L’Encyclopédie/1re édition/GRASSEYEMENT

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GRASSEYEMENT, s. m. (Voix.) défaut de l’organe qui gâte la prononciation ordinaire, celle que nous desirons dans la déclamation & dans le chant, sur-tout dans celui du théatre. Voyez Grasseyer. On parle gras, on chante gras, lorsqu’on donne le son r comme si elle étoit précédée d’un c ou d’un g, & qu’on dit l comme si elle étoit un y, sur-tout quand elle est double. Ainsi le mot race dans la bouche de ceux qui grasseyent, sonne comme le mot grace ou trace dans celle des gens qui parlent ou chantent bien ; & au lieu de dire carillon, groseille, on prononce niaisement caryon, groseye. Voyez les articles B & L.

Le grasseyement sur les autres lettres de la langue sont au-moins aussi insupportables. Il y en a sur le c qu’on prononce comme s’il étoit un t. On a mis sur le théatre des personnages de ce genre qui y ont beaucoup grasseyé & fait rire. Il y a eu un motif raisonnable de ridiculiser ce défaut, rarement naturel, & qui presque toûjours n’est produit que par l’affectation ou la mignardise.

On a vû sur le théatre lyrique une jeune actrice qui auroit peut-être distrait les spectateurs de ce défaut, si sa voix avoit secondé son talent. Elle arriva un jour sur la scene par ce monologue qu’on eut la mal-adresse de lui faire chanter :

Déesse des amours, Vénus, daigne m’entendre,
Sois sensible aux soupirs de mon cœur amoureux.

Il est rare que dans les premiers ans on ne puisse pas corriger les enfans de ce vice de prononciation, qui ne vient presque jamais du défaut de l’organe : celui de r, par exemple, n’est formé que par un mouvement d’habitude qu’on donne aux cartilages de la gorge, & qui est poussé du dedans au-dehors. Ce mouvement est inutile pour la prononciation de r : il est donc possible de le supprimer. Tout le monde peut aisément en faire l’expérience : car on grasseye quand on veut.

Ce défaut est laissé aux enfans, sur-tout aux jeunes filles lorsqu’elles paroissent devoir être jolies, comme une espece d’agrément qui leur devient cher, parce que la flatterie sait tout gâter.

On a un grand soin d’arrêter le grasseyement sur le c, le d & le double l, qui est le tic de presque tous les enfans, parce qu’il donne un ton pesant & un air bête. Il seroit aussi facile de les guérir de celui qui gâte la prononciation de r ; quoiqu’il soit plus supportable, il n’en est pas moins un défaut.

Lorsqu’il est question du chant, le grasseyement est encore plus vicieux que dans le parler. Le son à donner change, parce que les mouvemens que le grasseyement employe sont étrangers à celui que forment pour rendre R les voix sans défaut.

Sur le théatre on ne passe guere ce défaut d’organe qu’à des talens supérieurs, qui ont l’adresse de le racheter ou par la beauté de la voix, ou par l’excellence de leur jeu. Telle fut la célebre Pelissier, qui dans le tragique sur-tout employoit toutes les ressources de l’art pour rendre ce défaut moins desagréable. (B)