L’Encyclopédie/1re édition/FAISANDERIE

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FAISANDERIE, s. f. c’est un lieu où l’on éleve familierement des faisans & des perdrix de toute espece.

Cette éducation domestique du gibier est le meilleur moyen d’en peupler promptement une terre, & de réparer la destruction que la chasse en fait. Ce n’est que par-là que l’on est parvenu à répandre les faisans & les perdrix rouges dans des endroits que la nature ne leur avoit pas destinés. Les faisans étant le gibier qu’ordinairement on desire le plus, & que l’on sait le moins se procurer, nous donnerons ici en détail la méthode la plus sûre pour en élever dans une faisanderie. Cette méthode peut d’ailleurs s’appliquer aussi aux perdrix rouges & grises ; s’il y a quelques différences, elles sont legeres, & nous aurons soin de les marquer.

Une faisanderie doit être un enclos fermé de murs assez hauts pour n’être pas insultés par les renards, &c. & d’une étendue proportionnée à la quantité de gibier qu’on y veut élever. Dix arpens suffisent pour en contenir le nombre dont un faisandier peut prendre soin ; mais plus une faisanderie est spatieuse, meilleure elle est. Il est nécessaire que les bandes du jeune gibier qu’on éleve soient assez éloignées les unes des autres, pour que les âges ne puissent pas se confondre. Le voisinage de ceux qui sont forts est dangereux pour les plus foibles : cet espace doit d’ailleurs être disposé de maniere que l’herbe croisse dans la plus grande partie, & qu’il y ait un assez grand nombre de petits buissons épais & fourrés, pour que chaque bande en ait un à portée d’elle ; ce secours leur est nécessaire pendant le tems de la grande chaleur.

Pour se procurer aisément des œufs de faisans, il faut nourrir pendant toute l’année un certain nombre de poules : on les tient enfermées, au nombre de sept, avec un coq, dans de petits enclos séparés, auxquels on a donné le nom de parquets. L’étendue la plus juste d’un parquet est de cinq toises en quarré, & il doit être gasonné. Dans les endroits exposés aux foüines, aux chats, &c. on couvre les parquets d’un filet : dans les autres, on se contente d’éjointer les faisans pour les retenir. Ejointer, c’est enlever le foüet même d’une aile en serrant fortement la jointure avec un fil. Il faut que ce qui fait séparation entre deux parquets soit assez épais, pour que les faisans de l’un ne voyent pas ceux de l’autre. Au défaut de murs, on peut employer des roseaux, ou de la paille de seigle. La rivalité troubleroit les coqs, s’ils se voyoient, & elle nuiroit à la propagation. On nourrit les faisans dans un parquet, comme des poules de basse-cour, avec du blé, de l’orge, &c. Au commencement de Mars, il n’est pas inutile de leur donner un peu de blé noir, que l’on appelle sarrasin, pour les échauffer & hâter le tems de l’amour. Il faut qu’ils soient bien nourris ; mais il seroit dangereux qu’ils fussent engraissés. Les poules trop grasses pondent moins, & la coquille de leurs œufs est souvent si molle, qu’ils courent risque d’être écrasés dans l’incubation. Au reste, les parquets doivent être exposés au midi, & défendus du côté du nord par un bois, ou par un mur élevé qui y fixe la chaleur.

Les faisans pondent vers la fin d’Avril : il faut alors ramasser les œufs avec soin tous les soirs dans chaque parquet ; sans cela ils seroient souvent cassés & mangés par les poules même. On les met, au nombre de dix-huit, sous une poule de basse-cour, de la fidélité de laquelle on s’est assûré l’année précédente ; on l’essaye même quelques jours auparavant sur des œufs ordinaires. L’incubation doit se faire dans une chambre enterrée, assez semblable à un cellier, afin que la chaleur y soit modérée, & que l’impression du tonnerre s’y fasse moins sentir : Les œufs de faisan sont couvés pendant vingt-quatre & quelquefois vingt-cinq jours, avant que les faisandeaux viennent à éclore. Lorsqu’ils sont éclos, on les laisse encore sous la poule pendant vingt-quatre heures sans leur donner à manger. Une caisse de trois piés de long sur un pié & demi de large, est d’abord le seul espace qu’on leur permette de parcourir ; la poule y est avec eux, mais retenue par une grille qui n’empêche pas la communication que les faisandeaux doivent avoir avec elle. Cet endroit de la caisse que la poule habite, est fermé par le haut ; le reste est ouvert ; & comme il est souvent nécessaire de mettre le jeune gibier à l’abri, soit de la pluie, soit d’un soleil trop ardent, on y ajuste au besoin un toit de planches legeres, au moyen duquel on leur ménage le degré d’air qui leur convient. De jour en jour on donne plus d’étendue de terrein aux faisandeaux, & après quinze jours, on les laisse tout-à-fait libres ; seulement la poule qui reste toûjours enfermée dans la caisse, leur sert de point de ralliement, & en les rappellant sans cesse, elle les empêche de s’écarter.

Les œufs de fourmis de pré devroient être, pendant le premier mois, la principale nourriture des faisandeaux. Il est dangereux de vouloir s’en passer tout-à-fait ; mais la difficulté de s’en procurer en assez grande abondance, contraint ordinairement à chercher des moyens d’y suppléer. On se sert pour cela d’œufs durs hachés & mêlés avec de la mie de pain & un peu de laitue. Les repas ne sauroient être trop fréquens pendant ces premiers tems ; on ne peut aussi mettre trop d’attention à ne donner que peu à la fois : c’est le seul moyen d’éviter aux faisandeaux des maladies qui deviennent contagieuses, & qui sont incurables. Cette méthode, outre que l’expérience lui est favorable, a encore cet avantage qu’elle est l’imitation de la nature. La poule faisande, dans la campagne, promene ses petits pendant presque tout le jour, quand ils sont jeunes, & ce continuel changement de lieu leur offre à tous momens de quoi manger, sans qu’ils soient jamais rassasiés. Les faisandeaux étant âgés d’un mois, on change un peu leur nourriture, & on en augmente la quantité. On leur donne des œufs de fourmis de bois, qui sont plus gros & plus solides ; on y ajoûte du blé, mais très peu d’abord : on met aussi plus de distance entre les repas.

Ils sont sujets alors à être attaqués par une espece de poux qui leur est commune avec la volaille, & qui les met en danger. Ils maigrissent ; ils meurent à la fin, si l’on n’y remédie. On le fait en nettoyant avec grand soin leur caisse, dans laquelle ils passent ordinairement la nuit. Souvent on est obligé de leur retirer cette caisse même qui recele une partie de cette vermine ; on leur laisse seulement ce toît leger dont nous avons parlé sous lequel ils passent la nuit, & on attache la couveuse à côté, exposée à l’air & à la rosée.

A mesure que les faisandeaux avancent en âge les dangers diminuent pour eux. Ils ont pourtant un moment assez critique à passer, lorsqu’ils ont un peu plus de deux mois : les plumes de leur queue tombent alors, & il en pousse de nouvelles. Les œufs de fourmis hâtent ce moment, & le rendent moins dangereux. Il ne faudroit pas leur donner de ces œufs de fourmis de bois, sans y ajoûter au moins deux repas d’œufs durs, hachés. L’excès des premiers seroit aussi fâcheux que l’usage en est nécessaire.

Mais de tous les soins, celui sur lequel on doit le moins se relâcher, regarde l’eau qu’on donne à boire aux faisandeaux ; elle doit être incessamment renouvellée & rafraîchie : l’inattention à cet égard expose le jeune gibier à une maladie assez commune parmi les poulets, appellée la pépie, & à laquelle il n’y a guere de remede.

Nous avons dit qu’il falloit éloigner les unes des autres les bandes de faisans, assez pour qu’elles ne pûssent pas se mêler ; mais comme une poule suffit pour en fixer un grand nombre, on unit ensemble trois ou quatre couvées d’âge à-peu-près pareil, pour en former une bande. Les plus âgés n’exigeant pas des soins continuels, on les éloigne aux extrémités de la faisanderie, & les plus jeunes doivent toûjours être sous la main du faisandier. Par ce moyen la confusion, s’il en arrive, n’est jamais qu’entre des âges moins disproportionnés, & devient moins dangereuse.

Voilà les faisandeaux élevés. La même méthode convient aux perdrix : il faut observer seulement qu’en général les perdrix rouges sont plus délicates que les faisans même, & que les œufs de fourmis de pré leur sont plus nécessaires.

Lorsqu’elles ont atteint six semaines, & que leur tête est entierement couverte de plumes, il est dangereux de les tenir enfermées dans la faisanderie. Ce gibier, naturellement sauvage, devient sujet alors à une maladie contagieuse, qu’on ne prévient qu’en le laissant libre dans la campagne. Cette maladie s’annonce par une enflure considérable à la tête & aux piés ; & elle est accompagnée d’une soif qui hâte la mort, quand on la satisfait.

A l’égard des perdrix grises, elles demandent beaucoup moins de soin & d’attention dans le choix de la nourriture : on les éleve très-sûrement par la méthode que nous avons donnée pour les faisans ; mais on peut en élever aussi sans œufs de fourmis, avec de la mie de pain, des œufs durs, du chénevi écrasé, & la nourriture que l’on donne ordinairement aux poulets. Il est rare qu’elles soient sujettes à des maladies, ou ce ne seroit que pour avoir trop mangé, & cela est aisé à prévenir.

L’objet de l’éducation domestique du gibier étant d’en peupler la campagne, il faut, lorsqu’il est élevé, le répandre dans les lieux où l’on veut le fixer. Nous dirons dans un autre article, comment ces lieux doivent être disposés pour chaque espece, & ce que l’art peut à cet égard ajoûter à la nature. Voyez Gibier.

On peut donner la liberté aux faisans lorsqu’ils ont deux mois & demi ; & on doit la donner aux perdrix, sur-tout aux rouges, lorsqu’elles ont atteint six semaines. Pour les fixer on transporte avec eux leur caisse, & la poule qui les a élevés. La nécessité ne leur ayant pas appris les moyens de se procurer de la nourriture, il faut encore leur en porter pendant quelque tems : chaque jour on leur en donne un peu moins, chaque jour aussi ils s’accoûtument à en chercher eux-mêmes.

Insensiblement ils perdent de leur familiarité, mais sans jamais perdre la mémoire du lieu où ils ont été déposés & nourris. On les abandonne enfin, lorsqu’on voit qu’ils n’ont plus besoin de se cours.

Nous ne devons pas finir cet article sans avertir qu’on tenteroit inutilement d’avoir des œufs de perdrix, sur-tout des rouges, en nourrissant des paires dans des parquets ; elles ne pondent point, ou du moins pondent très-peu lorsqu’elles sont enfermées : on ne peut en élever qu’en faisant ramasser des œufs dans la campagne. On donne à une poule vingt-quatre de ces œufs, & elle les couve deux jours de moins que ceux de faisan. Pour ceux-ci on doit renouveller les poules des parquets, lorsqu’elles ont quatre ans ; à cet âge elles commencent à pondre beaucoup moins, & les œufs en sont souvent clairs. La durée ordinaire de la vie d’un faisan est de six à sept ans ; celle d’une perdrix paroît être moins longue à-peu-près d’une année. Cet article est de M. le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles.