L’Encyclopédie/1re édition/GLACÉ
GLACÉ, adj. (Physique.) zone glacée ou froide ; c’est le nom qu’on a donné à deux parties de la terre, l’une méridionale, l’autre septentrionale, dont les poles occupent le milieu, & qui s’étendent de-là à vingt-trois degrés & demi environ de part & d’autre. M. de Maupertuis, dans son discours sur la figure de la terre, nous a donné une idée du froid qu’on éprouve dans ces zones ; l’ayant éprouvé lui-même pendant l’hyver de 1736 à 1737, qu’il passa à Torneo en Laponie, sous le cercle polaire, avec MM. Clairaut, Camus, le Monnier, &c. Dès le 19 Septembre, on vit de la glace, & de la neige le 21 ; plusieurs endroits du grand fleuve qui passe à Torneo, étoient déjà glacés : le premier Novembre, il commença à geler très-fort ; & dès le lendemain tout le grand fleuve fut pris, & la neige vint bien-tôt couvrir la glace.
Pendant une opération qui fut faite sur la glace le 21 Décembre, le froid fut si grand que les doigts gelerent à plusieurs de ceux qui la faisoient ; la langue & les levres se colloient & se geloient contre la tasse, lorsqu’on vouloit boire de l’eau-de-vie, qui étoit la seule liqueur qu’on pût conserver assez liquide pour la boire, & ne s’en arrachoient que sanglantes. Si on creusoit des puits profonds dans la glace pour avoir de l’eau, ces puits étoient presque aussi-tôt refermés ; & l’eau pouvoit à-peine parvenir liquide jusqu’à la bouche.
Les maisons basses de Torneo se trouvoient enfoncées jusqu’au toît dans les neiges ; & ces neiges toûjours tombantes ou prêtes à tomber, ne permettoient guere au soleil de se faire voir pendant quelques momens à l’horison vers le midi. Le froid fut si grand dans le mois de Janvier, que des thermometres de mercure, ces thermometres qu’on fut surpris de voir descendre en 1709 à Paris à quatorze degrés au-dessous de la congelation, descendirent alors à trente-sept degrés ; ceux d’esprit-de-vin gelerent. Lorsqu’on ouvroit la porte d’une chambre chaude, l’air de dehors convertissoit sur le champ en neige la vapeur qui s’y trouvoit, & en formoit de gros tourbillons blancs : lorsqu’on sortoit, l’air sembloit déchirer la poitrine ; les habitans d’un pays si dur y perdent quelquefois le bras ou la jambe.
Quelquefois il semble que le vent souffle de tous les côtés à la fois, & il lance la neige avec une telle impétuosité, qu’on un moment tous les chemins sont perdus. Sur les autres phénomenes de ces climats pendant l’hyver, voyez Aurore boréale.
Le vent qui pendant tout l’hyver vient du nord & passe sur les terres gelées de la Nouvelle-Zemble, rend le pays arrosé par l’Oby & toute la Sibérie si froids, qu’à Tobolsk même, qui est au cinquante-septieme degré, il n’y a point d’arbres fruitiers ; tandis qu’en Suede, à Stockholm, & même à de plus hautes latitudes, on a des arbres fruitiers & des légumes : cette différence vient, dit M. de Buffon, de ce que la mer Baltique & le golphe de Bothnie adoucissent un peu la rigueur des vents du nord ; au lieu qu’en Sibérie il n’y a rien qui puisse tempérer l’activité du froid : il ne fait jamais aussi froid, continue-t-il, sur les côtes de la mer que dans l’intérieur des terres ; il y a des plantes qui passent l’hyver en plein à Londres, & qu’on ne peut conserver à Paris.
Le pays du monde le plus froid est le Spitzberg ; c’est une terre au soixante-dix-huitieme degré de latitude, toute formée de petites montagnes aiguës : ces montagnes sont composées de gravier & de certaines pierres plates semblables à de petites pierres d’ardoise grise, entassées les unes sur les autres. Ces collines se forment, disent les voyageurs, de ces petites pierres ou de ces graviers que les vents amoncellent ; elles croissent à vûe d’œil, & les matelots en découvrent tous les ans de nouvelles. On ne trouve dans ce pays que des rennes qui paissent une petite herbe fort courte & de la mousse. Au-dessus de ces petites montagnes, & à plus d’une lieue de la mer, on a trouvé un mât qui avoit une poulie attachée à un de ses bouts ; ce qui a fait penser que la mer passoit autrefois sur ces montagnes, & que ce pays est formé nouvellement ; il est inhabité & inhabitable : le terrein qui forme ces petites montagnes n’a aucune liaison ; & il en sort une vapeur si froide & si pénétrante, qu’on est gelé pour peu qu’on y demeure. Voyez Froid & Glace. Hist. nat. génér. & particul. tome I. (O)