L’Encyclopédie/1re édition/EUPHORBE

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EUPHORBE, s. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante de la classe des tithymales ; elle est ainsi nommée, dit-on, d’Euphorbe, medecin du roi Juba, & frere du célebre Antoine Musa, medecin d’Auguste ; mais Saumaise a prouvé que cette plante étoit connue sous ce nom long-tems avant le medecin du roi de Lybie.

Voici ses caracteres : sa fleur, son fruit & son lait ressemblent à ceux du tithymale ; sa forme est anguleuse, de même que dans le cierge ; elle est ornée de piquans, & presque dénuée de feuilles. Boerhaave & Miller en comptent dix à douze especes, & ce dernier auteur y joint la maniere de les cultiver ; mais nous ne parlerons que de l’espece d’où découle la gomme dite euphorbe. Elle s’appelle euphorbium antiquorum verum dans Commellin, hort. med. Amst. 23. & par les Malais scadidacalli. Hort. malab. vol. II. tab. lxxxj. &c.

C’est un arbrisseau qui vient dans les terres sablonneuses, pierreuses & stériles des pays chauds, à la hauteur de dix piés & davantage. Sa racine est grosse, se plonge perpendiculairement dans la terre, & jette des fibres de tous côtés ; elle est ligneuse intérieurement, couverte d’une écorce brune en-dehors, & d’un blanc de lait en dedans. Sa tige qui est simple, a trois ou quatre angles ; elle est comme articulée & entrecoupée de différens nœuds, & les angles sont garnis d’épines roides, pointues, droites, brunes & luisantes, placées deux à deux. Elle est composée d’une écorce épaisse, verte-brune, & d’une pulpe humide, blanchâtre, pleine de lait, & sans partie ligneuse. Elle se partage en plusieurs branches dénuées de feuilles, à moins qu’on ne veuille donner le nom de feuilles à quelques petites appendices rondes, épaisses, laiteuses, placées sur les bords seules à seules sous les épines, & portées sur des queues courtes, épaisses, applaties, vertes & laiteuses.

Les fleurs naissent principalement du fond des sinuosités qui se trouvent sur les bords anguleux & entre les épines ; elles sont au nombre de trois ensemble, portées sur un petit pédicule d’environ un demi-pouce, cylindrique, verd, laiteux, épais & droit. La fleur du milieu est la plus grande, & s’épanoüit la premiere, les autres ensuite, lesquelles sont sur la même ligne, portées sur de très-petits pédicules, ou même elles n’en ont point du tout.

Ces fleurs sont composées d’un calice d’une seule piece, renflé, ridé, coloré, partagé en cinq quartiers, & qui ne tombent pas ; elles ont cinq pétales de figure de poire, convexes, épais, placés dans les échancrures du calice, & attachés par leur base au bord du calice. Du milieu de ces fleurs s’élevent des étamines au nombre de cinq ou six, fourchues, rouges par le haut, sans ordre. Le pystil est un style simple qui porte un petit embryon arrondi, triangulaire, & chargé de trois stygmates. Lorsque les fleurs paroissent, les appendices feuillées ou ces petites feuilles tombent.

Il succede à ces fleurs des fruits ou des capsules à trois loges, applaties, laiteuses, vertes d’abord, & qui en partie rougissent un peu dans la suite, d’un goût astringent. Ces capsules contiennent trois graines rondes, cendrées extérieurement, blanchâtres intérieurement. On trouve souvent dans les sacs de peau dans lesquels on apporte la graine d’euphorbe, des fragmens de cette plante, des morceaux d’écorce, des capsules séminales & des fleurs desséchées, qui peuvent servir à confirmer la description qu’on vient de lire de cet arbuste.

Il croît en Afrique, en Lybie, aux îles Canaries, à Malabar, & dans d’autres endroits des Indes orientales. Il est par-tout rempli d’un suc laiteux, très âcre & très-caustique, qui en distille dans quelque endroit qu’on y fasse une incision. On donne à ce suc caustique, desséché & endurci, le même nom de la plante. Voyez les deux articles suivans. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Euphorbe, s. f. (Hist. nat. des drogues.) gomme-résine en gouttes ou en larmes, sans odeur, d’un jaune-pâle ou de couleur d’or, brillantes ; tantôt rondes, tantôt oblongues, branchuës & caverneuses ; d’un goût très-âcre, caustique, & provoquant des nausées.

L’euphorbe ne se dissout point dans l’eau commune ; les huiles, l’esprit de terebenthine, l’esprit de vin, l’eau-de-vie, n’en dissolvent qu’une legere portion, & la plus huileuse. Le vin, le vinaigre, n’en dissolvent pas beaucoup davantage. L’esprit de nitre, l’esprit de vitriol, le pénetrent sans ébullition, & l’amollissent sans le dissoudre. Le suc de citron dépuré en dissout une partie gommeuse, & la sépare d’avec sa partie terrestre. Enfin l’huile de tartre en tire une forte teinture. Toutes ces diverses expériences ont fait mettre l’euphorbe au rang des gommes, & non des résines.

Le scadidacalli des Malabares paroît être l’arbrisseau qui donnoit l’euphorbe des anciens ; mais il est vraissemblable que celle qu’on reçoit en Europe, vient de plusieurs especes du même genre de plante ; car les Anglois tirent leur euphorbe des îles Canaries ; les Hollandois, de Malabar ; les Espagnols, les Italiens, les François, de Salé au royaume de Fez.

Dans tous ces pays-là on perce l’arbrisseau de loin avec une lance ; ou bien on se couvre le visage pour faire ces incisions, afin d’éviter d’être incommodé par l’exhalaison subtile & pénétrante du suc laiteux, volatil & caustique qui sort de la plante en grande quantité. Ce suc est souvent reçû dans des peaux de moutons, où il se durcit en gomme jaune, tirant sur le blanc, friable, & qu’on nous apporte en petits morceaux.

On recommande de choisir l’euphorbe pure, nette, pâle, âcre, & d’une saveur brûlante. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Euphorbe, (Pharm. & Mat. med.) Nous n’employons aujourd’hui cette gomme-résine que dans les préparations externes, & jamais dans celles qui sont destinées pour l’intérieur, à cause de sa grande causticité.

Quelques auteurs ont cependant prétendu la corriger ; soit en la faisant infuser dans de l’huile d’amandes douces, & ensuite dans du suc de citron ; soit en la faisant dissoudre dans du vinaigre, la filtrant & la rapprochant en consistance solide ; soit en l’enfermant dans un citron ou dans un coing, que l’on couvroit de pâte & qu’on faisoit cuire au four ; soit enfin en la faisant dissoudre dans de l’acide vitriolique foible, & la faisant dessécher : mais on peut dire que toutes ces corrections, ou sont insuffisantes, ou énervent le remede au point de le rendre inutile. Il est donc beaucoup plus sûr de ne point employer l’euphorbe pour l’usage intérieur ; puisque ses effets sont dangereux, & que d’ailleurs nulle observation particuliere ne nous engage à risquer ce danger en faveur de quelque vertu singuliere.

L’euphorbe est un violent purgatif hydragogue, qui, à la dose de quatre ou cinq grains, fait des ravages si étonnans, qu’on doit plus le regarder comme un poison, que comme un médicament : appliqué extérieurement, c’est un épipastique.

Mesué ne le recommande qu’à l’extérieur dans la résolution des nerfs, dans leur convulsion, leur engourdissement, leur tremblement, & toutes leurs autres affections, qu’il regardoit comme froides. Il le recommande aussi dans les douleurs de foie & de la rate : pour cet effet on le broye avec de l’huile, & on en frote la région de ces visceres. Fernel dit que ce remede est excellent contre la scyatique & la paralysie. Herman dit qu’il s’en servoit avec succès pour fondre les tumeurs skirrheuses.

On vante beaucoup l’euphorbe pulvérisé dans la carie des os, & il est très-usité dans ce cas ; on saupoudre les os cariés avec l’euphorbe seul, ou mêlé avec partie égale d’iris de Florence, ou d’aristoloche ronde. Voyez Carie.

L’euphorbe est un puissant sternutatoire ; on doit même éviter de s’en servir dans cette vûe, à cause de sa trop grande activité, qui est telle qu’il fait souvent éternuer jusqu’au sang. C’est aussi ce qui fait qu’il est très-incommode à pulvériser ; car pour peu qu’en respire le pileur, il est attaqué d’un éternument violent qui dure plusieurs heures : on a donc soin de l’arroser dans le mortier avec un peu d’huile d’olive ou d’amande douce, pour éviter cet inconvénient. Le mieux est, malgré cette ressource, de ne faire cette opération que dans un mortier couvert. Voyez Piler.

On prépare une huile d’euphorbe avec cinq onces de vin, dix onces d’huile, demi-once d’euphorbe, faisant cuire le tout jusqu’à ce que le vin & l’humidité soient exhalés. Cette huile peut être employée dans les maladies ci-dessus énoncées.

L’euphorbe entre dans l’onguent d’arthanita, & dans les emplâtres diabotanum, de ranis, & vésiccatoire. (b)