L’Encyclopédie/1re édition/LAIDEUR

LAIE  ►

LAIDEUR, f. f. (Gramm. & Morale.) c’est l’opposé de la beauté ; il n’y a au moral rien de beau ou de laid, sans regles ; au physique, sans rapports ; dans les Arts, sans modele. Il n’y a donc nulle connoissance du beau ou du laid, sans connoissance de la regle, sans connoissance du modele, sans connoissance des rapports & de la fin. Ce qui est nécessaire n’est en soi ni bon ni mauvais, ni beau ni laid ; ce monde n’est donc ni bon ni mauvais, ni beau ni laid en lui-même ; ce qui n’est pas entierement connu, ne peut être dit ni bon ni mauvais, ni beau ni laid. Or on ne connoît ni l’univers entier, ni son but ; on ne peut donc rien prononcer ni sur sa perfection ni sur son imperfection. Un bloc informe de marbre, considéré en lui-même, n’offre ni rien à admirer, ni rien à blâmer ; mais si vous le regardez par ses qualités ; si vous le destinez dans votre esprit à quelqu’usage ; s’il a déja pris quelque forme sous la main du statuaire, alors naissent les idées de beauté & de laideur ; il n’y a rien d’absolu dans ces idées. Voilà un palais bien construit ; les murs en sont solides ; toutes les parties en sont bien combinées ; vous prenez un lesard, vous le laissez dans un de ses appartemens ; l’animal ne trouvant pas un trou où se refugier, trouvera cette habitation fort incommode ; il aimera mieux des décombres. Qu’un homme soit boiteux, bossu ; qu’on ajoute à ces difformités toutes celles qu’on imaginera, il ne sera beau ou laid, que comparé à un autre ; & cet autre ne sera beau ou laid que rélativement au plus ou moins de facilité à remplir ses fonctions animales. Il en est de même des qualités morales. Quel témoignage Newton seul sur la surface de la terre, dans la supposition qu’il eût pu s’élever par ses propres forces à toutes les découvertes que nous lui devons, auroit-il pû se rendre à lui-même ? Aucun ; il n’a pu se dire grand, que parce que ses semblables qui l’ont environné, étoient petits. Une chose est belle ou laide sous deux aspects différens. La conspiration de Venise dans son commencement, ses progrès & ses moyens nous font écrier : quel homme que le comte de Bedmard ! qu’il est grand ! La même conspiration sous des points de vûe moraux & relatifs à l’humanité & à la justice, nous fait dire qu’elle est atroce, & que le comte de Bedmard est hideux ! Voyez l’article Beau.