L’Encyclopédie/1re édition/DIABETES

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DIABETES, s. m. (Medecine.) c’est le nom d’une maladie caractérisée par une excrétion de différentes humeurs faite par les voies urinaires, plus fréquente & plus abondante que celle des urines seules dans l’état naturel.

Le mot diabetes vient de διαϐαίνειν, permeare, passer vîte, parce que les fluides évacués dans cette maladie semblent être dérivés de la masse des humeurs pour couler avec accélération par les conduits des urines, & parce que la matiere de cette évacuation est rendue comme par un syphon que les Méchaniciens appellent aussi diabetes. Cette maladie est aussi appellée δίψακος, parce qu’elle est ordinairement accompagnée d’une soif inextinguible, qui est un symptome semblable à celui que produit la morsure d’un serpent de ce nom. On nomme encore le diabetes hydrops ad matulam, parce qu’il met les malades dans le cas de remplir souvent les vases destinés à recevoir l’urine. Les Latins n’ont pas donné de nom particulier à cette maladie ; Celse ne la désigne que par la périphrase nimia urinæ profusio ; & on l’appelle quelquefois en françois flux d’urine.

Le diabetes est de deux especes ; celui de la premiere est appellé vrai, dans lequel il se fait une évacuation d’urine en plus grande quantité qu’à l’ordinaire, d’un goût douçâtre, mêlée avec d’autres humeurs plus épaisses, telles que le chyle, le lait, le pus, & la substance même du corps, par une suite de la colliquation de ses parties. Celui de la seconde espece est appellé faux, dans lequel les urines sont rendues claires, aqueuses, insipides, dont la quantité égale ou surpasse celle de la boisson, & qui en retient même quelquefois la qualité, selon l’observation de Galien, de locis affect. lib. VI. & selon Paul Eginette, qui en donne une idée à-peu-près semblable, oper. liv. III.

On trouve dans Celse (liv. IV.) l’idée de deux différens diabetes, dans l’un desquels les malades rendent des urines épaisses, & dans l’autre des urines claires : Galien dit que c’est une maladie très-rare, qu’il ne l’a observée que deux fois, de locis affect. lib. III. Il a voulu sans doute parler du diabetes de la premiere espece, qui est suivi de consomption ; car celui de la derniere est assez commun.

On distingue le diabetes de l’incontinence d’urine, parce que dans celle-ci le flux est continuel, attendu qu’il dépend du relâchement du sphincter de la vessie, ou de tout autre vice qui l’empêche de se contracter & de se resserrer. On ne peut arrêter cet écoulement par aucun effort de la nature, au lieu qu’on peut le suspendre dans le diabetes.

Cette maladie peut être causée par tout ce qui peut relâcher les conduits qui servent à filtrer l’urine dans les reins, déterminer les humeurs en plus grande quantité & avec plus de force vers ces mêmes conduits ; en sorte qu’ils soient aussi dilatés contre nature, que les vaisseaux qui admettent naturellement le chyle, par exemple, ou le lait ; ou qu’ils soient forcés à recevoir continuellement les fluides aqueux ou séreux, que la masse des humeurs qui en est surchargée leur fournit sans interruption. Voyez Fluxion.

On ne doit cependant pas regarder comme un flux d’urine diabetique, celui que procure l’usage des diurétiques ou des eaux minérales, ni celui qui est l’effet de quelqu’évacuation critique qui met fin à la fievre ; mais si la cause de l’écoulement est constante & rébelle, elle établit le diabetes.

Les causes qui disposent à cette maladie, sont la boisson trop copieuse de bierre, de cidre ; c’est ce qui rend le diabetes, de la seconde espece sur-tout, très-commun parmi les Anglois. Le trop grand usage du vin du Rhin, des boissons chaudes, du caffé, du thé principalement, des diurétiques, des eaux minérales acidules, la fievre maligne de longue durée, colliquative, & qui dégénere en fievre lente ; les poisons qui dissolvent les humeurs, tout ce qui peut obstrüer les vaisseaux secrétoires des visceres, après des exercices, des veilles immodérées, des excès de boisson de liqueurs fortes, qui dissipent les parties les plus fluides & les plus mobiles des humeurs, qui leur font perdre la consistance naturelle, qui en séparent la partie séreuse, la rendent plus abondante, en faisant dégénérer en sérosité excrémentitielle les meilleurs sucs ; toutes ces choses sont autant de différentes causes qui contribuent à établir le flux d’urine diabétique.

En changeant ainsi la nature d’une très grande partie des humeurs, & en les rendant susceptibles d’être portées dans les couloirs des reins, qui donnent une issue plus libre que toute autre, par le relâchement auquel les dispose la filtration continuelle du fluide qui s’y sépare dans l’état naturel. Ce relâchement venant à être augmenté par l’effet encore plus puissant du diabetes séreux, on peut aisément concevoir comment il peut parvenir au point de dilatation qui permette le passage des matieres plus grossieres que la sérosité, telles que le chyle, le lait ; puisque la même chose, quelque rare qu’elle soit, comme maladie, peut arriver dans l’état de santé, selon l’observation de Wanswieten, comment. aphor. Boerhaave, § 662. qui a remarqué quelquefois qu’ayant rendu de l’urine quelques heures après un bon déjeuner suivi d’une forte promenade, elle avoit d’abord paru trouble & laiteuse au sortir de la vessie, & déposoit peu de tems après un sédiment blanc & entierement semblable au chyle. Il assûre avoir eu occasion de confirmer sur l’urine de quelques autres personnes, ce qu’il avoit observé sur la sienne. Galien, de alim. facul. lib. VI. semble aussi avoir soupçonné la même chose des urines, où il dit qu’il a souvent observé ce qu’il appelle un suc crud, &c.

La nature du diabetes en général, l’a fait regarder par certains auteurs, & en particulier par Harris, comme une diarrhée des reins, qui peut être quelquefois lientérique, lorsque la boisson est rendue par leurs couloirs presque sans changement ; quelquefois cœliaque, lorsque le chyle ou le lait s’écoule par cette voie.

Les symptomes qui accompagnent le diabetes sont ordinairement une très-grande soif, une chaleur ardente dans la poitrine, l’abattement des forces ; il produit même quelquefois la fievre hectique : si on n’y apporte pas promptement remede, les malades périssent par la consomption. L’idée que l’on a donnée des causes de cette maladie, peut servir à rendre raison de tous ces effets. Tout ce qui a été dit jusqu’ici du diabetes, doit suffire pour fournir les signes diagnostics qui servent à le distinguer de toute autre maladie, & à différentier ses especes.

Le diabetes de la seconde espece se voit plus communément, & n’est pas si dangereux que celui de la seconde : le faux diabetes arrive souvent pour suppléer au défaut de la transpiration ; & il conste par des observations médicales, que bien des gens l’ont supporté pendant long-tems sans en avoir éprouvé de bien mauvais effets. Cardan rapporte de lui-même, de vitâ propr. cap. vj. tome I. qu’il a été tellement sujet à cette maladie pendant quarante ans, qu’il rendoit chaque jour de soixante à cent onces de liquide par la voie des urines, sans être cependant incommodé par la soif, & sans aucun amaigrissement.

Le vrai diabetes dans lequel on rend des matieres chyleuses ou laiteuses en quantité avec l’urine, se voit très-rarement, & entraîne avec soi beaucoup plus de danger que celui de la seconde espece, attendu que cette excrétion par sa nature prive le corps de sa nourriture, & le dispose conséquemment à la consomption, dont les progrès sont plus ou moins rapides, selon que la quantité de la substance alimentaire qui sort par les voies urinaires, est plus ou moins considérable : les diabétiques qui en retiennent une certaine quantité, & qui conservent l’appétit, supportent assez long-tems ce mal, selon les observations qu’a recueillies à ce sujet Skenkius, lib. III.

On peut dire en général de toute affection diabétique, qu’elle est plus ou moins difficile à guérir, selon qu’elle est plus ou moins invétérée ; que sa cause en est plus ou moins funeste, selon que les humeurs sont plus ou moins disposées à la dissolution colliquative, & que les visceres sont plus ou moins lésés ; qu’elle est plus ou moins décidée, incurable & menaçante d’une mort prochaine, selon que la consomption est plus ou moins avancée.

La curation de cette maladie doit principalement consister à raffermir les vaisseaux des reins, qui pechent toûjours par le relâchement dans le diabetes, de quelqu’espece qu’il soit. Les malades doivent s’abstenir de boire le plus qu’il est possible ; le peu de boisson qui leur est nécessaire, doit être du vin pur ; les alimens dont ils usent, doivent être secs. On doit avoir grand soin de favoriser la transpiration ; & si les forces le permettent, les diabétiques doivent exercer leur corps jusqu’à la sueur, pour détourner des reins la sérosité qui s’y porte en trop grande abondance, & l’attirer vers la peau. L’expérience prouve que l’on urine moins, à proportion que l’on sue davantage : il suit de-là par conséquent que l’on doit aussi avoir attention d’éviter le froid, qui resserre les pores cutanés ; de rester long-tems au lit, de prolonger le sommeil, parce que ce sont des moyens qui facilitent l’excrétion de la peau. On conseille pour tout remede, d’appliquer sur la région des reins des morceaux d’étoffe de laine trempés dans de l’oxicrat : M. Wanswieten dit avoir guéri par cette méthode-là simplement un jardinier diabétique ; il lui fallut cependant trois mois pour en venir à bout, sans qu’il ne restât plus aucune atteinte de la maladie.

On trouve dans le recueil des observations d’Edimbourg, volum. IV. que le docteur Morgan, dans sa pratique méchanique, recommande la teinture des mouches cantharides digerées dans l’elixir de vitriol, comme un remede sur lequel on peut presqu’absolument compter pour modérer ou arrêter le trop grand flux d’urine dans les diabetes.

Mais tous les secours mentionnés jusqu’ici, semblent convenir plus particulierement à celui de la seconde espece : d’ailleurs on doit avoir égard aux différentes causes de cette maladie, pour en entreprendre le traitement avec succès.

Ainsi lorsque le diabetes a été précedé de fievre ardente ou de quelqu’autre maladie aiguë ; lorsque le malade a précédemment fait un trop long ou trop grand usage d’alimens ou de remedes âcres, il faut avoir recours aux remedes propres à corriger le vice de la masse des humeurs, qui sont dans ces cas les lénitifs, les adoucissans, comme les émulsions, le lait, la diete laiteuse. Lorsqu’elles pechent par acrimonie alkaline, dissolvante, on peut employer avec succès, selon le docteur Juryn (observat. d’Edimb. tome VII.) les eaux ferrugineuses rendues acides avec quelques gouttes d’esprit de soufre ou de vitriol. S’il y a lieu de croire que l’obstruction des visceres contribue au diabetes, il convient d’employer de légers apéritifs : si cette maladie est une suite d’une dissolution colliquative des humeurs, qui ne soit pas portée au point de la rendre incurable, les seuls remedes qui puissent produire quelque bon effet, sont les incrassans du genre des mucilagineux, les légers astringens, absorbans. On peut le servir quelquefois des narcotiques pour satisfaire à la même indication. & de tous les remedes qui conviennent dans le traitement de la fievre hectique. Voyez Hectique. (d)