L’Encyclopédie/1re édition/ISLEB

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 925).
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ISLEB, (Géog.) petite ville d’Allemagne dans le cercle de la Haute Saxe, au comté de Mansfeld. Long. 29. 28. lat. 51. 45.

Isleb n’est mémorable que pour avoir été le lieu de la naissance & de la mort de Luther ; je ne dirai rien de sa vie, M. Bossuet entre les Catholiques, Seckendorf, Jean Muller, Christian Juncker & Bayle entre les Réformés, vous en instruiront complettement.

Mais M. de Voltaire va vous peindre, ou plutôt je vais donner l’esquisse du tableau qu’il a fait de cette grande révolution dans l’esprit & dans le système politique de l’Europe, qui commença par un moine augustin.

« A peine eut-il pris l’habit de son ordre à l’âge de 22 ans, que ses supérieurs le chargerent de prêcher contre la marchandise qu’ils n’avoient pu vendre. La querelle ne fut d’abord qu’entre les Augustins & les Dominicains ; on ne prévoyoit pas qu’elle iroit jusqu’à détruire la religion romaine dans la moitié de l’Europe.

» Luther, après avoir décrié les indulgences, examina le pouvoir de celui qui les donnoit aux Chrétiens ; un coin du voile fut levé. Les peuples plus éclairés voulurent juger ce qu’ils avoient adoré ; ils requirent une réforme qui n’étoit pas possible ; ils se séparerent de l’église. Pour parvenir à cette scission, il ne falloit qu’un prince qui la secondât ; le vieux Frédéric électeur de Saxe, surnommé le sage, celui-là même qui, à la mort de Maximilien, eut le courage de refuser l’empire, protégea Luther ouvertement. Cette révolution dans l’église eut un cours semblable à celles par qui les peuples ont détrôné leurs souverains ; on présenta des requêtes, on exposa des griefs ; on finit par renverser le trône. Il n’y avoit point encore néanmoins de séparation marquée, en se moquant des indulgences, en demandant à communier avec du pain & du vin ; en parlant intelligiblement sur la justification & sur le libre arbitre ; en voulant abolir le monachisme ; en offrant de prouver que l’Ecriture-sainte ne dit pas un mot du purgatoire, &c.

» Léon X. qui dans le fond méprisoit ces choses, fut obligé comme chef de l’Eglise, d’anathématiser & Luther, & ses propositions. Luther anathématisé ne garda plus de mesure, il composa son livre de la captivité de Babylone ; il exhorta les princes à secouer le joug de Rome. On brûla ses livres, & Léon X. fulmina une nouvelle bulle contre lui. Luther fit brûler la bulle du pape & les décrétales dans la place publique de Wittemberg. On voit par ce trait si c’étoit un homme hardi ; mais on voit aussi qu’il étoit déja bien puissant : dès-lors une partie de l’Allemagne fatiguée de la grandeur pontificale, embrassoit les intérêts du réformateur, sans trop examiner les questions de l’école qui se multiplioient tous les jours.

» Les thèses les plus vaines se mêloient avec les plus profondes, tandis que les fausses imputations, les injures atroces, les anathêmes nourrissoient l’animosité des deux partis. Les grossiertés du moine augustin, aujourd’hui si dégoutantes, ne révoltoient point des esprits assez grossiers ; & Luther avec le ridicule d’un style bas, triomphoit dans son pays de toute la politesse romaine.

» Le théâtre de cette guerre de plume étoit chez les Allemans & chez les Suisses, qu’on ne regardoit pas alors pour les hommes de la terre les plus déliés, & qui passent pour circonspects. La cour de Rome savante & polie, ne s’attendoit point que ceux qu’elle traitoit de barbares pourroient, la bible comme le fer à la main, lui ravir la moitié de l’Europe, & ébranler l’autre.

» Cependant Luther ayant pour ennemi son empereur, le roi d’Angleterre, le pape, tous les évêques & tous les religieux, ne s’en étonna pas. Caché dans une forteresse de Saxe, il brava l’empereur, irrita la moitié de l’Allemagne contre le souverain pontife ; répondit au roi d’Angleterre comme à son égal, posa, fortifia, étendit son église naissante, & mourut le 18 Février 1546, à 63 ans, trois mois, huit jours, regardé par son parti comme une illustre réformateur de l’Eglise, & par les Catholiques romains comme un insigne hérésiarque ».

Les savans préferent les éditions qu’il a données lui-même de ses œuvres depuis 1517 jusqu’à sa mort, à toutes les éditions postérieures. (D. J.)