L’Encyclopédie/1re édition/HÊTRE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 191-192).
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HÊTRE, fagus, s. m. (Bot.) genre de plante à fleur arrondie & composée de plusieurs étamines qui sortent d’un calice fait en forme de cloche. Les embryons naissent sur le même arbre séparément des fleurs, & deviennent des fruits durs & pointus, qui s’ouvrent par la pointe en quatre parties & qui renferment ordinairement deux semences à trois côtes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante.

Hêtre, s. m. (Hist. nat. Botan.) le hêtre est un grand arbre, qui se trouve communément dans les forêts des climats tempérés de l’Europe. Il grossit, s’éleve, s’étend plus promptement, & fournit plus de bois qu’aucun autre arbre ; il prend une tige droite, dont la tête se garnit de beaucoup de branches : cet arbre se fait distinguer par son écorce qui est lisse, unie & d’une couleur cendrée fort claire ; en général, il plaît à la vue par la grande vivacité qui l’annonce de loin. Ses feuilles ovales de médiocre grandeur & d’une verdure brillante sont placées alternativement sur les branches. Le hêtre donne au printems des fleurs mâles ou chatons de figure ronde, qui paroissent en même tems que les feuilles. Le fruit qui vient séparement est renfermé dans une espece de brou qui est hérissé de piquans, il s’y trouve ordinairement deux graines qui sont oblongues & triangulaires : on donne à ce fruit le nom de faine. Le brou, qui lui sert d’enveloppe, s’ouvre au mois d’Octobre, & laisse tomber le fruit ; c’est l’annonce de sa maturité.

Cet arbre, par sa stature & son utilité, se met au nombre de ceux qui tiennent le premier rang parmi les arbres forestiers ; il est vrai qu’à plusieurs égards il est inférieur au chêne, au châtaignier & à l’orme, qui ont généralement plus d’utilité ; mais le hêtre consideré par le volume de son bois, par la célérité de son accroissement, & par la médiocrité du terrein où il prospere, peut entrer en parallele avec des arbres plus recommandables.

Cet arbre est très-propre à former un bois, lorsque la forme du sol & la qualité du terrein ne permettent pas au chêne d’y dominer. Le hêtre se plaît dans les lieux froids sur le penchant & au sommet des montagnes ; il se contente d’un terrein peu substantiel ; il vient bien dans les terres crétacées, & même dans le sable & le grai, lorsqu’il y a un peu d’humidité ; il réussit sur-tout dans les terres grasses & argilleuses, lorsque le sable y domine. Ses racines ne s’enfoncent pas si profondement que celles du chêne, mais dans les terreins dont on vient de parler, elles parviennent où celles du chêne ne pourroient pénétrer. Le hêtre craint la trop grande humidité, il se refuse aux terres fortes ou marécageuses, & à celles qui sont trop superficielles.

On éleve le hêtre en semant la faine. Il faut qu’elle tombe d’elle-même pour être en parfaite maturité ; ce qui arrive dans le courant du mois d’Octobre : comme il seroit difficile & couteux de la faire ramasser grain à grain, on rassemble & on enleve avec les deux mains tout ce qui se trouve sous les hêtres, graines, feuilles & enveloppes, que l’on met dans des sacs ; ensuite on vanne le tout, & quand la faine est bien nettoyée, on la passe à l’épreuve de l’eau dans un baquet, dont on rejette les grains que leur défectuosité fait surnager. On peut semer la faine depuis le mois d’Octobre jusqu’à celui de Février ; plutôt on s’y prend, mieux elle leve : il est vrai qu’en se hâtant, il y a des risques à courir : les rats, les souris, les mulots, & tous les insectes qui vivent sous la terre en sont très-avides : en sorte que dans les années où ces animaux surabondent, ils détruisent presque tout le semis. Dans ce cas, on doit prendre le parti de conserver la faine pendant l’hiver dans du sable qu’il faut toujours tenir séchement pour l’empêcher de germer : cet avancement seroit sujet à inconvénient ; la faine en levant jette au bout des feuilles seminales l’enveloppe de son amande ; si quand on seme, la germination étoit faite, les germes qui sont si foibles alors, resteroient couchés sous terre faute de point d’appui pour se relever & pousser dehors leur enveloppe. On ne peut semer la faine que dans un terrein léger & assez cultivé pour qu’il puisse favoriser la sortie des enveloppes dont on vient de parler. Quand on veut semer un grand canton, si le terrein a été cultivé de longue main pour rapporter du grain, on y fera faire un seul labourage à la charrue ; ensuite on semera la faine, même avec le sable si elle y a été mêlée ; puis, en y faisant passer la herse, elle se trouvera suffisamment enterrée. Si le semis a été fait après l’hiver, les graines leveront en moins d’un mois : les gelées de printems ne lui causent aucun dommage. Les plants feront bien peu de progrès les premieres années ; ils seront foibles, branchus, raffauts ; il faudra les couper après la quatrieme année pour les fortifier & leur faire prendre une tige.

De tous les arbres de nos forêts, le hêtre est celui dont la transplantation est moins de ressource ; soit que l’on veuille regarnir un grand canton de bois, ou en former un médiocre, on s’avise souvent de faire arracher de jeunes plants dans les forêts, & de les faire planter dans les places que l’on veut mettre en bois ; c’est un bien mauvais parti à prendre : il n’y aura guere moins de desavantage à se servir de jeunes plants venus en pepiniere. On fait ordinairement ces plantations dans un terrein inculte, après n’avoir fait creuser que de fort petits trous ; la transplantation se fait fort négligemment, tout périt. Si l’on veut prendre de plus grandes précautions pour les creux & la culture, la dépense sera immense ; encore le succès sera-t-il fort incertain. Quoi qu’il en soit, si l’on veut risquer cette pratique, les plants d’environ deux piés de hauteur sont les plus propres à transporter : ceux qui sont plus petits n’ont pas assez de racines. Il faut bien se garder de trop retrancher ni de la tête ni des racines ; on doit s’en tenir à couper le pivot, à tailler la petite cime, & à chicotter les branches.

Quoique le hêtre soit un grand & bel arbre, d’une forme réguliere & d’un aspect agréable, on n’en fait nul usage pour l’ornement des jardins ; c’est un arbre commun, un arbre ignoble, on le méprise. Cependant il y a des terreins qui se refusent à la charmille, & où le hêtre formeroit les plus belles & les plus hautes palissades : c’est sur-tout à ce dernier usage qu’on pourroit l’appliquer avec le plus de succès. Ces palissades brisent les vents & résistent à leur impétuosité mieux qu’aucun autre arbre ; il ne faut pas les tailler en été. Le hêtre fait beaucoup d’ombre, qui est nuisible à tout ce qui croît dessous : ses feuilles données en verd au bétail lui font une bonne nourriture ; quand elles sont seches on en peut faire des paillasses, & lorsqu’elles sont à demi pourries, elles sont propres à engraisser les terres.

Le bois du hêtre est d’une grande utilité ; mais on ne le fait servir qu’à de petits usages, qui, à la vérité, s’étendent à une infinité de choses. Nos charpentiers ne s’en servent pas ; il est trop cassant, trop sujet à la vermoulure. Cependant les Anglois, qui par la rareté du bois, sont obligés de faire usage de tout, trouvent moyen d’employer le hêtre à de gros ouvrages. Ecoutons Ellis, auteur anglois, qui a donné en 1738, sur la culture des arbres forestiers, un traité fort petit, mais qui contient beaucoup de faits. « Le bois du hêtre, dit cet auteur, est propre à faire des membrures & des planches dont on peut former des parquets, planchers de greniers, & faire des boiseries ; l’aubier de ce bois est celui de tous les arbres qui dure le moins, & où les vers font le plus grand dommage : il faut absolument l’enlever avant d’employer ce bois, qui sans cela, se tourmenteroit pendant plusieurs années. Mais si on veut rendre les planches & les membrures de bonne qualité, il faut les jetter dans l’eau immédiatement après leur sciage, & les y laisser pendant quatre ou cinq mois. Plus les planches sont minces, moins le ver les attaque. Si l’on vouloit employer le hêtre dans les bâtimens, il faudroit soutenir à trois piés au-dessus de terre des grosses pieces de ce bois, faire du feu par-dessous avec des copeaux & du fagotage jusqu’à ce que les pieces aient pris une couleur noire & une croûte ; il faut plonger ensuite les extrémités des pieces dans de la poix fondue, & les employer dans les étages élevés. Au lieu de couper cet arbre en hiver, comme cela se pratique ordinairement, il faut l’abattre dans le plus grand été, & dans la force de la seve. Par expériences faites, les arbres coupés en été, ont duré fort long-tems, & ceux coupés en hiver, ont été percés par les vers, & se sont pourris en fort peu d’années. Après que l’on aura coupé ces arbres en été, il faudra les laisser un an en grume, les retourner de tems en tems, ensuite les façonner, puis les jetter dans l’eau ». Les Charrons, les Menuisiers, les Tourneurs, les Layettiers, les Gainiers, les Sabottiers, &c. font grand usage de ce bois ; on lui donne de la consistence & de la durée, soit en vernissant la menuiserie, ou en passant à la fumée les autres ouvrages. Ce bois dure long-tems en lieu sec ; il est incorruptible sous l’eau, dans la fange, dans les marécages ; mais il périt bientôt s’il est exposé aux alternatives de la sécheresse & de l’humidité : c’est le meilleur de tous les bois à brûler & à faire du charbon.

La faine a aussi ses usages : elle a le goût de noisette ; mais l’astriction qui y domine la rend peu agréable à manger ; elle sert à engraisser les porcs & à faire de l’huile qui est bonne à brûler, à faire de la friture & même de la patisserie ; enfin on en fait du pain dans les tems de disette. Nous avons appris aux Anglois à s’en servir.

On ne connoît encore qu’une espece de hêtre qui a deux variétés ; l’une a les feuilles panachées de jaune, & l’autre les a panachées de blanc. On peut multiplier ces variétés en les greffant sur l’espece commune.