L’Encyclopédie/1re édition/DEFINITION

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DEFINITION, s. f. en Logique, est une énumération que l’on fait des principales idées simples dont est formée une idée composée, pour déterminer ou expliquer sa nature & son caractere.

Les philosophes de l’école donnent des notions fort imparfaites de la définition. Quelques-uns la définissent la premiere notion ou idée que l’on a d’une chose, qui sert à la distinguer de toute autre, & de laquelle on peut déduire tout ce que l’on sait & que l’on conçoit de cette chose. Mais on la définit plus ordinairement oratio explicans quid res est, un discours qui explique ce qu’une chose est, c’est-à-dire un discours qui détaille les attributs par lesquels la nature d’une chose est déterminée : car expliquer n’est autre chose que détailler séparément les parties qui étoient auparavant mentionnées implicitement & conjointement ; de sorte que toute explication a toûjours un rapport à tout.

Or comme on peut distinguer dans une chose des parties de différente nature, savoir des parties physiques, des parties métaphysiques, &c. on peut donner aussi différentes définitions d’une même chose ; ainsi on peut définir l’homme un animal composé de corps & d’ame, ou bien un animal raisonnable.

Il y a, ajoûte-t-on, deux sortes de définitions ; l’une nominale, ou de nom ; l’autre réelle, ou de chose.

La définition de nom est celle qui explique le sens ou la signification propre d’un mot ; ou, comme le dit plus exactement M. Wolf, c’est l’énumération qu’on fait d’un certain nombre de marques ou de caracteres suffisans pour faire distinguer la chose qu’on définit, d’avec toute autre ; de sorte qu’il ne reste point de doute sur ce que c’est que la chose qu’on a voulu faire entendre & désigner par le nom.

Telle est la définition qu’on donne d’un quarré, en disant que c’est une figure de quatre côtés égaux, &c. qui font entr’eux des angles droits. Par la définition de nom on veut faire connoître ou les idées qu’on attache à un mot dans l’usage ordinaire, ou bien les idées particulieres qu’on a dessein d’y attacher, c’est-à-dire le sens particulier dans lequel on veut qu’un mot soit entendu, pour l’employer en ce sens dans la suite du discours.

La définition de chose est proprement une énumération qu’on fait des principaux attributs d’une chose, pour expliquer & faire connoître sa nature.

Ainsi on définit un cercle, une figure dont tous les points à la circonférence sont également éloignés du centre.

M. Wolf dit que la définition de chose est une notion distincte qui explique la génération de cette chose, c’est-à-dire la maniere dont elle est faite ou dont elle se fait. Telle est la définition qu’on donne d’un cercle, quand on dit que c’est une figure formée par le mouvement d’une ligne droite autour d’une de ses extrémités. Sur ce pié, la définition précédente que nous venons de donner d’un cercle, ne seroit plus une définition de chose, mais simplement une définition de nom.

La notion que nous avons donnée de la définition de chose, d’après plusieurs philosophes, suffit pour faire connoître en quoi elle differe de la définition de nom. Mais quoique cette notion ait de son côté l’avantage de l’analogie, de la clarté & de la convenance, cependant comme elle n’est elle-même qu’une définition de nom, c’est-à-dire une définition du mot, c’est sous ce point de vûe principalement que nous devons la considérer, en la regardant comme une idée attachée arbitrairement à ce mot, & que l’auteur doit toûjours y conserver attachée dans toute la suite de son ouvrage. Mais cette notion ne renferme point en effet le sens ou la signification ordinaire qu’on a coûtume de donner à ce mot, & qui est beaucoup moins juste & moins distincte ; & c’est à cette signification ordinaire que nous devons principalement avoir égard.

Ainsi, quoique les définitions d’une chose ne soient que des explications du mot qui la signifie, il y a cependant de la différence entre définir la chose & définir le mot. L’une & l’autre définition à la vérité n’est que l’explication de la signification d’un mot ; mais la définition de mot est l’explication d’un mot établi par l’usage reçû, conformément aux idées qu’il a plû aux hommes d’y attacher : au lieu que la définition de la chose est l’explication d’un mot supposé arbitraire, dont je me sers à mon gré, en sorte que j’attache à ce mot, selon qu’il me plaît, le nombre & la qualité d’idées que je déclare avoir actuellement dans l’esprit.

Au reste cette définition d’un mot pris même arbitrairement, peut en un sens très-légitime s’appeller la nature de la chose définie : car alors la définition exprime parfaitement la nature de la chose que je définis, telle que je la concois ; mais ce que je conçois alors n’est pas toûjours la nature effective des choses.

Mais pour le bien comprendre, il faut expliquer les différentes idées qui sont attachées au mot nature. 1°. Il signifie l’assemblage de tous les êtres que l’esprit humain est capable de connoître : 2°. le principe universel qui les forme & qui les conduit. 3°. Il signifie la constitution particuliere & intime qui fait chaque être en particulier ce qu’il est : 4°. la disposition qui se trouve dans les êtres, independamment de notre industrie ou de la volonté humaine ; & en ce sens-là ce qui est naturel est opposé à l’artificiel. Ainsi disons-nous que la chûte de l’eau qui tombe dans une cascade de jardin, est artificielle, entant qu’elle a été disposée par l’industrie humaine pour tomber de la sorte. 5°. Enfin le mot nature signifie l’idée que nous nous formons de ce que nous jugeons de plus intime en chaque chose, & que nous exprimons par la définition : c’est ce qui s’appelle dans les écoles, essence métaphysique. V. Nature.

Ces divers sens qu’on donne au mot nature, étant ainsi fixés & déterminés, il est aisé de comprendre quel est le sens que les philosophes donnent à la nature des choses, lorsqu’ils prétendent l’expliquer par leurs définitions. Comme ils entendent par la nature des choses, la constitution particuliere & intime qui fait chaque être en particulier ce qu’il est, il est évident que toutes leurs définitions sur la nature des substances, sont vaines & frivoles ; elles seront toûjours défectueuses, par l’impuissance où ils sont de connoître les essences des substances ; impuissance dont ils ne se doutent pas, parce qu’ils se préviennent pour des idées abstraites qu’ils réalisent, & qu’ils prennent ensuite pour l’essence même des choses. Ce qui les a engagés dans cette méprise, c’est 1° qu’ils ont crû qu’en Mathematiques la notion de la chose emporte la connoissance de son essence ; 2° qu’ils ont conclu précipitamment qu’il en étoit de même en Physique, & se sont imaginés connoître l’essence même des substances. Au lieu de s’amuser à les définir par leur genre & par leur différence la plus prochaine, ils auroient dû plûtôt faire une analyse exacte de toutes les idées simples qui peuvent leur appartenir, en un mot développer l’origine & la génération de toutes leurs notions abstraites. Mais il est bien plus commode de supposer dans les choses une réalité dont on regarde les mots comme les véritables signes ; d’entendre par ces noms, homme, animal, &c. une entité qui détermine & distingue ces choses, que de faire attention à toutes les idées simples qui entrent dans la notion qu’on s’en forme. Cette voie satisfait tout-à-la-fois notre impatience & notre curiosité. Peut-être y a-t-il peu de personnes, même parmi celles qui ont le plus travaillé à se défaire de leurs préjugés, qui ne sentent quelque penchant à rapporter tous les noms des substances à des réalités inconnues. Voyez Abstraction.

C’est-là certainement une des sources les plus étendues de nos erreurs. Il suffit d’avoir supposé que les mots répondent à la réalité des choses, pour les confondre avec elles, & pour conclure qu’ils en expliquent parfaitement la nature. Voilà pourquoi celui qui fait une question, & qui s’informe ce que c’est que tel ou tel corps, croit, comme Locke le remarque, demander quelque chose de plus qu’un nom ; & que celui qui lui répond, c’est du fer, croit aussi lui apprendre quelque chose de plus. Mais avec un tel jargon il n’y a point d’hypothèse, quelqu’inintelligible qu’elle puisse être, qui ne se soûtienne.

Il est donc bien important de ne pas réaliser nos abstractions. Pour éviter cet inconvénient je ne connois qu’un moyen ; c’est de substituer toûjours des analyses aux définitions des philosophes : les analyses sont les meilleures définitions qu’on puisse en faire. Mais ce moyen, tout simple qu’il est, a été inconnu aux philosophes. La cause de leur ignorance à cet égard, c’est le préjugé où ils ont toûjours été qu’il falloit commencer par les idées générales ; car lorsqu’on s’est défendu de commencer par les particulieres, il n’est pas possible d’expliquer les plus abstraites qui en tirent leur origine. En voici un exemple.

Après avoir défini l’impossible par ce qui implique contradiction, le possible par ce qui ne l’implique pas, & l’être par ce qui peut exister, on n’a pas sû donner d’autre définition de l’existence, sinon qu’elle est le complément de la possibilité. Mais je demande si cette définition présente quelqu’idée, & si l’on ne seroit pas en droit de jetter sur elle le ridicule qu’on a donné à quelques-unes de celles d’Aristote.

Si le possible est ce qui n’implique pas contradiction, la possibilité est la non-implication de contradiction. L’existence est donc le complément de la non-implication de contradiction. Quel langage ! En observant mieux l’ordre naturel des idées, on auroit vû que la notion de la possibilité ne se forme que d’après celle de l’existence. Je pense qu’on n’adopte ces sortes de définitions, que parce que connoissant d’ailleurs la chose définie, on n’y regarde pas de si près. l’esprit qui est frappé de quelque clarté, la leur attribue, & ne s’apperçoit point qu’elles sont inintelligibles.

Mais si toutes les définitions qu’on fait sur les substances, n’en font point connoître la nature, il n’en est pas de même dans les sciences où l’on raisonne sur des idées archétypes. L’essence d’une chose étant, selon les philosophes, ce qui la constitue ce qu’elle est, c’est une conséquence que nous puissions dans ces occasions avoir des idées des essences ; leurs essences se confondent avec les notions que nous nous en sommes faites : aussi leur donnons-nous des noms qui sont également les signes des unes & des autres. Un espace terminé par trois lignes peut être regardé dans ce sens comme l’essence du triangle. Le nom de justice signifie également celle du juste ; celui de sagesse, l’essence & la notion du sage, &c. C’est peut-être là une des raisons qui a fait croire aux scholastiques, que pour avoir des noms qui exprimassent les essences des substances, ils n’avoient qu’à suivre l’analogie du langage ; ainsi ils ont fait les mots de corporéité, d’animalité & d’humanité, pour désigner les essences du corps, de l’animal & de l’homme : ces termes leur étant devenus familiers, il est bien difficile de leur persuader qu’ils sont vuides de sens.

Il faut observer que la nature des choses purement idéales étant une fois fixée, on en tire des conséquences dont le tissu forme une science aussi véritable que la Géométrie, qui a pour base la définition des mots. Tout géometre commence par dire : J’entends par le mot point telle chose, par la ligne telle autre chose ; & de cette définition de mots, qui sont autant d’essences que l’esprit forme à son gré, on parvient aux connoissances les plus profondes, aux conséquences les plus éloignées, & aux démonstrations les plus infaillibles & les plus évidentes : mais il faut toûjours se souvenir que ce sont-là des vérités qui n’ont pour fondement que des natures idéales de ce qu’on s’est mis arbitrairement dans l’esprit.

Nous pouvons ici, après M. Locke, faire utilement l’analyse de la méthode établie dans les écoles, de définir par le moyen du genre & de la différence. Le genre comprend ce que la chose définie a de commun avec d’autres choses ; la différence comprend ce que la chose a de particulier, & qui ne lui est commun avec nulle autre chose. Cette méthode n’est qu’un supplément à l’énumération des diverses qualités de la chose définie : comme quand on dit de l’homme, c’est un animal raisonnable, le mot animal renferme les qualités de vivant, mourant, sensible. Cela est si vrai, que s’il ne se trouve point de mot particulier qui exprime toutes les qualités de la chose définie, alors il faut avoir recours à l’énumération des qualités mêmes. Par exemple, si l’on veut définir une perle, on ne le pourra faire en marquant simplement un genre & une différence précise, comme on en marque dans la définition de l’homme ; & cela parce qu’il n’y a point de mot qui seul renferme toutes les qualités qu’une perle a de commun avec d’autres êtres. C’est ainsi que la méthode de définir par voie de genre & de différence, est le supplément ou l’abregé de l’énumération des qualités qu’on découvre dans la chose définie ; mais ce que l’on en découvre n’étant pas toute sa nature, la définition ne se trouvera autre chose que l’explication de la vraie signification d’un mot, & du sens que l’usage y a attaché, & non pas de la nature effective, réelle & totale de la chose indiquée par le mot.

On demande ordinairement trois choses pour qu’une définition soit bonne : 1°. qu’elle soit claire, c’est-à-dire qu’elle nous serve à avoir une idée plus claire & plus distincte de la chose qu’on définit, & qu’elle nous en fasse, autant qu’il se peut, comprendre la nature : 2°. qu’elle soit universelle ou adéquate, c’est à-dire qu’elle convienne à tout ce qui est contenu dans l’espece définie : 3°. qu’elle soit propre ou particuliere à la chose définie.

On peut faire sur la définition en général les réflexions suivantes.

1°. L’usage des définitions est impossible, quand il s’agit des idées simples. Locke l’a fait voir, & il est assez singulier qu’il soit le premier qui l’ait remarqué. « Il n’y a aucune définition, dit-il, de la lumiere ou de la rougeur, qui soit plus capable d’exciter en nous aucune de ces idées, que le son du mot lumiere ou rougeur pourroit le faire par lui-même : car espérer de produire une idée de lumiere ou de couleur par un son, de quelque maniere qu’il soit formé, c’est se figurer que les sons pourront être vûs, ou que les couleurs pourront être oüies, & attribuer aux oreilles la fonction de tous les autres sens ; ce qui est autant que si l’on disoit que nous pouvons goûter, flairer, & voir par le moyen des oreilles : espece de philosophie qui ne peut convenir qu’à Sancho Pança, qui avoit la faculté de voir Dulcinée par oüi-dire. Le seul moyen donc qu’il y ait de faire connoître à quelqu’un la signification des mots qui expriment des idées simples, c’est de frapper ses sens par les objets qui leur sont propres, & de produire ainsi en lui les idées dont il a déjà appris le nom. Un homme aveugle qui aimoit l’étude, s’étant fort tourmenté la tête sur le sujet des objets visibles, & ayant consulté ses livres & ses amis, pour pouvoir comprendre les mots de lumiere & de couleur qu’il rencontroit souvent dans son chemin, dit un jour avec une extrème confiance, qu’il comprenoit enfin ce que signifioit l’écarlate : sur quoi son ami lui ayant demandé ce que c’étoit ; c’est, répondit-il, quelque chose de semblable au son de la trompette. Quiconque prétendra découvrir ce qu’emporte le nom de quelque autre idée simple par le seul moyen d’une définition, ou par d’autres termes qu’on peut employer pour l’expliquer, se trouvera justement dans le cas de cet aveugle ». Locke, l. III. c. jv.

Les philosophes qui sont venus avant ce philosophe Anglois, ne sachant pas discerner les idées qu’il falloit définir de celles qui ne devoient pas l’être, qu’on juge de la confusion qui se trouve dans leurs écrits. Les Cartésiens n’ignoroient pas qu’il y a des idées plus claires que toutes les définitions qu’on en peut donner ; mais ils n’en savoient pas la raison, quelque facile qu’elle paroisse à appercevoir. Ainsi ils font bien des efforts pour définir des idées fort simples,tandis qu’ils jugent inutile d’en définir de fort composées. Cela fait voir combien en philosophie le plus petit pas est difficile à faire. Voyez Nom.

2°. Les définitions par lesquelles on veut expliquer les propriétés des choses par un genre & par une différence, sont tout-à-fait inutiles, si par genre & par différence vous n’entendez le supplément ou l’abregé de l’énumération des qualités, que la seule analyse fait découvrir. Le moyen le plus efficace d’étendre ses connoissances, c’est d’étudier la génération des idées dans le même ordre dans lequel elles se sont formées. Cette méthode est sur-tout indispensable, quand il s’agit des notions abstraites : c’est le seul moyen de les expliquer avec netteté. Or c’est-là le propre de l’analyse.

3°. Les définitions ne nous aident jamais à connoître la nature des substances, mais seulement les essences qui se confondent avec les notions que nous nous faisons des choses ; notions fondées sur des idées archétypes, & non pas d’après des modeles réellement existans, ainsi que sont les substances.

4°. Comme les définitions, soit de nom, soit de chose, ne sont que des explications des mots, qui signifient le sens qu’on y attache, aux différences près que nous avons marquées entre les unes & les autres ; il s’ensuit qu’elles ne peuvent être contestées, & qu’on peut les prendre pour des principes. La raison en est, qu’on ne doit pas contester que l’idée qu’on a désignée, ne puisse être appellée du nom qu’on lui a donné ; mais on n’en doit rien conclure à l’avantage de cette idée, ni croire pour cela seul qu’on lui a donné un nom, qu’elle signifie quelque chose de réel : car, par exemple, si un philosophe me dit, j’appelle pesanteur le principe intérieur qui fait qu’une pierre tombe sans que rien la pousse ou l’attire ; je ne contesterai pas cette définition : au contraire, je la recevrai volontiers, parce qu’elle me fait entendre ce qu’il veut dire ; mais je pourrai nier que ce qu’il entend par ce mot de pesanteur soit quelque chose de réel.

5°. Une des grandes utilités qu’apporte la définition, c’est de faire comprendre nettement dequoi il s’agit, afin de ne pas disputer inutilement sur des mots, comme on fait si souvent même dans les discours ordinaires. Mais, outre cette utilité, il y en a encore une autre ; c’est qu’on ne peut souvent avoir une idée distincte d’une chose, qu’en y employant beaucoup de mots pour la désigner. Or il seroit importun, sur-tout dans les livres de science, de répéter toûjours cette grande suite de mots : c’est pourquoi, ayant fait comprendre la chose par tous ces mots, on attache à un seul mot l’idée complexe qu’on a conçûe, qui tient lieu de toutes les autres. Ainsi ayant compris qu’il y a des nombres qui sont divisibles en deux également ; pour éviter de répéter tous ces termes, on donne un nom à cette propriété, en disant : j’appelle tout nombre qui est divisible en deux également nombre pair : cela fait voir que toutes les fois qu’on se sert du mot qu’on a défini, il faut substituer mentalement la définition à la place du défini, & avoir cette définition si présente, qu’aussi-tôt qu’on nomme par exemple le nombre pair, on entende précisément que c’est celui qui est divisible en deux également, & que ces deux choses soient tellement jointes & inséparables dans la pensée, qu’aussi-tôt que le discours en exprime une, l’esprit y attache immédiatement l’autre : car ceux qui définissent les termes, comme font les Géometres avec tant de soin, ne le font que pour abréger le discours, que de si fréquentes circonlocutions rendroient ennuyeux.

6°. Il ne faut point changer les définitions déjà reçûes, quand on n’a point sujet d’y trouver à redire ; car il est toûjours plus facile de faire entendre un mot lorsqu’il est déjà consacré par l’usage, au moins parmi les savans, pour signifier une idée, que lorsqu’il faut l’attacher de nouveau à une autre idée, & le détacher de celle à laquelle il étoit ordinairement lié. La raison de cette observation est, que les hommes ayant une fois attaché une idée à un mot, ne s’en défont pas facilement ; & ainsi leur ancienne idée revenant toûjours, leur fait aisément oublier la nouvelle que vous voulez leur donner en définissant ce mot : de sorte qu’il seroit plus facile de les accoûtumer à un mot qui ne signifieroit rien, que de les accoûtumer à dépouiller le mot de la premiere idée qui en étoit liée.

C’est un défaut dans lequel sont tombés quelques Chimistes, qui ont pris plaisir de changer les noms de la plûpart des choses dont ils parlent, sans qu’il en revienne aucune utilité, & de leur en donner qui signifient déjà d’autres choses qui n’ont nul véritable rapport avec les nouvelles idées auxquelles ils les lient : ce qui donne même lieu à quelques-uns de faire des raisonnemens ridicules, comme est celui d’une personne qui s’imaginant que la peste étoit un mal saturnin, prétendoit qu’on avoit guéri des pestiférés en leur pendant au cou un morceau de plomb, que les Chimistes appellent saturne, sur lequel on avoit gravé, un jour de samedi, qui porte aussi le nom de Saturne, la figure dont les Astronomes se servent pour marquer cette planete ; & comme si des rapports arbitraires entre le plomb & la planete de Saturne, & entre cette planete & le jour du samedi, & la petite marque dont on la désigne, pouvoit avoir des effets réels, & guérir effectivement des maladies. Article de M. Formey.

Définition, en Mathématiques, c’est l’explication du sens, ou de la signification d’un mot ; ou, si l’on veut, une énumération de certains caracteres, qui suffisent pour distinguer la chose définie de toute autre chose.

Telle est, comme on l’a déjà observé, la définition du mot quarré, quand on dit qu’on doit entendre par ce mot une figure renfermée par quatre côtés égaux & perpendiculaires l’un à l’autre.

On ne sauroit, en Mathématiques, s’appliquer avec trop de soin à donner des définitions exactes : car l’inexactitude de la définition empêche de bien saisir la vraie signification des mots ; le lecteur est à chaque instant en danger de s’écarter du vrai sens des propositions.

Les définitions mathématiques ne sont à la rigueur que des définitions de nom (pour user de l’expression des Logiciens) ; c’est-à-dire qu’on s’y borne à expliquer ce qu’on entend par un mot, & qu’on ne prétend pas expliquer par la définition la nature de la chose : ainsi les Mathématiciens sont plus reservés que bien des philosophes, qui croyent donner des définitions de chose, entendant par ce mot l’explication de la nature de la chose, comme si la nature des choses nous étoit connue, comme si même les mots de nature & d’essence présentoient des idées bien nettes. Voyez ci-dessus dans quel sens les définitions mathématiques peuvent être prises pour des définitions de chose. Ce qu’il y a de singulier, c’est que les définitions des philosophes dont nous parlons, & celles du géometre, sont souvent les mêmes, quoique leurs prétentions soient si différentes. Le géometre dit : un triangle rectiligne est une figure renfermée par trois lignes droites ; le philosophe diroit la même chose : mais le premier explique seulement ce qu’il entend par triangle ; le second croit en expliquer la nature, quoiqu’il n’ait peut-être une idée bien nette, ni de l’espace, ni de l’angle, ni de la ligne, &c.

Les définitions des Mathématiciens regardées comme définitions de nom, sont absolument arbitraires, c’est-à-dire qu’on peut donner aux objets des mathématiques tel nom, & aux mots tel sens qu’on veut. Cependant il faut autant qu’il est possible se conformer à l’usage de la langue & des savans ; il seroit ridicule, par exemple, de définir le triangle une figure ronde, quoiqu’on pût faire à la rigueur des élémens de Géométrie exacts (mais ridicules) en appellant triangle ce qu’on appelle ordinairement cercle. Voyez Dictionnaire. (O)

Definition, en Rhétorique, c’est un lieu commun ; & par définition, les rhéteurs entendent une explication courte & claire de quelque chose.

Les définitions de l’orateur different beaucoup dans la méthode de celles du dialecticien & du philosophe. Ces derniers expliquent strictement & séchement chaque chose par son genre & sa différence : ainsi ils définissent l’homme un animal raisonnable. L’orateur se donne plus de liberté, & définit d’une maniere plus étendue & plus ornée. Il dira, par exemple : l’homme est un des plus beaux ouvrages du Créateur, qui l’a formé à son image, lui a donné la raison, & l’a destiné à l’immortalité : mais cette définition, à parler exactement, tient plûtôt de la nature d’une description que d’une définition proprement dite.

Il y a différentes sortes de définitions oratoires. La premiere se fait par l’énumération des parties d’une chose ; comme lorsqu’on dit, que l’éloquence est un art qui consiste dans l’invention, la disposition, l’élocution, & la prononciation. La seconde définit une chose par ses effets : ainsi l’on peut dire que la guerre est un monstre cruel qui traine sur ses pas l’injustice, la violence, & la fureur ; qui se repait du sang des malheureux, se plaît dans les larmes & dans le carnage ; & compte parmi ses plaisirs, la desolation des campagnes, l’incendie des villes, le ravage des provinces, &c. La troisieme espece est comme un amas de diverses notions pour en donner une plus magnifique de la chose dont on parle, & c’est ce que les rhéteurs nomment definitiones conglobatæ : ainsi Cicéron définit le sénat romain, templum sanctitatis, caput urbis, ara sociorum, portus omnium gentium. La quatrieme consiste dans la négation & l’affirmation, c’est à-dire à désigner d’abord ce qu’une chose n’est pas, pour faire ensuite mieux concevoir ce qu’elle est. Cicéron, par exemple, voulant définir la consulat, dit que cette dignité n’est point caractérisée par les haches, les faisceaux, les licteurs, la robe prétexte, ni tout l’appareil extérieur qui l’accompagne, mais par l’activité, la sagesse, la vigilance, l’amour de la patrie ; & il en conclud que Pison qui n’a aucune de ces qualités, n’est point véritablement consul, quoiqu’il en porte le nom & qu’il en occupe la place. La cinquieme définit une chose par ce qui l’accompagne ; ainsi l’on a dit de l’Alchimie, que c’est un art insensé, dont la fourberie est le commencement, qui a pour milieu le travail, & pour fin l’indigence. Enfin la sixieme définit par des similitudes & des métaphores : on dit, par exemple, que la mort est une chûte dans les ténebres, & qu’elle n’est pour certaines gens qu’un sommeil paisible.

On peut rapporter à cette derniere classe des définitions métaphoriques, cinq définitions de l’homme assez singulieres pour trouver place ici. Les Poëtes feignent que les Sciences s’assemblerent un jour par l’ordre de Minerve pour définir l’homme. La Logique le définit, un court enthymeme, dont la naissance est l’antécédent, & la mort le conséquent : l’Astronomie, une lune changeante, qui ne reste jamais dans le même état : la Géométrie, une figure sphérique, qui commence au même point où elle finit : enfin la Rhétorique le définit, un discours dont l’exorde est la naissance, dont la narration est le trouble, dont la peroraison est la mort, & dont les figures sont la tristesse, les larmes, ou une joie pire que la tristesse. Peut-être par cette fiction ont-ils voulu nous donner à entendre que chaque art, chaque science, a ses termes propres & consacrés pour définir ses objets. (G)

A l’égard des définitions philosophiques, elles sont d’autant plus essentielles dans les choses mêmes les plus familieres, que les hommes ne sont jamais en contradiction que pour n’avoir pas défini, ou pour avoir mal défini. L’erreur n’est guere que dans les termes. Ce que j’assûre d’un objet, je l’assûre de l’idée que j’y attache : ce que vous niez de ce même objet, vous le niez de l’idée que vous y appliquez. Nous ne sommes donc opposés de sentimens qu’en apparence, puisque nous parlons de deux choses distinctes sous un même nom. Quand vous lirez clairement dans mon idée, quand je lirai clairement dans la vôtre, vous affirmerez ce que j’affirme, je nierai ce que vous niez ; & cette communication d’idées ne s’opere qu’au moyen des définitions. Voyez Idée, Vérité, Evidence, Erreur, &c. Article de M. Marmontel.