L’Encyclopédie/1re édition/MOSAIQUE

Mosaique, s. f. (Art. méchaniq.) on entend par mosaïque non-seulement l’art de tailler & polir quantité de marbres précieux de différentes couleurs, mais encore celui d’en faire un choix convenable, de les assembler par petites parties de différentes formes & grandeurs sur un fond de stuc, préparé à cet effet, pour en faire des tableaux représentant des portraits, figures, animaux, histoires & paysages, des fleurs, des fruits & toute sorte de desseins imitant la peinture.

On donnoit autrefois différens noms à la mosaïque, à cause de ses variétés ; les uns l’appelloient musaique, du latin musivum, qui signifie en général un ouvrage délicat, ingénieux, & bien travaillé ; &, selon Scaliger, du grec μοῦσον, parce que ces sortes d’ouvrages étoient fort polis : en effet, μοῦσον, εὔμουσον & μοῦσικον se prennent en ce sens chez les Grecs ; les autres l’appelloient musibum, comme on le voit encore dans quelques manuscrits, & sur-tout dans les inscriptions de Gruter ; d’autres lui ont donné les noms de musaïcum, museacum & mosiacum, de museis, comme le rapporte Jean-Louis Vives, tib. XVI. S. Augustin, de civitate Dei ; d’autres encore le font dériver du grec μησῖον, musico cantu, ou d’un mot hébreu, qui veut dire mélange ; mais Nebricensis & quelques autres croient, & ce qui paroît plus vraissemblable, qu’il dérive du grec μοῦσα, muse, parce que, dit-il, il falloit beaucoup d’art pour ces sortes de peintures, & que la plûpart servoient d’ornement aux muses.

L’usage de faire des ouvrages de mosaïque est, selon quelques auteurs, fort ancien. Plusieurs prétendent que son origine vient des Perses qui, fort curieux de ces sortes d’ouvrages, avoient excité les peuples voisins à en faire d’exactes recherches. Nous voyons même dans l’Ecriture sainte qu’Assuérus leur roi, fit construire de son tems un pavé de marbre si bien travaillé, qu’il imitoit la peinture. D’autres assurent que cet art prit naissance à Constantinople, fondés sur ce que cette ville étoit de leur tems la seule dont presque toutes les églises & les bâtimens particuliers en étoient décorés, & que delà il s’est répandu dans les autres province de l’Europe. En effet, on en transporta des confins de ce royaume chez les peuples voisins d’Assyrie, de-là en Grece, & enfin, selon Pline, du tems de Sylla, on en fit venir dans le Latium pour augmenter les décorations des plus beaux édifices. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il commença à paroître vers le tems d’Auguste, sous le nom d’une nouvelle invention. C’étoit une façon de peindre des choses de conséquence avec des morceaux de verre qui demandoient une préparation particuliere. Cette préparation consistoit dans la façon de le fondre dans des creusets, dans celle de le couler sur des marbres polis, & dans celle de le tailler par petits morceaux, soit avec des tranchans, soit avec des scies faites exprès, & de les polir pour les assembler ensuite sur un fond de stuc. (On peut voir dans les ouvrages de Nerius un fort beau traité sur cette partie.) A ces morceaux de verre succéderent ceux de marbre, qui exigeoient alors beaucoup moins de difficultés pour la taille ; enfin cet art négligé depuis plusieurs siecles, a été ensuite abandonné, sur-tout depuis que l’on a trouvé la maniere de peindre sur toutes sortes de métaux, qui est beaucoup plus durable, n’étant pas sujette, comme la premiere, à tomber par écailles après un long tems. On lui donnoit autrefois le nom de marqueterie en pierre, que l’on distinguoit de marqueterie en bois, ou ébénisterie ; & sous ce nom l’on comprenoit non seulement l’art de faire des peintures par pierres de rapport, mais encore celui de faire des compartimens de pavé de différens desseins, comme l’on en voit dans plusieurs de nos églises ou maisons royales, ouvrage des marbriers. Ce sont maintenant ces ouvriers qui sont chargés de ces sortes d’ouvrages, comme travaillant en marbre de différente maniere.

La mosaïque se divise en trois parties principales ; la premiere a pour objet la connoissance des différens marbres propres à ses ouvrages ; la deuxieme est la maniere de préparer le mastic qui doit les recevoir, celle de l’appliquer sur les murs, pavés & autres lieux que l’on veut orner de ces sortes de peintures, pour y poser ensuite les différentes petites pieces de marbre ; & la troisieme est l’art de joindre ensemble ces mêmes marbres, & de les polir avec propreté pour en faire des ouvrages qui imitent la peinture.

Premiere partie. Des marbres. Les marbres se trouvant expliqués fort au long à l’article de la Maçonnerie, nous nous contenterons ici de les désigner simplement par leurs noms.

Des marbres antiques.
Marbres antiques.
de lapis.
de porphyre.
de serpentin.
d’albâtre le blanc.
le varié. l’oriental.
le fleuri.
l’agatato.
le moutahuto.
le violet.
le roquebrue.
de granit. d’Egypte.
d’Italie.
de Dauphiné.
vert.
violet.
de jaspe. antique.
floride.
rouge & vert.
de Paros.
de vert antique.
blanc & noir.
de petit antique.
de brocatelle.
africain.
noir antique.
de cipolin.
jaune. de Sienne.
doré.
de bigionero.
de lumachello.
picesnisco.
de breche antique.
de breche antique d’Italie.
Des marbres modernes.
Marbres blanc.
de Carare.
noir moderne.
de Dinan.
de Namur.
de theu.
blanc veiné.
de margosse.
noir & blanc.
de Barbançon.
de Givet.
de Portor.
de Saint-Maximin.
de serpentin moderne.
vert moderne d’Egypte.
de mer.
jaspé.
de lumachello moderne.
de Brenne.
occhio di pavone.
porta sancta ou serena.
fior di persica.
del vescovo.
de brocatelle.
de Boulogne.
de Champagne.
de Sainte-Baume.
de Tray.
de Languedoc de Cosne.
de Narbonne.
de roquebrue.
de Caen.
Marbres de griotte.
de bleu turquin.
de serancolin.
de balvacaire.
de campan. blanc.
rouge.
vert.
isabelle.
de Signan.
de Savoie.
de Gauchenet.
de Lesf.
de Hance.
de Balzato.
d’Auvergne.
de Bourbon.
de Hon.
de Sicile. ancien.
moderne.
de Suisse.
d’Antin.
de Laval.
de Cerfontaine.
de Berg op-zoom.
de Montbart.
de Malplaquet.
de Merlemont.
de Saint-Remi.
royal.
Des marbres dits breches modernes.
Breche blanche.
noire.
dorée.
coraline.
violette.
isabelle.
des Pyrénées.
grosse.
de Véronne.
sauveterre.
saraveche.
saraveche petite.
settebazi.
de Florence.
des Lolieres.
d’Alet.


II Partie. De la maniere de préparer le stuc. Le stuc dont on se sert pour ainsi dire par-tout maintenant, au-lieu de marbre, & qui est une composition particuliere qui l’imite parfaitement, est une espece de mastic que l’on applique sur les murs où l’on veut faire de la mosaïque, & sur lequel on pose toutes les petites pieces de marbre qui réunies ensemble, doivent imiter la peinture & former tableau. Il s’en fait de plusieurs manieres, selon l’industrie & le génie des ouvriers.

Celle dont on se servoit autrefois consistoit dans une portion de chaux éteinte (on appelle chaux éteinte, celle qui a été amortie par l’eau), sur trois de poudre de marbre, que l’on mêloit avec des blancs d’œufs & de l’eau ; ce qui formoit une masse que l’on appelloit mortier. Mais l’usage & l’expérience nous ont appris que ce mastic ne pouvoit nous être d’aucun usage, s’endurcissant si promptement que les ouvriers n’avoient pas le tems d’unir leurs pierres ensemble.

La matiere que l’on emploie actuellement le plus communément, & qui est beaucoup meilleure que la précédente, consiste dans une portion de chaux éteinte, environ ce qu’en peut contenir un instrument avec lequel on la porte en Italie appellé schiffo, qui est à-peu-près la valeur d’un pié cube, sur trois de poudre de marbre de Tibur, & non d’autre espece, comme le remarquent plusieurs auteurs, mêlé ensemble, non avec de l’eau, mais avec de l’huile de lin, que l’on remue tous les jours avec un morceau de fer. La premiere quantité est de 80 livres, que l’on augmente jusqu’à ce que le tout soit bien pris ; ce qui se connoît lorsque la masse entiere devenant unie, s’enfle de jour en jour en forme de pyramide, & l’eau qui étoit dans la chaux s’évapore : on y remet de l’huile tous les jours, de peur qu’elle ne se desseche, ce qui arrive cependant plus ou moins, selon la température des climats, des saisons, &c. Cette masse est ordinairement en été dix-huit ou vingt jours à acquérir son degré de perfection, & dans les autres tems de l’année davantage, à proportion de l’humidité de l’air, & de la rigueur des saisons ; de sorte qu’en hiver un mois entier ne suffit quelquefois pas pour la sécher : ce degré se connoît lorsque le mélange cessant de s’élever, l’eau qui étoit dans la chaux étant évaporée, elle demeure dans un état fixe, comme une espece d’onguent ; ce tems passé l’huile de lin s’évapore à son tour, & la poudre de marbre mêlée avec la chaux demeurant intimement liées, se durcissent & ne font plus qu’un corps solide.

Si l’on étoit pressé, on pourroit paîtrir dans ses mains de la chaux éteinte réduite en poudre, avec trois fois autant de poudre de marbre de Tibur, mêlée d’huile de lin, avec quoi l’on feroit un mastic semblable au précedent.

De la maniere de préparer le mastic. Pour préparer les murs, pavés, & autres choses semblables à recevoir la mosaïque, il faut y appliquer le mastic ; & pour cet effet, on enfonce auparavant dans ces murs de forts clous, à tête large, disposés en échiquier espacés les uns des autres d’environ deux pouces à deux & demi ; on les frotte ensuite avec un pinceau trempé dans l’huile de lin : au bout de quelques heures ou plus, selon l’humidité du tems, on garnit de mastic le pourtour de la tête de ces clous par petits morceaux, appliqués de plus en plus les uns sur les autres, jusqu’à ce qu’étant bien liés sur les murs, ils ne forment plus qu’un tout que l’on dresse alors à la regle ; on en fait environ 3 à 4 toises au plus de suite, pour qu’il ne se puisse durcir avant que l’on ait placé les petits morceaux de marbre que l’on joint bien proprement les uns contre les autres en les attachant au mastic ; lorsque tout l’ouvrage est bien pris, on le polit à la pierre-ponce bien également par-tout.

Si le mur étoit en pierre dure, & que l’on ne pût y enfoncer des clous, il faudroit alors y faire des trous à queue d’aronde, c’est-à-dire plus larges au fond que sur les bords, d’environ un pouce en quarré sur la même profondeur, espacés les uns des autres de deux pouces & demi à trois pouces, disposés en échiquier, que l’on empliroit ensuite de mastic, comme auparavant par petits morceaux les uns sur les autres, & bien liés ensemble. Ces trous assez près les uns des autres, à queue d’aronde & remplis d’un mastic qui, lorsqu’il est dur, ne peut plus ressortir, forment une espece de chaîne qui retient très solidement la masse.

On peut encore préparer ces murs d’une autre maniere, en y appliquant des ceintures ou bandes de fer entrelacées ; mais ce moyen augmente alors considérablement la dépense.

S’il arrivoit que l’on voulût faire des portraits, paysages, histoires & autres tableaux portatifs, tels que l’on en faisoit autrefois, ce qui s’exécute ordinairement sur le bois, il faudroit y enfoncer des clous à large tête, & y appliquer ensuite le mastic, de la maniere que nous l’avons vu.

III. partie. Des ouvrages de mosaïque. La mosaïque étant un composé de petits morceaux de marbre de diverses formes joints ensemble, les habiles ouvriers exigent que chacun d’eux soit d’une seule couleur, de maniere que les changemens & diminutions de couleurs & de nuances, s’y fassent par différentes pierres réunies les unes contre les autres, comme elles se font dans la tapisserie par différens points dont chacun n’est que d’une seule couleur. Aussi est-il nécessaire qu’ils soient travaillés & rejoints avec beaucoup d’art, & que le génie de l’ouvrier soit riche, pour produire l’agréable diversité qui en fait toute la beauté & le charme. On voit encore en Italie, quantité de ces ouvrages. Ciampinus a fait graver la plus grande partie de ceux qui lui ont paru les plus beaux ; on voit aussi dans plusieurs de nos maisons royales quelques portraits, paysages, &c. encore existans de ces sortes d’ouvrages.

On divisoit anciennement les ouvrages de mosaïque en trois especes ; la premiere étoit de ceux que l’on nommoit grands, qui avoient environ dix piés en quarré au-moins ; on les employoit à tout ce qu’on pouvoit appeller pavé, exposé & non exposé aux injures de l’air ; on n’y représentoit aucune figure d’hommes ni d’animaux, mais seulement des peintures semblables à celles que l’on nomme arabesques ; on peut voir dans l’art de Marbrerie quantité de ces sortes de pavés. La deuxieme espece étoit de ceux que l’on appelloit moyens, qui avoient au-moins deux piés en quarré, & étoient composés de pierres moins grandes, par conséquent en plus grande quantité, & exigeoient aussi plus de délicatesse & de propreté que les autres. La troisieme espece étoit de ceux que l’on nommoit petits, ces derniers qui alloient jusqu’à un pié en quarré étoient les plus compliqués par la petitesse des pierres dont ils étoient composés, la difficulté de les assembler avec propreté, & l’énorme quantité des figures qui alloit jusqu’à deux millions.

La fig. 1. Pl. I. représente un paysage de la premiere espece, que le savant Marie Suarez, évêque de Vaison, contemporain de Ciampinus, a apporté lui-même à Preneste sa patrie ; on y voit sur le devant un pêcheur monté sur sa barque parcourant les bords du Nil.

La fig. 2. Pl. II. est un autre paysage de la derniere espece, exécuté dans l’église de S. Alexis à Rome, dont le fond représente le palais d’un prince souverain sur les bord du Nil ou de quelque autre grand fleuve, au-devant duquel sont deux barques de pêcheurs, dont l’une va à la voile.

La fig. 3. représente un assemblage de quelques animaux de diverses especes exécutés sur le pilastre qui soutient l’arc de triomphe en face du sanctuaire, dans l’église de sainte Marie, au-delà du Tibre.

La fig. 4. représente Europe, fille d’Agenor, roi de Phénicie, enlevée par Jupiter changé en taureau, trait assez connu dans Ovide. Ce tableau conservé dans le palais du prince Barberin, porte environ deux piés & demi en quarré, & a été trouvé dans un lieu appellé communément l’Aréione, proche les murs de la ville de Préneste, parmi les débris de marbre de différente façon, qu’on a employés dans la suite à décorer des colonnes de différens ordres.

La fig. 5. Pl. III. est une statue trouvée dans quelques anciens monumens au-delà de la porte Asinaria, appellée maintenant la rue Latine de S. Jean. Cette figure plongée dans l’obscurité, semble représenter le Sommeil tenant en sa main gauche trois fleurs appellées pavots, attributs de cette divinité. A l’égard de ce qu’elle tenoit de la main droite, & que le tems a fait tomber ; on croit selon la fiction des Poëtes qu’elle portoit une corne qui contenoit de l’eau du fleuve Lethé.

La fig. 6. est une seconde représentation de l’enlevement d’Europe par Jupiter, fait sur le pavé rapporté par le célebre & savant Charles-Antoine ***.

La fig. 7. est un tableau d’environ sept piés de hauteur sur dix de largeur, en marbre blanc & noir, dont nous sommes redevables au célebre abbé Ambroise Spezia, représentant trois dauphins, deux écrevisses de mer, un polype, Neptune avec son trident ou quelqu’autre dieu marin. Vers le bas de cette figure on découvre les vestiges de trois autres poissons dont l’un n’est pas connu, un autre semble être un veau marin & le dernier un cheval ; d’où l’on pourroit conjecturer qu’il y avoit là des eaux qui contenoient ces sortes de poissons.

La Pl. IV. est un paysage en mosaïque de la derniere espece, trouvé en la ville de Palestrine, dans les ruines d’un édifice dont la destination est encore incertaine ; les uns croient que c’étoit un temple dédié à la Fortune, d’autres que c’étoit un lieu où l’empereur Antonin faisoit élever un certain nombre de jeunes filles ; mais la plûpart fondés sur différentes inscriptions qu’on y trouva en même tems, & par les débris qui en restoient, assurent que c’étoit le fameux temple de Serapis, divinité célebre, révérée des anciens Romains.

Cette planche représente un canton de la haute Egypte où le Nil débordé se répand dans la campagne ; du milieu de ses eaux s’élevent des pointes de rochers où les oiseaux viennent se reposer ; les édifices sont séparés par des canaux couverts de barques & de bateaux, qui selon Maillet servent de communication les uns aux autres pendant l’inondation de ce fleuve.

A est un temple orné de guirlandes dorées, & couvert dans sa face antérieure d’un voile de pourpre au dessous duquel est l’empereur Hadrien tenant entre ses mains un vase qu’il a reçu d’un prêtre ; il est suivi d’une troupe d’officiers & de soldats, dont une partie sont sur la galere qui va le joindre. Ce prince va au-devant de la ville de Sienne, ou d’Eléphantine, que quelques-uns ont pris pour la Victoire, recevoir une palme & un diadème.

B est probablement la demeure des ministres de ce temple, près de laquelle est un parc destiné à renfermer des troupeaux & des animaux sacrés.

C est un autre temple où sont des prêtres égyptiens en habits de lin, couronnés de fleurs & rasés, dont six forment un chœur de musique ; quatre portent un chandelier posé sur une table quarrée qu’on croit être le tombeau d’Osiris, & les autres portent sur de longs bâtons les effigies symboliques des divinités égyptiennes.

Près de là, sur un grand piédestal de marbre de couleur, est représenté la statue d’Anubis.

D est la maison d’un pere de famille avec un colombier, titre qui n’existoit qu’avec le mariage, près de laquelle est une barque avec voile & maison, plus bas sont quelques bateaux de pêcheurs.

E est une légere représentation des fêtes de l’Egypte, c’est un berceau chargé des fruits de la vigne, appuyé des deux côtés sur deux îles, dans l’intervalle desquelles coulent tranquillement les eaux du Nil ; aux deux côtés sont deux banquettes où sont assises des figures égyptiennes tenant des vases à boire & des instrumens de musique ; au-dessus, au-dessous & à côté de ce berceau sont trois bateliers occupés à ramasser dans le Nil du lotus, plante qui sert de nourriture aux Egyptiens & aux Ethiopiens pendant une partie de l’année.

F est une cabane à l’entrée de laquelle sont deux paysans ou pêcheurs, dont l’un tient un trident ou harpon à trois pointes propre à prendre des gros poissons, qu’on trouve quelquefois dans le Nil.

Plus loin en G sont des Egyptiens montés sur une barque sans voile avec une maison, après avoir percé de deux traits un hippopotame.

H ils en lancent d’autres.

I un autre hippopotame qui fuit & se cache dans les roseaux.

Au-dessus en K sont des figures debout dont les unes semblent être les ministres du temple voisin, environné d’obélisques & de tours, dont une leur sert de demeure. Celui qui tient un trident est un pêcheur que quelques-uns ont pris pour Neptune.

Près de-là est un puits, espece de nilometre qui servoit à mesurer les accroissemens & décroissemens du Nil.

L est un autre temple à-peu-près semblable au précédent, mais décoré de guirlandes, & flanqué de deux maisons.

M sont deux maisons en tours quarrées, une en tour ronde servant de retraite aux ibis, espece de courlis, animaux volatiles, & deux cabannes couvertes de chaume ; près de-là est une barque avec voile & sans maison.

On voit en N un édifice considérable sur les bords du Nil, propre à nous donner une idée générale des palais d’Egypte.

Le haut de cette planche représente la retraite des animaux pendant les inondations de ce fleuve ; aussi les Ethiopiens n’ayant alors d’autres ressources que la chasse, ont beaucoup plus de facilité à les poursuivre ; il en est de toute espece, qui portent chacun leur nom en particulier, dont la plûpart ont été altérés par la longueur des tems & les différentes révolutions que cet ouvrage a éprouvées.

Ρινοκερος, rhinoceros, est un animal assez connu ; Χυ-ροπιθ-ιλ, ou plûtôt Χοιροπιθηκος, est un animal dont le nom a souffert quelques légeres altérations ; le mot grec signifie cochon, singe : en effet il tenoit de la nature de l’un & de l’autre.

Ελαφος ou εφαδος, semblent être deux sangliers ; ce sont deux animaux de la grosseur des hippopotames, qu’on nommoit chez les Ethiopiens colé.

Ϲαυος, se rapporte à l’animal inférieur ; il faudroit lire καυρος, lésard.

Πηκειν-ς-, est un nom dont on n’a pû fixer la lecture ni l’explication.

Λεαινα, est une lionne avec son lionceau.

Λινξ, est une espece de singe qui ressemble beaucoup au cheval ; c’est, selon quelques-uns, le lynx des anciens que d’autres croyent être un loup-cervier.

Δγελαρα, n’a aucune signification déterminée.

Κροκοδιλος-παρδαλις, est un crocodile-panthere, animal extraordinaire dont les anciens peuploient l’Afrique ; & non pas celui de mer, comme on le pourroit croire par opposition à celui qui suit.

Κροκοδιλος χερσαιος, est le crocodile terrestre.

Au-dessus de ce dernier assis sur un rocher, est un singe dont le nom a disparu.

Τιγρις, sont des tigres. Près de-là est un serpent appellé, à cause de la grosseur, le serpent géant : c’est un animal qui rampe sur les rochers ; on en trouve d’énormes en Ethiopie & dans les îles que forme le Nil.

Δρκος ou plutôt δορκος, chevre sauvage. Cet animal ressemble plus à une brebis qu’à une chevre, mais plus encore à une chevre qu’à un sanglier ; ainsi απρος est une faute dans la gravure de 1721.

Ηονοκενταυρα, honocentaure ; animal à longue criniere, qui tient de la nature de l’homme & de celle de l’âne ; il se sert de ses mains indifféremment pour courir ou pour tenir quelque chose. M. de Jussieu croit que c’est une espece de singe que l’on nomme callitriche.

Υαϐους, vraissemblablement ναϐους, nabnu, ainsi appellé par les Ethiopiens. Il a, dit-on, la tête d’un chameau, le col d’un cheval, les piés & les cuisses d’un bœuf ; sa couleur rougeâtre, entremélée de taches blanches, l’a fait nommer par d’autres caméléopard.

Κηιπιν, est une espece de singe d’Ethiopie à tête de lion. Près de cet animal, est un paon perché sur un arbre.

Κροκοττας, animal originaire d’Ethiopie, qui, selon plusieurs auteurs, tient beaucoup de la nature du loup & de celle du chien.

Καμελοπαρδαλι. .... nom qui a été défiguré dans le monument ; ce sont des caméléopards, ainsi nommés parce qu’ils ont le col du chameau, & des taches sur la peau comme les léopards. Ces animaux ont la tête du cerf avec des cornes de six doigts, la queue fort petite, & les piés fourchus.

Près de-là, sont deux crabes dans l’eau, un singe sur un rocher, & un animal nommé κφινγια qui a disparu avec son nom.

Ξιοιγ, le nom & l’animal sont également inconnus.

Θωαντες ou φωαντες & non pas ωαντες, comme on le voit dans la gravure de 1721. On croiroit d’abord que ce sont des thos, espece de loups-cerviers qu’on fait venir d’un loup & d’une léoparde ; cependant cette conjecture est contredite par le nom & la figure de ces animaux, qu’on prendroit plutôt pour un lion & une panthere. Près de là, est un serpent géant qui s’est saisi d’un canard qui vient d’être tué par les chasseurs.

Ενυδρις, enhydris, nom commun à la loutre & à une espece de serpent. Ce sont deux tortues d’eau & deux loutres, tenant chacune un poisson à la bouche.

Des outils Les outils propres aux ouvrages de mosaïque sont presque les mêmes que ceux qui appartiennent à la marbrerie. L’emploi du marbre étant le seul objet de ces deux arts, la plûpart de ceux que l’on voit dans la Planche V. sont une augmentation de ceux placés dans ce dernier, & particuliers à la mosaïque.

La figure premiere, Pl. V. est un composé d’environ deux cens cases particulieres assemblées les unes contre les autres, contenant chacune une certaine quantité de petites pieces de marbre d’une même couleur, appuyé sur une table AA, posée sur deux traiteaux d’assemblage BB.

La fig. 2. est un établi AA, à piés d’assemblage BB, sur lequel est posé un étau de bois, composé de jumelle dormante C, jumelle mouvante D, & vis à écroux E, dans lequel sont des petits morceaux de marbre F disposés pour être travaillés ; G est une sebille qui contient de l’émeril qui aide à scier le marbre.

La fig. 3. est une petite sciotte, propre aux ouvrages délicats, composée d’un fer A & de sa monture de bois B.

La fig. 4. est un petit compas droit, propre à lever des distances par ses pointes AA.

La fig. 5. est un petit compas à pointes courbes, appellé compas d’épaisseur, fait pour lever des épaisseurs par ses pointes AA.

La fig. 6. est un archet, composé d’une corde à boyau A, tendue sur un arc de baleine B.

La fig. 7. est un trépan, aciéré en A, & à pointe arrondie en B, ajusté dans la boîte C, servant avec le secours de l’archet, fig. 6. à percer des trous. On peut voir dans l’art de marbrerie cette opération de deux manieres différentes.

La fig. 8. est une lime quarrelette d’Angleterre A, emmanchée en B, faite pour limer & polir le marbre.

La fig. 9. est une pince, faite pour prendre les petites pieces de marbre, & les appliquer plus facilement sur le mastic ; il en est de plus petites ou de plus grandes selon la grandeur des ouvrages.

La fig. 10. est une pince, faite d’une autre maniere, à charniere A. Article de M. Lucote.

Mosaïque, en Peinture, espece de peinture faite avec de petites pierres coloriées & des aiguilles de verre compassées & rapportées ensemble, de maniere qu’elles imitent dans leur assemblage, le trait & la couleur des objets qu’on a voulu representer.

Pour exécuter cet art, il faut, avant toutes choses, avoir le tableau peint, soit en grand, soit en petit, de l’ouvrage qu’on veut imiter, & avoir aussi les desseins au net de la grandeur de chaque partie de l’ouvrage ; ce qu’on appelle cartons. On se sert de petites pierres de toutes sortes de forme & de couleur, qu’on distribue suivant leur nuance, dans différentes boëtes ou paniers. Ces petites pierres doivent avoir une face lisse & plate, mais il ne faut point qu’elles soient polies à leur surface extérieure ; car on n’y verroit pas la couleur lorsqu’elle refléchiroit la lumiere. Le dessein ou carton de chaque partie de l’ouvrage doit être piqué ; cela fait, on mouille un peu la place de l’enduit qui a été préparé, comme dans la peinture à fresque ; alors on ponce cette place avec de la pierre noire pilée ; ensuite l’on passe du mortier très fin, d’une épaisseur médiocre & égale, sur chaque endroit qui n’est pas marqué par le trait du dessein, afin de conserver & de mettre dans les contours les petites pierres, en les trempant dans le mortier liquide qu’on a soin d’avoir auprès de soi. Quand on veut dorer dans cette espece de peinture, on se sert de petites pieces de verre blanc épais & doré au feu d’un côté. La mosaïque subsiste d’ordinaire autant que le pavé ou le mur sur lequel elle est employée, sans altération de couleur.

Il nous reste en mosaïque un grand nombre de morceaux de la main des anciens. On voit, par exemple, dans le palais que les Barberins ont fait bâtir dans la ville de Palestrine, à 25 milles de Rome, un grand morceau de mosaïque, qui peut avoir 12 piés de long, sur dix de hauteur, & qui sert de pavé à une espece de grande niche, dont la voûte soutient les deux rampes séparées, par lesquelles on monte au premier palier du principal escalier de ce bâtiment. Ce superbe morceau est une espece de carte géographique de l’Egypte, &, à ce qu’on prétend, le même pavé que Sylla avoit fait placer dans le temple de la Fortune Prénestine, & dont Pline parle au vingt-cinquieme chapitre du trente-sixieme livre de son histoire. Il se voit gravé en petit dans le latium du P. Kircher ; mais en 1721 le cardinal Charles Barberin le fit graver en quatre grandes feuilles. L’ancien artiste s’est servi, pour embellir sa carte, de plusieurs especes de vignettes, telles que les Géographes en mettent pour remplir les places vuides de leurs cartes. Ces vignettes représentent des hommes, des animaux, des bâtimens, des chasses, des cérémonies, & plusieurs points de l’histoire morale & naturelle de l’Egypte ancienne. Le nom des choses qui y sont dépeintes, est écrit au-dessus en caracteres grecs, à-peu-près comme le nom des provinces est écrit dans une carte générale du royaume de France. On voit encore à Rome & dans plusieurs endroits de l’Italie, des fragmens de mosaïque antique, dont la plûpart ont été gravés par Pietro Santi Bartoldi, qui les a insérés dans ses différens recueils.

Les incrustations de la galerie de sainte Sophie à Constantinople sont des mosaïques faites la plûpart avec des dez de verre, qui se détachent tous les jours de leur ciment ; mais leur couleur est inaltérable. Ces dez de verre sont de véritables doublets ; car la feuille colorée de différente maniere, est couverte d’une piece fort mince, collée par-dessus : il n’y a que l’eau bouillante qui puisse la détacher. C’est un secret connu, & que l’on pourroit mettre en pratique, si les mosaïques revenoient à la mode parmi nous. Quoique l’application de ces deux pieces de verre qui renferme la lame colorée soit vétilleuse, elle prouve que l’invention des doublets n’est pas nouvelle. Les Turcs ont détruit le nez & les yeux des figures que l’on y avoit représentées, aussi-bien que le visage des chérubins, placés aux angles du dôme.

L’art de la peinture en mosaïque se conserva dans le monde après la chûte de l’empire romain. Les Vénitiens ayant fait venir en Italie quelques peintres grecs au commencement du treizieme siecle, Apollonius, un de ces peintres grecs, montra le secret de peindre en mosaïque à Taffi, & travailla de concert avec lui à représenter quelques histoires de la bible dans l’église de saint Jean de Florence. Bientôt après Gaddo-Gaddi s’exerça dans ce genre de peinture, & répandit ses ouvrages dans plusieurs lieux d’Italie. Ensuite Giotto, éleve de Cimabué, & né en 1276, fit le grand tableau de mosaïque qui est sur la porte de l’église de saint Pierre de Rome, & qui représente la barque de saint Pierre agitée par la tempête. Ce tableau est connu sous le nom de Nave del Giotto. Beccafumi, né en 1484, se fit une grande réputation par l’exécution du pavé de l’église de Sienne en mosaïque. Cet ouvrage est de clair-obscur, composé de deux sortes de pierre de rapport, l’une blanche pour les jours, l’autre demi-teinte pour les ombres. Josepin & Lanfranc parurent ensuite & surpasserent de beaucoup leurs prédécesseurs par leurs ouvrages en ce genre de peinture. Cependant on s’en est dégoûté par plusieurs raisons.

Il est même certain qu’on jugeroit mal du pinceau des anciens, si l’on vouloit en juger sur les mosaïques qui nous restent d’eux. Les curieux savent bien qu’on ne rendroit pas au Titien la justice qui lui est due, si l’on vouloit juger de son mérite par les mosaïques de l’église de S. Marc de Venise, qui furent faites sur les desseins de ce maître de la couleur. Il est impossible d’imiter avec les pierres & les morceaux de verre dont les anciens se sont servi pour peindre en mosaïque, toutes les beautés & tous les agrémens que le pinceau d’un habile homme met dans un tableau, où il est maître de voiler les couleurs, & de faire tout ce qu’il imagine, tant par rapport aux traits, que par rapport aux couleurs. En effet, la peinture en mosaïque a pour défaut principal, celui du peu d’union & d’accord dans les teintes qui sont assujetties à un certain nombre de petits morceaux de verre coloriés. Il ne faut pas espérer de pouvoir, avec cet unique secours, qui est fort borné, exprimer cette prodigieuse quantité de teintes qu’un peintre trouve sur sa palette, & qui lui sont absolument nécessaires pour la perfection de son art : encore moins, avec l’aide de ces petits cubes, peut-on faire des passages harmonieux. Ainsi la peinture en mosaïque a toujours quelque chose de dur : elle ne produit son effet qu’à une distance éloignée, & par conséquent elle n’est propre qu’à représenter de grands morceaux. On ne connoît point de petits ouvrages de ce genre, qui, vus de près, contentent l’œil.

Il ne me reste qu’un mot à dire sur la mosaïque des habitans du nouveau monde, faite avec des plumes d’oiseau Quand les Espagnols découvrirent le continent de l’Amérique, ils y trouverent deux grands empires florissans depuis plusieurs années, celui du Mexique & celui du Pérou. Depuis longtems on y cultivoit l’art de la peinture. Ces peuples, d’une patience & d’une subtilité de main inconcevables, avoient même créé l’art de faire une espece de mosaïque avec les plumes des oiseaux. Il est prodigieux que la main des hommes ait eu assez d’adresse pour arranger & réduire en forme de figures coloriées tant de filets différens. Mais comme le génie manquoit à ces peuples, ils étoient, malgré leur dextérité, des artistes grossiers : ils n’avoient ni les regles du dessein les plus simples, ni les premiers principes de la composition, de la perspective & du clair-obscur. (Le Chevalier de Jaucourt.)