L’Encyclopédie/1re édition/MENIPPÉE

MENIPPÉE, (Littérat.) satyre menippée, sorte de satyre mêlée de prose & de vers. Voyez Satyre.

Elle fut ainsi nommée de Menippe Gadarenien, philosophe cynique qui, par une philosophie plaisante & badine, souvent aussi instructive que la philosophie la plus sérieuse, tournoit en raillerie la plûpart des choses de la vie auxquelles notre imagination préte un éclat qu’elles n’ont point. Cet ouvrage étoit en prose & en vers ; mais les vers n’étoient que des parodies des plus grands poetes. Lucien nous a donné la véritable idée du caractere de cette espece de satyre, dans son dialogue intitulé la Necromancie.

Elle fut aussi appellée varroniene du savant Varon, qui en composa de semblables, avec cette différence, que les vers qu’on y lisoit étoient tous de lui, & qu’il avoit fait un mélange de grec & de latin. Il ne nous reste de ces satyres de Varron que quelques fragmens, le plus souvent fort corrompus, & les titres qui montrent qu’il avoit traité un grand nombre de sujets.

Le livre de Seneque sur la mort de l’empereur Claude, celui de Boëce de la consolation de la Philosophie, l’ouvrage de Pétrone, intitulé Satiricon, & les Césars de l’empereur Julien, sont autant de satyres menippées, entierement semblables à celles de Varron.

Nos auteurs françois ont aussi écrit dans ce genre ; & nous avons en notre langue deux ouvrages de ce caractere, qui ne cedent l’avantage ni à l’Italie, ni à la Grece. Le premier c’est le Catolicon, même plus connu sous le nom de satyre menippée, où les états tenus à Paris par la ligue, en 1593, sont si ingénieusement dépeints, & si parfaitement tournés en ridicule. Elle parut, pour la premiere fois, en 1594, & on la regarde, avec raison, comme un chef-d’œuvre pour le tems. L’autre, c’est la Pompe funebre de Voiture par Sarrasin, où le sérieux & le plaisant sont mélés avec une adresse merveilleuse. On pourroit mettre aussi au nombre de nos satyres menippées l’ouvrage de Rabelais, si sa prose étoit un peu plus mélée de vers, & si par des obscénités affreuses il n’avoit corrompu la nature & le caractere de cette espece de satyre. Il ne manque non plus que quelques mélanges de vers à la plûpart des pieces de l’ingénieux docteur Swift, d’ailleurs si pleines de sel & de bonne plaisanterie pour en faire de véritables satyres menippées. Disc. de M. Dacier, sur la satyre. Mém. de l’ac. des bell. Lettres.