L’Encyclopédie/1re édition/ISIAQUE, table

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 912-913).

ISIAQUE, table (Antiq. égypt.) monument des plus considérables que l’antiquité nous ait transmis. On imagine qu’il désigne les grandes fêtes d’Isis & d’autres divinités égyptiennes.

Quoi qu’il en soit, ce monument fut trouvé au sac de Rome en 1525. C’est une table de bronze à compartimens, qui a environ cinq piés de long sur trois de large ; elle fut portée en Italie du tems des croisades, par un seigneur de la maison de Gonzague ; ensuite elle a passé à Turin, sans qu’on sache par qui ni comment.

On m’a mandé de cette ville, que cette table représentoit en bas-relief cent choses différentes, dont les plus frappantes sont, à ce qui paroît, des divinités égyptiennes. On y voit plusieurs personnes faisant des offrandes à ces divinités, qui sont assises sur des trônes. On y remarque d’autres figures à genoux, qui semblent adorer des oiseaux, des bêtes à quatre piés & des poissons. Ces dernieres figures se trouvent dans la petite bordure qui environne les principaux compartimens. On distingue parmi les dieux, Osiris, son fils Horus, plusieurs Isis, une dans son vaisseau, une autre à tête de lion, une autre avec le circ ou cercle solaire entre deux cornets de lotus & deux feuilles de perséa, portant la mesure du Nil en main, & ayant sous son trône la canicule. On y distingue des sceptres d’Osiris, sa clé, son fouet, son bâton pastoral. Horus y paroît emmailloté, portant la girouette à tête de hupe, l’équerre & le clairon. On y trouve des signes du zodiaque, toutes sortes d’especes d’animaux, de reptiles & d’oiseaux, l’ibis, la cigogne, l’épervier, le sphinx. Enfin on y voit représenté différentes mesures du Nil, des avirons, des ancres, des canopes, des girouettes, des équerres, & quantité d’hyéroglyphes indéchiffrables : tel est le spectacles qu’offre la table isiaque, dont Kircher & Pignorius ont donné des gravures dans leurs ouvrages.

On est fort partagé sur l’antiquité de ce monument. M. Shuckford, dans son histoire du monde, la juge des premiers tems, & croit qu’il a été gravé avant que les Egyptiens adorassent des figures d’hommes ou de femmes.

M. Warburthon pense au contraire que cette table a été faite pour les personnes attachées à Rome au culte d’Isis. Il est persuadé que l’ouvrier a désigné le culte rendu aux animaux, qui étoit si peu connu des étrangers, par la posture la plus remarquable d’adoration, tandis qu’il n’a marqué que par des actes d’offrandes & de sacrifices le culte que les Egyptiens rendoient à leurs grands dieux héroïques, & qui n’étoit pas différent de celui des Romains. En un mot, il regarde la table isiaque comme le plus moderne des monumens égyptiens ; ce qu’il croit qu’on peut justifier par le mélange que l’on y trouve de toutes les especes de caracteres hiéroglyphiques.

Mais si l’on ne peut fixer l’antiquité de ce monument, on peut encore moins l’expliquer. J’ose ajoûter que c’est une folie de l’entreprendre ; nous n’avons point la clé de l’écriture symbolique des Egyptiens, ni de celle des premiers tems, ni de celle des tems postérieurs. Cette écriture qui changea mille fois, varioit le sens des choses à l’infini par la seule position du symbole, l’addition ou la suppression d’une piece de la figure symbolique. Quand l’écriture épistolique prit le dessus par sa commodité, la symbolique se vit entierement négligée. La difficulté de l’entendre, qui étoit très-grande, lorsqu’on n’avoit point d’autre écriture, augmenta bien autrement, quand on ne prit pas soin de l’étudier ; & cette difficulté même acheva d’en rendre l’étude extrêmement rare. Enfin les figures symboliques & hiéroglyphiques, qu’on trouvoit sur les tables sacrées, sur les grands vases, sur les obélisques, sur les tombeaux, devinrent des énigmes inexpliquables. Les prêtres & les savans d’Egypte ne savoient plus les lire ; & comment nous imaginerions-nous aujourd’hui en être capables ? ce seroit le comble du ridicule.

Le P. Montfaucon a bien pu hasarder de donner l’explication de cinq ou six grandes figures de la table isiaque, parce que nous connoissons encore par les écrits des Grecs & des Romains la signification de plusieurs symboles & attributs de la déesse Isis, d’Osiris & d’Horus ; mais ces foibles lumieres ne nous servent de rien pour nous procurer l’intelligence du monument dont nous parlons, ni même d’une partie de ce monument. Nos recherche, se perdent dans le nombre & la variété des objets figurés, sans qu’il y en ait aucun qui découvre à nos yeux le but général qu’on s’est proposé.

Nous ririons de Pignorius, s’il nous eût offert ses explications mensæ isiacæ, imprimées en 1669, sous un autre nom que sous celui de légeres conjectures ; & quant aux travaux du P. Kircher sur cette matiere, ils excitent notre compassion. Ce savant jésuite ne sait qu’imaginer ce qu’il ignore, & dont il lui étoit impossible d’avoir connoissance ; il a substitué ses visions à la place des trésors perdus de l’antiquité. (D. J.)