L’Encyclopédie/1re édition/FORMIER (complément)

FORMIER, s. m. (Art méchaniq.) sous le nom de formier l’on comprend tous ceux dont l’art consiste dans la fabrique & la vente des formes, especes de moules de bois, à-peu-près de la forme (mot d’où ils ont pris leur nom) du pié humain, sur lesquels les Cordonniers montent les souliers.

Il n’y a aucun doute que l’art de fabriquer des formes ne soit presque aussi ancien même que l’usage des souliers ; selon toute apparence, on n’a pu sans beaucoup de difficulté les monter sans moules ; de-là est venu la nécessité de les imaginer, & de leur donner pour cet effet la même forme que l’on jugeoit à propos de donner aux souliers. Ces sortes de formes ont-changé, & changent encore tous les jours de figure comme les souliers ; celles dont on se sert aujourd’hui sont de plusieurs especes, nous en verrons les détails après avoir parlé des bois qui leur sont propres.

Des bois propres à cet art. Les bois propres aux formes sont de deux sortes, le hêtre & le noyer ; le premier est sans contredit le plus propre à cette sorte d’ouvrage, étant plus sain, plus tendre, par conséquent plus facile à couper, & moins sujet aux nœuds & à se fendre ; l’autre moins préférable, & dont on se sert fort rarement, est un peu plus durable, mais aussi plus dur à couper, sujet à fendre, s’il n’est bien choisi, & en même tems plus cher, raison pour laquelle on en emploie fort peu : les formiers le font venir par voye, & en emploient jusqu’à deux ou trois chaque semaine, à proportion qu’ils sont chargés d’ouvrages, soit pour la ville ou pour la province.

Des formes. L’usage des formes est devenu si commun chez les Cordonniers par la commodité qu’ils y ont trouvée pour la monture des souliers, qu’il n’y en a point maintenant dont la boutique n’en soit garnie par centaine, la forme, ainsi que la grandeur & la grosseur des piés, étant si différentes, qu’ils sont nécessairement obligés d’en avoir chez eux au-moins autant qu’ils ont de pratiques, ce qui en procure un débit très-considérable.

De la maniere de faire une forme. Nous avons vu ci-dessus que le hêtre étoit le bois dont on se servoit le plus ordinairement pour les formes, ce bois doit être autant qu’il se peut à trois quarres, cette forme laissant alors beaucoup moins de bois à couper, par conséquent moins de perte & moins d’ouvrage à faire. Ainsi pour faire une forme, un ouvrier l’ébauche, & un autre la plane, la rape, & la polit à la peau de chien-de-mer.

Pour ébaucher une forme, on commence d’abord par la tenir de la main gauche par un bout, & l’appuyer par l’autre sur le billot, fig. 1. Pl. IV. des outils, & avec la hache, fig. 6. même Planche, on enleve la moitié A d’un des quarres, comme on le voit aussi en A, fig. 2. Pl. I. côté du bout du pié ; on retrécit ensuite les deux côtés B B, fig. 3. en forme de demi-pointe ; on applatit le dessous pour le dresser, l’amincir, & lui faire lever le petit bout en C, fig. 4. On enleve ensuite les deux arrêtes D D, fig. 5. côté du talon, que l’on évide en EE ; on perce ensuite un trou F, fig. 6. on y enfonce un clou en G, fig. 7. dont on rive la pointe par l’autre côté, & cela pour empêcher la forme de se fendre, lorsque le cordonnier y attache son cuir avec d’autres cloux. Ainsi ébauchée, un autre ouvrier la plane & l’arrondit sur son banc, fig. 3. Pl. IV. avec la plane, fig. 4. qui s’y trouve arrêtée, en tenant la forme de la main gauche & le manche de la plane de la droite. Ceci fait, il la rape, ou la lime avec l’une des rapes, fig. 14. & 15. ou l’une des limes, fig. 16. & 17. même Planche, & lui donne la figure convenable ; il la polit ensuite en la frottant avec de la peau de chien-de-mer, & la finit, ainsi que la représente la fig. 7.

Des formes. On divise les formes en deux sortes, les unes simples, & les autres brisées ; les unes servent de moules aux souliers lorsqu’on les monte ; les autres servent à les aggrandir, lorsqu’étant faits ils sont trop petits, ce qu’on appelle mettre en forme.

Des formes simples. Les formes simples sont de deux sortes : les premieres faites pour monter les souliers des hommes sont plus grosses & plus fortes ; les autres faites pour monter les souliers des femmes sont plus petites.

Les formes pour hommes se divisent en cinq especes. La premiere, fig. 8. appellée à la mariniere ou à talon de cuir, est celle dont le bout du pié A est en pointe, & qui étant droite sur sa longueur est faite pour servir de moule aux souliers qui doivent porter talon de cuir, on les appelle ainsi, parce que les mariniers les ont inventées comme moins sujetes que les autres à faire glisser. La deuxieme, fig. 9. appellée en pié de pendu, parce que les piés de pendus prennent à-peu-près cette figure, est celle dont le bout du pié A est en pointe basse, & qui au-lieu d’être droite comme la précédente est renflée vers le coup de pié B ; elle est faite pour servir de moule aux souliers qui doivent porter un talon de bois fort élevé. La troisieme, fig. 10. appellée en demi pié de pendu, est celle dont le bout du pié A, aussi en pointe basse, est un peu moins renflée qu’à la précédente vers le coup de pié B, elle est faite pour servir de moule aux souliers qui doivent porter un talon de bois d’une demi-hauteur. La quatrieme, fig. 11. appellée en rond, est celle dont le bout du pié A est arrondi, cambré & droit sur sa longueur : cette forme est assez ordinairement grossiere, & faite pour servir de moule aux souliers des paysans, portefaix, &c. La cinquieme, fig. 12. appellée en demi-rond, est celle dont le bout du pié A est à demi-arrondi, & plus cambré que celui de la précédente, & aussi droit sur sa longueur.

Les formes pour femmes destinées à servir de moules à des souliers dont les talons sont fort élevés, & dont les bouts sont plus pointus que ceux des dernieres formes, ont pour cette raison le bout du pié un peu cambré, & sont en général plus petites que les autres. On les divise en huit especes. La premiere, fig. 13. appellée à la mariniere ou talon de cuir. La deuxieme, fig. 14. appellée en pié de pendu. La troisieme, fig. 15. appellée en demi-pié de pendu. La quatrieme, fig. 16. appellée en rond ; & la cinquieme, fig. 17. appellée en demi-rond, sont toutes à-peu-près de même figure que celles qui sont faites pour les souliers d’hommes. La sixieme, fig. 18. appellée cambrée, est celle dont le bout du pié A est très-cambré, & le coud de pié B fort élevé ; elle est faite pour servir aux souliers qui doivent porter des talons les plus hauts possibles. La septieme, fig. 19. appellée demi-cambrée, est celle dont le bout du pié A est un peu moins cambré que celui de la précédente, & le coup de pié B un peu élevé ; elle est faite pour servir de moule à des souliers dont les talons sont à la vérité moins élevés que ces derniers, mais néanmoins fort hauts. La huitieme, fig. 20. appellée à talon de bois plat, est celle qui étant droite sur sa longueur, est destinée aux souliers qui doivent porter des talons de bois plats : cette forme ordinairement grossiere est faite pour monter les souliers des paysanes, blanchisseuses, &c.

Il est encore une infinité d’autres formes, qu’on appelle composées, & qui sont en effet composées des figures des autres, selon le goût des cordonniers & de ceux qui leur font faire des souliers.

Des formes brisées. Les formes brisées sont aussi de deux sortes ; les unes, fig. 21, 22, 23, 24, & 25, pour aggrandir, ou mettre en forme, les souliers d’hommes ; & les autres, fig. 26, 27, 28, 29, & 30, pour aggrandir ou mettre en forme ceux des femmes ; les unes & les autres sont comme les simples, à la mariniere, en pié & demi-pié de pendu, en rond & demi-rond, cambrées & demi-cambrées, à talon de bois plat, &c.

Les formes brisées pour hommes, sont composées de deux demi-formes, fig. 21 & 22, portant chacune sur leur longueur, une feuillure AA formant trois losanges lorsque les deux demi-formes sont jointes ensemble, & placées dans le soulier qu’on veut mettre en forme, au-travers duquel on enfonce à force une clé quarrée, fig. 23. ou applatie, fig. 24. faisant partie de la forme brisée ; ce qui, par ce moyen, donne plus de largeur au soulier : la fig. 23. en représente la clé quarrée ; c’est une piece de bois quarrée & en demi-pointe A, garnie de sa tête aussi quarrée B ; la fig. 24. en représente la clé applatie ; c’est une piece de bois méplate, arrondie sur les deux champs AA, en losange & pointue en B, pour lui donner de l’entrée ; la fig. 25. représente la forme brisée entiere, composée de toutes ses pieces montées ensemble ; AA en sont les demi-formes, & B la clé.

Les formes brisées pour femmes, quoique plus petites que les autres, sont aussi composées de deux demi-formes, fig. 26 & 27 ; mais dont la feuillure AA, au-lieu d’être sur la longueur, est disposée obliquement, allant de la cheville à la semelle du pié : on s’en sert de la même maniere, en enfonçant la clé entre les deux. La fig. 28. en représente la clé quarrée, A en est la tige quarrée, & B la tête aussi quarrée. La fig. 29. en représente la clé applatie, AA en sont les champs arrondis, & B la pointe en losange. La fig. 30. représente la forme brisée entiere, garnie de toutes ses pieces, AA en sont les demi-formes, & B la clé.

Des embouchoirs. Les embouchoirs sont des especes de formes brisées, destinées à emboucher ou monter les bottes & bottines ; il en est de deux sortes, les unes à pié, les autres sans pié ; celles-ci sont les plus ordinaires & celles dont les cordonniers se servent le plus souvent ; les unes & les autres sont composées de deux pieces de bois, formant ensemble la forme d’une jambe jusqu’au dessous du genou, dont l’une, fig. 31. garnie de feuillure A pour conduire la clé, porte le derriere du genou, B le mollet C & le talon D ; & l’autre fig. 32. garnie aussi de feuillure, A porte le genou, B le devant de la jambe, C le coup de pié D & quelquefois le pié entier E ; fig. 33. que l’on ajoute au bout, séparées l’une & l’autre par une clé, fig. 34. méplate & en forme de coin garnie de ses languettes AA pour la conduire, que l’on enfonce à force, comme celle des formes brisées, faites pour élargir les bottes & donner au cuir la forme du moule. La fig. 35. représente l’embouchoir entier, garni de toutes ses pieces, AA en sont les demi-formes, & B la clé.

Il est d’autres embouchoirs aussi, pour monter les bottes, mais dont on se sert fort rarement, qui au-lieu d’être coupés comme les précédens, le sont en sens contraire ; ils sont composés de deux demi-formes, fig. 36, 37, ou 38. & de clé applatie garnie de languette A A fig. 39. La fig. 40. la représente entiere, garnie de toutes ses pieces, AA en sont les demi-formes, & B la clé.

Les embouchoirs pour monter les bottines, ou petites bottes en brodequins, ne différent des précédens que parce qu’ils sont coupés vers le milieu, & ne vont que jusque vers la moitié de la jambe ; ils sont de deux demi-formes, fig. 41 & 42. La fig. 43. en représente un garni de toutes ses pieces ; AA en sont les demi-formes, & B la clé.

Des Bouisses. Les bouisses, autre ouvrage qui regarde aussi l’art du formier, sont des especes de sébilles de toute grandeur, & de même bois que les formes faites pour servir aux cordonniers à emboutir le cuir des semelles ; il en est pour hommes & pour femmes, & de deux sortes ; la premiere, fig. 44, est une piece de bois, d’environ neuf à dix pouces de longueur, à trois quarres en A, creusée en B, en forme de calotte ovale propre à emboutir le cuir, garnie d’un manche C, par où on la tient lorsque l’on emboutit ; la deuxieme fig. 45, est une piece de bois de quelque forme que ce soit, creusée aussi en B, en forme de calotte ovale, destinée au même usage.

Des outils. La figure premiere, Pl. IV. représente un billot sur lequel les formiers ébauchent leurs ouvrages.

La fig. 2. représente un établi dans le goût de ceux des menuisiers, sur lequel on hache ou coupe les ouvrages.

La fig. 3. représente un banc sur lequel les ouvriers se placent à califourchon, lorsqu’ils finissent les formes, composé d’une planche A, montée sur des piés BB, au bout de laquelle sont différentes cases C pour placer leurs outils.

La fig. 4. représente une plane destinée à être arrêtée sur le côté du banc dont nous venons de parler, avec la quelle on plane les formes, après les avoir ébauchées, composée d’un fer A aceré en taillant en B, garnie par un bout d’un crochet C, par où on l’arrête, & par l’autre d’un manche de bois D, pour la tenir.

La fig. 5. représente un étau de bois, propre à tenir fermes les ouvrages, lorsqu’on les lime ou qu’on les plane, composé de deux jumelles AB, à charniere l’une dans l’autre en C, d’une vis de bois D, à écroux dans la jumelle B, garnie d’une manivelle E pour la faire mouvoir, arrêté sur un établi F ou table solide.

La fig. 6. représente une hache faite pour hacher & ébaucher les ouvrages, composée d’un fer A aceré en taillant en B, d’un œil C & de son manche D.

La fig. 7. représente un marteau, soit pour frapper les ouvrages composés d’une tête acerée A, d’une panne aussi acerée B, d’un œil C & de son manche D.

La fig. 8. représente une vrille propre à percer des trous, composée d’un fer A, & d’un manche B.

La fig. 9. représente un maillet fait pour frapper, composé de deux têtes AA, & d’un manche B.

La fig. 10. représente une paire de triquoises, espece de tenailles recourbées, faites pour arracher des clous, composées de mors aceres A à charniere en B, garnies de ses branches C C.

La fig. 11. représente un gratteau emmanché, fait pour gratter les ouvrages ; ce n’est qu’un bout de lame d’épée A, garni d’un manche de bois B.

La fig. 12. représente un gratteau sans manche.

La fig. 13. représente un tranchet, outil de cordonnier dont les formiers se servent pour couper le bois, composé d’un fer courbe A, aceré & taillant en B, emmanché en C.

La fig. 14. représente une rape carrelette d’acier faite pour raper le bois, A en est la rape & B le manche.

La fig. 15. représente une rape demi-ronde, d’acier, faite pour raper dans les endroits ronds & creux, A en est la rape demi-ronde, & B le manche.

La fig. 16. représente une lime carrelette en acier, dont les tailles sont plus fines & moins rudes que celles des rapes faites pour limer le bois, pour commencer à le polir, A en est la lime, & B le manche.

La fig. 17. représente une lime demi-ronde en acier, faite pour limer dans les endroits ronds & creux ; A en est la lime demi-ronde, & B le manche. Article de M. Lucotte.