L’Encyclopédie/1re édition/GINGEMBRE

GINGI  ►

GINGEMBRE, s. m. (Bot. exot.) plante exotique dont la fleur imitant celle de nos orchis, sort d’une masse écailleuse, & s’ouvre par six pétales qui la composent ; l’ovaire devient ensuite un fruit triangulaire à trois loges, qui contiennent plusieurs graines.

Le détail suivant fera mieux connoître cette plante, diversement nommée dans les livres de Botanique ; elle est appellée gingembre femelle à feuilles étroites, zingiber angustiori folio fæmina, utriusque Indiæ alumna, par Pluk. Alm. page 397. iris latifolia, tuberosa, zingiber dicta flore albo, H. Oxon ; mangaratia, par Pison ; gingibil, par Bontius ; chilli Indiæ orientalis, par Hernandes ; inschi ou inschi-kua, H. Malab.

La racine, selon le P. Plumier, a du rapport avec celle du roseau ; elle est tendre, écailleuse, branchue, blanche en-dedans, pâle & jaunâtre en-dehors, d’un goût très-piquant. Cette racine pousse trois ou quatre petites tiges, cylindriques, épaisses d’un demi-doigt, renflées & rouges a leur origine, mais entierement vertes dans le reste de leur longueur.

De ces tiges, les unes sont garnies de feuilles, les autres se terminent en une masse écailleuse ; celles qui sont feuillées sont en grand nombre, alternes, épanoüies en tout sens, semblables à celles du roseau, mais plus petites & plus molles, longues d’environ un demi-pié, pointues, & ayant un peu plus d’un pouce dans leur plus grande largeur. Elles sont lisses, d’un verd gai, & partagées par une petite côte saillante en-dessous ; les petites tiges qui finissent en masse ont à peine un pié de hauteur ; elles sont entourées & couvertes de petites feuilles verdâtres, & rougeâtres à leur pointe. La masse qui termine chaque tige, plaît par sa beauté ; car elle est toute composée d’écailles membraneuses, d’un rouge doré, ou bien elles sont verdâtres & blanchâtres.

De l’aisselle de ses écailles sortent des fleurs qui imitent celles de nos orchis, & qui s’ouvrent en six pieces aigues, en partie pâles, & en partie rouges foncé, & tachetées de jaunâtre. Le pistil qui s’éleve du centre est très-menu, court, blanc, terminé par une pointe blanche recourbée, & rouge à l’extrémité. Sa base devient un fruit coriace, ovalaire, triangulaire, à trois loges, à trois panneaux remplis de plusieurs graines. Les masses ont une vive odeur ; les fleurs qui en sortent durent à peine un jour, & s’épanoüissent successivement l’une après l’autre.

Quoiqu’on cultive cette plante en Amérique, elle ne paroît pas originaire de cette partie du monde ; & l’on a lieu de croire qu’elle y a été apportée, de même qu’au Bresil, des Indes orientales ou des Philippines.

La seconde espece de gingembre appellée gingembre mâle, zingiber sylvestre mas, par Pison Mant. Arom. anchoas ou zingiber mas, par Hernandes ; & katon-inschi-kua, par Commellin. H. Malab. ne differe de la précédente, qu’en ce que ses feuilles sont rudes, plus épaisses & plus larges, ses racines plus grosses, d’une odeur moins forte, d’un gout moins brûlant & moins aromatique ; & c’est aussi pour cette raison qu’on n’en fait pas autant de cas.

Il y a une troisieme plante qui est nommée gingembre sauvage à larges feuilles, zingiber majus latifolium sylvestre, par Herman. C’est celle qui donne la racine de zérumbeth ; nous la décrirons à sa place. Voyez Zérumbeth. (D. J.)

Gingembre, (Agricult.) Cette plante, à cause du grand débit de sa racine, se cultive dans les deux Indes, & même en Europe par des curieux.

Les habitans de Malabar conservent d’une année à l’autre des racines noüeuses & filandreuses de cette plante. Après avoir fait plusieurs creux d’une certaine profondeur & à certaines distances dans un terrein gras, bien fumé & bien labouré, ils enfoncent des tranches de racines dans chaque creux, les couvrent d’un peu de terre, & les arrosent plus ou moins, selon que le terrein est plus ou moins sec. Ils continuent les arrosemens jusqu’au tems de la récolte qui se fait ordinairement en Janvier, & qui est indiquée par les feuilles fannées de la plante ; alors ils arrachent les racines de terre, & les font sécher lentement. Aussi-tôt qu’elles sont passablement seches, ils les enduisent de bol pour empêcher les insectes de s’y mettre. Linschotten dit que pour garantir efficacement les racines de gingembre des injures de l’air, des vers, & des teignes, ils font de grands amas de ces racines, les couvrent de terre de potier, & les laissent sécher insensiblement sous cette couverture impénétrable.

On suit à-peu-près la même méthode de culture dans les îles Antilles qu’aux Indes orientales ; on y plante le gingembre sur la fin de la saison des pluies, c’est-à-dire en Octobre & en Novembre. Après que la terre a été labourée à la houe, on met de pié-en-pié une branche de la racine qui a été conservée de la derniere récolte ; on préfere celles à qui il est resté le plus de chevelure, & on les recouvre de trois ou quatre doigts de terre. Au bout de dix à douze jours la plante commence à pousser une pointe, qui ne paroît d’abord que comme la pousse des jeunes ciboules, tant les feuilles sont foibles. Alors on prend soin de tenir la terre bien nette, d’en arracher les mauvaises herbes, & de continuer cette pratique jusqu’à ce que la plante soit assez forte pour couvrir la terre, & étouffer d’elle-même les herbes inutiles qui veulent croître dans son enceinte.

Les pattes, c’est ainsi qu’ils nomment les racines, se fortifient & s’étendent dans la terre à-proportion de la bonté du terrein, car cette plante a coûtume de le dégraisser & de le manger beaucoup. Quand la racine est mûre, ce qu’on connoît aux feuilles, qui, après avoir jauni, se fannent & se sechent, on arrache la plante avec ses pattes & son chevelu ; s’il en est resté quelques-unes en terre, on les cherche avec la houe, & on les enleve.

On sépare ensuite la tige des pattes ; on nettoye les pattes de toutes les ordures qu’elles peuvent avoir ; on les racle legerement, on les lave, on les fait sécher sur des claies, simplement à l’air & à l’abri du soleil. Ces racines sont d’une substance si délicate, que cette substance seroit bien-tôt consommée, & n’offriroit plus qu’une peau ridée avec très peu de chair, si on les faisoit sécher au soleil ou au four.

Pour préserver des insectes les racines de gingembre ainsi séchées, on les enduit de bol rouge, jaune, ou d’autre couleur ; & pour les transporter chez l’étranger, on les enferme dans des boîtes couvertes de terre ou de sable. D’autres, après avoir enlevé l’écorce extérieure des racines, jettent ces racines ainsi pelées dans de la saumure ou du vinaigre, & les y laissent macérer pendant une couple d’heures : au sortir de-là, ils les exposent autant de tems au soleil, & finalement ils les couvrent de nattes dans leurs magasins pour l’usage & le débit. Celles qu’on a trop lavées ou nettoyées, perdent une partie de leur force, de leur chaleur, & de leur acrimonie.

On cultive le gingembre en Europe par pure curiosité ; & l’on réussit très-bien à cette culture. Voici comment.

On transplante au printems des racines de cette plante dans des pots pleins de terre fertile & legere ; on plonge ces pots dans des couches de tan, qu’il convient d’arroser fréquemment. Au fort de l’été, on doit tenir avec des tuiles les chassis de verre soûlevés pour donner de l’air à la plante ; & si l’on tempere habilement l’accès de l’air, la chaleur, & les arrosemens, on verra les racines dans une seule saison se fortifier, grossir, s’étendre de toutes parts, & produire des fleurs.

Mais il faut observer dans nos climats tempérés de tenir constamment, & même pendant tout l’été, les pots de gingembre dans les couches de tan, sans les en sortir. Pendant l’hyver, il faudra que ces pots soient non-seulement à demeure dans la serre chaude, mais qu’ils y soient plongés dans du tan. Ces pots de racines ne prospéreroient point aussi-bien sur des planches dans le lieu le plus chaud de la serre, qu’ils le feront dans la couche du tan au même degré de chaleur. On doit peut-être en attribuer la cause à la vapeur du tan qui s’éleve par la fermentation ; & qui passant par les trous du fond des pots, humecte les racines, les nourrit, & les maintient dans l’embonpoint.

Le jaunissement & la flétrissure des feuilles indiquent la maturité des racines, & pour lors on peut les tirer des pots ; mais celles qu’on réserve pour multiplier, doivent rester dans leurs pots jusqu’au printems suivant, qui est le tems favorable à la transplantation, & toûjours un peu avant que la racine jette des feuilles. En effet, on a remarqué que c’est d’abord après la pointe des feuilles, que les racines poussent des fibres charnues qui les sauvent & les conservent. (D. J.)

Gingembre, (racine de) Comm. Il n’est pas possible de calculer la quantité de gingembre dont les Indes fournissent l’Europe chaque année, par ce que les vaisseaux marchands qui viennent de nos colonies en apportent sans cesse, soit en nature, soit confit.

Le gingembre qu’on confit dans les colonies pour le débit ordinaire, est brun, & le sirop noir ; mais on est parvenu dans les îles à faire une excellente confiture de gingembre pour les gens aisés & les officiers de Marine, qui en consomment beaucoup sur mer. Voici la maniere dont on y réussit ; & c’est une très-bonne méthode pour ôter l’âcreté mordicante & nuisible de toutes sortes de racines.

On cueille celle-ci avant sa maturité, lorsqu’elle est jeune & tendre. On la ratisse pour enlever la premiere pellicule ; ensuite on la coupe par tranches qu’on fait macérer dans plusieurs eaux pendant une dixaine de jours pour ôter leur âcreté ; & l’on change ces eaux toutes les douze heures. Après cette préparation, on fait bouillir les racines à grande eau pendant une bonne demi-heure ; quand on les a tirées de cette eau, & qu’elles ont été bien égouttées, on les met dans un sirop foible, clarifié, tout chaud ; & on les laisse dans ce sirop pendant vingt-quatre heures. On les fait égoutter une seconde fois, & on les remet dans un nouveau sirop plus fort pendant le même espace de tems ; enfin on les replonge dans un troisieme sirop bien clarifié, où on les laisse à demeure, si l’on veut les conserver liquides, & d’où on les tire, si l’on veut les mettre à sec, pour en composer des marmelades & des pâtes. Le gingembre confit de cette maniere est d’une couleur d’ambre, claire, transparente, tendre sous la dent, & sans âcreté mordicante ; le sirop en est blanc & agréable.

Le prix du gingembre en nature est à Amsterdam depuis huit jusqu’à douze florins la livre ; le prix du gingembre confit depuis quatorze jusqu’à vingt florins. L’Allemagne & le Nord consomment beaucoup de l’un & de l’autre gingembre. Nos Epiciers achetent volontiers le gingembre en nature, dont ils composent une sorte d’épices qu’ils nomment épice blanche : mais les colporteurs ne vendent guere de poivre où il n’y ait une partie de gingembre mêlée ; & c’est de-là que vient le bas prix auquel ils le donnent. (D. J.)

Gingembre, (Mat. med.) on connoît sous ce nom dans les boutiques une racine d’un goût acre, brûlant, d’une odeur forte assez agréable ; on estime celle qui est récente, blanche ou pâle & odorante ; on rejette celle qui est rongée des vers, qui est pleine de poussiere, & dont la superficie a été couverte de bol ou de craie, pour remplir les trous que les vers ont faits ; car elle y est fort sujette. Geoffroi, Matmed. On nous l’apporte dans deux états, séchée, & confite avec le sucre.

Le gingembre séché entre dans les poudres des plus anciens antidotes ; tels que la thériaque, le mithridate, le diascordium, dans les confections cordiales, stomachiques, & même purgatives, & dans tous les anciens électuaires purgatifs : il est employé dans ces derniers comme un puissant correctif des purgatifs, selon l’idée des anciens. Voyez Correctif.

On fait entrer aussi quelquefois le gingembre en poudre dans diverses préparations magistrales, telles que les opiates & les bols stomachiques, cordiaux, & sur-tout dans les remedes destinés à exciter l’appétit vénérien & l’aptitude à le satisfaire ; il est très renommé pour cette derniere qualité, & les effets qu’on lui attribue sur ce point sont très-réels : on le prescrit quelquefois aussi à titre de carminatif : c’est un puissant tonique & un véritable échauffant. Voy. Échauffant & Tonique. C’est pourquoi il faut bien se garder d’en permettre l’usage à ceux qui ont les solides tendus & irritables, ou qui sont sujets à des hémorrhagies : on pourroit le donner seul en substance depuis dix jusqu’à vingt grains dans les relâchemens extrèmes de l’estomac ; mais on le donne très-rarement ainsi, à cause de sa grande acreté.

On use beaucoup plus fréquemment dans les prescriptions magistrales, du gingembre confit ; celui-ci est beaucoup plus doux, mais il est encore assez actif pour réveiller doucement le jeu de l’estomac, exciter l’appétit, faciliter la digestion, donner des forces, & ce que les Medecins appellent pudiquement de la magnanimité, si on en mange plusieurs morceaux dans la journée : au reste, cette confiture est très agréable ; & on la sert assez communément sur nos tables. (b)