L’Encyclopédie/1re édition/FORGER

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* FORGER, v. act. c’est battre sur l’enclume un métal avec un marteau. On forge à froid & à chaud mais plus souvent à chaud. Ce mot varie d’acception. Voici, par exemple, un cas ou il est presque synonyme à planer ; c’est chez les Potiers-d’étain. Forger, c’est, après que la vaisselle est tournée, la battre, avec différens marteaux, sur le tas. Pour cet effet on a des morceaux de cuivre jaune en plaques de largeur, longueur & épaisseur convenables, bien écroüies ou serrées & polies au marteau ; on les nomme platines. Les platines sont planes pour les fonds des vaisselles, contournées pour les côtés. On commence par frotter legerement sa piece de vaisselle, avec un linge enduit de suif en-dedans & en-dehors : cela s’appelle ensuifer. On pose ensuite une platine sur l’enclume, qui est couverte d’une peau de castor gras. On fait tenir la platine sur la peau, avec une colle faite de poix-résine grasse & de suif ; on frappe là-dessus sa piece à coups de marteau, & on lui fait prendre une forme plus réguliere que celle qu’elle a reçue des moules ; on atteint les inégalités du tour ; on rend l’ouvrage compact, uni, brillant, & d’un meilleur service ; on le dégraisse & on le polit avec un linge & du blanc d’Espagne en poudre. Mais ce travail n’a lieu que sur l’étain fin. L’étain commun se forge autrement. On ensuife sa piece ; on la monte, c’est-à-dire qu’on la bat sur l’enclume nue. Les coups de marteau paroissent en-dedans & en-dehors ; ils s’étendent du milieu en ligne spirale, mais empiétant toûjours les uns sur les autres, jusqu’à la circonférence de l’ouvrage : c’est pourquoi à chaque coup de marteau que donne l’ouvrier d’une main, de l’autre il fait un peu tourner sa piece sur elle-même. Cette opération s’appelle monter. Après avoir monté une piece, on la renfonce ; la renfoncer, c’est avec le marteau frapper le fond à faux sur les genoux, afin de rendre à l’ouvrage sa concavité. On finit en couvrant l’enclume de peaux de castor gras, & en repassant le marteau sur tous les coups qui paroissent au-dedans & au-dehors de la piece. Cette opération les efface en-dedans, mais non en-dehors. C’est sur la différence du forger & du planer. On dégraisse de même : dans ce travail, l’ouvrier est assis devant son enclume, le billot de l’enclume est entre ses jambes, l’enclume n’est guere qu’à la hauteur de ses genoux ; il tient son marteau de la main droite, sa piece de la main gauche : cette main fait tourner la piece à mesure qu’elle est frappée ; elle est aidée dans cette action par le genou qui soûtient la piece toutes les fois que la main est obligée de la quitter pour la reprendre.

Forger un Fer, (Manége & Maréch.) action du maréchal qui donne à du fer quelconque la forme qu’il doit avoir, pour être placé sous le pié du cheval.

Le fer que les Maréchaux doivent employer, doit être doux & liant ; un fer aigre soûtiendroit avec peine les épreuves qu’ils lui font subir à la forge, & ne resisteroit point à celles auxquelles le met le travail de l’animal.

Ces ouvriers nomment loppin, un bout coupé d’une bande de fer, ou un paquet formé de morceaux de vieux fers de cheval. Celui qu’ils coupent à la bande en est séparé au moyen de la tranche.

Un compagnon prend un loppin de l’une ou de l’autre espece, proportionné aux dimensions qu’il prétend donner à son fer, & le chauffe jusqu’à blanc tout-au-plus, à moins que la qualité du fer dont il se sert lorsqu’il est question d’en souder les parties, n’exige qu’il pousse la chaude au-delà. Le fer ainsi chauffé, il le prend avec les tenailles les plus appropriées à la forme actuelle du loppin ; les tenailles dont sa forge doit être abondamment pourvue, devant être de différentes grandeurs & de différentes figures. Il le présente à plat sur la table de l’enclume. Un apprenti ou un autre compagnon armé du marteau à frapper devant, frappe toûjours de maniere à alonger & à élargir le loppin, & chacun de ses coups est suivi de celui du premier forgeur, dont la main droite saisie du ferretier ne frappe que sur l’épaisseur du fer. Pour cet effet, comme leurs coups se succedent sans interruption, celui-ci après avoir posé le loppin à plat pour l’exposer au marteau de l’apprenti, le retourne promptement de champ pour l’exposer à son ferretier ; & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une des branches soit suffisamment ébauchée : du reste les coups du ferretier tendent comme ceux du marteau au prolongement du loppin, mais ils le retrécissent en même tems, & lui donnent la courbure qui caractérise le fer du cheval ; c’est ce que les Maréchaux appellent dégorger. Pour la lui procurer plus promptement, le forgeur adresse quelques-uns de ses coups sur la pointe non-chauffée du loppin, tandis que l’autre porte sur l’enclume ; car il doit avoir eu l’attention de ne faire chauffer de ce même loppin qu’environ les deux tiers, afin que la partie saisie par la tenaille ait assez de solidité pour rejetter sur la partie chauffée tout l’effet des coups de ferretier qui sont diriges sur elle. Cette branche dans cet état, le forgeur quitte son ferretier & prend le refouloir, avec lequel il la refoule à son extrémité, pour commencer à en façonner l’éponge.

Il remet au feu ; & par une seconde chaude conduite comme la premiere, il ébauche au même point la seconde branche & la courbure, ou la tournure, pour me servir de l’expression du Maréchal ; après quoi lui seul façonne le dessus, le dessous, les côtés extérieurs & intérieurs des branches, en se servant au besoin de l’un & de l’autre bras de la bigorne, pour soûtenir le fer lors des coups de ferretier qu’il adresse sur l’extérieur, ce fer étant tenu de champ sur le bras rond, quand il s’agit de former l’arrondissement de sa partie antérieure, & sur le bras quarré, quand il est question d’en contourner les branches. Il employe de même que ci-devant le refouloir.

Il seroit à souhaiter que tous les Maréchaux s’en tinssent à ces opérations, jusqu’à ce que l’inspection du pié auquel le fer sera destiné, les eût déterminés sur le juste lieu des étampures. Ce n’est qu’alors qu’ils devroient passer à la troisieme chaude, & profiter des indications qu’ils auroient tirées. Cette chaude donnée, le forgeur, à l’effet d’étamper, pose le fer à plat sur l’enclume, ce fer étant retourné de maniere que sa face inférieure est en-dessus ; il tient l’étampe de la main gauche ; il en place successivement la pointe sur tous les endroits ou il veut percer, sans oublier que l’une de ses faces doit être toûjours parallele au bord du fer ; & le compagnon ou l’apprenti frappe sur la tête de cet outil, jusqu’à ce qu’il ait pénétré proportionnément à l’épaisseur de ce même fer. L’étampure faite, le forgeur le rapproche avec son ferretier de la forme que ce dernier travail a altéré ; & après l’avoir retourné, il applique la pointe du poinçon sur les petites élévations apparentes à la face supérieure ; & frappant du ferretier sur la tête de ce poinçon, il chasse en dedans & détache par les bords la feuille à laquelle le quarré de l’étampe a réduit l’épaisseur totale du fer. Cette action avec le poinçon se nomme contre-percer. Enfin il refoule & il rétablit dans ce premier contour, avec ce même ferretier, les bords que l’étampure a forcés, & il porte l’ajusture du fer à sa perfection.

Ces trois seules chaudes seroient insuffisantes dans le cas où il s’agiroit de forger un fer à crampons, & à plus forte raison dans celui où le fer seroit plus composé. Lorsque l’ouvrier se propose de former des crampons quarrés, il a soin de refouler plus fortement les éponges, & de tenir les branches plus longues de tout ce qui doit composer le crampon. La propreté de l’ouvrage exige encore deux chaudes, une pour chaque branche. Le forgeur doit commencer à couder celle qui est chauffée avec le ferretier sur la table de l’enclume, ou sur le bras rond de la bigorne ; sur la table de l’enclume, en portant un coup de son outil sur le dessous de l’éponge à quelques lignes de distance de sa pointe, qui seule repose sur la table, tandis que le reste de la branche est soûtenu par la tenaille dans une situation oblique, ou inclinée ; sur le bras rond, en posant cette même face inférieure de façon que le bout de l’éponge déborde la largeur de ce bras, & en adressant son coup sur l’extrémité saillante. Il s’aide ensuite du bras quarré de la bigorne pour façonner les côtés du crampon.

C’est par la différente maniere dont l’ouvrier présente son fer sur les différentes parties de la bigorne, & dont il dirige ses coups, qu’il parvient à former exactement un crampon quarré, ou un crampon à oreille de lievre ou de chat : celui-ci ne differe du premier, que parce qu’il diminue à mesure qu’il approche de son extrémité, & qu’il est tellement tordu dans sa longueur & des sa naissance, qu’il présente un de ses angles dans la direction de la longueur de la branche dont il émane. Il est encore des crampons postiches, terminés supérieurement en une vis, dont la longueur n’excede pas l’épaisseur de l’éponge. Cette partie du fer est percée d’un trou taraudé, qui comme écrou reçoit cette vis. Par ce moyen le crampon est assez fermement assemblé avec le fer, & facilement mis en place quand il est utile. On l’en sépare aussi sans peine en le dévissant : mais comme l’écrou qui resteroit vuide lorsqu’on jugeroit à-propos de supprimer le crampon, ne pourroit que se remplir de terre ou de gravier qui s’opposeroient à une nouvelle introduction de la vis du crampon, on substitue toûjours à cette vis une autre vis semblable, à cela près qu’elle ne déborde aucunement l’épaisseur du fer dans laquelle elle est noyée, & qu’elle est refendue pour recevoir le tourne-vis, au moyen duquel on la met en place ou on l’ôte avec aisance.

Quant aux pinçons, on les tire de la pince sur la pointe de la bigorne, au moyen de quelques coups de ferretier.

S’il est question d’appliquer aux fers quelques pieces par soudure, il faut de nouvelles chaudes. Les encoches se travaillent à la lime, &c.

Un ouvrier seul pourroit forger un fer ; mais ce travail coûteroit plus de peine, & demanderoit plus de tems.

Il est nombre de boutiques ou de forges où l’on en employe deux, & même quelquefois trois, à frapper devant, sur-tout quand les loppins font d’un volume énorme. (e)

Forger, (Manége & Maréch.) Cheval qui forge, cheval qui dans l’action du pas, & le plus souvent dans celle du trot, atteint ou frappe avec la pince des piés de derriere les éponges, le milieu, ou la voûte de ses fers de devant. Ce défaut que l’on distingue aisément à l’oüie d’une infinité de heurts répétés, est d’autant plus considérable, que communément il annonce la foiblesse de l’animal : aussi ne doit-on pas être étonné de rencontrer des poulains qui forgent. Il provient aussi de la ferrure, quelquefois de l’ignorance du cavalier, qui, bien loin de soûtenir son cheval, le précipite indiscretement en-avant & sur les épaules, & le met par conséquent dans l’impossibilité de lever les piés de devant assez tôt, pour qu’ils puissent faire place à ceux de derriere qui les suivent. La premiere de ces causes ne nous laisse l’espoir d’aucune ressource : l’art en effet ne nous en offre point, quand il s’agit d’un vice qui procede de la débilité naturelle de la machine. A l’égard de ceux que notre impéritie occasionne, il est aisé d’y remédier. Voyez Soûtenir & Ferrure. (e).