L’Encyclopédie/1re édition/LÉPROSERIE

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LÉPROSERIE, s. f. (Hist.) MALADRERIE ; mais ce terme ne se soutient plus que dans le style du palais, dans les actes & dans les titres, pour signifier une maladrerie en général. En effet, il ne s’appliquoit autrefois qu’aux seuls hôpitaux, destinés pour les lépreux. Matthieu Paris comptoit dix-neuf mille de ces hôpitaux dans la chrétienté, & cela pouvoit bien être, puisque Louis VIII. dans son testament fait en 1225, légue cent sols, qui reviennent à environ 84 livres d’aujourd’hui, à chacune des deux mille léproseries de son royaume.

La maladie pour laquelle on fit bâtir ce nombre prodigieux d’hôpitaux, a toujours eu, comme la peste, son siege principal en Egypte, d’où elle passa chez les Juifs, qui tirerent des Egyptiens les mêmes pratiques pour s’en préserver ; mais nous n’avons pas eu l’avantage d’en être instruits.

Il paroit que Moïse ne prescrit point de remedes naturels pour guérir la lepre, il renvoie les malades entre les mains des prêtres ; & d’ailleurs il caracterise assez bien la maladie, mais non pas avec l’exactitude d’Arétée parmi les Grecs, liv. IV. chap. xiij. & de Celse parmi les Romains, liv. III. chap. xxv.

Prosper Alpin remarque que dans son tems, c’est-à-dire, sur la fin du seizieme siecle, la lepre étoit encore commune en Egypte. Nos voyageurs modernes, & en particulier Manndrel, disent qu’en Orient & dans la Palestine, ce mal attaque principalement les jambes, qui deviennent enflées, écailleuses & ulcéreuses.

Le D. Townes a observé qu’une pareille lépre regne parmi les esclaves en Nigritie ; l’enflure de leurs jambes, & les écailles qui les couvrent vont toujours en augmentant ; & quoique cette écorce écailleuse paroisse dure & insensible, cependant pour peu qu’on en effleure la surface avec la lancette, le sang en sort librement. On a tenté jusqu’à ce jour sans succès la cure de ce mal éléphantiatique.

L’histoire raconte que les soldats de Pompée revenant de Syrie, rapporterent pour la premiere fois en Italie, une maladie assez semblable à la lépre même. Aucun reglement fait alors pour en arrêter les progrès, n’est parvenu jusqu’à nous ; mais il y a beaucoup d’apparence qu’on fit des reglemens utiles, puisque ce mal fut suspendu jusqu’au tems des Lombards.

Rotharis qui les gouvernoit avec tant de gloire au milieu du septieme siecle, ayant été instruit de l’étendue & des ravages de cette maladie, trouva le moyen le plus propre d’y couper court. Il ne se contenta pas de reléguer les malades dans un endroit particulier, il ordonna de plus, que tout lépreux chassé de sa maison, ne pourroit disposer de ses biens, parce-que du moment qu’il avoit été mis hors de sa maison, il étoit censé mort. C’est ainsi que pour empêcher toute communication avec les lépreux, sa loi les rendit incapables des effets civils.

Je pense avec M. de Montesquieu, que ce mal reprit naissance pour la seconde fois en Italie, par les conquêtes des empereurs Grecs, dans les armées desquels il y avoit des milices de la Palestine & de l’Egypte. Quoi qu’il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu’au tems malheureux des croisades, qui répandirent la lepre, non pas dans un seul coin de l’Europe, mais dans tous les pays qui la composent, & pour lors, on établit par-tout des léproseries.

Ainsi les chrétiens après avoir élevé de nouveaux royaumes de courte durée, dépeuplé le monde, ravagé la terre, commis tant de crimes, de grandes & d’infâmes actions, ne rapporterent enfin que la lepre pour fruit de leurs entreprises. Cette cruelle maladie dura long-tems par son étendue dans le corps du petit peuple, par le manque de connoissance dans la maniere de la traiter, par le peu d’usage du linge, & par la pauvreté des pays, ou pour mieux dire leur extrême misere, car les léproseries manquoient de tout ; & ces cliquettes ou barils qu’on faisoit porter aux lépreux pour les distinguer, n’étoient pas un remede pour les guérir. (D. J.)