L’Encyclopédie/1re édition/JOINVILLE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 870-871).
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JOINVILLE, (Géog.) petite ville de France en Champagne, dans le Vallage, avec titre de principauté érigée en 1552.

Ceux qui donnent à cette ville une grande ancienneté, & qui en font remonter l’origine à Jovin, lieutenant de Valentinien, empereur d’Occident, l’ont nommée Jovini villa ; ceux au contraire qui rapprochent son origine au siecle de Louis le Gros, c’est-à-dire au XII siecle, & je crois qu’ils ont raison, l’appellent Johannis villa. Elle est sur la Marne, à 6 lieues de S. Dizier, 28. S. E. de Reims, 10 S. O. de Bar-le-Duc, 50 S. E. de Paris. Long. 22. 45. lat. 48. 20.

Charles de Lorraine, cardinal, nâquit à Joinville le 17 Février 1529 ; on ne peut s’empêcher de vouloir le connoître, quand on considere que cette connoissance fait celle de trois regnes consécutifs, les plus intéressans de notre histoire ; ainsi j’espere qu’on m’excusera, si je m’étends un peu à peindre un homme qui a joué sous ces trois regnes un si grand rôle, & dont la naissance a été si funeste à l’état.

Doué par la nature de grandes qualités, il ne chercha qu’à satisfaire son ardeur insatiable d’acquérir des biens & des honneurs ; il s’insinua par de basses complaisances dans la faveur de la duchesse de Valentinois, maîtresse de Henri II, & qui menoit tout à sa volonté ; son crédit devint sans bornes sous François II, car lui & le duc de Guise, son frere, gouvernoient le royaume à leur fantaisie ; en 1558, ils entammerent des conférences secretes à Péronne avec Granvelle, évêque d’Arras, pour la ruine des Colignis & de leur parti.

La crainte qu’eut le pape d’un concile national en France, l’obligea d’assembler en 1562 un concile général à Trente ; le cardinal de Lorraine s’y rendit avec un train d’une magnificence incroyable ; les légats, les évêques de l’assemblée, les ambassadeurs des ministres étrangers, allerent au-devant de lui pour le recevoir ; sa puissance, son cortège, son génie, causerent de l’ombrage & de la jalousie au pontife de Rome ; il ramassa ses forces, & saisi de crainte, il pria Philippe de le soutenir dans le concile.

Le rang & le pouvoir du cardinal de Lorraine étoient portés si loin, que le connétable Anne de Montmorency lui écrivoit Monseigneur, & signoit, votre très-humble & très-obéissant serviteur ; & le cardinal écrivoit Monsieur le Connétable, & au bas, votre bien bon ami. A la mort de son frere le duc de Guise qu’il apprit étant à Trente, il ne songea qu’à s’accommoder avec le pape, ne soutint plus les libertés de l’église gallicane, & trouva convenable, pour les intérêts de sa maison, de s’humaniser avec sa sainteté.

A son retour de Trente, on lui accorda des gardes, qui non-seulement eurent ordre de l’accompagner jusques dans le Louvre, mais encore de ne le pas quitter à l’autel, & de mêler ainsi l’odeur de la méche parmi l’odeur de l’encens & des parfums sacrés ; privilege assez semblable à celui qu’obtint depuis le cardinal de Richelieu.

En 1572, il se rendit à Rome pour entretenir le pape des grands projets qu’il avoit concertés avec la reine-mere, dont le principal étoit le massacre de la S. Barthélemi ; il fit compter mille écus d’or à un gentilhomme du duc d’Aumale, qui lui en apporta la nouvelle, & se rendit en procession à l’église de S. Louis, où il célébra la messe à ce sujet avec une pompe superbe. Il revint en France en 1574, assista à une des processions de pénitens, établie par Henry III, y prit du froid, de la fievre, & mourut le 23 Décembre, âgé de 55 ans.

Plongé dans la galanterie pendant tout le cours de sa vie, il séduisoit les femmes par sa figure, par son esprit, & plus encore par ses présens. « J’ai oui conter, dit Brantôme, que quand il arrivoit à la cour quelque fille ou dame qui fût belle, il la venoit accoster, & lui disoit qu’il la vouloit dresser ; aussi y en avoit-il peu qui ne fussent obligées de ceder à ses largesses, & peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour femmes ou filles de bien »…

Il n’eut pas son égal en dépenses fastueuses, qui accompagnoient toutes ses actions, & s’étendoient même sur les pauvres & les mendians. Son valet de chambre, qui manioit son argent des menus plaisirs, portoit une grande gibeciere qu’il remplissoit tous les matins de trois ou quatre cent écus, & les distribuoit aux pauvres qu’il rencontroit ; & ce qu’il en tiroit, le donnoit sans y rien trier…

La fierté avec laquelle il traita la duchesse de Savoie, en la baisant par force, peint son orgueil & son amour-propre. « Est-ce avec moi, lui dit-il, qu’il faut user de cette mine & façon, je baise bien la reine ma maîtresse, qui est la plus grande reine du monde, & vous, je ne vous baiserois pas, qui n’êtes qu’une petite duchesse crottée »…

La violence de son caractere s’exerça contre les protestans de France, tandis qu’il pensionnoit par politique les protestans d’Allemagne ; l’insulte qu’il reçut en sortant de la maison d’une courtisane, l’obligea à faire aller toute la cour à Saint-Germain, malgré l’ancienne coutume ; & la ridicule prédiction d’un astrologue, qu’il seroit tué d’un arme à feu, l’engagea à faire défendre tout port d’armes sous le regne de François II. Ajouterai-je ici qu’on a trouvé dans les archives de Joinville, une indulgence en expectative pour ce cardinal & douze personnes de sa suite, laquelle indulgence remettoit à chacun d’eux par avance trois péchés à la fois. (D. J.)