L’Encyclopédie/1re édition/GROTTE

GROU  ►

GROTTE, s. f. cripta, (Hist. nat.) On nomme ainsi les cavernes, les creux ou les espaces vuides qui se rencontrent dans le sein de la terre, & surtout dans l’intérieur des montagnes. Buttner & la plûpart des Naturalistes attribuent la formation des grottes aux bouleversemens causés par le déluge universel ou par d’autres révolutions particulieres, telles que celles qu’ont pu causer les feux soûterreins ; ou aux eaux qui en pénétrant au-travers des montagnes & des roches qui les composent, ont entraîné & détaché les substances, telles que la terre, le sable, &c. qui leur présentoient le moins de résistance, & n’ont laissé subsister que les plus solides qu’elles n’ont pû entraîner avec elles. Les grottes varient pour la grandeur & pour les phénomenes qu’elles présentent ; il n’y a guere de pays montagneux où l’on n’en trouve quelques-unes.

La grotte de Baumann, située dans le duché de Brunswick, entre Blankenbourg & Elbingrode, est une des plus fameuses que l’on connoisse en Europe ; elle est d’une étendue très-considérable, & composée d’un grand nombre de cavernes qui communiquent les unes aux autres. Ces cavernes sont remplies de stalactites & de concrétions pierreuses, qui offrent aux yeux des figures tout-à-fait singulieres, & que l’imagination prévenue rend peut-être encore plus merveilleuses. Il y auroit même lieu de soupçonner que l’art a quelquefois aidé à perfectionner des ressemblances que la nature n’avoit fait qu’ébaucher ; tel est peut-être le cheval, &c. que l’on dit être ou avoir été dans cette grotte. On trouve encore dans la roche qui forme cette grotte, des ossemens d’animaux, que la crédulité a fait regarder comme des os de géants. L’on vante encore l’unicornu fossile, ou le squelette d’un animal fabuleux appellé licorne, mais que l’on ne regarde actuellement que comme le squelette du poisson appellé narwal. Voyez Behrens, Hercynia curiosa.

Le célebre Tournefort nous a donné dans son voyage du Levant, tome I. pag. 190. une description très-curieuse de la fameuse grotte d’Antiparos, dans l’Archipel : elle est remarquable par la beauté des stalactites & des concrétions d’une forme singuliere qu’elle présente. Ces stalactites sont de l’espece de marbre veiné & couleur d’onyx, que l’on nomme communément albâtre oriental, & qui ne doit être regardé que comme un marbre plus épuré, entraîné par les eaux, & déposé ensuite sur les parois de la grotte par ces mêmes eaux, après qu’elles ont été filtrées au-travers de la pierre.

La France fournit un grand nombre de grottes, aussi curieuses & intéressantes pour les observateurs de l’Histoire naturelle, que celles d’aucune autre contrée de l’Univers : telle est entre autres la grotte ou caverne d’Arcy dans la Bourgogne, décrite à l’article Arcy, sans compter celles qui se trouvent en plusieurs autres endroits du Dauphiné, de la Franche-Comté, &c. & en général dans les pays montagneux. Voyez l’artic. Glaciere naturelle. La plûpart de ces grottes & cavernes sont sujettes à se remplir peu-à-peu, au point que des endroits où l’on passoit librement, se trouvent resserrés au bout d’un certain tems, & finissent même par se boucher entierement. Cela arrive par le concours continuel d’une eau chargée de parties lapidifiques, qui tombe goutte-à-goutte de la voûte ou partie supérieure de ces cavernes.

Les rochers dont les Alpes sont composés, sont remplis en quelques endroits de cavités ou de grottes, d’où les habitans de la Suisse vont tirer le crystal de roche. On reconnoît la présence de ces cavités, lorsqu’en frappant avec de grands marteaux de fer sur les roches, elles rendent un son creux. Ce qui les indique d’une maniere encore plus sûre, c’est une veine ou zone de quartz blanc, qui coupe la roche en differens sens ; elle est beaucoup plus dure que le reste de la roche. Les habitans de la Suisse la nomment bande ou ruban. Un autre signe auquel on connoît la présence d’une grotte contenant du crystal de roche, c’est lorsqu’il suinte de l’eau au-travers du roc, près des endroits où l’on a observé ce qui précede. Lorsque toutes ces circonstances se réunissent, on ouvre la montagne avec une grande apparence de succès, soit à coups de ciseau, soit à l’aide de la poudre à canon ; on forme ensuite un passage à peu-près semblable aux galeries des mines. On a remarqué qu’il se trouvoit toûjours de l’eau dans ces grottes ; elle s’amasse dans le bas après être tombée goutte à goutte par la partie supérieure.

Il y a tout lieu de croire qu’on acquerroit beaucoup de connoissances sur la formation des crystaux & des pierres, si on examinoit attentivement la maniere dont la nature opere dans les grottes, & si l’on analysoit par les moyens que fournit la Chimie, les eaux qu’on y rencontre, & auxquelles sont dus tous les phenomenes qu’on y remarque. Voy. Crystal, Crystallisation, & Pierre. (—)

Grotte du Chien, (Géogr. & Hist. nat.) en italien grotta del cane, buco velenoso, grotte ou caverne d’Italie, au royaume de Naples, célebre de tout tems par ses exhalaisons mortelles.

Les anciens l’ont nommé spiracula & scrobes Charoneæ ; Pline en fait mention liv. II. ch. cxiij. Elle est située proche du lac d’Agnano, entre Naples & Pouzzoles, sur le chemin qui conduit à cette derniere ville, à deux milles de la premiere, & au pié de la montagne appellée de nos jours la solfatara, autrefois forum Vulcani, & leucogæi colles.

Cette fameuse mofeta a pris le nom moderne qu’elle porte, de ce qu’on éprouve communément ses effets pernicieux sur les chiens ; elle ne laisse pas cependant d’être également funeste aux autres animaux qui se trouvent exposés à la portée de ses vapeurs. On dit que Charles VIII. roi de France en fit l’essai sur un âne, & que deux esclaves qui y furent mis la tête en-bas par ordre de Pédro de Tolede, vice-roi de Naples, y perdirent la vie ; je ne garantis point ces sortes de traits historiques : une exacte description de la grotte est ici l’objet le plus important.

Elle a environ huit piés de haut, douze de long, sur six de large. Il s’éleve de son fond une vapeur chaude, ténue, subtile, qu’il est aisé de discerner à la vûe. Cette vapeur ne sort point par petites parcelles, mais elle forme un jet continuel qui couvre toute la surface du fond de la grotte ; & il y a cette différence entre cette vapeur & les vapeurs ordinaires, que la vapeur malfaisante de la grotte du chien ne se disperse point dans l’air, & qu’elle retombe un moment après s’être élevée. La couleur des parois de notre grotte est la mesure de son élévation : car les parois sont d’un verd foncé jusque-là, & de couleur de terre ordinaire au-dessus, à la hauteur de plus de dix pouces.

Le docteur Méad s’est tenu debout dans la grotte, la tête haute, sans en recevoir aucune incommodité ; & tout animal dont la tête se trouve au-dessous de cette marque, ou que sa petitesse empêche de porter sa tête au-dessus de la vapeur, perd tout-d’un-coup le mouvement, comme s’il étoit étourdi ; ensuite au bout d’une trentaine de secondes, il paroît comme mort ou en défaillance : bien-tôt après ses membres sont attaques de tremblemens convulsifs ; à la fin, j’entends dans l’espace d’une minute, il ne conserve d’autre signe de vie qu’un battement presqu’insensible du cœur & des arteres, qui ne tarde même pas à cesser, lorsqu’on laisse l’animal un peu trop long-tems, je veux dire deux ou trois minutes, & pour lors sa mort est infaillible. Si au contraire, d’abord après la défaillance on le tire dehors de la grotte, il reprend ses sens & ses esprits, sur-tout lors qu’on le plonge dans le lac d’Agnano, qui est à vingt pas de-là.

Cette derniere circonstance n’est point toutefois d’une nécessité absolue. On lit dans l’hist. de l’ac. des Scienc. qu’un chien qui servit à l’épreuve ordinaire, en présence de M. Taitbout de Marigny, consul à Naples, fut simplement jetté sur l’herbe, & que peu de tems après il reprit sa vigueur au point de courir ; on conçoit même que si on jettoit le chien au sortir de la grotte, assez avant dans le lac pour qu’il y nageât, immobile comme il est dans ce moment, il périroit plutôt que de revenir.

J’ajoute en terminant la description de la grotte de Naples, qu’on ne la laisse point ouverte ; que celui qui en a la clé, fait ordinairement son expérience sur un chien quand quelqu’un desire de la voir ; & enfin qu’il couche toûjours cet animal à terre dans la grotte, en faisant son expérience.

Peut-être que les animaux qu’on éprouve de cette maniere, respirent au lieu d’air, des vapeurs minérales, suffoquantes, c’est-à-dire une vapeur ténue, imprégnée de certaines particules, qui étant unies ensemble, composent des masses très-pesantes, lesquelles bien-loin de faciliter le cours du sang dans les poumons, sont plus propres à chasser l’air de leurs vésicules, & à retrécir les vaisseaux par leur trop grande pesanteur ; au moyen de ce poids subit, les vésicules pulmonaires s’affaissent, & la circulation du sang vient à cesser. Lors au contraire qu’on tire à tems l’animal de cette vapeur minérale, la petite portion d’air qui reste dans les vésicules après chaque expiration, peut avoir assez de force pour expulser ce fluide pernicieux, sur-tout si l’on plonge l’animal dans l’eau ; en effet, il arrive que l’eau aidant par sa froideur la contraction des fibres, fait reprendre au sang son premier cours, comme on l’éprouve tous les jours dans les syncopes ; mais si cette stagnation continue trop long-tems, il est aussi impossible de rendre la vie à l’animal, que s’il étoit parfaitement étranglé ; & le lac d’Agnano même n’est d’aucune utilité dans ce dernier cas, ce qui montre que son eau n’a pas plus de vertu qu’une autre, & qu’elle n’est point un spécifique particulier contre le poison de la grotte.

Il semble présentement qu’on est dispensé de recourir à un poison singulier des vapeurs minérales de la caverne, pour expliquer la mort des animaux qui y périssent, si l’on considere que ces animaux, quand on les tire promptement hors de cet endroit, reviennent à eux sans conserver aucun signe de foiblesse, ni aucun des symptomes que l’on remarque dans ceux qui ont respiré un air imprégné de particules malignes par elles-mêmes ; de plus, les corpuscules venéreux, s’il y en avoit, devroient infecter pour le moins à quelque degré l’air qui regne dans la partie supérieure de la grotte, & cependant ils ne causent aucun dommage à ceux qui le respirent. Ajoûtez, que par l’ouverture faite des animaux auxquels l’air du bas de la grotte a causé la mort, on ne découvre rien d’extraordinaire ni dans leurs fluides, ni dans leurs solides.

Cependant j’avoue que toutes ces raisons ne suffisent pas, pour porter la conviction dans l’esprit, parce que la nature & les effets des poisons nous sont entierement inconnus ; celui-ci peut n’exercer son empire qu’à une certaine distance, & ne produire aucun changement dans le cadavre. Tout ce qu’on a pu découvrir de la qualité des particules minérales qui s’élevent en vapeurs dans la grotte du chien, c’est qu’elles doivent être pour la plupart vitrioliques, du-moins à en juger par la couleur verdâtre de la terre, & par son goût aigrelet qui tient beaucoup de celui du phlegme de vitriol.

Au reste, il est très-apparent qu’on pourroit creuser ici sur la même ligne d’autres grottes funestes, où les mêmes effets se feroient sentir.

Quoi qu’il en soit, l’antiquité nomme plusieurs autres cavernes célebres par des exhalaisons mortiferes. Telle étoit la Méphitis d’Hiérapolis, dont il est parlé dans Cicéron, dans Galien, & dans Strabon, qui avoient été témoins de ses effets. Telle étoit encore la caverne de Corycie, specus Corycius, dans la Cilicie, qui, à cause de ses exhalaisons empestées, pareilles à celles que les Poëtes donnent à Typhon, étoit appellée l’antre de Typhon, cubile Typhonis. Pompomus Mela n’a pas oublié de la décrire, & elle paroit aussi ancienne qu’Homere : car le mont Arima où il place cette caverne méphitique, étoit à ce que dit Eustathius, une montagne de Cilicie.

Enfin les vapeurs pernicieuses de toute nature ne sont pas rares : & bien qu’elles soient plus fréquentes dans les mines, dans les puits, dans les carrieres, & dans d’autres lieux semblables, on ne laisse pas d’en rencontrer quelquefois sur la surface de la terre, sur-tout dans les pays qui abondent en minéraux, ou qui renferment des feux soûterreins, tels que sont en Europe la Hongrie, la Sicile, & l’Italie. Voyez Exhalaison, Mophete, &c. (D. J.)

Grotte d’Arcy, voyez l’article Arcy.

Grotte du desert de la tentation, (Géog.) grotte de la Palestine, où l’on suppose sans aucun fondement que Jesus-Christ fut tenté par le démon dans un lieu desert ; je dis, où l’on suppose sans aucun fondement, parce que les Evangélistes qui nous donnent le détail de la tentation, ne parlent point de grotte : cependant le P. Nau prétend dans son voyage de la Terre-Sainte, liv. IV. ch. jv. qu’elle se voit sur une montagne de la Palestine, dont le sommet est extrèmement élevé, & dont le fond est un abysme. Il ajoûte que cette montagne se courbant de l’occident au septentrion, présente une façade de rochers escarpés, qui s’ouvrent en plusieurs endroits, & forment plusieurs grottes de différentes grandeurs. Voilà donc chacun maître de fixer à sa fantaisie sur cette montagne la grotte prétendue de la tentation de notre Sauveur ; & comme tout y est également desert, le choix ne sera que plus facile. (D. J.)

Grotte de Naples, (Géog.) quelques-uns l’appellent aussi grotte de Pouzzoles, parce qu’elle conduit de Naples à Pouzzoles au-travers de la montagne Pausilipe. Voyez Pausilipe. (D. J.)

Grotte de Pouzzoles, (Géog.) voyez Pausilipe.

Grotte de Notre Dame de la Balme, (Géog. & Hist. nat.) grotte de France dans le Dauphiné, sur le chemin de Grenoble. On lui donnoit autrefois 50 toises d’ouverture & 60 de largeur ; mais il est arrivé par un nouvel examen que cette spacieuse caverne a diminué prodigieusement de dimension : & les physiciens modernes après bien des recherches, n’ont pû trouver de nos jours, ni le goufre, ni le lac dont parle Mézeray dans la vie de François Lannée 1548. Ce gouffre affreux a entierement disparu, & ce vaste lac se réduit à un petit ruisseau. (D. J.)

Grotte de Quingey, (Géogr. & Hist. nat.) grotte de Franche-Comté, à une lieue de Quingey, & à cinquante pas du Doux. Elle est longue & large, & la nature y a formé des colonnes, des festons, des trophées, des tombeaux, enfin tout ce que l’on veut imaginer : car l’eau dégouttant sur diverses figures, s’épaissit, & fait mille grotesques. Cette caverne est habitée par des chauves-souris du-haut en-bas ; ainsi ceux qui voudront la visiter, doivent faire provision de flambeaux & de just-au-corps de toile, tant pour y voir clair, que pour ne pas gâter leurs habits. Le terrein est fort inégal, selon les congelations qui s’y sont faites ; il est même vraissemblable qu’avec le tems il sera entierement bouché. Voyez la description que M. l’abbé Boizot a donnée de cette grotte dans le journal des savans, du 9 Septembre 1686. (D. J.)

Grotte de la Sibylle, (Géog. & Hist. nat.) grotte d’Italie au royaume de Naples, auprès du lac d’Averne. La principale entrée en est déjà comblée, & celle par laquelle on y parvient aujourd’hui, s’affaisse & se bouche tous les jours ; c’est une des merveilles d’Italie qu’il faut rayer de ses fastes. (D. J.)

Grottes de la Thébaïde, (Géog.) Ces grottes sont de vraies carrieres qui, selon le récit des voyageurs, occupent un terrein de dix à quinze lieues, & qui sont creusées dans la montagne du levant du Nil. Voyez Thébaïde. (D. J.)

Grotte artificielle, (Hist. des Arts.) Les grottes artificielles sont des bâtimens rustiques faits de la main des hommes, & qui imitent des grottes naturelles autant que l’on le juge à-propos ; on les décore au-dehors d’architecture rustique ; on les orne en-dedans de statues & de jets-d’eau ; on y employe les congelations, les pétrifications, les marcassites, les crystaux, les amétistes, le nacre, le corail, l’écume de fer, & généralement toutes sortes de minéraux fossiles, & de coquillages ; chaque nation porte ici son goût particulier ; mais un des ouvrages des plus nobles & des plus achevés qu’il y ait eu en ce genre, étoit la grotte de Versailles, qui ne se voit plus qu’en estampe. (D. J.)