terre, il résulta les vents, les nuées & les pluies.

Les eaux furent séparées par la chaleur du soleil, & précipitées dans leur lieu ; & il y eut des éclairs & du tonnerre.

A ce bruit les animaux assoupis sont réveillés ; ils sortent du limon & remplissent la terre, l’air & la mer, mâles & femelles.

Les Phéniciens sont les premiers d’entre les hommes ; ils ont été produits du vent & de la nuit.

Voilà tout ce qui nous a été transmis de la philosophie des Phéniciens. C’est bien peu de chose. Seroit-ce que l’esprit de commerce est contraire à celui de la philosophie ? Seroit-ce qu’un peuple qui ne voyage que pour s’enrichir, ne songe guere à s’instruire ? Je le croirois volontiers. Que l’on compare les essaims incroyables d’européens qui ont passé de notre monde dans celui que Colomb a découvert, avec ce que nous connoissons de l’histoire naturelle des contrées qu’ils ont parcourues, & l’on jugera. Que demande un commerçant qui descend de son vaisseau sur un rivage inconnu, est-ce quel dieu adorez-vous ? avez-vous un roi ? quelles sont vos lois ? Rien de cela. Mais avez-vous de l’or ? des peaux ? du coton ? des épices ? Il prend ces substances, il donne les siennes en échange ; & il recommence cent fois la même chose sans daigner seulement s’informer de ce qu’elles sont, comment on les recueille. Il sait ce qu’elles lui produiront à son retour, & il ne se soucie pas d’en apprendre davantage. Voila le commerçant hollandois. Et le commerçant françois ? Il demande encore, vos femmes sont-elles jolies ?