L’Encyclopédie/1re édition/PHENICIE

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PHENICIE, (Géog. anc.) Phœnicia, province de Syrie, dont les limites n’ont pas toujours été les mêmes. Quelquefois on lui donne l’étendue du nord au midi, depuis Orthosie jusqu’à Péluse ; d’autresfois on la borne du côté du midi au mont Carmel, & à Ptolémaïde. Il est certain qu’anciennement, c’est-à-dire, depuis la conquête de la Palestine par les Hébreux, elle étoit assez bornée, & ne possédoit rien dans le pays des Philistins, qui occupoient presque tout le terrein, depuis le mont Carmel, le long de la Méditerranée, jusqu’aux frontieres de l’Egypte. Elle avoit aussi très-peu d’étendue du côté de la terre, parce que les Israëlites qui occupoient la Galilée, la resserroient sur la Méditerranée. Ainsi lorsqu’on parle de la Phénicie, il faut bien distinguer le tems. Avant que Josué eût fait la conquête de la Palestine, tout ce pays étoit occupé par les Chananéens fils de Cham, partagés en onze familles, dont la plus puissante étoit celle de Chanaan, fondateur de Sidon, & chef des Chananéens proprement dits, auxquels les Grecs donnent le nom de Phéniciens.

Ils se maintinrent long-tems dans l’indépendance ; mais enfin ils furent assujettis par les rois d’Assyrie & par ceux de Chaldée. Ils obéirent ensuite successivement aux Perses, aux Grecs & aux Romains, & aujourd’hui la Phenicie est soumise aux Othomans, n’ayant point eu de rois de leur nation, ni de forme d’état indépendant depuis trois mille ans ; car les rois que les Assyriens, les Chaldéens, les Perses, les Grecs & les romains y ont quelquefois laissés, étoient tributaires de ces conquérans, & n’exerçoient qu’un pouvoir emprunté.

Les principales villes de Phénicie étoient Sidon, Tyr, Ptolémaïde, Ecdippe, Sarepta, Bérythe, Biblis, Tripoli, Osthosie, Simire, Arade. Les Phéniciens possédoient aussi anciennement quelques villes dans le Liban, & personne n’ignore que Carthage fut une de leurs premieres colonies.

Quelquefois les auteurs grecs comprennent toute la Judée sous le nom de Phénicie. Dans les anciennes notices ecclésiastiques, on distingue la Phénicie de dessus la mer, & la Phénicie du Liban. L’une étoit dans les terres, & l’autre sur le bord de la mer. Hérodote, liv. IV. ch. civ. dit que les Phéniciens habiterent d’abord sur la mer Rouge, & que de-là ils vinrent s’établir sur la Méditerranée entre la Syrie & l’Egypte.

Le nom de Phénicie ne se trouve point dans l’Ecriture, dans les livres écrits en hébreu, mais seulement dans ceux dont l’original est grec, comme les Machabées & les livres du nouveau Testament. L’hébreu dit toujours Chanaan. Moïse fait venir les Phéniciens de Cham, qui peupla l’Egypte & les pays voisins. S. Matthieu qui écrivoit en hébreu ou en syriaque, appelle chananéenne, une femme que S. Marc qui écrivoit en grec, a appellée syro-phénicienne, ou phénicienne de Syrie, pour la distinguer des Phéniciens d’Afrique, ou des Carthaginois.

On dérive le nom de phénicien, ou de palmiers, appellés en grec phéinix, qui sont communs dans la Phénicie ; ou d’un tyrien, nommé Phœnix, dont parle la fable, ou de la mer Rouge, des bords de laquelle on prétend qu’ils étoient venus. Phœnix signifie quelquefois rouge ; d’où vient puniceus & phœniceus color.

On attribue aux Phéniciens plusieurs belles inventions. Par exemple, l’art d’écrire. Le poëte Lucain s’exprime ainsi :

Phœnices primi, famæ si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signare figuris.

C’est-à-dire : « Les Phéniciens, si l’on en croit la tradition, furent les premiers qui fixerent par des signes durables les accens fugitifs de la parole ». On dit de plus qu’ils ont les premiers inventé la navigation, le trafic, l’Astronomie, les voyages de long cours. Bochart a montré, par un travail incroyable, qu’ils avoient envoyé des colonies, & qu’ils avoient laissé des vestiges de leur langue dans presque toutes les îles & toutes les côtes de la Méditerranée.

Ils ont les premiers habité l’île de Délos. Leur trafic avec les Grecs introduisit chez ce peuple la corruption & le luxe. Leurs colonies porterent dans les lieux où elles s’établirent le culte de Jupiter Ammon, d’Isis, & des déesses-meres. Ils furent les seuls au commencement qui eussent la liberté de trafiquer avec l’Egypte. Dès le regne de Nécos, ils firent le tour de l’Afrique, & en connurent les côtes méridionales. Ils échangerent sur les côtes d’Espagne le fer & le cuivre contre de l’or & de l’argent qu’ils recevoient en retour.

On peut ajouter qu’ils ont ouvert le commerce des iles britanniques. Quelques modernes ont voulu faire honneur aux Grecs des commencemens de ce commerce ; mais outre qu’il est très-incertain que les Grecs l’ayent jamais fait, Strabon dit nettement que les Phéniciens l’ont commencé, & qu’ils le faisoient seuls ; termes précis qui détruisent toutes les conjectures des modernes en faveur des Grecs, & de toute autre nation.

Strabon nous donne le détail de ce commerce. Les Phéniciens, dit-il, portoient aux îles britanniques de la vaisselle de terre, du sel, toutes sortes d’instrumens de fer ou de cuivre, & ils recevoient en échange des peaux, des cuirs & de l’étain : mais il y a apparence que ce commerce étoit plus étendu ; car le même Strabon nous dit dans un autre endroit que ces îles étoient fertiles en blé & en troupeaux ; qu’elles avoient des mines d’or, d’argent & de fer, & que toutes ces choses faisoient partie de leur commerce, aussi-bien que les peaux, les esclaves, & les chiens même qui étoient excellens pour la chasse, & dont les Gaulois, quelquefois aussi les peuples de l’orient se servoient à la guerre. Quoi qu’il en soit de l’étendue de ce commerce, il est certain que celui de l’étain seul étoit une source inépuisable de richesses pour les Phéniciens. (Le Chevalier de Jaucourt.)