L’Encyclopédie/1re édition/ORDINATION

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ORDINATION, s. f. (Théolog.) est l’action de conférer les ordres sacrés, &, parmi les Protestans, la cérémonie d’installer un candidat d’église réformée, dans le diaconat ou dans la prêtrise. Voyez Ordres & Réordination.

Selon un théologien moderne, l’ordination est le rit extérieur qui éleve au ministere évangélique, & l’on ne doit pas la confondre avec l’ordre. La raison qu’il en apporte est que l’ordre est l’effet de l’ordination, & n’est à proprement parler que l’état dans lequel on est constitue par la voie de l’ordination.

Les Theologiens catholiques définissent l’ordination un sacrement de la nouvelle loi, qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques, & la grace pour les exercer saintement.

On est partagé dans les écoles sur la matiere & la forme de ce sacrement : les uns admettant pour matiere essentielle l’imposition des mains seules, & pour seule forme essentielle la priere ; & ne reconnoissant la porrection des instrumens, c’est à dire, du calice, de la patene, &c. qu’on fait toucher aux ordinans, que comme matiere accessoire & intégrale. D’autres regardent cette derniere cérémonie comme matiere essentielle, & un troisieme sentiment les réunit toutes deux comme matiere totale & adéquate. Voyez Matiere & Forme. Le premier sentiment est le plus suivi.

L’ordination des évêques s’appelle plus proprement consécration. Voyez Evêque & Consécration.

L’ordination a toûjours été regardée comme la principale prérogative des évêques, qui en regardent aussi les fonctions comme une espece de marque de leur souveraineté spirituelle dans leur diocèse.

Sous l’ancienne discipline de l’église anglicane on ne connoissoit point d’ordination vague & absolue ; mais tout clerc étoit obligé de s’attacher à quelque église d’où il devoit être ordonné clerc ou prêtre. Dans le douzieme siecle on se relâcha sur cette coutume, & on ordonna des clercs, sans qu’ils fussent pourvus d’aucun titre ou bénefice. Voyez Benéfice.

Le concile de Trente a fait revivre l’ancienne discipline, & a défendu d’ordonner quiconque ne seroit point pourvu d’un bénéfice capable de le faire subsister. En Angleterre, on conserve encore une ombre de cette discipline. Voyez Commande.

Les Réformés soutiennent que le choix du peuple est la seule chose qui soit essentielle pour la validité du ministere ecclésiastique, & ils enseignent que l’ordination n’est qu’une cérémonie qui rend le choix du peuple plus auguste & plus authentique.

Le concile de Rome, tenu en 744, ne permet de faire les ordinations que dans le premier, le quatrieme, le septieme & le dixieme mois de l’année. En Angleterre, les jours des ordinations sont les quatre dimanches qui suivent immédiatement les quatre-tems ; savoir, le second dimanche de carême, le dimanche de la Trinité, & les deux dimanches qui suivent le premier mercredi après le 14 de Septembre, & le 13 Decembre.

Le pape Alexandre II. condamne les ordinations qu’on appelle, après lui, per saltum, c’est-à-dire, lorsqu’on reçoit un des trois ordres majeurs sans avoir passé par les quatre mineurs ; ou plutôt encore un des ordres majeurs sans avoir reçu celui qui le précede, comme la prêtrise sans avoir reçu le diaconat : mais quelques Théologiens soutiennent que ces ordinations seroient illicites & non-invalides, qu’on peut être prêtre sans avoir été diacre, évêque sans avoir été prêtre, & ils croient le prouver par des exemples. On a vivement disputé dans ces derniers tems pour ou contre la validité des ordinations faites dans l’église anglicane, & cette question a occasionné divers écrits pleins de recherches & d’érudition.

Depuis la réformation, les Anglicans se sont toûjours attachés à montrer que leurs évêques étoient véritablement consacrés, & par conséquent que la succession épiscopale n’avoit pas manqué dans leur église. Les Catholiques, dès le regne d’Elisabeth & depuis, leur ont contesté cette prérogative ; &, pour la sapper dans son fondement, ils ont prétendu que Parker & Barlow, la tige de tout l’épiscopat anglican protestant, n’ayant pas été véritablement consacrés évêques, tous ceux qu’ils ont ordonnés en cette qualité & les successeurs de ceux-ci n’ont point eu le caractere épiscopal, & par une derniere conséquence qu’il n’y a plus d’épiscopat en Angleterre.

Cette question en embrasse nécessairement deux : l’une de fait, & l’autre de droit.

La question de fait consiste à savoir si Parker, qu’on regarde comme la tige de tout l’épiscopat anglican, a été réellement consacré évêque ; & si Barlow son consécrateur, qui a été évêque de Saint-David, & depuis évêque de Chichester, a lui-même été ordonné évêque : car s’il ne l’a pas été, il est certain qu’il n’a pû sacrer Parker.

La question de droit se réduit à prouver si la forme dont on s’est servie pour consacrer Barlow & Parker, a été défectueuse ou non, si elle a péché ou non dans quelque chose d’essentiel.

Nous allons donner une idée des principaux moyens qu’on a allégués pour & contre sur ces deux questions.

Sur la premiere, les Catholiques ont avancé que Barlow n’avoit jamais été véritablement évêque, parce qu’étant protestant dans le cœur, il avoit omis de se faire consacrer après sa nomination à l’évêché de Saint-David sous Henri VIII. ayant été dans ce tems occupé pour la cour à une négociation en Ecosse, qui consuma tout l’intervalle pendant lequel les Anglicans veulent qu’il ait été consacré ; 2°. qu’on ne trouve point l’acte de sa consécration ; 3°. que Parker fut consacré à Londres dans une auberge qui avoit pour enseigne la tête de cheval, & que cette cérémonie s’y passa d’une maniere indécente & pleine de dérision ; 4°. que Parker ne fut point consacré à Lambeth, palais proche de Londres, qui appartient aux archevêques de Cantorbery, & que les registres qu’on apporte en preuve de ce fait ont été falsifiés.

Sur la seconde, les uns, comme le sieur Fenell, ont dit que l’ordinal d’Edouard VI. étant l’ouvrage de la puissance laïque, des évêques consacrés suivant ce rit, n’ont pû recevoir la consécration épiscopale. D’autres, comme le pere le Quien, dans son livre intitulé Nullité des ordinations angloises, se sont attachés à répandre des doutes légitimes sur ces ordinations, & capables, selon eux, de la faire réitérer. Pour cela ils ont entrepris de montrer que dans le nouvel ordinal les Anglicans avoient altéré essentiellement la forme de l’ordination, parce que, disent-ils, cette forme doit faire une mention ou expresse ou du-moins implicite du sacerdoce & du sacrifice, selon la foi de l’église catholique ; or la forme de l’ordinal anglican n’en fait nulle mention. D’ailleurs on sait que les Anglicans ont aboli chez eux le sacerdoce & le sacrifice, qu’ils rejettent la présence réelle & la transsubstantiation, qui entrent nécessairement dans l’idée du sacrifice de l’église catholique & qui en sont comme la base. Enfin, ils ont regardé comme une loi sur cette matiere l’usage de l’église de Rome, qui réordonne tous les prêtres anglicans qui rentrent dans sa communion.

Les défenseurs de la validité des ordinations angloises, & principalement le pere le Courayer, chanoine régulier, ancien bibliothécaire de sainte Geneviéve de Paris, soutiennent 1°. que Barlow a été réellement consacré, puisqu’il a assisté en qualité d’évêque aux parlemens tenus sous Henri VIII. depuis 1536 ; & qu’une des lois du royaume d’Angleterre interdit aux évêques non-consacrés la séance au Parlement. 2°. Que son voyage en Ecosse quoique réel est arrangé d’une maniere romanesque par les auteurs dont nous venons de parler ; que Barlow a pû être de retour à Londres plutôt qu’ils ne prétendent & s’y faire consacrer ; que la perte de son acte de consécration n’est qu’une preuve négative qui n’infirme nullement la réalité du fait. 3°. Que la cérémonie de l’auberge est une fable ridicule qui n’a été produite pour la premiere fois que plus de quatre-vingt ans après l’événement en question ; qu’elle se dément par les circonstances mêmes dont on l’accompagne, & aux autorités dont on l’étaie & qu’il détruit, il en oppose d’infiniment supérieures. 4°. Il démontre que la consécration de Parker s’est faite à Lambeth le 17 Décembre 1559 par Barlow, assisté de Jean Scory, élu évêque d’Hereford, de Miles Coverdale, ancien évêque d’Excester, & de Jean Hoogskius, suffragant de Bedford. L’acte de cette consécration se trouve dans les œuvres de Bramhall & dans l’histoire de Burnet. On le trouve aussi en original dans les registres de Cantorbery & dans la bibliotheque du college de Christ à Cambridge. Cet auteur a donné copie de tous ces actes & d’une infinité d’autres qui démontrent pleinement la question de fait.

Quant à celle de droit, il s’est proposé de montrer que l’imposition des mains & la priere étant la matiere & la forme essentielle de l’ordination, l’une & l’autre étant prescrites dans le rituel d’Edouard VI. & ayant été observées dans la consécration de Parker & des autres, cela suffit pour la validité des ordinations. 2°. Que s’il faut dans la forme une mention virtuelle du sacerdoce & du sacrifice, on trouve dans la forme anglicane une analogie suffisante pour cela. 3°. Que les erreurs particulieres des Anglois sur le sacerdoce & le sacrifice ne détruisent point la validité de leurs ordinations, parce que les erreurs des hommes ne font rien à la validité ou l’invalidité des sacremens, pourvû qu’en les administrant on emploie la matiere & la forme prescrites. 4°. Que l’ordinal d’Edouard a été dressé par des évêques & des théologiens, sans que ni le roi ni le parlement y aient eu d’autre part que de l’autoriser, comme on fait en Angleterre toutes les pieces qui doivent avoir force de loi ; que Calvin ni les Calvinistes n’ont point concouru à la composition de cet ouvrage. 5°. Aux doutes de l’église romaine qu’il croit mal fondés & insuffisans pour en venir à une réordination, il oppose l’autorité de Cadsemius, de Walsh, de M. Bossuet & de M. Snellaerts, d’où il conclut que la validité des ordinations angloises ne pourroit être qu’avantageuse à l’église romaine en facilitant la réunion des Anglicans avec elle.

Tels sont les divers points que cet auteur a traités avec beaucoup de force & d’étendue : 1°. dans sa dissertation sur la validité des ordinations angloises, imprimée en 1723 ; & 2°. dans la défense de la même dissertation qui parut en 1726, où en répondant aux diverses critiques qu’on avoit faites de son premier ouvrage, il en établit de nouveau les preuves par des actes ou par de nouveaux raisonnemens. La question de fait y est entierement éclaircie. On ne peut pas dire exactement la même chose de celle de droit. Il eut été à souhaiter qu’en la traitant l’auteur eût évité certaines discussions théologiques sur la nature du sacrifice, qui l’ont conduit à des propositions erronées ou téméraires qui furent condamnées par l’assemblée du clergé de France en 1728 ; & qu’il n’eût pas eu la témérité de traiter d’insuffisans & de mal fondés les motifs qui ont porté l’Eglise à ordonner de nouveau ceux qui ont été ordonnés selon le rit anglican. Nous renvoyons les lecteurs aux écrits du pere le Courayer & de ses adversaires sur cette matiere intéressante, que les bornes de cet ouvrage ne nous ont permis que d’indiquer.

Il est de principe parmi les Théologiens que quelque corrompu que soit un évêque, les ordinations qu’il fait sont valides quoiqu’illicites. Aussi voit-on par l’Histoire que l’Eglise a toûjours admis comme valides les ordinations faites par les simoniaques, les intrus, les excommuniés, les schismatiques & les hérétiques.

Les évêques ne peuvent pas ordonner ni toutes sortes de personnes, ni des personnes de tout sexe : la discipline de l’Eglise les oblige à se restreindre à leurs diocésains, & de ne point ordonner d’étrangers sans le consentement des évêques auxquels ces étrangers sont soumis. C’est la décision du premier concile de Nicée, can. xvij. Les femmes ne peuvent être élevées aux saints ordres ; &, s’il est parlé dans l’Histoire de prêtresses, de diaconesses, &c. on sait que ce n’étoient point des noms d’ordre. Enfin, celui qu’on ordonne doit au-moins avoir été baptisé, parce que le baptême est comme la porte de tous les autres sacremens. L’ordination conférée à un homme contre son gré & son consentement, est nulle de plein droit.

Ordination per saltum, (Droit canon.) On appelle l’ordination per saltum, quand on confere ou qu’on reçoit un ordre supérieur sans avoir passé par les inférieurs ; par exemple, si on étoit ordonné prêtre sans avoir été auparavant ordonné diacre. Les ordinations per saltum ont toûjours été prohibées ; & si l’on s’écartoit quelquefois en cela de l’exactitude des canons, ce n’étoit que pour des raisons les plus pressantes, comme on fit pour saint Cyprien & saint Augustin, qu’on éleva à la prêtrise sans les avoir fait passer par les ordres inférieurs. (D. J.)