L’Encyclopédie/1re édition/LICTEUR

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LICTEUR, s. m. (Littérat.) en latin lictor, huissier qui marchoit devant les premiers magistrats de Rome, & qui portoit la hache enveloppée dans un faisceau de verges : il faisoit tout ensemble l’office de sergent & de bourreau.

Romulus établit des licteurs, pour rendre la présence des magistrats plus respectable, & pour exécuter sur le champ les jugemens qu’ils prononceroient. Ils furent nommés licteurs, parce qu’au premier commandement du magistrat, ils lioient les mains & les piés du coupable, lictor à ligando. Apulée croit qu’ils tiroient leur nom d’une ceinture ou courroie qu’ils avoient autour du corps, & qu’on appelloit licium. Voyez Licium.

Quoi qu’il en soit, ils étoient toûjours prêts à délier leurs faisceaux de verges, pour fouetter ou pour trancher la tête, selon l’ordre qu’ils recevoient, I, lictor, colliga manus, expedi virgas, plecte securi. Ils étoient cependant, malgré leur vil emploi, de condition libre, de race d’affranchi ; & on n’admettoit point d’esclave à cet office.

Quand les dictateurs paroissoient en public, ils étoient précédés par vingt-quatre licteurs ; les consuls par douze ; les pro-consuls, les préteurs, les généraux par six ; le préteur de la ville par deux ; & chaque vestale qui paroissoit en public, en avoit un par honneur. Comme les édiles & les tribuns ne jouissoient point de l’exercice de la haute justice, les huissiers qui les précédoient s’appelloient viatores, parce qu’ils étoient souvent en route pour donner des ajournemens aux parties.

La charge des licteurs consistoit en trois ou quatre points, 1°. submotio, c’est-à-dire à contenir le peuple assemblé, & chaque tribu dans son poste ; à appaiser le tumulte s’il s’en élevoit ; à chasser les mutins de la place, ce qu’ils exécutoient avec beaucoup de violence ; enfin, à écarter & à dissiper la foule. Horace, Ode XVI. l. II. fait une belle allusion à cette premiere fonction des licteurs, quand il dit :

Non enim gazæ, neque consularis
Submovet lictor miseros tumultus
Mentis, & curas laqueata circum
Tecta volantes.

Eussions-nous encore une escorte plus nombreuse que celle de nos consuls, nous ne viendrions pas à bout de dissiper le tumulte de nos passions, ni les soucis importuns qui voltigent autour des lambris dorés ; le licteur peut bien écarter, submovere, le peuple, mais non pas les troubles de l’esprit.

Matronæ non summovebantur à magistratibus, dit Festus : les dames avoient ce privilége à Rome, de n’être point obligées de se retirer devant le magistrat ; ni licteurs, ni huissiers, ne pouvoient les contraindre de faire place ; on le défendit à ces gens-là, de peur qu’ils ne se servissent de ce prétexte, pour les pousser ou les toucher. Ils ne pouvoient pas même faire descendre leurs maris, lorsqu’ils étoient en carrosse avec elles.

La seconde fonction des licteurs se nommoit animadversio ; ils devoient avertir le peuple de l’arrivée ou de la présence des magistrats, afin que chacun leur rendît les honneurs qui leur étoient dus, & qui consistoient à s’arrêter, à se lever si l’on étoit assis, à descendre de cheval ou de chariot, & à mettre bas les armes si on en portoit.

La troisieme fonction des licteurs s’appelloit præitio ; ils précedoient les magistrats, marchoient devant eux, non tous ensemble, ni deux ou trois de front, mais de file, un à un, & à la suite les uns des autres. De-là vient que dans Tite-Live, dans Valere-Maxime, dans Ciceron, on lit souvent primus, proximus, secundus lictor. Lipse rapporte une inscription qui fait mention du proximus lictor.

Une quatrieme fonction des licteurs, étoit de marcher dans les triomphes devant le char du triomphateur, en portant leurs faisceaux entourés de branches de laurier.

Je ne m’amuserai point à rechercher si dans les cas ordinaires, ils portoient leurs faisceaux droits, ou sur l’épaule ; je remarquerai seulement, qu’outre les faisceaux, ils tenoient des baguettes à la main, dont ils se servoient pour faire ouvrir la porte des maisons où le magistrat vouloit entrer.

Pline observe que Pompée après avoir vaincu Mithridate, défendit à son licteur de se servir de ses baguettes pour faire ouvrir la porte de Possidonius, dont il respectoit le savoir & la vertu.

Enfin, quand les magistrats vouloient plaire au peuple & gagner sa faveur, ils faisoient écarter leurs licteurs, & c’est ce qu’on appelloit submittere fasces. Voyez Faisceaux. Mais les magistrats n’eurent le glaive en main que sous la république & les premiers empereurs ; ce furent ensuite les soldats du prince qui prirent la place de licteurs, pour arrêter les coupables, & pour trancher la tête. Voyez Rosinus, Pitiscus, Bombardini, de carcere, Middleton, & autres. (D. J.)