L’Encyclopédie/1re édition/MANCENILLIER

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MANCENILLIER, s. m. (Botan.) grand arbre très-commun sur les bords de la mer, le long des côtes de le terre-ferme & des îles de l’Amérique situées entre les tropiques.

Les feuilles de cet arbre ont du rapport à celles du poirier ; il porte un fruit rond, peu charnu, rempli d’une substance osseuse & coriace ; ce fruit jaunit un peu en mûrissant, & ressemble beaucoup, à la couleur près, aux pommes d’api. L’odeur en est si suave & si appétissante, qu’on est vivement tenté d’en manger. C’est un des plus violens poisons de la nature ; sa causticité est telle, qu’elle occasionne en peu de tems des inflammations & de douleurs si vives, qu’il est impossible d’y résister.

Le remede le plus efficace pour ceux qui ont eu le malheur d’en manger, est de leur faire avaler beaucoup d’huile chaude, pour les exciter à vomir. On leur fait prendre ensuite des choses adoucissantes, comme du lait ; mais quelques soins que l’on apporte, l’impression reste long-tems dans le corps, & le malade traîne une vie languissante.

L’écorce & les feuilles de mancenillier renferment un suc laiteux, extrèmement blanc & fort épais ; il s’écoule à la moindre incision ; & s’il tombe sur la chair, il y produit l’effet de l’huile bouillante. L’eau qui séjourne pendant quelques minutes sur les feuilles du mancenillier, contracte une qualité si mal faisante, que ceux qui ont l’imprudence de se réfugier sous ces arbres, lorsqu’il pleut, sont bientôt couverts de boussoles très-douloureuses, qui laissent des taches livides sur tous les endroits de la peau qui ont reçu des gouttes d’eau. Il est même dangereux de s’endormir à l’ombre des mancenilliers ; leur atmosphere est si venimeuse, qu’elle cause des maux de tête, des inflammations aux yeux, & des cuissons sur les levres.

Le mancenillier sert à construire de très-beaux meubles ; c’est un des plus beaux bois de l’Amérique : il est dur, compacte, pesant, incorruptible, prenant très-bien le poli lorsqu’il est travaillé. Sa couleur est d’un gris clair, un peu jaunâtre, ondé & varié de nuances couleur d’olive tirant sur le noir. Ce bois est fort difficile à employer, non-seulement par le danger auquel s’exposent ceux qui abattent les arbres, mais encore par la poussiere dangereuse que peuvent respirer les ouvriers qui le scient & le mettent en œuvre, sur-tout lorsqu’il n’est pas bien sec.

Quand on veut abattre un mancenillier, on commence par allumer au-tour du pié un grand feu de bois sec : il faut en éviter la fumée, crainte d’en être incommodé ; & quand on juge que l’humidité est consumée, on peut y mettre la hache : malgré cette précaution, on a bien de la peine à se garantir des accidens. Plus de vingt travailleurs que j’employai à couper un grand nombre de ces arbres sur les côtes de l’île de la Grenade, à quelque distance du port, revinrent tous si maltraités de ce travail, que plusieurs d’entr’eux ne voyoient plus à se conduire, ayant les yeux couverts de croûtes aussi épaisses que le doigt. Cette incommodité subsista plus de quinze jours, malgré les soins que l’on prit de les frotter avec des linimens adoucissans & dessicatifs.

On prétend que le lait de femme tout chaud, sortant des mamelles, est un souverain remede contre les inflammations des yeux causées par le suc du mancenillier. Ce suc sert aux sauvages pour empoisonner leurs fleches, dont les blessures deviennent presqu’incurables, si l’on n’est promptement secouru.

Le mancenillier, ou l’arbre de mancenilles, a été ainsi nommé par les Espagnols de la nouvelle Espagne, en latin macanilla. Arbor toxica & lactea, fructu suavi pomi-formi, quo Indiani sagittas inficiunt. Voyez Surian.

Le pere Plumier, minime, dans son livre des plantes d’Amérique, distingue trois especes de mancenilliers ; mancanilla piri-facie, mancanilla aqui folii foliis, & mancanilla lauri foliis oblongis. M. le Romain.