L’Encyclopédie/1re édition/LITHOTOME
LITHOTOME, s. m. (Instrument de Chirurgie.) espece de bistouri avec lequel on fait une incision pour tirer la pierre de la vessie. Cet mot est grec, λιθοτομω, composé de λιθος, lapis, pierre, & de τομὴ, incisio, incision, du verbe τέμνω, seco, j’incise. Les réformateurs des termes pensent qu’il seroit plus à propos d’appeller ce bistouri cystitome, de χυστις, vessie, ou uretro cystitome ; mais l’usage a prévalu.
Il y a plusieurs especes de lithotomes ; celui qui a été jusqu’ici le plus en usage, ressemble assez à une lancette. On y considere une lame & une châsse composée de deux pieces d’écaille : la lame est tranchante des deux côtés, de la longueur d’un pouce jusqu’à la pointe. On y remarque quatre émoutures, deux de chaque côté qui forment dans le milieu une vive-arrête, ce qui conserve beaucoup de force aux tranchans qui doivent être fort fins. Le talon de cette lame est terminé par une queue garnie à son extrémité d’une petite lentille, pour arrêter & assujettir la lame dans le manche quand l’instrument est ouvert.
La pointe de ce lithotome a été sujette à plusieurs variations, suivant les différentes manieres de tailler. Collot, qui se contentoit de faire une incision à l’uretre parallele à celle de la peau, se servoit d’un lithotome rond & mousse, Pl. VIII. fig. 6. Ceux qui ont pratiqué depuis, ayant senti la nécessité d’allonger l’incision de l’uretre du côté du col de la vessie, ont donné une pointe au lithotome, qu’ils ont nommée en langue de carpe, ibidem Pl. VIII. fig. 5. La largeur de cette pointe ne permettoit pas de porter l’incision assez avant, pour couper le bulbe de l’uretre sans intéresser l’intestin rectum : on l’a encore diminuée. Ibid. fig. 4.
Le but de ces réformes étoit de pouvoir allonger sans inconvénient l’incision de l’uretre en dessous ; & comme la pointe du lithotome ne doit point sortir de la cannelure de la sonde conductrice, le chirurgien est obligé de beaucoup baisser le poignet & de relever l’extrémité des doigts. M. Ledran a cru que ce mouvement seroit moins gênant, & qu’on tiendroit avec plus de facilité la pointe du lithotome dans cette cannelure, si le tranchant supérieur décrivoit une ligne droite. Voyez ibidem, Pl. VIII. fig. 7.
La lame de ces différens lithotomes doit être assujettie sur la châsse par une bandelette de linge fin. Pour éviter cette préparation, l’on a construit des lithotomes dont la lame est fixée dans le manche : tels sont les lithotomes de M. Cheselden, Pl. VIII. fig. 1. & 3, & le lithotome, Pl. IX. fig. 8. M. Ledran a imaginé un petit couteau, Pl. IX. fig. 10, pour couper la prostate & le col de la vessie, après l’introduction du gorgeret dans la vessie. Les deux instrumens entre lesquels ce couteau est représenté, sont des gorgerets de l’invention de M. Ledran. Voyez Gorgeret.
La fig. 3 de cette même Planche IX. montre le lithotome de M. Foubert, pour sa méthode particuliere de tailler, tel qu’il l’a décrit dans le premier tome des mémoires de l’académie royale de Chirurgie. Il en a depuis imaginé un autre qu’il croit plus avantageux : nous l’avons fait graver, Pl. XXII. fig. premiere.
Un homme qui s’est annoncé anonymement, en disant qu’il n’étoit pas de l’art & qu’il n’y avoit aucune prétention, a imaginé il y a quelques années un lithotome caché, dont les premieres épreuves ont été faites sur le vivant par feu M. de la Roche, chirurgien de Paris. L’auteur encouragé par quelques succès, s’est fait lithotomiste, & n’a pas toujours eu à se féliciter de n’avoir pas laissé son instrument en d’autres mains ; l’académie royale de Chirurgie a porté sur ce lithothome un jugement impartial, inséré dans le troisieme volume de ses mémoires. Nous avons fait graver l’instrument, Pl. XXXVI. fig. 4 : en voici la description.
La lame tranchante a quatre pouces & demi de long, A. Cette lame a une gaîne B, dont la soie passe dans toute la longueur d’un manche de bois C, qui peut tourner sur elle : ce manche est à six pans ; chaque surface est à une distance inégale de l’axe de l’instrument D. Au moyen d’un ressort à bascule E, dont l’extrémité inférieure entre dans des engrainures sur la virole du manche, on fixe la surface qu’on juge à propos sous la queue de la lame tranchante F, de façon qu’on peut à volonté faire sortir la lame de sa gaîne de 5, de 7, de 9, de 11, de 13 ou de 15 degrés. Des chiffres gravés sur chaque surface, indiquent le degré d’ouverture qu’elles permettent.
Pour se servir de cet instrument, on met le malade en situation, voyez Liens. On fait sur une sonde cannelée l’incision comme au grand appareil : l’opérateur porte alors l’extrémité de la gaîne du lithotome caché dans la cannelure de la sonde ; il en tient le manche avec la main gauche, puis en faisant glisser le bec du lithotome le long de la cannelure sous l’os pubis, il introduit son instrument dans la vessie, & en retire la sonde qui n’est plus d’aucune utilité. Il faut reconnoître la pierre ; & suivant le volume dont on la juge, on regle, par le manche de l’instrument, la grandeur de l’incision dont on croit avoir besoin. Ces choses étant ainsi disposées, on porte le dos de la gaîne du lithotome sous l’arcade du pubis : on ouvre l’instrument, & on le retire tout ouvert jusqu’au dehors, en conduisant le tranchant de la lame suivant la direction de l’incision extérieure. Les parties sont coupées bien net ; l’introduction des tenettes se fait facilement, & l’on acheve l’opération par l’extraction de la pierre.
Voilà ce que l’auteur dit de sa maniere d’opérer, à laquelle il attribue de grands avantages. Il juge avec raison que la plus grande perfection de l’opération de la taille consiste à débrider entierement & nettement le trajet par où il faut extraire la pierre, & il prétend que l’ouverture de son instrument, qu’il croit pouvoir proportionner au volume différent des pierres, fait, avec toute la précision possible, le degré convenable d’incision, ensorte qu’elle n’a point les inconvéniens du déchirement & de la contusion, dont les suites peuvent être si funestes dans l’opération du grand appareil, & qu’elle est aussi moins douloureuse, puisqu’on peut tirer le corps étranger sans violence par la voie libre qu’on a ouverte.
Le grand appareil est certainement une méthode très-imparfaite, comme nous le démontrons au mot Taille : il a de très-grands inconvéniens, même par la maniere dont se fait la coupe extérieure, que l’auteur du lithotome caché a retenue. Il se propose d’obtenir, par l’incision que fait ce nouvel instrument, les avantages de la taille latérale dans laquelle, en ouvrant une voie libre à la pierre, on évite autant qu’il est possible la contusion de ces parties délicates, qui sont nécessairement déchirées & meurtries dans le grand appareil. C’est principalement du bourrelet que la prostate forme au col de la vessie, que dépend la plus grande difficulté de l’extraction de la pierre dans l’opération du grand appareil. Dès qu’on a incisé la prostate, il n’y a plus d’obstacle : la plaie forme un triangle dont la base est aux tégumens, & la pointe au col de la vessie. Voyons d’après ces principes, admis par l’auteur même du lithotome caché, si cet instrument a les avantages qu’il lui suppose.
Nous adoptons volontiers qu’il faut ouvrir une voie aisée aux pierres, pourvu qu’on n’entende pas que l’incision doive se faire sans égard aux parties qui peuvent être intéressées sans danger, & à celles qu’il est à propos de ménager. L’Anatomie doit être constamment le flambeau de la Chirurgie & le guide de ses opérations. La plus grande incision doit être bornée intérieurement à la section de la prostate, & s’étendre jusqu’au corps de la vessie exclusivement. C’est un dogme très-dangereux que de recommander vaguement une plus grande incision à l’extérieur pour les grosses pierres que pour celles d’un volume moyen. Il faut compter sur la souplesse des parties ; & dès qu’on convient qu’il n’y a que le corps de la prostate qui resiste, ce n’est que la prostate qu’il faut attaquer. Les incisions graduées du lithotome caché ont fait illusion à son auteur, & séduit ceux qui n’envisagent les objets que d’une vûe superficielle ; mais la raison & l’expérience en demontrent également le danger à ceux qui jugent d’après un examen réfléchi. Le lithotome ouvert à cinq degrés peut fendre entierement la prostate, & donner le même résultat que la taille latérale ; pourquoi donc se serviroit-on de cet instrument à un plus grand degré d’ouverture ? ce ne sera pas pour faire une plus grande coupe extérieure : car il seroit absurde d’ouvrir une grande lame tranchante dans l’intérieur de la vessie, pour couper les tégumens & les parties qui sont en deçà de son col. S’il s’agit uniquement de couper la prostate, on le fait avec bien de la sureté par le dehors, en glissant un instrument tranchant, tel que le lithotome de Cheselden, le long de la cannelure de la sonde. Le nouveau lithotome ne doit couper que la prostate, & nous avons vu qu’il le pouvoit faire au n°. 5. Quel est donc le but qu’on se propose en ouvrant cet instrument jusqu’au n°. 13 ou au n°. 15 ? Ce ne peut être que dans la vûe de couper des parties plus éloignées, ou d’entamer plus profondément celles qui le seroient moins par un moindre degré d’ouverture de la lame du lithotome. Mais l’incision portée plus haut que le col de la vessie, sera dangereuse & tout-à-fait inutile pour l’extraction de la pierre ; si on entame plus profondément, on coupera les vésicules séminales & le rectum, & des vaisseaux dont l’hémorrhagie fera périr les malades. Voilà les dangers de cette pratique : la raison les fait sentir : des épreuves réitérées sur les cadavres nous les ont fait appercevoir ; & les opérations sur le vivant ne les ont que trop confirmées. En appréciant ainsi la valeur des choses, sans considérer le prix que le hasard & l’opinion ont pu y mettre, nous servons l’humanité, bien sûrs d’ailleurs que les personnes les plus prévenues aujourd’hui nous sauroient quelque jour mauvais gré de la complaisance que nous aurions eu de nous être trop prêtés à leur préoccupation.
L’avantage qui a le plus frappé dans le nouvel instrument, c’est l’invariabilité de son effet : on assure que le lithotome ouvert au degré qu’on juge convenable, fait avec précision & certitude la section, de même qu’un compas fait sûrement le cercle qui doit résulter de l’ouverture donnée de ses branches, soit qu’une main habile le conduise ou qu’une maladroite le dirige. De-là on a conclu que le nouveau lithotome pouvoit être mis avec confiance entre les mains de toute sorte de chirurgiens de différens degrés de génie & d’adresse, que tous feront uniformément la même opération sans crainte de manquer de précision ; qu’elle sera aussi parfaitement exécutée par l’homme qui a le moins d’expérience, que par le lithotomiste le plus consommé. Ce sont les propres expressions de ceux qui ont loué le nouveau lithotome ; mais ont-ils assez réfléchi à la comparaison qu’ils en ont faite avec un compas ? L’une des pointes du compas est fixe, & l’endroit sur lequel elle porte sera invariablement le centre du cercle que l’autre branche doit tracer. Il n’en est pas de même de la main d’un chirurgien, laquelle n’ayant pas de point fixe dans cette opération, peut, par une inclinaison du poignet si legere qu’on ne pourroit s’en appercevoir, faire beaucoup de mal avec une lame tranchante qui a quatre pouces & demi de long. Pour établir l’invariabilité de la précision qu’on dit résulter de l’usage de cet instrument, il faudroit que les mêmes parties fussent toujours coupées par le même écartement de la lame ; mais la lame portée plus ou moins profondément dans la vessie, fait varier la coupe au point que nous avons vû dans quelques cas l’incision moins grande au n°. 15 & au n°. 13, que dans d’autres tailles, avec les nos. 7 & 9. De plus, l’espace plus ou moins grand de l’intérieur de la vessie & la disposition variée de cet organe & des parties circonvoisines, font que l’instrument dans la même direction n’a point les mêmes rapports avec les parties sur lesquelles il doit agir. La lame tranchante ouverte au n°. 9, par exemple, pourra ne pas blesser une vessie spacieuse ; & qui peut douter qu’à ce même numéro elle ne doive faire une plaie très-dangereuse sur une vessie étroite & raccourcie ? Cependant l’ouverture de l’instrument ne se mesure pas sur le plus ou le moins de capacité de la vessie : c’est le volume de la pierre qui est la regle de l’écartement qu’on donne à la lame tranchante ; & malheureusement ce sont ordinairement dans des vessies étroites que se trouvent les plus grosses pierres. Enfin, pour revenir à la comparaison si défectueuse d’un compas & du lithotome, en traçant un cercle, c’est le compas lui-même qui fixe & assujettit la main ; & dans le cas de la lithotomie, c’est la main qui conduit l’instrument. Le troisieme volume des mémoires de l’académie royale de Chirurgie rapporte les expériences qui ont servi à porter ce jugement du nouveau lithotome.
La lithotomie des femmes a fait l’objet de recherches particulieres qui m’ont conduit à une nouvelle méthode de leur faire l’opération : j’en parlerai au mot Taille. Je vais donner ici la description de mon lithotome, ou instrument spécialement destiné à ma méthode, qui consiste à ouvrir l’uretre par deux sections latérales.
Il a deux parties, dont l’une est le bistouri ou lithotome, voyez Pl. XV. fig. 7, & l’autre un étui ou chappe dans laquelle l’instrument tranchant est caché, ibidem, fig. 2. 5. & 6.
Le bistouri est composé d’une lame & d’une queue ou soie : la lame est longue de deux pouces & demi : les côtés sont bien tranchans, & la pointe mousse. Sa largeur est différente, suivant les différens sujets : elle est de dix lignes pour les plus grands, & de six pour les enfans. La queue ou soie a quatre pouces & demi de long, en y comprenant la piece de pouce faite en cœur ou en treffle : la tige de cette queue a une crête dans toute sa longueur à sa face supérieure.
La seconde partie de l’instrument que j’ai nommée la chappe, est faite de deux pieces jumelles qui jointes ensemble forment une caisse de la même configuration que la lame du bistouri ; cette chappe est vûe de profil, fig. 6. Chacune des pieces qui la composent est terminée par un bec de deux pouces & demi de long, & s’unit en un bouton olivaire pour former conjointement une fonde ou cannule ouverte latéralement pour le passage de l’instrument tranchant. fig. 4. A l’extrémité opposée la chappe fournit, avec le concours des deux pieces, un allongement quadrangulaire long de douze à quatorze lignes, dans lequel passe la soie du lithotome ; il y a une rainure en dedans de la partie supérieure pour loger la crête de la tige du lithotome, & un petit ressort au-dessous de l’avance qui tient à la plaque inférieure, pour gêner un peu cette tige, afin qu’elle ne glisse pas d’elle-même, & que le lithotome soit contenu lors même qu’on ne la soutient pas, lorsque l’incision est faite & qu’on porte les tenettes dans la vessie.
Chaque piece de la chappe a encore des particularités qui la distinguent. La piece supérieure a extérieurement sur son milieu une crête pour servir de conducteur aux tenettes, la piece supérieure, fig. 5, a dans son milieu un anneau auquel est soudé une piece de pouce, & l’on voit sur ses côtés les têtes de vis qui unissent les deux lames de la chappe. Cet instrument est d’argent, & la lame d’acier. Nous expliquerons ses avantages à l’article Taille, opération de Chirurgie. (Y)