L’Encyclopédie/1re édition/ESSENCE

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ESSENCE, s. f. (Métaph.) c’est ce que l’on conçoit comme le premier & le plus général dans l’être, & ce sans quoi l’être ne seroit point ce qu’il est. Pour trouver l’essence d’une chose, il ne faut faire attention qu’aux qualités qui ne sont point déterminées par d’autres, & qui ne se déterminent pas réciproquement, mais en même tems qui ne s’excluent pas l’une l’autre. Le nombre des trois côtés & l’égalité de ces côtés, font l’essence du triangle équilatéral : 1°. parce que ces deux qualités peuvent co-exister : 2°. elles ne se déterminent point non plus l’une l’autre ; du nombre de trois ne résulte point l’égalité des lignes, ni vice versâ : 3°. elles ne sont point déterminées par d’autres qualités antérieures ; car on ne sauroit rien concevoir dans la formation du triangle équilatéral, qui soit antérieur au nombre & à la proportion des lignes : 4°. enfin sans elles on ne sauroit se représenter l’être. S’il y a plus ou moins de trois côtés, ce n’est plus un triangle ; si les côtés sont inégaux, ce n’est plus un triangle équilatéral.

L’essence de l’être une fois connue, suffit pour démontrer la possibilité intrinseque ; car l’essence comprend la raison de tout ce qui est actuellement dans l’être, ou de tout ce qui peut s’y trouver. Les qualités essentielles étant supposées, entraînent à leur suite les attributs, & ceux-ci donnent lieu aux possibilités des modes. Voyez Attribut, Mode.

Cette notion de l’essence est adoptée par tous les philosophes ; la diversité de leurs définitions n’est qu’apparente. François Suarez, l’un des plus profonds & des plus subtils scholastiques ; définit l’essence, primum radicale & intimum principium omnium actionum ac proprietatum quæ rei conveniunt (Tom. I. disp. ij. sect. 4.). Et expliquant ensuite sa définition conformément aux principes d’Aristote & de saint Thomas d’Aquin, il dit que l’essence est la premiere chose que nous concevons convenir à l’être, & qu’elle constitue l’être. Il ajoûte que l’essence réelle est celle qui n’implique aucune répugnance, & qui n’est pas une pure supposition arbitraire. On voit bien qu’il est aisé de ramener ces idées à la nôtre. Descartes s’en tint à ce que ses maîtres lui avoient appris là-dessus : una est, dit-il, cujusque substantiæ præcipuæ proprietas quæ ipsius naturam essentiamque constituit, & ad quam omnes aliæ referuntur. Princip. philosoph. part. I. La chose en quoi & les Scholastiques & Descartes se sont trompés, c’est en affirmant si positivement qu’une seule propriété étoit la base de toutes les autres, & faisoit l’essence de l’être. Il peut y avoir & il y a pour l’ordinaire plus d’une qualité essentielle. Le nombre n’en est point fixe, & s’étend, comme nous l’avons dit, à toutes celles qui ne sont supposées par aucune autre, & qui ne se supposent pas réciproquement.

De cette même notion des essences, il est aisé d’en déduire l’éternité & l’immutabilité. L’idée des essences arbitraires est une source de contradictions. Les essences des choses consistent, comme nous l’avons vû, dans la non-répugnance de leurs qualités primitives. Or il est impossible que des qualités une fois reconnues pour non-répugnantes, ayent jamais été ou puissent se trouver dans une opposition formelle. La possibilité de leur co-existence est donc nécessaire, & cette possibilité n’est autre chose que l’essence. Celle d’un triangle rectiligne, par exemple, consiste en ce qu’il ne répugne pas que trois lignes droites, dont deux prises ensemble sont plus grandes que la troisieme, se joignent de maniere qu’elles renferment un espace. Dira-t-on que le contraire est également possible, ou même qu’il peut devenir impossible que les trois lignes supposées soient propres à renfermer un espace ? Pour le soûtenir, il faut convenir qu’une chose peut être & ne pas être à la fois. Il est donc, il a été, & il sera à jamais nécessaire que trois lignes droites soient propres à renfermer un espace, & voilà tout ce que nous prétendons quand nous disons que l’essence du triangle ou de toute autre figure est nécessaire. De même quand une créature, telle que l’homme, n’auroit jamais existé, son essence n’en seroit pas moins nécessairement possible, & Dieu n’auroit pû lui donner l’actualité sans cette possibilité antérieure d’essence. Ce n’est point limiter la puissance de Dieu, que de la renfermer dans les bornes du possible. Un pouvoir qui s’étend à tout ce qui n’implique point contradiction, est un pouvoir infini ; car tout le reste est un pur néant, & le néant ne sauroit être l’objet d’une puissance active. Voyez Définition, Elémens. Cet article est de M. Formey.

Essence, (Pharm.) on donne ce nom à différentes préparations qu’on a regardées comme possédant éminemment la vertu médicamenteuse du simple dont elles étoient tirées.

Mais ce nom n’a jamais eu, en Pharmacie, une signification bien déterminée ; car on la donne indifféremment à des teintures, à des huiles essentielles, à de simples dissolutions, &c. Voy. Huile essentielle, Teinture.

Les Alchimistes se sont aussi servi quelquefois du mot essence, mais plus communément de celui de quintessence. Voyez Quintessence. (b)

Essence d’Orient, (Joaillerie.) nom donné par les ouvriers à la matiere préparée, avec la quelle on colore les fausses perles. Voyez Perles fausses.

On retire cette matiere des écailles du petit poisson qu’on appelle able. Voyez Able.

Vous trouverez sous ce mot tout ce qui regarde l’essence d’Orient. Nous ajoûterons uniquement que cette dénomination lui convient mal, puisqu’elle n’est pas plus essence ni liqueur, que ne l’est un sable extrèmement fin ou du talc pulvérisé, délavé avec de l’eau. Il est vrai qu’on ne peut bien la retirer des écailles de l’able qu’en les lavant, & que pour être employée, elle demande nécessairement, comme beaucoup de terres à peindre, à être mêlée avec l’eau : mais néanmoins si on l’observe avec une bonne loupe, on la distinguera facilement du liquide dans lequel elle nage, & l’on s’assûrera que loin d’être liquide, elle n’est qu’un amas d’une infinité de petits corps où de lames fort minces régulierement figurées, & dont la plus grande partie sont taillées quarrément.

Quoiqu’on employe à dessein des broyemens assez forts pour enlever ces lames des écailles, on ne les brise, ni on ne les plie ; du moins n’en découvre-t-on point qui soient brisées ou pliées ; & suivant les observations de M. de Reaumur, ces petites lames paroissent au microscope à-peu-près égales, & toûjours coupées en ligne droite dans leur grand côté. L’argent le mieux bruni n’approche pas, dit-il, de l’éclat que ces petites lames présentent aux yeux, aidés du microscope.

Il résulte de-là, qu’étant minces & taillées régulierement, elles sont très propres à s’arranger sur le verre, & à y paroître avec le poli & le brillant des vraies perles : enfin elles cedent aisément au plus leger mouvement, & semblent dans une agitation continuelle, jusqu’à ce qu’elles soient précipitées au fond de l’eau. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.