L’Encyclopédie/1re édition/HABILLEMENT

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 6-10).
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HABILLEMENT, s. m. voyez Habit.

Habillement, Équipement, & Armement des troupes, (Art milit.) Ces trois dénominations expriment collectivement les divers effets uniformes qui servent à habiller, à équiper, & à armer les cavaliers, hussards, dragons & soldats. Nous donnerons ci-après des devis détaillés de ces effets.

Cette opération doit suivre immédiatement celle des enrollemens dont nous traiterons dans un article particulier ; voyez Levée de troupes, & précéder celle des exercices, matiere approfondie au moins dans les préceptes & dans la théorie. Voyez Exercice, Évolution. Toutes trois par un concours mutuel tendent à l’amélioration de la police, de l’art, & du méchanisme de la guerre.

Dans notre ancienne institution militaire, presque tous les corps étoient livrés à une routine arbitraire qui se plioit aux caprices des colonels, & perpétuoit les défectuosités & les abus. Un ministre chéri de tout le militaire, animé d’un zele ardent pour la perfection du service, apperçut le desordre, & s’appliqua à y remédier. Occupé des plus grands objets, M. le comte d’Argenson ne dédaigna pas de descendre aux moindres détails : on essaya des changemens, on multiplia les épreuves ; un plan de réforme, fruit des méditations d’illustres guerriers, fut arrêté ; & enfin la qualité, l’espece, la quantité, la forme & les proportions de chaque partie d’habillement, d’équipement & d’armement, furent sous son ministere, successivement déterminées par plusieurs ordonnances & réglemens que nous ne ferons ici que rapprocher & résumer. Les colonels, commandans & majors des corps, ne doivent y permettre aucune altération ni changement, à peine de répondre des contraventions.

Lorsque le roi ordonne la levée d’un régiment, Sa Majesté pourvoit, pour cette premiere fois, par un traitement particulier accordé aux capitaines, à la dépense de l’habillement, de l’équipement, & de l’armement à neuf de chaque troupe.

Et pour assûrer d’une maniere stable & uniforme l’entretien de toutes les parties qui en dépendent, elle a réglé qu’elles ne seroient plus renouvellées en totalité, mais seulement par tiers, par quart, ou suivant la partie jugée nécessaire par les inspecteurs généraux de ses troupes ; disposition nouvelle par laquelle on a judicieusement sacrifié l’agrément du coup d’œil à l’utilité.

Au moyen du traitement que le roi fait à ses troupes, tant de cavalerie que d’infanterie, soit à titre de solde pour les unes & les autres, soit à titre d’ustensile ou d’écus de campagne pour celles de cavalerie, les cavaliers, hussards & dragons sont obligés de s’entretenir en tout tems de linge, de culottes, bas & souliers ; d’entretenir leurs chevaux de ferrage, de conserver leurs armes nettes, & d’y faire les menues réparations, ensorte qu’elles soient toûjours en bon état ; & les soldats de s’entretenir de linge, de chaussure, & de tenir également leurs armes propres & en bon état.

Outre ce traitement, le roi fait payer tant en paix qu’en guerre, vingt deniers par jour pour chaque sergent, & dix deniers pour chaque brigadier, cavalier, hussard, dragon & soldat, pour composer une masse toûjours complette, sans avoir égard aux hommes qui peuvent manquer dans les compagnies.

Cette masse est spécialement affectée aux dépenses principales & accessoires du renouvellement & de l’entretien de l’habillement, de l’équipement, & de l’armement des troupes. Le fonds en demeure entre les mains des trésoriers militaires, qui en donnent leurs reconnoissances aux majors ou autres officiers chargés du détail des corps, en deux billets comptables ; l’un à titre de grosse masse sur le pié de douze deniers par sergent, & de six deniers par brigadier, cavalier, hussard, dragon & soldat ; l’autre à titre de petite masse pour les huit deniers restans par sergent, & les quatre deniers par chacun des autres. Les fonds de la masse sont remis, sur la main-levée des inspecteurs généraux, aux entrepreneurs des fournitures d’habillement, d’équipement, & d’armement de chaque corps.

A l’égard des régimens d’infanterie étrangere qui sont au service du roi, & qui jouissent de traitemens différens des troupes nationales, il a été réglé une retenue de trois livres par homme sur le pié complet par mois, à titre de masse, sur la paye de paix de chaque compagnie, & de quatre livres dix sols sur la paye de guerre, dont l’emploi est affecté aux habillement, équipement, armement, & à la petite monture de ces régimens. La petite monture n’est autre chose que le linge & la chaussure dont nous avons dit que le soldat est obligé de s’entretenir sur sa solde. Pour prévenir les inconvéniens & le danger de sa négligence sur cet article qui intéresse essentiellement sa santé, on a établi une retenue journaliere sur sa paye, dont le fonds reste entre les mains de l’officier major de chaque corps. Il en fait manuellement la distribution tous les trois mois, après avoir examiné si toutes les parties de l’équipage militaire ou privé du soldat sont complettes & en bon état. Le décompte des cinq écus de campagne de la cavalerie, se fait avec la même attention en cinq payemens égaux, dans les mois de Juin, Juillet, Août, Septembre & Octobre de chaque campagne. La retenue est réglée à un sou par jour sur la solde des cavaliers, hussards & dragons, & à six deniers sur celle du soldat ; dans la pratique elle est pour l’ordinaire de deux sous pour la cavalerie, & d’un sou pour l’infanterie. Mais il ne suffit pas d’envisager ces objets sous un point de vûe général ; passons au détail des parties d’habillement, d’équipement & d’armement. La connexité & la dépendance réciproque de ces trois branches importantes de l’économie militaire, permettent de les associer sous un même article.

Habillement. L’habillement du cavalier est composé d’un justaucorps de drap de Lodeve ou de Berry, doublé de serge ou d’autre étoffe de laine ; d’une veste de peau de buffle, nommée le buffle ; d’un sarrau de toile pour panser les chevaux ; d’une culotte de peau à double ceinture, d’une seconde culotte de panne rouge, d’un chapeau de laine bordé d’un galon d’argent, & d’un manteau de drap fabriqué à deux envers.

Celui du hussard, d’une pelisse, d’une veste & d’une culotte à la hongroise, de drap bleu céleste, la pelisse doublée de peau en laine de mouton blanc ; d’une culotte de peau, d’un bonnet ou schakos de feutre blanc ou rouge, & d’un manteau de drap bleu de roi.

Celui du dragon, d’un justaucorps & d’une veste de drap doublés d’étoffe de laine, d’un sarrau de toile, d’une culotte de peau, d’une seconde culotte de panne, d’un chapeau bordé en argent, & d’un manteau.

Et celui du soldat, d’un justaucorps de drap doublé d’étoffe de laine, d’une veste de tricot ou d’autre étoffe équivalente aussi doublée, d’une culotte de même étoffe sans doublure, d’un caleçon de toile pour tenir lieu de doublure, & d’un chapeau bordé d’or ou d’argent faux. Les chapeaux des milices de terre sont bordés en poil de chevre blanc ; ceux des soldats garde-côtes en laine blanche, les bords ayant seize à dix-sept lignes de large.

Les justaucorps sont coupés sur des patrons de trois tailles, grande, moyenne & petite. Ceux de la moyenne doivent avoir trois piés quatre pouces six lignes de hauteur par-devant, & trois piés trois pouces six lignes par-derriere ; ceux de la grande taille un pouce & demi de plus ; ceux de la petite un pouce & demi de moins, & les largeurs proportionnées. Les buffles & vestes doivent être plus courtes de huit à neuf pouces que les justaucorps.

Les paremens des manches sont ronds, de six pouces de haut & de dix-huit pouces de tour ; les pattes sans poches, les poches placées dans les plis de l’habit. Celui du cavalier est garni de deux épaulettes ; celui du dragon d’une seule placée sur l’épaule gauche. Les quantités d’étoffes qui doivent entrer dans chaque partie d’habillement, sont déterminées par les ordonnances qu’on peut consulter.

Les brigadiers & carabiniers dans la cavalerie & dans les dragons à cheval, & les sergens, caporaux & anspessades dans les dragons à pié & dans l’infanterie, sont distingués par des galons d’or, d’argent ou de laine, diversement attachés sur les paremens des manches. Ces marques distinctives sont nécessaires dans les divers détails du service, & sur-tout pour l’accord & la régularité dans l’ordonnance des escadrons & des bataillons. Les tambours des régimens royaux sont habillés à la livrée du Roi ; ceux des régimens de gentilshommes à la livrée des colonels.

Les chapeaux doivent être fabriqués de laines d’agneaux, & exactement feutrés ; ceux de la cavalerie du poids de treize, quatorze & quinze onces, petits, moyens & grands ; ceux des dragons de douze, treize & quatorze onces ; & ceux de l’infanterie de dix, onze & douze onces ; tous d’environ quatre pouces de hauteur de forme, à peine de confiscation & d’amende contre les fabriquans & entrepreneurs, en cas de contravention.

Lorsque les cavaliers, hussards, dragons ou soldats d’une compagnie ne se trouvent pas habillés, équipés & armés, suivant le prescrit des ordonnances, l’inspecteur général ou le commissaire des guerres chargé de la police du corps, ordonnent la retenue des appointemens du capitaine, jusqu’à ce que sa troupe ait été mise de tout point en bon état.

Et lorsqu’après six ans de service ils reçoivent leurs congés absolus dans l’ordre de leur ancienneté, ils emportent de droit leur habit, linge & chapeau ; mais le capitaine a l’option de leur laisser l’habit, ou de leur donner à chacun quinze livres comptant, en les renvoyant avec la veste, le linge & le chapeau.

Equipement. L’équipement du cavalier est composé d’une cartouche à douze coups, d’une bandouliere de buffle, d’un ceinturon aussi de buffle à deux pendans, de bottes molles, guêtres & souliers, d’une besace de toile de coutil, de chemises, col noir & bonnet, de gants, cordon de sabre & coquarde.

Celui du hussard, d’une cartouche à vingt coups, d’une bandouliere, d’un ceinturon & de bottes molles à la hongroise, d’une écharpe & d’un sabretache rouges, d’une besace, de chemises, col noir, bonnet, gants & cordon de sabre.

Celui du dragon, d’une demi-giberne à trente coups, d’une bandouliere, d’un ceinturon à un pendant, de bottines, guêtres & souliers, d’une besace, de chemises, col, bonnet, gants, cordon de sabre & coquarde.

Et celui du fantassin, d’une demi-giberne à trente coups, d’une bandouliere, d’un ceinturon en couteau de chasse, d’un havresac de coutil, de chemises, col, bonnet, guêtres, souliers & coquarde. Le grenadier a une giberne & un ceinturon à deux pendans.

Tout ce qui compose l’équipage du soldat, étant d’un usage indispensable & de nécessité physique, on doit avoir grande attention à ce qu’il soit exactement complet : mais on ne doit pas en donner moins à empêcher qu’il ne se charge de nippes & d’effets superflus, qui dans les marches accablent par leur poids les hommes & les chevaux, en même-tems qu’ils amollissent le soldat dans le repos : « on peut savoir que jamais on n’a prétendu rendre la discipline & la vigueur à une armée, qu’en bannissant le luxe relatif ; que les soldats & les subalternes ont leur luxe ainsi que les autres ».

La visite des besaces & havresacs fait partie des devoirs des maréchaux des logis dans la cavalerie, & des sergens dans l’infanterie, sous l’autorité des officiers respectifs. Cet objet pour être moins relevé, n’en est pas moins important, & ne seroit pas indigne de l’attention des officiers supérieurs ; mais loin de s’y abaisser, eux-mêmes ne tombent que trop souvent dans l’excès à cet égard, par la quantité & la vaine somptuosité de leurs équipages de guerre. La nation ne peut se dissimuler le besoin qu’elle a d’exemples d’austérité & de simplicité en ce genre.

Nous ne rappellerons pas ici ce que nous avons dit ailleurs de plusieurs menus effets & ustensiles dont la cartouche, la giberne & la demi-giberne doivent être garnies (voyez Giberne), non plus que ce qui a trait à l’équipement des chevaux de la cavalerie. Voyez les institutions militaires de M. de la Porterie.

Armement. L’armement du cavalier est composé d’un mousqueton, de deux pistolets & d’un sabre, avec un plastron & une calotte.

Celui du hussard, d’un mousqueton, de deux pistolets & d’un sabre.

Celui du dragon, d’un fusil avec la bayonnette à douille, d’un pistolet & d’un sabre.

Et celui du fantassin, d’un fusil avec la bayonnette, & d’une épée, excepté le grenadier qui porte un sabre au lieu d’épée. Voyez Grenadier.

La longueur du mousqueton est de trois piés six pouces six lignes, le canon ayant deux piés quatre pouces.

Celle du fusil, de quatre piés dix pouces, le canon ayant trois piés huit pouces depuis la lumiere jusqu’à l’extrémité.

Celle du pistolet monté, de seize pouces.

Le calibre des mousquetons, fusils & pistolets, est reglé à une balle de dix-huit à la livre.

La bayonnette à dix-huit pouces de longueur, la douille comprise.

Le sabre est la principale arme de la cavalerie, comme l’est pour l’infanterie le fusil armé de sa bayonnette.

Le sabre de la cavalerie & des dragons est monté à poignée de cuivre à double branche, la lame à dos, de trente-trois pouces de longueur.

Celui des hussards courbé, à monture de cuivre, la poignée couverte de cuir bouilli crenelé, la lame à dos, de trente-cinq pouces de longueur, & de quatorze lignes de large.

Celui du grenadier aussi courbé, à poignée & monture de cuivre, la lame à dos, de trente-un pouces de long.

L’épée à monture de cuivre, la lame à dos, de vingt-six pouces de longueur.

Le sentiment de plusieurs bons officiers de nos jours, étoit qu’on supprimât l’épée du fantassin, comme superflue au moyen de la bayonnette, & incommode dans une action. Pour bonnes considérations sans doute, on a adopté le parti contraire ; mais en même tems on a dépouillé cette arme de ce qui la rendoit embarrassante. La monture est unie, à demi-coquille, & la lame courte & forte : c’étoit ainsi que la portoient les Romains, nos modeles & nos maîtres dans la science des armes.

Chaque chambrée doit être pourvûe, paix ou guerre, d’une tente, d’une marmite, d’une gamelle & d’un barril ou bidon ; & chaque compagnie de cavalerie & de dragons, en guerre, de sacs à fourrages & de hachoirs.

Les dragons à cheval portent au lieu du second pistolet, une hache, une pelle, ou autre outil propre à remuer la terre & à ouvrir des passages.

Dans chaque compagnie de dragons à pié de soixante hommes, il y a vingt outils, dont huit grosses haches, quatre pelles, quatre pioches, & quatre serpes.

Il doit y en avoir dix dans chaque compagnie d’infanterie de quarante hommes, dont trois pelles, trois pioches, deux haches & deux serpes.

Dans les compagnies de grenadiers, dix grenadiers portent de grosses haches, tous les autres des haches à marteaux, avec des pelles & pioches.

Les outils sont enfermés dans des étuis de cuir ; il seroit à desirer que l’on fournît aussi des sacs de toile pour les marmites & gamelles.

Milices. Il n’y a point de masse établie pour l’habillement & l’armement des milices. Le Roi y pourvoit directement en faisant verser de ses magasins & arsenaux & répartir dans les provinces, les parties nécessaires à chaque bataillon.

L’équipement des soldats de milice est fourni par les paroisses pour lesquelles ils servent, & composé pour chacun d’une veste & d’une culotte, d’un chapeau, d’une paire de guêtres & d’une paire de souliers, de deux chemises, un col noir & un havresac.

Officiers. L’habillement des officiers doit être en tout semblable à celui du soldat, excepté que les étoffes sont d’une qualité supérieure. Leurs manteaux ou redingottes doivent être aussi des couleurs affectées à chaque régiment. Il est expressément défendu aux officiers de porter, étant à leurs corps, d’autre habit que l’uniforme, comme le plus décent & le plus convenable pour les faire reconnoître & respecter du soldat ; comme aussi d’y faire des changemens, ni d’y ajoûter aucuns ornemens superflus, sous peine d’interdiction.

L’armement des officiers est composé pour la cavalerie de deux pistolets, d’une épée à monture de cuivre doré, la lame à dos de trente-un pouces de long, & d’une cuirasse.

Pour les hussards, de deux pistolets & d’un sabre courbé, la monture de cuivre doré, la lame pareille à celle des hussards.

Pour les dragons, d’un fusil avec la bayonnette, de deux pistolets, & d’une épée semblable à celles de la cavalerie, avec une gibbeciere garnie de six cartouches.

Et pour l’infanterie, d’un esponton & d’une épée.

Les officiers & les sergens de grenadiers sont armés de fusils & bayonnettes avec la gibbeciere ; les sergens des compagnies de fusiliers, de hallebardes & d’épées.

Le haussecol n’est ni arme, ni armure : il est seulement la marque du service actuel des officiers d’infanterie, ainsi que le sont les bottes & les bottines, du service actuel des officiers de cavalerie & de dragons.

On a souvent proposé de faire armer tous les officiers & sergens d’infanterie, comme le soldat : c’étoit bien aussi le sentiment de M. le maréchal de Puysegur, qui doit être d’un grand poids dans cette matiere. Ce qui forme un puissant préjugé en faveur de cette méthode, c’est qu’encore qu’elle soit proscrite par les ordonnances, la pratique ordinaire des officiers dans une action, est d’abandonner l’esponton, & de saisir un fusil armé de sa bayonnette. Voici une nouvelle autorité : « Le fusil avec sa bayonnette, dit un auteur accrédité, étant tout-à-la-fois arme à feu & hallebarde, pourquoi les sergens & officiers n’en portent-ils pas ? Pourquoi se prive-t-on ainsi de cinq armes par compagnie, qui seroient portées par ce qu’il y a de meilleur » ?

Nous avons dit que le soldat doit entretenir son armure, & y faire les menues réparations dont elle a besoin : il faut l’obliger aussi à la tenir dans la plus grande propreté. « Les Romains avoient fort à cœur cette propreté dans leurs soldats ; ils les forçoient à nettoyer & à fourbir souvent leurs cuirasses, leurs casques & leurs lances, persuadés que l’éclat des armes imposoit beaucoup à l’ennemi ».

Nous ne parlerons pas ici des uniformes des officiers généraux, de ceux des états-majors des armées, des aides-de-camp, des commissaires des guerres, des chirurgiens militaires, & d’autres établis par divers réglemens auxquels nous renvoyons. On s’étonne qu’il n’en ait pas encore été déterminé un pour les officiers des états-majors des places de guerre, qui puisse en toute occasion les faire reconnoître dans les fonctions importantes & purement militaires dont ils sont chargés.

Il est défendu à tous sujets, autres que les militaires, de porter aucun habit uniforme des troupes ; à tous marchands d’en acheter & exposer en vente, même d’en garder dans leurs magasins, à peine de confiscation & de deux cents livres d’amende ; & à tous cavaliers, hussards, dragons & soldats, de vendre leurs habits, armes ou autres effets uniformes, sous peine des galeres perpétuelles.

Les officiers même ne peuvent vendre les armes de leurs compagnies, à peine de cassation ; ni les armuriers ou autres, les acheter, à peine de confiscation & de cinq cents livres d’amende. Les armes de réforme sont déposées dans les arsenaux du Roi, & Sa Majesté, sur l’estimation qui en est faite, pourvoit au dédommagement des capitaines.

Ils doivent faire retirer des hôpitaux les habillemens, armemens, effets & argent des soldats décédés, dans l’an & jour de la date du décès ; ce tems passé, ils demeurent au profit des entrepreneurs des hôpitaux.

Aucun officier ne doit habiller ses valets de l’uniforme du soldat, à peine contre l’officier de cassation, & contre les valets, d’être punis comme passe-volans.

M. le maréchal de Saxe, dont la mémoire est à jamais consacrée dans nos fastes militaires, avoit suggéré plusieurs changemens avantageux dans l’habillement de nos troupes ; mais ses idées sur cet article, toutes lumineuses & salutaires qu’elles sont, paroissent à beaucoup d’égards trop éloignées de nos mœurs, & peut-être de nos préjugés. Nos yeux seroient blessés de l’aspect d’un bataillon chaussé de sandales semelées de bois, & de soldats en vestes, couverts de manteaux à la turque, avec des capuchons & des perruques de peau d’agneau. D’ailleurs seroit-il bien aisé de soumettre à cet accoutrement sauvage l’esprit vain du soldat françois jaloux de parure, & qui pour l’ordinaire a autant d’amour propre que de bravoure ?

Nous pensons qu’on peut se fixer à ce qui est établi par rapport à l’habillement de nos troupes, surtout si les commandans des corps portent leur attention comme ils le doivent, à empêcher toute manœuvre contraire au bien du service dans cette partie, soit de la part des entrepreneurs toûjours avides, soit de celle des officiers députés des corps, qui ne sont pas tous également inaccessibles à la séduction. Cet habillement, dans sa bisarrerie même, est approprié aux usages & au caractere de la nation ; & cette conformité est une raison de préférence, parce qu’en matiere de goût & d’opinion, la volonté générale doit être consultée.

Les proportions reglées à trois hauteurs & largeurs, fournissent à toutes les tailles des justaucorps & des vestes amples & aisés. Nous voudrions que les culottes fussent plus hautes & plus profondes, afin de laisser plus de liberté aux mouvemens du soldat dans les exercices qui appartiennent à la gymnastique ; même qu’elles fussent garnies de ceintures très-larges, capables de garantir les reins contre l’humidité, lorsque le soldat est couché. Rien ne doit être négligé de ce qui tend à perfectionner les formes pour la plus grande commodité du service, & à conserver des hommes d’une espece si précieuse, sur-tout dans ce siecle belliqueux, & dans le déclin malheureusement trop sensible de notre population. Peut-être seroit-il plus avantageux encore de fournir au soldat des culottes de peau au lieu d’étoffe.

Il doit avoir deux paires de guêtres de toile, l’une blanche pour les revûes & les parades, l’autre noire pour les marches & le service ordinaire.

On a proposé de substituer aux havresacs de toile, ceux de peaux de chien ou de chevre garnies de poil, tels qu’ils sont en usage dans les troupes étrangeres ; ils ont la propriété de garantir les effets du soldat contre la pluie & l’humidité ; & cet avantage est sans doute bien desirable. On souhaiteroit aussi des outres de peau de bouc au lieu de barril, pour mettre la boisson du soldat.

Les besaces des cavaliers, hussards & dragons, sont faites en forme de porte-manteau, longues de l’épaisseur d’un cheval, & d’une grandeur déterminée sur la quantité de nippes, d’effets, ustensiles & denrées qu’elles doivent renfermer.

La chaussure & la coëffure des troupes sont deux points dignes de la plus grande attention, parce que la santé du soldat, conséquemment le complet des régimens & la force des armées, en dépendent essentiellement.

Les sandales ou galoches à semelles de cuir fort garnies de clous, ne sont point une nouveauté dans nos troupes. Beaucoup de vieux soldats éclairés par une longue expérience, en font leur chaussure ordinaire dans les mauvais tems. On a imaginé depuis peu pour nos troupes employées en Canada, des souliers ferrés à doubles semelles fortes, garnis de clous rivés entre deux cuirs, qui résistent long-tems aux plus rudes épreuves, & préservent le pié de toute humidité ; il seroit à desirer que l’usage en fût rendu général pendant l’hiver & dans les marches difficiles ; mais la vanité françoise révoltée ne manquera pas de proscrire encore cette salutaire invention.

Le maréchal de Saxe releve avec raison l’incommodité & le danger de la coëffure de nos soldats. « Je voudrois, dit-il, au lieu de chapeaux, des casques à la romaine ; ils ne pesent pas plus, ne sont point du tout incommodes, garantissent du coup de sabre, & font un très-bel ornement ». Il ajoûte plus bas : « Les casques sont un si bel ornement, qu’il n’y en a point qui lui soit comparable ».

Le régiment de hullans que ce général commandoit en France, étoit ainsi & très-bien coëffé : en effet, le casque donne au soldat un air de guerre que le chapeau ne pourra jamais lui prêter, quelque effort que l’on fasse pour lui donner de la grace par la maniere de le retaper.

Nous avons observé que les habits sont coupés sur des patrons de trois hauteurs & largeurs. Lorsque le tems & les lieux le permettent, la coupe se fait sur la taille des cavaliers, dragons & soldats ; ce qui est toûjours plus expédient. Si l’on n’en a pas l’aisance, la distribution partielle des justaucorps, vestes & culottes se fait d’un tiers de la grande taille, & de deux tiers de la moyenne pour la cavalerie, les dragons & les compagnies de grenadiers où les hommes sont ordinairement de haute stature & bien traversés ; & pour l’infanterie, de moitié de la moyenne taille, d’un quart de la grande, & d’un quart de la petite.

Le Roi, comme nous l’avons dit, fournit de ses magasins & arsenaux, l’habillement & l’armement aux bataillons de milice ; c’est l’usage, voici l’abus. L’officier qui n’attache pas plus de gloire qu’il n’a d’intérêt à la conservation de ces effets, n’y donne qu’une médiocre attention. Les armes dépérissent, l’habit s’use, & le soldat mal armé reste mal propre & mal vétu. Un inspecteur arrive, on exagere encore à ses yeux les besoins de la troupe ; il ordonne des radoubs aux armes, des réparations à l’habillement, & la dépense toûjours enflée tombe à la charge du Roi, qui bien-tôt après, est obligé de faire remplacer le tout à neuf.

Les visites des commissaires des guerres ne sont que des palliatifs contre le mal. Le spécifique seroit de charger les capitaines de milice, de l’entretien de l’habillement, de l’équipement & de l’armement de leurs compagnies, en leur accordant un traitement particulier affecté à cet objet, ou un fonds de masse sur le pié de celui des troupes reglées, pour les tems d’assemblée des bataillons de milice : le bien du service exige, l’humanité même sollicite ce changement ; & nous l’espérons du zele des ministres, malgré le jeu intéressé des ressorts secrets qui s’y opposent.

Il suffit d’avoir expliqué les réglemens généraux sur l’habillement, l’équipement & l’armement des troupes. Les bornes que nous nous prescrivons dans cet article ne nous permettent pas de parler des cas d’exception résultans soit de l’institution primitive, soit de la nature du service de quelques corps. Le détail des différences d’uniformes des régimens n’entre pas non plus dans notre plan ; on les distingue soit par la diversité des couleurs de l’habillement ou de quelques-unes de ses parties ; soit par la forme des pattes de poches, par le nombre, la couleur, le mélange ou l’arrangement des boutons ; soit enfin par la couleur des galons de paremens & des bords de chapeaux.

En général, la cavalerie est habillée de drap bleu, rouge, ou gris piqué de bleu, avec paremens & revers jusqu’à la taille en demi-écarlate.

Les dragons de drap bleu, rouge-garence ou en vermillon.

L’infanterie de drap gris-blanc, bleu, ou rouge.

Toutes les milices, soit de terre, soit garde-côtes, en drap gris-blanc.

Il seroit sans doute bien utile que chaque arme fût distinguée par sa couleur exclusive ; la cavalerie par le bleu, les dragons par le rouge, & l’infanterie par le gris-blanc, sans mélange de couleurs de l’un des corps à l’autre. L’attachement de quelques régimens aux anciens usages, ou à quelques antiques prérogatives, ne doit pas balancer les avantages sensibles qui résulteroient d’un tel réglement, ni empêcher l’établissement invariable de l’uniformité respective, si essentiellement nécessaire dans toutes les parties du genre militaire. (Article de M. Durival le cadet.)