L’Encyclopédie/1re édition/PARODIE

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PARODIE, s. f. (Belles Lettres.) maxime triviale ou proverbe populaire. Voyez Adage, Proverbe. Ce mot vient du grec παρὰ & ὁδὸς, via, voie, c’est-à-dire qui est triviale, commun & populaire.

Parodie, παρῳδία, parodus, se dit aussi plus proprement d’une plaisanterie poétique, qui consiste à appliquer certains vers d’un sujet à un autre pour tourner ce dernier en ridicule, ou à travestir le sérieux en burlesque, en affectant de conserver autant qu’il est possible les mêmes rimes, les mêmes mot, & les mêmes cadences. Voyez Burlesque. C’est ainsi que M. Chambers a conçu la parodie, mais ses idées à cet égard ne sont point exactes.

La parodie a d’abord été inventée par les Grecs de qui nous tenons ce terme, dérivé de παρὰ & ᾠδὴ, chant ou poésie. On regarde la batrachomiomachie d’Homere comme une parodie de quelques endroits de l’Iliade, & même une des plus anciennes pieces en ce genre.

M. l’abbé Sallier de l’académie des belles-lettres, a donné un discours sur l’origine & le caractere de la parodie, ou il dit en substance que les rhéteurs grecs & latins ont distingué différentes sortes de parodies. On peut, dit Cicéron, dans le second livre de l’orateur, insérer avec grace dans le discours un vers entier d’un poete ou une partie de vers, soit sans y rien changer, soit en y faisant quelque leger changement.

Le changement d’un seul mot suffit pour parodier un vers ; ainsi le vers qu’Homere met dans la bouche de Thétis pour prier Vulcain de faire des armes pour Achille, devint une parodie dans la bouche d’un grand philosophe, qui peu content de ses essais de poésie, crut devoir en faire un sacrifice au dieu du feu. La déesse dit dans Homere :

Ἥφαιστε πρόμολ’ ὧδε· Θέτις νύ τι σεῖο χατίζει
A moi, Vulcain, Thétis implore ton secours.

Le philosophe s’adressant aussi à Vulcain lui dit :

Ἥφαιστε πρόμολ’ ὧδε· Πλάτων νύ τι σεῖο χατίζει
A moi, Vulcain, Platon implore ton secours.

Ainsi, Corneille fait dire dans le cid à un de ses personnages.

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.

Un très-petit changement a fait de ces deux vers une maxime reçûe dans tout l’empire des lettres.

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes
Et se trompent en vers comme les autres hommes.

Chapelain Décoiffé.

Le changement d’une seule lettre dans un mot devenoit une parodie ; ainsi Caton parlant de Marcus Fulvius Nobilior, dont il vouloit censurer le caractere inconstant, changea son surnom de Nobilior en Mobilior.

Une troisieme espece de parodie étoit l’application toute simple, mais maligne, de quelques vers connus ou d’une partie de ces vers sans y rien changer. On en trouve des exemples dans Démosthènes & dans Aristophanes : on trouve dans Héphestion, dans Denis d’Halicarnasse une quatrieme espece de parodie qui consistoit à faire des vers, dans le goût & dans le style de certains auteurs peu approuvés ; tels sont dans notre langue ceux où M. Despreaux a imité la dureté des vers de la Pucelle.

Maudit soit l’auteur dur, dont l’âpre & rude verve
Son cerveau tenaillant rima malgré Minerve,
Et de son lourd marteau martelant le bon sens,
A fait de méchans vers douze fois douze cens.

Enfin, la derniere & la principale espece de parodie est un ouvrage en vers, composé sur une piece entiere, ou sur une partie considérable d’une piece de poésie connue, qu’on détourne à un autre sujet & à un autre sens par le changement de quelques expressions ; c’est de cette espece de parodie que les anciens parlent le plus ordinairement ; nous avons en ce genre des pieces qui ne le cedent point à celles des anciens.

Henri Etienne qui florissoit vers la neuvieme olympiade, a été le premier inventeur de la parodie, & il nous donne Athenée pour son garant ; mais M. l’abbé Sallier ne croit pas qu’on puisse lui attribuer l’invention de toutes les sortes de parodies. Hegémon de Thasos, île de la mer Egée, qui parut vers la quatre-vingt-huitieme olympiade, lui paroît incontestablement l’auteur de la parodie dramatique qui étoit à-peu-près dans le goût de celles qu’on donne aujourd’hui sur nos théatres. Nous en avons un grand nombre & quelques-unes excellentes, entr’autres Agnès de Chaillot, parodie de la Tragédie de M. de la Mothe intitulée, Inès de Castro, & le mauvais ménage, parodie de la Marianne de M. de Voltaire. On peut sur nos parodies consulter les réfléxions de M. Riccoboni sur la comédie. Les Latins à l’imitation des Grecs se sont aussi exercés à faire des parodies.

On peut réduire toutes les especes de parodies à deux especes générales, l’une qu’on peut appeller parodie simple & narrative ; l’autre parodie dramatique. Toutes deux doivent avoir pour but l’agréable & l’utile. Les regles de la parodie regardent le choix du sujet & la maniere de le traiter. Le sujet qu’on entreprend de parodier doit être un ouvrage connu, célebre, estimé ; nul auteur n’a été autant parodié qu’Homere. Quant à la maniere de parodier, il faut que l’imitation soit fidelle, la plaisanterie bonne, vive & courte, & l’on y doit éviter l’esprit d’aigreur, la bassesse d’expression, & l’obscénité. Il est aisé de voir par cet extrait, que la parodie & le burlesque sont deux genres très-différens, & que le Virgile travesti de Scaron n’est rien moins qu’une parodie de l’Eneide. La bonne parodie est une plaisanterie fine, capable d’amuser & d’instruire les esprits les plus sensés & les plus polis ; le burlesque est une boufonnerie misérable qui ne peut plaire qu’à la populace. Mém. de l’acad. des Belles-Lettres, tom. VII. pag. 398. & suiv.