L’Encyclopédie/1re édition/NANTES

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NANTES, Comté de, (Géog.) ou pays Nantois ; il est divisé en deux parties par la Loire : on nomme l’une la partie d’outre-Loire, & l’autre la partie d’en-deçà la Loire. Cette derniere a été réunie à la Bretagne il y a plusieurs siecles. La capitale de tout le pays Nantois est Nantes, dont nous parlerons ci-après. Il y a dans le comté Nantois une redevance seigneuriale appellée la quintaine. Voyez Quintaine.

Nantes, (Géogr.) ancienne, riche & considérable ville de France, la seconde de la Bretagne, avec un évêché suffragant de Tours, & une université. Elle est à 15 lieues S. O. d’Angers, 27 N. O. de la Rochelle, 87 S. O. de Paris, 23 S. E. de Rennes. Long. suivant Cassini, 15. 52. 45. lat. 47. 13. 10.

Cette ville, que les Latins appellent Condivienum, civitas Namnetum, Namneta, est sur la Loire & l’Ardre, ce qui lui donne une heureuse situation pour le commerce, aussi en fait-elle un des plus considérables du royaume. C’est une ville fort ancienne, dont Strabon, César, Pline & Ptolomée font mention. Elle a été souvent la résidence des ducs de Bretagne : ils demeuroient dans le château S. Hermine, qui subsiste encore.

On dit que saint Clair fut le premier évêque de Nantes, vers l’an 277 ; cependant il n’est point parlé de ses successeurs avant Nonnechius, qui assista en 468 au concile de Vannes. Cet évêché vaut 35 à 40 mille livres de revenu. On y compte 212 paroisses & huit abbayes.

L’université de Nantes fut fondée vers l’an 1460, mais c’est l’université du commerce qui brille dans cette ville ; ils arment tous les ans plusieurs vaisseaux pour la traite des Negres dans les colonies françoises. Le débit de toutes sortes de marchandises est plus aisé & plus vif à Nantes que dans les autres villes du royaume. Ils ont avec les négocians de Bilbao une société particuliere qui s’appelle la contractation, & dont le tribunal réciproque est en forme de jurisdiction consulaire.

Le comté de Nantes est divisé en deux parties par la Loire ; l’une qu’on nomme la partie d’outre-Loire ; est à gauche en descendant la riviere, & celle d’en-deçà la Loire est à la droite.

On fait du sel en très-grande quantité dans le pays Nantois, soit à la baie de Bourgneuf, soit dans les marais salans de Guérande & du Croisic.

Anne de Bretagne, dont on connoît l’histoire, naquit à Nantes en 1476, & mourut en 1513. La destinée de cette princesse, comme le remarque M. le président Hénault, a été fort étrange. Elle fut femme de Charles VIII. en faisant une espece de divorce avec Maximilien, qu’elle avoit épousé par procureur, & elle ne se maria avec Louis XII. qu’après un autre divorce de ce prince avec Jeanne sa premiere femme. Il avoit épousé celle-ci avec des protestations de la violence que Louis XI. lui avoit faite. A la mort de Charles VIII. il demanda au pape que son mariage fût déclaré nul ; & sur l’affirmation que fit Louis XII. qu’il n’avoit eu aucun commerce avec Jeanne, la nullité fut prononcée. On a dit que l’inclination de Louis XII. avoit décidé son mariage avec Anne de Bretagne ; mais Varillas, dont il ne faut pas toujours rejetter l’autorité, pense que ce pouvoit bien être autant un coup politique qu’une affaire de passion. Il étoit porté, par le traité conclu avec les états de Bretagne, que si Charles VIII. mouroit sans enfans avant la duchesse, elle épouseroit son successeur.

On nous a beaucoup vanté l’esprit, la beauté (cela se peut) & la piété d’Anne de Bretagne ; c’est-là une autre affaire. Je sais bien qu’elle fonda les Bonshommes, & qu’elle blâma la guerre que le roi fit au saint Pere ; mais on m’avouera que sa haine implacable contre le maréchal de Gié & la comtesse d’Angoulême, n’étoit pas trop chrétienne.

M. Hénault parle d’une autre chose singuliere touchant Louis XII. & Anne de Bretagne. Elle avoit aimé Louis XII. qu’elle épousa après le décès de son mari ; & cependant elle fut si touchée à la mort de Charles VIII. qu’elle porta son deuil en noir, quoique jusque-là les reines l’eussent porté en blanc. D’un autre côté, Louis XII. son second mari, qui porta aussi son deuil en noir contre l’usage, se remaria l’année suivante avec Marie d’Angleterre, pour qui son amour lui coûta la vie. Anne de Bretagne, à la mort de Charles VIII. mit une cordeliere à ses armes, & cet usage s’est conservé.

Nantes n’a pas été trop fertile en gens de lettres, du-moins ma mémoire ne m’en fournit que deux dans le siecle passé, j’entends M. le Pays & M. de la Croze.

Pays (René le), poëte françois, naquit à Nantes en 1636. Son esprit étoit aisé, vif & agréable ; il composoit en vers & en prose avec facilité. En 1664 il publia des lettres & des poésies sous le titre d’amitiés, amours & amourettes. Il prit en galant homme la raillerie de M. Despréaux : Sans mentir le Pays est un bouffon plaisant ! Et il écrivit de Grenoble, où il étoit alors, une lettre badine & assez jolie sur ce sujet. Il fit plus ; étant de retour à Paris, il vint voir Despréaux, & soutint toujours son caractere enjoué. M. Despréaux fut d’abord embarrassé de la visite d’un homme qui avoit eu droit de se plaindre de lui ; mais M. le Pays le mit à son aise, & ils se séparerent fort amicalement. Il mourut à Paris en 1690, & fut enterré à S. Eustache, où Voiture, dont on le nommoit le singe, avoit aussi sa sépulture.

De Veissieres (Mathurin de la Croze) né à Nantes en 1661, bénédictin à Paris. Sa liberté de penser & un prieur contraire à cette liberté, lui firent quitter son ordre & sa religion. C’étoit une bibliotheque vivante, & sa mémoire passoit pour un prodige. Outre les choses utiles & agréables qu’il savoit, il en avoit étudié d’autres qu’on ne peut savoir, comme l’ancienne langue égyptienne. Il y a de lui un ouvrage fort estimé, c’est l’histoire du christianisme des Indes, en deux volumes in-12, imprimé en Hollande en 1724. On y trouve cent choses bien curieuses. Il nous a donné dans cet ouvrage une histoire exacte de la plûpart des communions orientales, entr’autres des chrétiens malabares, qui rejettent la suprématie du pape, nient la transubstantiation, le culte des images, & le purgatoire. Il nous apprend encore que les brachmanes croient l’unité d’un Dieu, & laissent les idoles au peuple. Quand on leur demande pourquoi ils ne rendent point de culte au souverain Créateur, ils répondent que c’est un être incompréhensible & sans figure, duquel l’homme ne peut se former d’idées corporelles. En même tems les guanigueuls, qui sont à proprement parler les sages des Indes, rejettent eux-mêmes le culte des idoles & les cérémonies extérieures. M. de la Croze est mort à Berlin en 1739. (D. J.)