L’Encyclopédie/1re édition/LUPIN

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LUPIN, s. m. lupinus, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur légumineuse ; il sort du calice un pistil, qui devient dans la suite une silique remplie de semences plates dans des especes de ce genre, & rondes dans d’autres. Ajoutez à ces caracteres que les feuilles sont disposées en éventail, ou en main ouverte sur leur pédicule. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante.

Parlons à présent des especes de lupins. M. de Tournefort en compte dix-sept, qui sont toutes agréables par la variété de leurs fleurs & de leurs graines. La plus commune que nous allons décrire, est le lupin cultivé à fleurs blanches, lupinus sativus, flore albo, C. B. P. 347. J. R. H. 392.

Sa racine est ordinairement unique, ligneuse & garnie de plusieurs fibres capillaires. Sa tige est haute d’une coudée ou d’une coudée & demie, médiocrement épaisse, droite, cylindrique, un peu velue, creuse & remplie de moelle. Après que les fleurs placées au sommet de cette tige sont séchées, il s’éleve trois rameaux au-dessous, dont chacun donne assez souvent deux autres rameaux, quelquefois trois de la même maniere, sur-tout lorsque le lupin a été semé dans le tems convenable, & que l’été est chaud.

Ses feuilles sont alternes ou placées sans ordre, portées sur des queues longues de deux ou trois lignes, composées le plus souvent de segmens oblongs, étroits qui naissent de l’extrémité de la queue dans le même point, comme dans la quinte-feuille. On peut les nommer assez bien feuilles en éventails, ou feuilles en main ouverte. Elles sont d’un verd foncé, entieres à leur bord, velues en-dessous, & garnies d’un duvet blanc & comme argenté ; les bords de leurs segmens s’approchent & se resserrent au coucher du soleil, s’inclinent vers la queue & se réfléchissent vers la terre.

Les fleurs sont rangées en épic au sommet des tiges ; elles sont légumineuses, blanches, portées sur des pédicules courts. Il sort de leur calice un pistil, qui se change en une gousse épaisse, large, applatie, longue environ de trois pouces, droite, plus petite que la feve, pulpeuse, jaunâtre, un peu velue en-dehors, lisse en-dedans.

Cette gousse contient cinq ou six graines assez grandes, orbiculaires, un peu anguleuses, applaties. Elles renferment une plantule fort apparente, & sont creusées légerement en nombril du côté qu’elles tiennent à la gousse, blanchâtres en-dehors, jaunâtres en-dedans, & fort ameres.

On seme cette plante dans les pays chauds de la France, en Italie, en Espagne & en Portugal. La farine de sa graine est de quelque usage en médecine dans les cataplâmes résolutifs.

On cultive les lupins en Toscane, non-seulement pour servir de nourriture au peuple, mais encore pour engraisser les terres. On les employoit déja au même usage du tems de Pline, qui les vante comme un excellent fumier pour engraisser les champs & vignobles. On les seme en Angleterre parmi les panais pour la nourriture du bétail.

On cultive les plus belles especes de lupins à fleurs bleues, jaunes, pourpres, incarnates, pour des bordures de jardins, où elles donnent un coup-d’œil agréable, en produisant pendant long tems une succession de fleurs, lorsqu’on les seme en Avril, en Mai & Juin dans le même endroit où l’on veut les laisser à demeure ; voyez Miller qui vous apprendra les détails, tandis que je vais dire un mot de l’usage que les anciens ont fait de la graine, qu’ils nommoient lupin comme nous. (D. J.)

Lupin, (Littér.) en latin lupinus ou lupinum, semence de lupin.

Du tems de Galien, on faisoit souvent usage des graines de lupin pour la table ; aujourd’hui on n’en mange plus. Lorsqu’on les macere dans l’eau chaude, ils perdent leur amertume & deviennent agréables au goût. On les mangeoit cuits avec de la saumure simple, ou avec de la saumure & du vinaigre, ou même assaissonnés seulement avec un peu de sel. Pline rapporte que Protogene travaillant à ce chef d’œuvre du Jalyse, pour l’amour duquel Démétrius manqua depuis de prendre Rhodes, ne voulut pendant long-tems se nourrir que de lupins simplement apprêtés, de peur que d’autres mets ne lui rendissent les sens moins libres ; je ne conseillerois pas ce régime à tous les Artistes, mais je loue le principe qui guidoit le rival d’Apelle & l’ami d’Aristote.

Les comédiens & les joueurs à Rome se servoient quelquefois de lupins, au lieu d’argent ; & on y imprimoit une certaine marque pour obvier aux friponneries : cette monnoie fictive couroit entr’eux, pour représenter une certaine valeur qui ne passoit que dans leur société. De là vient qu’Horace, ep. VII. l. I. dit qu’un homme sensé connoît la différence qu’il y a entre l’argent & les lupins.

Nec tamen ignorat quid distent æra lupinis.

Il y a un passage assez plaisant à ce sujet dans le Pœnulus de Plaute, act. III. sce ze II. le voici :

Aga. Agite, inspicite, aurum est. Col. Profecto,
Spectatores, comicum !
Macerato hoc pingues fiunt auro, in barbariâ boves.

« Aga, c’est de l’or. Col. oui, ma foi, messieurs, c’est de l’or de comédie ; c’est de cet or dont on se sert en Italie pour engraisser les bœufs ».

Il paroît par une loi de Justinien, liv. I. cod. titre de Alcatoribus, que les joueurs se servoient souvent de lupins, au lieu d’argent, comme nous nous servons de jettons : « Si quelqu’un, dit la loi, a perdu au jeu des lupins ou d’autres marques, celui qui a gagné ne pourra s’en faire payer la valeur ».

Je ne sai d’où vient l’origine de lupin ; mais je ne puis la tirer du grec λύπη, tristesse, parce que les anciens Grecs ne font point mention de ce légume ; il n’étoit connu qu’en Italie ; c’est donc plutôt à cause de son amertume, que Virgile appelle lupin, triste, triste. On corrigeoit, comme j’ai dit, ce défaut en faisant cuire la graine dans de l’eau bouillante que l’on jettoit ; ensuite on les égouttoit bien & on les apprétoit. (D. J.)

Lupin, (Mat. med.) on n’emploie que la semence de cette plante ; elle a une saveur herbacée, amere, très-desagréable.

Galien & Pline assûrent que de leur tems les lupins étoient un aliment assez ordinaire ; le dernier de ces auteurs rapporte que Protogene n’avoit vécu que de lupins pendant le tems qu’il étoit occupé à peindre un célebre tableau. Plusieurs modernes ont avancé au contraire avec Averroés, que la graine de lupin prise intérieurement étoit un poison, & ont rapporté des faits sur lesquels ils ont appuyé cette opinion : mais ces faits sont peu concluans, & s’il est vrai que les lupins avalés avec toute leur amertume naturelle ayent occasionné une irritation considérable dans les organes de la digestion, & même quelques agitations convulsives dans les sujets foibles ; il est au moins très-vraissemblable que ce légume n’a aucune qualité dangereuse, lorsqu’il a perdu son amertume, dont on le dépouille facilement en le faisant macérer dans de l’eau. Quoi qu’il en soit, nos paysans même les plus pauvres n’en mangent pas, nos Peintres ne s’avisent pas de se mettre au lupin pour toute nourriture lorsqu’ils exécutent les plus grands ouvrages, & on ne les ordonne point intérieurement comme remede.

On n’emploie les lupins qu’extérieurement, soit en décoction, soit en substance, & réduits en farine. La décoction de lupins, appliquée en fomentation, passe pour guérir les dartres, la teigne & les autres maladies de la peau. La farine de lupin est une des quatre farines résolutives. Voyez Farines résolutives, les quatre. (b)