L’Encyclopédie/1re édition/INVESTITURE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 863-864).

INVESTITURE, s. f. (Jurisprud.) du latin vestire, signifie tradition, mise en possession. Ce terme se prend quelquefois pour le droit d’investir, quelquefois pour l’action même d’investir, quelquefois enfin pour l’instrument ou acte qui fait mention de cette investiture. Il se prend aussi pour la possession même, comme on le voit en plusieurs endroits de la loi des Lombards.

En matiere féodale, le terme d’investiture se prend quelquefois pour le titre primitif de concession du fief, & plus souvent encore pour la réception en foi & hommage.

Anciennement les investitures & mises en possession ne se faisoient pas simplement de bouche, ni même par écrit ; on y ajoutoit certains signes extérieurs ou symboles, pour exprimer la translation qui se faisoit de la propriété ou possession d’une personne à une autre.

Ces symboles étoient fixés par les lois ou par l’usage, & l’on employoit à cet effet les mêmes choses chez presque toutes les nations ; on se servoit ordinairement des choses qui avoient le plus de rapport avec celle dont on vouloit faire la tradition. Ainsi pour l’investiture d’un champ, on donnoit un morceau de terre ou de gazon taillé en rond, large environ de quatre doigts ; si c’étoit un pré on y ajoutoit de l’herbe, ou plutôt on coupoit un gazon ; si c’étoit une terre, on y fichoit une branche d’arbre haute de quatre doigts, le tout pour faire entendre que ce n’étoit pas seulement le fond & le sol dont on se dépouilloit, mais que l’on cédoit aussi la superficie, c’est-à-dire tout ce qui étoit sur le fonds, comme les bâtimens, les bois, les arbres, vignes, les plantes, moissons, &c.

L’investiture se faisoit aussi per festucam seu per baculum & virgam, c’est à-dire par la tradition d’un petit bâton appellé festuca.

On employoit encore pour symbole de tradition un couteau ou une épée per cultellum, vel per gladium. C’étoit pour désigner la puissance que l’on transmettoit au nouveau propriétaire de changer, détruire, couper, renverser, & faire généralement dans son fond tout ce qu’il jugeroit à propos.

On se servoit enfin quelquefois encore d’autres choses en signe d’investiture, comme d’un anneau que l’on mettoit au doigt, d’une piece de monnoie, d’une pierre, & de diverses autres choses.

Les souverains donnoient l’investiture d’une province per vexillum, c’est-à-dire en remettant une banniere.

On gardoit avec soin ces signes d’investitures, & souvent on les annexoit à l’acte d’investiture, comme quand c’étoit une piece de monnoie ou de petits morceaux de bois, un couteau, &c. & afin que ces sortes de pieces symboliques ne pussent pas servir à d’autres qui s’en empareroient, on les rendoit inutiles en les coupant ou cassant par le milieu. Voyez le Glossaire de du Cange, au mot investitura, où l’on trouve près de 80 manieres différentes de donner l’investiture. (A)

Investiture des Fiefs, est la concession primitive du fief ou acte d’inféodation ; c’est aussi la réception du nouveau vassal en foi & hommage, par le moyen de laquelle le vassal est saisi & investi de son fief.

L’investiture du vassal empêche le seigneur d’user du retrait féodal ; elle sert aussi à faire courir l’année du retrait lignager. Voyez le traité des fiefs de Billecoq, liv. II. chap. xvij. & aux mots Foi & Hommage. (A)

Investiture des Bénéfices, est un acte par lequel on déclare & on confirme le droit résultant de la collation d’un bénéfice, faite par le collateur en faveur d’un nouveau titulaire.

Quelques auteurs confondent l’institution & la mise en possession réelle d’un bénéfice avec l’investiture, quoique ordinairement ce soient des choses différentes.

L’institution donne la propriété & le véritable droit au bénéfice, ce que l’on appelle jus in re ; par l’investiture on déclare & on confirme le droit de collation, & par la mise en possession on donne l’administration & jouissance des fruits.

L’investiture est quelquefois prise pour collation, quand celui qui investit, a en même tems le pouvoir de conférer ; elle peut aussi être prise pour la mise en possession réelle, lorsque celui qui met en possession réelle, a aussi le droit de conférer ; mais en général l’investiture est différente & de l’institution & de la mise en possession réelle, ainsi qu’on l’a d’abord expliqué.

La forme de l’investiture étoit differente selon la dignité des bénéfices ; le chanoine étoit investi par le livre, l’abbé par le bâton pastoral, & l’évêque par le bâton & l’anneau.

L’origine des investitures ecclésiastiques est la même que celle de l’investiture pour les fiefs. Sous Pepin & Charlemagne l’Eglise ayant commencé à posseder beaucoup de fiefs, dont ces princes l’avoient enrichie, tant en France qu’en Allemagne, les évêques & les abbés se trouverent engagés par-là à prêter entre les mains du prince la foi & hommage des fiefs qu’ils tenoient de lui, & d’en recevoir l’investiture par la crosse & l’anneau, sans que les princes ayent jamais prétendu, par cette cérémonie, conférer la puissance spirituelle aux évêques ni aux abbés.

On prétend que, dans un concile tenu à Rome en 774, le pape Adrien donna à Charlemagne le droit d’élire les papes, & qu’il ordonna que tous les archevêques & évêques de ses états recevroient l’investiture de sa main, avant que d’être consacrés ; mais quoique Leon VIII. ait renouvellé cette prétendue constitution en faveur d’Othon I. elle est visiblement supposée, parce que ni Eginard qui a fait la vie de Charlemagne, ni aucun autre auteur contemporain n’ont parlé de cette concession.

Quoi qu’il en soit de ce decret, il est certain que nos rois & les empereurs donnoient l’investiture des évêchés, abbayes, par la crosse & l’anneau. Les rois d’Angleterre jouissoient aussi de ce droit.

Ce fut en 1078 que commença la fameuse querelle des investitures pour les évêchés & abbayes ; un concile de Rome défendit à tout clerc de les recevoir de la main d’un prince, ou de tout autre laïc.

Grégoire VII. fut le premier qui défendit les investitures ; il fut suivi par Victor III & Urbain II ; ce dernier alla même jusqu’à défendre le serment de fidélité des évêques.

Henry IVe du nom étoit alors empereur, & soutenoit les investitures ; Grégoire VII appelloit cela les hérésies henriciennes.

Cette question excita beaucoup de troubles, surtout en Allemagne & en Angleterre ; Henry IV. fut excomunié par trois papes successivement ; cela produisit plusieurs schismes & des guerres continuelles ; pendant cinquante-six ans que dura ce démêlé fameux sous six papes différens, il y eut à cette occasion soixante batailles sous Henry IV. & soixante-huit autres sous Henry V. son successeur ; il y périt plus de deux millions d’hommes. Caliste II engagea Henry V. à renoncer aux investitures, ce qu’il fit en 1122.

Lothaire le Saxon entreprit en 1132 de les faire revivre, mais S. Bernard l’en dissuada.

Au commencement de cette querelle, ce ne fut pas seulement la cérémonie extérieure du bâton & de l’anneau, qui excita de la difficulté ; on attaqua toutes les investitures des bénéfices en général, de quelque maniere qu’elles fussent faites par les laïcs. M. de Voltaire, en son histoire universelle, dit qu’il fut décidé dans un concile à Rome, que les rois ne donneroient plus aux bénéficiers canoniquement élus, les investitures par un bâton recourbé, mais par une baguette. Il paroît rapporter ce concile à l’année 1120 ; on ne voit point cependant qu’il y en ait eu à Rome cette année. Ce fut dans une assemblée tenue à Vorms en 1122, que se fit l’accommodement ; l’empereur renonça à donner les investitures par la crosse & l’anneau, & le pape lui permit d’accorder l’investiture des regales, c’est-à-dire, des biens temporels par le sceptre.

A l’égard de la France, nos rois n’eurent presque aucuns démêlés avec les papes touchant les investitures ; ils en ont joui paisiblement même sous Grégoire VII. qui craignit de s’attirer trop d’ennemis à la fois, s’il se brouilloit avec la France pour ce sujet ; sous les papes suivans ils se départirent de l’investiture par le bâton pastoral & l’anneau, & se contenterent de la donner par écrit ou de vive voix ; au moyen de quoi les successeurs de Gregoire VII. qui paroissoient ne s’attacher qu’à cette cérémonie extérieure, ont laissé nos rois jouir paisiblement du serment de fidélité, qui a succédé aux investitures, & des droits de joyeux-avenement & de regale.

Par le concordat passé entre Leon X & François I, le roi est maintenu dans le droit de nommer aux évêchés, abbayes & autres bénéfices de nomination royale.

Voyez le gloss. de Ducange au mot Investiture, où il rapporte plusieurs manieres différentes de donner l’investiture ecclésiastique, per librum, per capellum, per candelabrum, per grana incessi, & autres semblables.

Voyez Covaruvias, Cujas, Guymier, l’histoire de l’origine des dixmes, le traité de la capacité des ecclésiastiques de Duperray. (A)