L’Encyclopédie/1re édition/HÉPATITE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 135-137).

HÉPATITE, sub. fém. (Hist. nat. Lithologie.) nom donné par les anciens à une pierre rougeâtre, dont la couleur ressembloit à celle du foie. On croit que c’étoit une mine de fer assez pauvre : quelques auteurs ont cru que ce nom avoit été donné à une espece de marne. Quelques naturalistes de la Suisse entendent par hépatite, une espece de terre argilleuse, qui a la consistence d’une pierre tendre. (—)

Hépatite, (Medecine.) ἡπατῖτις, hepatitis, c’est un terme reçû parmi les Medecins, pour designer l’inflammation du foie, & même en général, selon quelques-uns, toute affection aiguë de ce viscere.

Les anciens étoient dans l’usage d’ajouter la terminaison itis, au nom de la partie affectée, pour former celui de la maladie de cette même partie ; ainsi ils se servoient des mots phrenitis, pleuritis, nephritis, arthritis, pour signifier les lesions de fonctions du cerveau, de la plévre, des reins, des articulations, & particulierement l’état d’inflammation de ces parties.

Comme les arteres qui portent le sang au foie sont peu considérables, en comparaison du volume de ce viscere, & que le sang qui est porté dans sa substance par le tronc de la veine-porte, a un mouvement très-lent, attendu qu’il n’a que celui qu’il tient du sang des veines du bas-ventre, qui concourent à le former, & qu’il ne participe que d’une maniere très-éloignée à l’action impulsive du cœur & des arteres ; il suit de-là que la véritable inflammation du foie ne doit pas être bien commune, & que ce viscere doit être bien plus susceptible des vices qui établissent les maladies chroniques, tels que les obstructions qui doivent par conséquent y être d’une nature plus difficile à détruire, que dans toute autre partie. Ce sont ces considérations qui ont déterminés de célebres medecins à penser que si l’inflammation du foie ne doit pas être rangée parmi les êtres de raison, on doit tout au-moins convenir que c’est une espece de maladie aiguë qui se présente très-rarement dans la pratique de la Medecine. Tel est le sentiment d’Hoffman, entre autres auteurs de grande réputation, qu’il a établi dans une dissertation à cet effet, de hepatis inflammatione verâ rarissimâ, spuriâ frequentissimâ, Opusc. Pathol. practic. de cod. II. dissert. viij.

Cependant, comme il ne laisse pas d’y avoir des observations anatomiques, par lesquelles il conste qu’il s’est fait quelquefois des amas de matiere purulente dans la substance du foie, qui ne pouvoient être attribués à des métastases, mais à l’effet des symptomes qui avoient donné lieu avant l’inspection anatomique, de juger que ce viscere étoit affecté immédiatement d’inflammation ; il n’est pas possible de se refuser absolument à le regarder comme susceptible de cette sorte d’affection.

Ainsi les praticiens qui font mention de l’hépatite, la distinguent principalement en tant qu’elle peut avoir son siege dans la partie concave ou dans la partie convexe du foie. Les signes auxquels on reconnoît la premiere espece, sont le hocquet, la toux seche, la respiration gênée, les nausées, le vomissement, la cardialgie, l’ardeur & la douleur fixe que le malade ressent sous le scrobicule du cœur, du côté droit, & la constipation, la fievre, la soif, & les anxiétés qui la suivent. La plûpart de ces symptomes doivent être attribués au rapport qui se trouve entre la partie affectée, le diaphragme & l’estomac ; ce qui pourroit faire confondre l’inflammation de ce dernier organe, avec celle de la partie du foie dont il s’agit ; si on ne distinguoit celle-là en ce que les douleurs & la disposition au vomissement sont constamment augmentées par le contact & le poids des alimens à mesure qu’ils sont reçûs dans l’estomac ; ce qui n’a point lieu relativement au foie. La fievre & la soif sont une suite de la douleur ou des digestions & des secrétions viciées, conséquemment aux vices préétablis dans le foie, qui l’ont disposé à l’inflammation. La constipation dépend de ce que l’irritation inflammatoire se communiquant aux conduits de la bile dans les intestins, le cours de ce fluide qui y forme un clystere naturel, en est gêné, & ne coule que peu ou point du tout dans le canal intestinal ; d’où suit souvent le reflux de la bile dans la masse du sang ; ce qui devient une cause d’ictere, de dégoût ; ce qui rend les urines jaunes, &c. Voyez Jaunisse.

L’inflammation à la partie concave du foie se distingue principalement par une douleur gravative & comme pungitive, le long des fausses côtes du côté droit, avec un sentiment de constriction dans le bas de la poitrine du même côté, accompagné de toux, de gêne dans la respiration sans hocquet, & de fievre continue ; en sorte que ces différens symptomes donnent à cette sorte d’hépatite les apparences d’une inflammation dans les parties inférieures de la plevre, qui en differe cependant ; parce que dans celle-là l’embarras dans la respiration & la fievre sont moins considérables, & que la douleur se fait sentir au-dessous du diaphragme : d’ailleurs la pleurésie se dissipe plus aisément, & se termine ordinairement le plus tard au septieme jour ; au lieu que l’hépatite est le plus souvent très-lente dans ses progrès, & sur-tout dans le cas où elle prend une mauvaise tournure & qu’elle dégenere en abscès.

Dans l’une & l’autre espece d’hépatite, les malades ne peuvent se tenir couchés sur les côtés, à cause des compressions douloureuses qui en résultent pour la partie affectée, ou par la raison des tiraillemens, des suffocations, qu’occasionne la pesanteur extraordinaire du foie suspendu au diaphragme ; ce qui est bien différent des symptomes qui empêchent aussi les pleurétiques de se tenir couchés sur les côtés. Voyez Pleurésie.

On distingue aussi les douleurs qui accompagnent l’inflammation du foie, de celles qui font la colique proprement dite, par les symptomes qui intéressent la respiration dans celle-là, & qui ne se trouvent point dans celle-ci, non plus que dans l’inflammation des muscles du bas-ventre à la région épigastrique, qui peut aussi en imposer d’abord pour une hépatite, mais dont on fait la différence par la pulsation & la tumeur qui se font sentir dans cette région, dont l’on ne peut pas s’appercevoir dans l’hépatite, à cause des parties intermédiaires ; à moins que le volume du foie ne s’étende beaucoup au-dessous des côtes, & que la tumeur particuliere n’y soit bien considérable ; mais dans ce cas on la sent toûjours profonde ; ce qui n’a pas lieu par rapport à celle des muscles, qui se présente toûjours plus au-dehors avec une pulsation plus sensible.

Les causes de l’inflammation au foie sont en général les mêmes que celles qui peuvent produire l’inflammation dans toute autre partie ; mais on distingue particulierement les contusions, les chûtes sur l’hyppochondre droit, qui portent leur effet sur ce viscere ; une grande abondance de graisse qui enveloppe les autres visceres du bas-ventre, lorsqu’elle se met en fonte par une suite de mouvemens, d’exercices violens, qui charge de ce suc huileux devenue rance, acrimonieux, le sang de la veine-porte ; l’atrabile dominante, des matieres purulentes répandues dans la masse des humeurs, & déterminées vers les vaisseaux du foie, les emplastiques irritans, les ventouses appliquées à la région hypochondriaque droite.

La disposition des vaisseaux qui se distribuent à ce viscere & les observations anatomiques, déterminent à attribuer principalement à l’artere hépatique, les inflammations de la partie convexe du foie, & à la veine-porte, celles de la partie concave : dans celle-là les symptomes sont plus violens, la fievre plus ardente que dans celle-ci.

L’hépatite en général est toûjours un mal très-dangereux, & qui fait le plus souvent périr les malades : plus la fievre qui l’accompagne est ardente, plus l’inflammation est considérable, & tient de la nature de l’érésypele ; cependant on observe dans tous les cas que cette sorte d’inflammation se termine difficilement par la résolution : ce qui ne peut même avoir lieu que quand l’engorgement inflammatoire a son siége dans les arteres hépatiques ; mais lorsqu’il a son siége dans les rameaux de la veine-porte, il peut arriver qu’ils se dégorgent par erreur de lieu dans les colatoires de la bile, & y fournissent la matiere d’un flux hépatique. Voyez Hépatique (flux.) Mais il y a plus à craindre encore que l’inflammation ne tourne à la gangrene ; ce qui fait périr au troisieme ou au quatrieme jour de la maladie : mais elle dégénere plus communément en skirrhe ou en abscès, dont la matiere s’évacue quelquefois par la voie des selles ; ce qui est le moins défavorable ; ou elle se répand dans la capacité du bas-ventre ; ce qui fait une sorte d’empyeme, qui peut produire des effets très-fâcheux sur les visceres qu’il affecte ; ou la matiere de l’abscès est portée dans la masse des humeurs, & s’en sépare ensuite par la voie des crachats ou des urines. Dans ces différens cas, l’hépatite conduit à la fievre hectique, à la consomption ou à l’hydropisie ; les urines abondantes & l’hémorrhagie par la narine droite, sont regardés comme des signes très-favorables dans les commencemens de l’hépatite : mais le fréquent hocquet dans cette maladie est toûjours un très-mauvais signe, selon l’observation d’Hyppocrate, Aphor. xvij. sect. 7. & celle de Forestus, lib. XIX. obs. 8.

Le traitement de cette inflammation est le même en général que celui de la pleurésie ou de toute autre maladie inflammatoire. Voyez Inflammation, Pleurésie, &c. Il faut toûjours tendre à favoriser la résolution par les antiphlogistiques savonneux, nitreux ; sur-tout les applications, les fomentations émollientes, resolutives sur le côté affecté, peuvent être employées utilement pour satisfaire à cette indication, particulierement dans le cas où l’hépatite a son siége dans la partie du foie qui répond aux hypochondres. Si on ne peut pas empêcher la suppuration de se faire, & que la matiere prenne son cours par la voie des selles, on doit faire usage de ptisannes, de clysteres émolliens, mucilagineux, détersifs, pour corriger la qualité acrimonieuse de cette matiere, & empêcher les impressions nuisibles qu’elle peut produire dans le canal intestinal. Si cette matiere est portée par la voie des urines, les diurétiques adoucissans conviennent ; & si elle s’épanche dans la cavité du bas-ventre, il n’y a pas d’autre moyen de l’en tirer que par l’opération de l’empyeme, telle qu’elle doit être pratiquée dans ce cas. Voyez Empyeme.

Si l’abscès se forme de maniere à pouvoir y atteindre des parties extérieures de la région du foie, on tente d’en faire l’ouverture selon les regles de l’art. Voyez Absces.

Si l’inflammation du foie se termine par l’induration, il faut se hâter d’y apporter remede avant que le mal soit devenu incurable, en suivant les indications prescrites, pour détruire ses obstructions & le skirrhe des visceres, lorsqu’ils commencent à se former. Voyez Obstruction, Skirrhe, Foie (Physiol. & Pathol.) Viscere.