L’Encyclopédie/1re édition/INCONTINENCE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 654-655).

INCONTINENCE, subst. fem. (Morale.) vice opposé à la pudicité, à la continence. Voyez Continence.

Nous ne décrirons point les diverses especes d’incontinence, elles ne sont que trop connues, & quelques-unes trop honteuses pour que la pudeur ne fût pas allarmée d’un pareil détail. Il nous suffira donc de quelques remarques sur ce déréglement dans la recherche des plaisirs de l’amour.

La corruption qui en résulte est double, parce qu’elle se porte d’abord sur deux personnes, & que d’ailleurs ses mauvais effets se répandant ensuite sur plusieurs, confondent les droits des familles & ceux des successions ; par conséquent tout le corps de l’état en souffre, & la dépopulation de l’espece s’en ressent à proportion que le vice prend faveur.

Il la prend nécessairement avec le luxe qu’il accompagne toûjours, & dont il est toûjours accompagné ; c’est ce qu’on vit à Rome sous les empereurs. Comme leurs lois ne tendoient ni à réprimer le luxe, ni à corriger les mœurs, on afficha sans crainte le débordement de l’incontinence publique.

Il n’est pas vrai qu’elle suive les lois de la nature, elle les viole au contraire ; c’est la modestie, c’est la retenue qui suit ces lois. Mais l’exemple, les conversations licentieuses, les images obscènes, le ridicule qu’on jette sur la vertu, la mauvaise honte qui a tant de force, établissent la licence & la corruption des mœurs dans tout un pays : le nôtre en peut être une assez bonne preuve.

Cependant personne n’ignore à quel point ces sortes d’excès sont funestes, & le nombre des hommes incontinens est assez grand pour en donner des exemples ; plusieurs ont péri d’épuisement dans leurs plus beaux jours, tels que de tendres fleurs privées de leur seve par le vent brûlant du midi. Combien d’autres qui ont pris dès leur enfance les germes d’une maladie honteuse, & souvent incurable ? La nature, qui n’a voulu accorder aux individus que de courts momens pour se perpétuer, agit pour leur conservation avec la plus grande économie, &, pour ainsi dire, avec la derniere épargne ; elle n’opere qu’avec regle & mesure. Si on la précipite, elle tombe dans la langueur. En un mot, elle emploie toute la force qui lui reste à se soûtenir encore, s’il est possible ; mais elle perd absolument sa vertu productrice & sa puissance générative. (D. J.)

Incontinence d’urine. (Medecine.) L’incontinence d’urine est une incommodité suffisamment définie par le nom qu’elle porte, & auquel les Medecins n’attachent d’autre sens que son sens naturel.

Cette incommodité est propre à la vessie : elle ne suppose aucun vice dans les organes destinés à séparer l’urine, ni dans cette humeur excrémenticielle. Aussi l’urine répandue par les sujets attaqués de la maladie dont il s’agit, est-elle, tout étant d’ailleurs égal, pareille à celle que rendent les sujets sains ; à cela près seulement qu’elle peut être un peu plus crue, c’est-à-dire privée du ton de couleur qu’elle acquiert dans la vessie par le séjour naturel. C’est par là que l’incontinence d’urine est distinguée du diabete ou flux d’urine. Voyez Diabete.

L’incontinence d’urine est encore appellée pissement involontaire, mictus involuntarius. Ce qui suit est tiré du précis de la Médecine-pratique de M. Lieutaud. L’incontinence d’urine, sans cause manifeste, est familiere aux enfans & aux vieillards : elle n’a lieu dans les premiers que pendant le sommeil ; mais les vieillards y sont exposés dans tous les tems. L’abus des diurétiques, l’accouchement laborieux, le calcul, les chûtes, l’opération de la taille, le trop long séjour dans l’eau froide, l’apoplexie & les affections soporeuses ; le plus haut degré de toutes les maladies aigues, &c. peuvent donner lieu à l’écoulement involontaire de l’urine. L’âge & l’éducation en délivrent les enfans ; mais on la guérit rarement dans les vieillards, comme dans tous les cas où elle reconnoît pour cause un vice dans les organes. Tout le monde sait encore combien ce symptôme est redoutable dans les maladies aiguës.

L’incontinence d’urine venant le plus souvent du relâchement ou de la paralysie des organes, on juge que l’ouverture des cadavres ne doit pas nous fournir beaucoup de lumieres : on a vû cependant l’hydropisie de la moëlle de l’épine, la grosseur des reins demesurée, des pierres & des ulceres dans ces visceres (l’auteur de l’article observe conséquemment à l’idée qu’il a donnée de l’incontinence d’urine, que l’écoulement qui a été occasionné par ces vices des reins étoit un vrai diabete, dont le pissement involontaire n’étoit qu’un symptôme), on a trouvé la vessie racornie & incapable de dilatation, ulcérée, livide & gangrenée, contenant des pierres & des abscès, comprimée par la tumeur de la matrice & autres parties voisines. On a rencontré les uretheres extrèmement dilatés, suppléant à la vessie qui étoit très-resserrée, &c. sans faire mention de différens desordres qui donnent lieu aux urines de couler involontairement par le périnée, par le scrotum, par l’anus, l’ombilic, &c.

Les astringeus, tels que l’eau dans laquelle on a éteint des briques rougies au feu, de vin rouge, les roses de Provins, la grande consoude, la prêle, la noix de cyprès, le cachou, le mastic, les martiaux, &c. sont les remedes les plus propres à fortifier les organes relâchés. On peut donner encore dans la même vûe les aromatiques, tels que la menthe, le calament, le poivre, le girofle, la noix muscade, &c. C’est aussi pour la même raison qu’on préfere la rhubarbe & les myrobolans aux autres purgatifs, lorsque l’état des premieres voies en demande. On propose encore les injections aromatiques & fortifiantes, ainsi que les cataplasmes, les fomentations, les linimens, les demi-bains & les lavemens qui ont la même propriété : on a même vû en cette occasion de bons effets des bains froids. Tout le monde a entendu parler de la poudre de souris & de quelques autres remedes de bonnes femmes que le degré de confiance qu’on y attache peut rendre efficaces. (L’auteur de l’article ose encore avancer que dans ce cas les Medecins doivent avoir peu de confiance à cette confiance.) On sait enfin qu’on a imaginé divers instrumens qui, en comprimant la verge & l’uretre, empêchoient l’urine de couler, mais peu de gens peuvent en supporter l’incommodité. On a usé aussi pour les femmes d’un pessaire qui produit le même effet, mais on rencontre de leur part la même difficulté. Je ne parle pas de différens vases de cuir, de verre ou d’argent, propres à recevoir l’urine, que ceux qui veulent se garantir de la mauvaise odeur & de la malpropreté portent sans beaucoup de répugnance.