L’Encyclopédie/1re édition/FÉCIAL

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FÉCIAL ou FÉCIALIEN, s. m. (Hist. rom.) fetialis ou fecialis ; nom d’un officier public chez les anciens Romains, don ! le principal ministere étoit de déclarer la guerre ou de négocier la paix.

Je glisse sur l’origine inconnue du mot fécial, pour rapporter uniquement l’étymologie qu’en donne Festus, laquelle, quoique très-recherchée, est encore moins ridicule que celles de Plutarque, de Varron, & de nos modernes. Festus la tire du verbe ferio, je frappe, parce que ferire fœdus, signifie faire un traité ; de sorte qu’il faut, selon notre grammairien, qu’on ait dit par abus fecialis pour ferialis. Passons à d’histoire.

Les féciaux furent institués au nombre de vingt : on les choisissoit des meilleures familles, & ils composoient un collége fort considerable à Rome. Denys d’Halicarnasse ajoûte que leur charge, qu’il nomme sacerdoce, ne finissoit qu’avec la vie ; que leur personne étoit sacrée comme celle des autres prêtres ; que c’étoit à eux à écouter les plaintes des peuples qui soûtenoient avoir reçu quelque injure des Romains, & qu’ils devoient, si les plaintes étoient réputées justes, se saisir des coupables & les livrer à ceux qui avoient été lésés ; qu’ils connoissoient du droit des ambassadeurs & des envoyés ; qu’ils faisoient les traités de paix & d’alliance ; & qu’enfin ils veilloient à leur observation.

Ce détail est très-instructif, & de plus prouve deux choses : la premiere, qu’il y avoit quelque rapport entre les féciaux de Rome & les officiers que les Grecs appelloient érénophylaques, c’est à-dire conservateurs de la paix : la seconde, que nos anciens hérauts d’armes ne répondent point à la dignité dont joüissoient les féciaux. Voyez Héraut d’Armes.

L’an de Rome 114, dit Tite Live, Rome vit ses frontieres ravagées par les incursions des Latins, & Ancus Martius connut par sa propre expérience, que le throne exige encore d’autres vertus que la piété ; cependant pour soûtenir toûjours son caractere, avant que de prendre les armes, il envoya aux ennemis un héraut ou officier qu’on appelloit fécialien. Ce héraut tenoit en main une javeline ferrée pour preuve de sa commission.

Armé de cette javeline, il se transportoit sur les frontieres du peuple dont les Romains croyoient avoir droit de se plaindre. Dès qu’il y étoit arrivé, il reclamoit à haute voix l’objet que Rome prétendoit qu’on avoit usurpé sur elle, ou bien il exposoit d’autres griefs, & la satisfaction que Rome demandoit pour les torts qu’elle avoit reçûs : il en prenoit Jupiter à témoin en ces termes, qui renfermoient une terrible imprécation contre lui-même : « Grands dieux ! si c’est contre l’équité & la justice que je viens ici au nom du peuple romain demander satisfaction, ne souffrez point que je revoye jamais ma patrie ». Il repétoit les mêmes termes à l’entrée de la ville & dans la place publique.

Lorsqu’au bout de 33 jours Rome ne recevoit point la satisfaction qu’elle avoit demandée, le fécial alloit une seconde fois vers le même peuple, & prononçoit publiquement les paroles suivantes : « Ecoutez, Jupiter, & vous Junon ; écoutez Quirinus, écoutez dieux du ciel, de la terre, & des enfers : je vous prens à témoin qu’un tel peuple (il le nommoit) refuse à tort de nous rendre justice ; nous délibérerons à Rome dans le sénat sur les moyens de l’obtenir ».

En arrivant à Rome il prenoit avec lui ses collegues, & à la tête de son corps il alloit faire son rapport au sénat. Alors on mettoit la chose en délibération ; & si le plus grand nombre de suffrages étoit pour déclarer la guerre, le fécial retournoit une troisieme fois sur les frontieres du même pays, ayant la tête couverte d’un voile de lin, avec une couronne de verveine par-dessus ; là il prononçoit en présence au moins de trois témoins, la formule suivante de déclaration de guerre. « Ecoutez Jupiter, & vous Junon ; écoutez Quirinus, écoutez dieux du ciel, de la terre, & des enfers : comme ce peuple a outragé le peuple romain, le peuple romain & moi, du consentement du sénat, lui déclarons la guerre ». Après ces mots, il jettoit sur les terres de l’ennemi un javelot ensanglanté & brûlé par le bout, qui marquoit que la guerre étoit déclarée ; & cette cérémonie se conserva long-tems chez les Romains.

On voit par cette derniere formule que nous a conservé Tite-Live, que le roi n’y est point nommé, & que tout se faisoit au nom & par l’autorité du peuple, c’est-à-dire de tout le corps de la nation.

Les historiens ne s’accordent point sur l’institution des féciaux ; mais soit qu’on la donne à Numa, comme le prétendent Denys d’Halicarnasse & Plutarque, soit qu’on aime mieux l’attribuer à Ancus Martius, conformément à l’opinion de Tite-Live & d’Aulugelle, il est toûjours très-vraissemblable que l’un ou l’autre de ces deux princes ont tiré l’idée de cet établissement des anciens peuples du Latium ou de ceux d’Ardée ; & l’on ne peut guere douter qu’il n’ait été porté en Italie par les Pelasges, dont les armées étoient précédées par des hommes sacrés, qui n’avoient pour armes qu’un caducée avec des bandelettes.

Au reste, Varron remarque que de son tems les fonctions des fécialiens étoient entierement abolies, comme celles des hérauts d’armes le sont parmi nous.

Celui qui sera curieux de recourir sur ce sujet aux sources mêmes, peut se satisfaire dans Tite-Live, déc. 1. liv. I. c. xxjv. Cicéron, liv. II. des lois ; Aulugelle, liv. XVI. ch. jv. Denys d’Halicarnasse, l. II. Plutarque, vie de Numa ; Ammien Marcellin, l. XIX. ch. j. Diodore de Sicile, liv. VII. ch. ij. & parmi les modernes, Rosinus Ant. Rom. lib. III. c. xxj. Struvius Ant. Rom. synt. chap. xiij. Pitisci, lexicon, &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.