L’Encyclopédie/1re édition/GÉODÉSIE

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GÉODÉSIE, s. f. (Ordre encyclop. Entendement. Raison, Philosoph. Science de la Nat. Mathématiques. Géométrie. Géodésie.) c’est proprement cette partie de la Géométrie pratique qui enseigne à diviser & partager les terres & les champs entre plusieurs propriétaires. Voyez ci-après Géométrie.

Ce mot vient de deux mots grecs, γῆ terra, terre, & δαίω, divido, je divise.

Ainsi la Géodésie est proprement l’art de diviser une figure quelconque en un certain nombre de parties. Or cette opération est toûjours possible, ou exactement, ou au-moins par approximation. Si la figure est rectiligne, on la divisera d’abord en triangles, qui auront un sommet commun pris où l’on voudra, soit au-dedans de la figure, soit sur la circonférence. On calculera par les méthodes connues l’aire de chacun de ces triangles, & par conséquent on aura la valeur de chaque partie de la surface, & on connoîtra par-là de quelle maniere il faut diviser la figure ; toute la difficulté se réduira dans tous les cas à diviser un triangle en raison donnée. C’est ce qu’il est nécessaire de développer un peu plus au long.

Soit proposé, par exemple, de diviser un hexagone par une ligne qui parte d’un de ses angles, en deux parties qui soient entr’elles comme m à n ; on divisera d’abord cet hexagone en quatre triangles par des lignes qui partent du point donné ; ensuite soit A l’aire de l’hexagone, & pA, qA, rA, sA, l’aire de chacun des triangles ; comme les aires des deux parties cherchées doivent être mA & nA, supposons que soit , il s’ensuit qu’il faudra prendre dans le triangle qA une partie xA, telle que soit  ; d’où l’on tire , & par conséquent . Il s’agit donc de diviser le triangle qA en deux parties xA & (q−x)A, qui soient entr’elles comme x est à q−x, & par conséquent en raison donnée, puisque x est connue par l’équation qu’on vient de trouver. Or pour cela il suffit de diviser le côté de l’hexagone qui est la base de ce triangle qA, en deux parties, qui soient entre elles comme x à q−x ; opération très-facile. Voyez Triangle.

Le problème n’auroit pas plus de difficulté, si le point donné étoit non au sommet des angles, mais sur un des côtés de la figure à volonté.

Si la figure que l’on propose de diviser est curviligne, on peut quelquefois la diviser géométriquement en raison donnée, mais cela est rare ; & en général la méthode la plus simple dans la pratique consiste à diviser la circonférence de la figure en parties sensiblement rectilignes, à regarder par conséquent la figure comme rectiligne, & à la diviser ensuite selon la méthode précédente.

Quelquefois, au lieu de diviser un triangle en raison donnée par une ligne qui passe par le sommet, il s’agit de le diviser en raison donnée par une ligne qui passe par un point placé hors du sommet, soit sur l’un des côtés, soit au-dedans du triangle, soit au-dehors ; alors le problème est un peu plus difficile ; mais la Géométrie, aidée de l’Analyse, fournit des moyens de le résoudre. Voyez dans l’Application de l’Algebre à la Géométrie de M. Guisnée la solution des problemes du second degré, vous y trouverez celui dont il s’agit. Il est résolu & expliqué fort en détail ; & il servira, comme on le va voir, à diviser une figure quelconque en raison donnée par une ligne menée d’un point donné quelconque.

Si le point par lequel passe la ligne qui doit diviser une figure quelconque en raison donnée, est situé au-dedans ou au-dehors de la figure, alors il est évident que le probleme peut avoir plusieurs solutions, au-moins dans un grand nombre de cas, & quelquefois être impossible. Pour le sentir, il suffit de remarquer que si la figure, par exemple, est réguliere & d’un nombre pair de côtés, que le point donné soit le centre, & qu’il faille diviser la figure en deux parties égales, le probleme est indéterminé, puisque toute ligne tirée par le centre résoudra ce probleme ; que si les deux parties doivent être inégales, le problème est impossible ; & que si dans ce dernier cas le point est placé hors de la figure, soit réguliere, soit irréguliere, le probleme a toûjours deux solutions, dont l’une s’exécutera par une ligne tirée à droite, & l’autre à gauche, toutes deux partant du point donne. Or menant du point donné à tous les angles de la figure des lignes, qui prolongées, s’il est nécessaire, au-dedans de la figure, partagent cette figure en quadrilateres, ce qui est toûjours possible, on voit évidemment que, comme la question s’est réduite dans le premier cas à partager un triangle en raison donnée, par une ligne qui parte d’un point donné ; de même la question se réduit ici, après avoir calculé séparément les surfaces de tous ces quadrilateres, à partager l’un d’eux en raison donnée par une ligne tirée du point donné. Il y a donc ici trois choses à trouver, 1°. quel est le quadrilatere qu’il faut partager ; 2°. quelle est la raison suivant laquelle il faut le partager ; 3°. comment on partage un quadrilatere en raison donnée par une ligne menée d’un point donne, qui se trouve au concours des deux côtés du quadrilatere. Les deux premiers de ces problèmes se résoudront par une méthode exactement semblable à celle qu’on a donnée ci-dessus, pour le cas de la division de la figure en triangles. Le troisieme demande un calcul analytique fort simple, & tout-à-fait analogue à celui que M. Guisnée a employé pour résoudre le même problème par rapport au triangle. Nous y renvoyons le lecteur, afin de lui laisser quelque sujet de s’exercer à l’analyse géométrique ; mais si l’on veut se dispenser de cette peine, on pourra réduire le problème dont il s’agit, au cas de la division du triangle de la maniere suivante. On prolongera les deux côtés du quadrilatere qui ne concourront pas au point donné, & on formera un triangle extérieur au quadrilatere qui aura un des autres côtés du quadrilatere pour base, & qui sera avec le quadrilatere en raison donnée de k à 1, k étant un nombre quelconque entier ou rompu. Cela posé, soient pA, qA les deux parties dans lesquelles il faut diviser le quadrilatere, il est évident que le quadrilatere total sera pA + qA ; que le triangle sera k (pA + qA), & que le triangle joint au quadrilatere (ce qui formera un nouveau triangle qui aura le quatrieme côté du quadrilatere pour base), sera (k + 1) (pA + qA). Il s’agit donc, en menant une ligne par le point donné, de diviser ce triangle en deux parties, dont l’une soit k (pA + qA) + pA, & l’autre qA ; c’est-à-dire que le problème se réduit à diviser un triangle connu & donné, en deux parties qui soient entr’elles comme k (p + q) + p est à q, par une ligne qui passe par un point donné hors du triangle : or on a dit ci-dessus comment on peut résoudre ce problème.

Si le point donné est placé dans la figure, on menera par ce point à tous les angles de la figure, des lignes terminées de part & d’autre à cette figure ; & on divisera par ce moyen la figure en triangles dont chacun aura son opposé au sommet. Cela posé, on cherchera les aires de ces triangles, & on aura les aires de chaque partie de la figure terminées par une des lignes tirées du point donné ; lignes qu’on peut appeller, quoiqu’improprement, diametres de la figure. Connoissant ces aires, on cherchera quels sont les deux diametres voisins qui divisent la figure, l’un en plus grande raison, l’autre en plus petite raison que la raison donnée ; & par-là on saura que la ligne cherchée doit passer dans l’angle formé par ces deux diametres : & comme il peut y avoir plusieurs diametres voisins qui divisent ainsi la figure, l’un en plus grande raison, l’autre en plus petite raison que la raison donnée, il s’ensuit que le probleme aura autant de solutions possibles qu’il y aura de tels diametres. Cela posé, soit A l’aire de la figure totale ; pA l’aire d’un des triangles formé par les deux diametres voisins ; qA l’aire du triangle opposé au sommet de celui-ci, & que je suppose lui être inférieur ; mA l’aire de la partie de la figure qui est à droite de ces deux triangles ; nA l’aire de la partie qui est à gauche, on aura mA + pA + nA + qA pour l’aire de la figure entiere ; ensorte que m + p + n + q sera =1, & il sera question de mener entre les deux diametres donnés, & par le point donné où ces diametres se coupent, une ligne qui divise les deux triangles opposés au sommet en deux parties ; savoir xA & pA − xA, d’une part, & de l’autre zA & qA − zA, & qui soient telles que mA + pA − xA + zA soit à nA + qA − zA + xA en raison donnée, par exemple de s à 1, que nous supposons être la raison demandée. On aura donc, 1° m + p − x + z : n + q − z + x ∷ s. 1 ; ce qui donnera une premiere équation entre x & z : or comme les triangles xA & zA sont opposés au sommet, & font partie des triangles donnés & aussi opposés au sommet pA & qA, on trouvera facilement une autre équation générale entre x & z, puisque xA étant connue, zA le sera nécessairement ; c’est pourquoi on aura deux équations en x & en z, par le moyen desquelles on trouvera x, & il ne s’agira plus que de diviser la base du triangle pA en raison de x à p ; ce qui donnera la solution complete du problème.

S’il falloit diviser une figure en raison donnée, par une ligne qui ne passât pas par un point donné, mais qui fût parallele à une ligne donnée, on commenceroit par diviser la figure en trapézoïdes, par des lignes menées de tous les angles de cette figure, parallelement à la ligne donnée, & il est évident qu’il ne s’agiroit plus que de diviser en raison donnée un de ces trapézoïdes, ce qui seroit très-facile.

Voilà la méthode générale pour diviser une figure en raison donnée, méthode qui réussira infailliblement dans tous les cas ; mais cette méthode peut être abregée en plusieurs occasions, selon la nature de la figure proposée. Ceux qui voudront en trouver des exemples, n’auront qu’à lire le traité de Géométrie sur le terrein, de M. le Clerc, imprimé à la suite de sa Géométrie pratique, ou pratique de la Géométrie sur le papier & sur le terrein, par le même auteur. Ils trouveront dans le chap. v. de ce traité de Géométrie, des pratiques abrégées pour diviser dans plusieurs cas les figures données en différentes parties. Ce chap. v. a pour titre, division des plans ; le chap. jv. qui le précede, & qui mérite aussi d’être lû, a pour objet la réduction ou transfiguration des plans, & l’auteur y enseigne principalement à changer en triangle une figure donnée ; ce qu’il exécute pour l’ordinaire fort simplement au moyen de cette proposition, que deux triangles de même base & entre mêmes paralleles, sont égaux. Un coup-d’œil jetté sur les propositions de ce chap. jv. en apprendra plus que tout ce que nous en pourrions dire. Cette réduction ou changement des figures en triangles est fort utile à l’auteur, dans le chapitre v. dont il s’agit principalement ici, pour la division des figures ; & il y fait aussi un grand usage de l’égalité des triangles de même base entre mêmes paralleles. Le chap. vj. a aussi rapport à la matiere dont nous traitons : il a pour titre, comment on peut assembler les plans, les retrancher les uns des autres, & les aggrandir ou les diminuer selon quelque quantité proposée. L’auteur résout les problemes relatifs à cet objet, avec la même élégance que ceux des deux chapitres qui précedent.

Cet ouvrage de M. le Clerc, une des meilleures Géométries pratiques que nous connoissions, est devenu rare ; & les gravûres agréables dont l’auteur l’a accompagné, le rendent assez cher, eu égard à son volume : il seroit à souhaiter qu’on le réimprimât, en supprimant les gravûres pour diminuer le prix du livre ; l’utilité de l’ouvrage, & sa clarté, en assûreroient le débit. L’édition que nous avons sous les yeux, est celle d’Amsterdam, en 1694, qu’on pourroit prendre pour modele. On pourroit même se contenter, pour rendre l’ouvrage encore moins cher, de réimprimer le seul traité de Géométrie sur le terrein ; car la Géométrie pratique qui le précede, & qui est imprimée à Amsterdam en 1691, ne contient rien ou presque rien qu’on ne trouve dans la plûpart des élémens de Géométrie pratique.

Quoique le mot Géodésie ait principalement l’acception que nous lui avons donnée dans cet article, de la science de partager les terres, cependant il se prend aussi assez communément & en général pour la science pratique de la mesure des terreins, soit quant à leur circonférence, soit quant à leur surface ; mais cette derniere science s’appelle encore plus communément arpentage. Voyez Arpentage.

La Géodésie prise en ce dernier sens, le plus étendu qu’on puisse lui donner, n’est proprement autre chose que la Géométrie pratique, dont elle embrasse toutes les parties ; ainsi les opérations géométriques ou trigonométriques nécessaires pour lever une carte, soit en petit, soit en grand, seront en ce dernier sens des opérations de Géodésie, ou pourront être regardées comme telles. C’est pour cette raison que quelques auteurs ont appellé opérations géodésiques, celles qu’on fait pour trouver la longueur d’un degré terrestre du méridien, ou, en général, d’une portion quelconque du méridien de la terre. Ils les appellent ainsi pour les distinguer des opérations astronomiques, que l’on fait pour trouver l’amplitude de ce même degré. Voyez Degré, Figure de la Terre, Géographie, Géographique, &c. (O)