L’Encyclopédie/1re édition/EPINGLE

EPINGLE, s. f. (Art. Méchaniq.) petit instrument de métal, droit & pointu par un bout, qui sert d’attache amovible au linge & aux étoffes, pour fixer les différens plis qu’on leur donne à la toilette, à l’ouvrage, & dans les emballages.

L’épingle est de tous les ouvrages méchaniques le plus mince, le plus commun, le moins prétieux, & cependant un de ceux qui demandent peut-être le plus de combinaisons : d’où il résulte que l’art, ainsi que la nature étale ses prodiges dans les petits objets, & que l’industrie est aussi bornée dans ses vûes, qu’admirable dans ses ressources ; car une épingle éprouve dix-huit opérations avant d’entrer dans le commerce.

1°. On jaunit le fil de laiton : il arrive de Suede ou de Hambourg, en bottes de 25 à 28 livres chacune, pliées en cercle comme un collier, d’où on les appelle aussi torques, & toutes noires de la forge : on les fait bouillir dans une chaudiere d’eau avec de la gravelle ou lie de vin blanc, environ une livre par botte. Un ouvrier les fesse à force de bras sur un billot de bois, avant de les faire bouillir : après une heure de feu, on les trempe dans un baquet d’eau fraîche, & on les rebat encore, observant de tremper & de battre alternativement. Ainsi dérouillées & assouplies, l’ouvrier replie le fil de laiton ébauché au-tour de son bras ; d’où il passe au tirage, après avoir séché au feu ou au soleil.

2°. On tire le fil à la bobille : cette opération se fait sur un banc ou établi, qui est une grosse table de bois en quarré, longue & fort épaisse. Voyez au bas de la Pl. I. fig. 4. Le fil s’entortille autour d’un moulinet ou devidoir 1, ou six branches enchâssées dans deux planches plates & rondes, celle d’en-bas plus grande que celle d’en-haut. Ce devidoir tourne sur un pivot qui le traverse au centre : vers l’autre extrémité est une filiere 3 ; c’est une piece de fonte d’un pié & demi de long, & d’un pouce d’épaisseur sur deux de largeur, percée à cent douze trous égaux : mais comme elle est d’une matiere malléable, on peut élargir ou diminuer les trous, selon la grosseur ou l’on veut réduire le fil à tirer. On se sert pour cela d’un poinçon 7 : après avoir battu la filiere à coups de marteau 11, & bouché ses trous avec un polissoir sur un chantier 13, on la fixe avec des coins entre deux crampons 44 de fer, panchée 3 au niveau de l’endroit de la bobille où le fil doit tourner. L’ouvrier ayant appetissé la pointe du fil avec une lime, sur un petit quarré de bois 12 qu’il appelle étibeau, il le fait passer par le trou de la filiere, & le tire d’abord avec des bequettes ou tenailles plates en dedans, & mordantes comme une lime (car elles ont des dents), jusqu’à ce qu’il puisse l’accrocher à la bobille par un ou deux petits anneaux de fer. La bobille est un cylindre de bois 2, fixé autour d’un arbre de fer qui le traverse au centre par la base : elle tourne au moyen d’une manivelle de fer, attachée à la bobille par une patte 10 avec un manche mobile de bois ou de corne. L’ouvrier (fig. 4. vignette de la Pl. I.) prend le manche à deux mains, & tourne en frotant de tems en tems le fil à l’huile avec un pinceau ou un linge, afin de le rendre plus coulant autour de la bobille. Avant de passer le fil dans le trou de la filiere, on se sert d’une jauge pour déterminer la mesure : la jauge est un fil d’archal (VIII. fig. 5. au bas de la même Planche) qui se replie en serpentant. Elle a douze portes, six de chaque côté ; ce sont les points par où le fil d’archal se rapproche le plus : elles servent à fixer la grosseur où l’ouvrier doit reduire son fil, selon l’espece des épingles qu’il veut faire.

3°. On dresse le fil, (Pl. II. fig. 2. vignette). Sur une grosse. table à deux ou trois piés, est un moulinet autour duquel on met le fil qui sort de la bobille. A un pié de distance est un engin d, c’est-à-dire un morceau de bois plat & quarré fixé sur la table, & garni de sept à huit clous sans tête, placés de suite, mais à deux distances, de façon à former une équerre curviligne. Voyez dans la figure 17, au bas de la même Planche, le moulinet G, & l’engin avec les clous HK. Le dresseur fait passer le fil à-travers ces clous, devant le premier, derriere le second, &c. de façon qu’il prend une ligne droite, dont il ne peut s’écarter, à moins que les clous ne plient de côté ou d’autre ; mais alors on les redresse avec un marteau. Cette opération est d’autant plus délicate, que le moindre défaut rend le fil tors & inutile. Le dresseur saisit le fil avec des tenailles tranchantes, & recule en-arriere à la distance de 18 piés environ ; puis il revient cueillir sa dressée, c’est-à-dire trancher son fil avec les tenailles, pour commencer une seconde dressée de la même longueur.

4°. On coupe la dressée. L’ouvrier prend une boîte ou mesure de bois traversée ou terminée par une petite plaque de fer. Cette boîte a différens numeros, selon les diverses especes d’épingles ; il ajuste sa boîte à la dressée, & la coupe avec des tenailles tranchantes appellées triquoises, en autant de tronçons ou parties aliquotes, qu’elle contient de fois la longueur de la mesure, prenant 10 à 12 dressées à-la-fois ; puis il met les tronçons dans une écuelle de bois, g, fig. 3. vignette de la même Planche.

5°. On empointe. Un homme (fig. 6. même vign.) tourne une grande roue de bois, telle qu’on en voit chez les Couteliers, autour de laquelle est une corde de chanvre ou de boyau, aboutissant à la noix d’un arbre qui porte une meule dentelée. Cette meule est enchâssée dans un billot de bois, f, quarré & creux par le milieu. L’empointeur (figure 5.) se place les jambes repliées en croix contre les cuisses, sur une sellette en pente devant la meule ; prend une tenaillée, c’est-à-dire 12 à 15 tronçons à-la-fois ; les place entre les deux index & les pouces, l’un au-dessus de l’autre (fig. 16. au bas de la même Planche) ; applique les tronçons rangés en ligne sur la meule ; tire en baissant, & les faisant tourner au moyen des deux pouces qu’il avance & retire alternativement, afin que la pointe aille en s’arrondissant : c’est ainsi qu’il empointe les deux extrémités des tronçons l’une après l’autre.

6°. On repasse, c’est à-dire que la même opération se répete sur une meule voisine (fig. 7 & 8. vignette de la même Planche), plus douce que la premiere, afin d’affiler les pointes qui ne sont qu’ébauchées. C’est en quoi les épingles de Laigle & des autres villes de Normandie, sont préférables à celles de Bordeaux, où l’on ne donne qu’une façon à la pointe. Les meules sont d’un fer bien trempé, d’un demi-pié de diametre environ : elles sont couvertes de dents tout-autour, qu’on a taillées avec un ciseau sur des lignes droites tracées au compas. On remet les meules au feu, quand elles sont usées ; on polit la surface à la lime, & l’on y taille de nouvelles dents. L’axe des meules est un fuseau de fer, dont les extrémités pointues entrent dans deux tapons du bois le plus dur, qui servent de pivots ou de soûtien à la meule. L’empointeur appuie plus ou moins legerement, selon que sa pointe est avancée.

7°. On coupe les tronçons. Le coupeur prend une boîte de fer (fig. 15. au bas de la seconde Planche) ; il ajuste les tronçons en pointes dans cette boîte, & les assujettit avec une crosse n sur un métier de bois m, revêtu d’une chausse de cuir ll, qui s’attache autour de la cuisse avec des courroies kk. L’ouvrier assis par terre, étend une jambe & replie l’autre, ensorte que le pié de celle-ci donne contre le jarret de la jambe étendue. Dans cette posture, la cuisse de la jambe repliée lui sert de ressort pour mouvoir la branche inférieure des grands ciseaux avec lesquels il tranche les tronçons. Ces boîtes qui servent à déterminer la mesure de chaque épingle, comme les boîtes de bois fixent la mesure des tronçons, ont environ trois pouces de longueur sur deux de large, avec une séparation vers le milieu, & sont revêtues sur les côtés de deux bords dans lesquels on trouve la place du pouce, afin d’alligner les tronçons. Les pointes appuient sur la base du quarré que forme la boîte, & par-là même sont exposées à s’émousser, quoiqu’elles ne pressent pas fortement contre le fer. On coupe les tronçons par douzaines, arrangés comme on les voit au bas de la même Planche (fig. 21. 19. p. r. s.) ; & on les divise en deux, en trois ou en quatre, selon le nombre des épingles qu’ils contiennent. Les extrémités qui débordent hors du niveau, s’appellent hanses, & le coupeur les tranche dans la situation déjà décrite, & que la fig. 4. de la même Planche achevera de rendre intelligible.

8°. On tourne les têtes. Sur le haut bout d’une table panchée, est un roüet (fig. 9. au milieu de la seconde Planche), dont la corde aboutit à une noix de bois placée à l’autre extrémité de la table, & fixée sur des pivots enfoncés dans la table. Au bout de cette noix est une broche ou tuyau de fer enchâssé dans la noix. Cette broche est percée par le bout, & creusée environ d’un pouce ; elle est percée au-dessus d’un second trou semblable à l’embouchure du flageolet. C’est par ces deux trous voisins qu’on fait d’abord passer le moule des têtes, pour l’attacher autour de la broche. Ce moule, a, n’est autre chose qu’un fil de laiton plus ou moins gros, à proportion de la grosseur des têtes qu’on veut faire, mais toûjours plus gros que les épingles à qui ces têtes conviendront. Le fil des têtes, plus mince que l’épingle, est en botte autour du moulinet b, planté sur un pivot enfoncé dans un pié-d’estal. Le tourneur on faiseur de têtes prend une porte, c’est-à-dire un morceau de bois long de six pouces, sur trois de circonférence. Au-dessus est un diametre, ou une ligne creusée dans le bois par le moule qui se trouve trop gêné entre deux épingles sans tête placées à chaque extrémité, & l’anneau de fer fiché dans le centre. C’est par cet anneau, qui est proprement la porte, que passe le fil à tête, & de-là dans la broche par les trous indiqués, pour être accroché au bec. Le tourneur saisit la porte à poing fermé, fait passer le fil à tête entre l’index & le doigt du milieu ; ensorte qu’il coupe le moule à angles droits : il tourne le rouet d’une main ; & le fil que le moulinet laisse aller, s’entortille autour du moule à mesure que l’ouvrier recule. Le moule rempli ou couvert à la longueur de cinq à six piés environ, on détache le fil de la broche ; on le tire, & il vous reste à la main une chaîne de têtes semblable à ces cordons d’or dont on borde quelquefois les chapeaux.

9°. On coupe les têtes. Un homme assis par terre (fig. 10. au milieu de la même Planche), les jambes croisées en-dessous, prend une douzaine de ces cordons à tête n (fig. 8. Pl. III.) ; il a des ciseaux, o, camards ou sans pointe, dont la branche supérieure se termine par une espece de crochet qui porte sur la branche inférieure, afin que les doigts ne soient point foulés : car il ne fait que saisir la branche supérieure, & la presser contre l’inférieure ; au moyen de quoi il coupe les têtes, observant de ne jamais couper plus ou moins de deux tours de fil : car la tête est manquée, quand elle excede ou n’atteint pas ces limites. Cette opération est d’autant plus difficile, qu’il n’y a que l’habitude de l’œil ou de la main qui puisse assujettir l’ouvrier à cette regle ; cependant il ne coupe pas moins de 12 mille têtes par heure.

10°. On amollit les têtes, Il ne faut pour cela que les faire rougir sur un brasier, dans une cueiller de fer pareille à celle des Fondeurs d’étain ou de plomb, afin qu’elles soient plus souples au frappage, & qu’elles s’accrochent mieux autour des hanses.

11°. On frappe les têtes. Le métier qui sert à cette opération, est composé d’une table o (fig. 12. au milieu de la Pl. III.) ou billot quarré ou triangulaire qui en fait la base, de deux montans ou piliers de bois ss, liés ensemble par une traverse tt. Dans un de ces montans, plus haut que l’autre environ de demi-pié, passe une bascule d ou levier, qui vient répondre par une de ses extrémités c au milieu de la traverse des montans, & s’attache par une corde ou chaînette à une barre b, qui sort par le milieu de la traverse d’un contre-poids a. Ce levier répond de l’autre bout e, par une corde, à une planche ou marchette f, fixée à terre ou au plancher par un crampon & un anneau. Dans cette espece de case sont deux branches ou broches de fer xx paralleles aux montans, plantées sur la base du métier, & enchâssées dans la traverse d’en-haut avec des coins. Sous le contre-poids est une seconde traverse de fer qui vient s’accrocher aux deux broches yy, pour fixer le contre-poids, de façon qu’il ne puisse s’écarter à droite ou à gauche du point sur lequel il doit tomber. Ce contre-poids a, qu’on nomme pesée, est un massif de plomb sphérique ou cylindrique, pesant 10 à 11 livres ; il contient un esquibot de fer, dans lequel est enchâssé un outil ou canon d’acier, au point z. Cet outil est percé d’une auche, c’est-à-dire d’une cavité hémisphérique qui enchâsse la tête de l’épingle : au-dessous est une enclume surmontée d’un outil enchâssé, pareil au supérieur, & percé d’une auche toute semblable, à laquelle conduit une petite ligne creusée dans l’outil pour placer le corps de l’épingle, qui casseroit faute de cette précaution. Ces deux auches ou têtoirs servent à serrer à-la-fois les deux parties de la tête ; ce qui s’appelle enclorre. On les forme avec des poinçons, tels qu’on en voit un dans la figure désignée ; ce qui s’appelle enhaucher. Le frappeur assis sur une sellette (o, figure 12. & 13. Pl. II. au milieu), a devant lui trois écuelles de bois ou poches de cuir, dont l’une (z, figure 2. Pl. III.) est pleine de hanses empointées ; l’autre (o, o, fig. 18. au bas de la même Planche) est pleine de têtes ; & la troisieme (z, 3. 10. figure précédemment citée) sert à mettre les épingles entêtées. Tandis que d’une main il enfile les épingles dans les têtes, ce qu’on appelle brocher, de l’autre il enrhune ou place la tête dans les auches, & du pié il fait joüer le contrepoids, au moyen de la marchette qu’il frappe à coups redoublés, observant de tourner l’épingle dans les têtoirs, pour bien trapper la tête de tous les côtés. Il y a des métiers à plusieurs places, tels qu’on en voit un à trois (fig. 12. & 13. Planche II.) C’est la même machine multipliée sur une seule base.

12°. On jaunit les épingles. On employe à cet usage de la gravelle qu’on fait bouillir avec les épingles dans l’eau pendant un certain tems, jusqu’à ce que les têtes noircies au feu reprennent la couleur naturelle du laiton.

13°. On blanchit les épingles. Comme on a besoin pour cette opération, de plaques d’étain, voici la maniere de les mouler.

On dresse un établi (figure 6. Pl. III. vignette), formé de deux ou trois planches bien unies, de sept à huit piés de long sur deux de large ; on étend par-dessus une couverture de laine, qu’on revêt d’un coutis bien tendu, & attaché avec des clous. Un ouvrier tient un moule ou chassis de bois, qui forme un quarré long de deux piés sur deux pouces d’épaisseur, à trois côtés, ou plûtôt deux côtés & la base. Le chassis appliqué sur une extrémité de l’établi, on prend quelques cueillerées de l’étain fondu dans une chaudiere m, qu’on verse sur ce lit, & qui se trouve arrêté par le chassis. Cette lame d’étain a deux pouces de profondeur ; & comme les plaques ne doivent avoir que deux lignes d’épaisseur environ, on la laisse étendre sur l’établi qui est en pente, en reculant doucement avec le chassis, que l’étain liquide suit toûjours, jusqu’à ce qu’il ait pris sur le coutis. Quand il est refroidi, on leve toute la coulée, qui se détache d’elle-même, & on la partage en disques ou plaques tracées au compas, de seize pouces de diametre chacune. Venons au blanchissage.

Pour cent livres d’épingles qu’on blanchit à-la-fois, on jette dans une chaudiere (fig. 14. Pl. III. vers le bas de la Planche), six seaux d’eau de huit pots chacun, où l’on répand trois livres de gravelle ou lie de vin blanc. Sur une plaque d’étain qui pese une livre à-peu-près, on met environ deux livres d’épingles ; qu’on prend à poignée sans les peser, & qu’on étend sur la plaque (figure 15), afin qu’elles s’étament mieux : les bords de la plaque sont relevés tout-autour, de peur que les épingles ne tombent. On met ainsi plusieurs plaques garnies l’une sur l’autre, ensorte que chaque lit d’épingles se trouve toûjours entre deux plaques. Un certain nombre de ces plaques forme ce qu’on appelle une portée (fig. 10. 10.) qu’un ouvrier met dans la chaudiere, au moyen d’une croix de fer en sautoir (fig. 3. 3. 1. 14.) suspendue par des fils d’archal ou de laiton (figure 2.) Ces fils débordent hors de la chaudiere, afin de pouvoir retirer les portées : chaque portée est séparée des autres par une plaque plus forte. Il faut que l’eau bouille avec la gravelle & les épingles pendant quatre heures. La gravelle sert à détacher les parties d’étain, qui s’attachent ensuite à l’épingle. Telle est la divisibilité de l’étain, qu’il ne perd que quatre onces sur cent livres d’épingles ; ainsi l’opération de couler les plaques ne revient qu’après dix-huit mois d’intervalle. L’étain dont on se sert en Angleterre, est du plus pur & très-bien calciné ; aussi les épingles y sont-elles très-blanches. Celles de Bordeaux ont encore un avantage sur celles-ci pour l’éclat & la durée de la blancheur, parce qu’on y mêle du tartre dans le blanchissage.

14°. On éteint les épingles, c’est-à-dire qu’on les lave dans un baquet d’eau fraîche (fig. 1. Pl. III.) suspendu en l’air sur un bâton, ou par des anses attachées à des crochets avec des cordes qu’on appelle la branloire ; on les secoue en balotant le baquet de côté & d’autre, pour séparer la gravelle qui tombe au fond, & purifier l’étamage.

15°. On seche les épingles. Il n’y a qu’à les mêler avec du son bien gros & bien sec, dans des sacs de cuir que deux hommes agitent chacun par un bout (5. fig. 4.) ; ou bien on les met dans un auget o ou boîte de bois qui va en retrécissant, & finit par une ouverture d’où les épingles coulent dans un barril foncé (B. fig. 2.) qu’on appelle frotoire. A la place de la bonde est un trou de six pouces quarré, qui s’ouvre & se ferme par une porte de bois doublée de papier, afin que les épingles & le son ne s’arrêtent ou ne tombent pas en tournant. Cette porte mobile est enchâssée entre deux liteaux, le long desquels elle monte & descend, comme les chassis de certaines fenêtres sans volet ; ensorte qu’elle ferme presque hermétiquement ce barril suspendu sur deux montans, & traversé d’un axe ; il se tourne avec un manche ou une manivelle à chaque bout, ou à un seul.

16°. On vanne les épingles, c’est-à-dire qu’on en sépare le son. Cette opération se fait dans un plat de bois d’environ deux piés & demi de circonférence, où l’on secoue les épingles, comme dans un crible ou dans un van à blé ; ou bien on les met dans une grosse cruche de terre (d. figure 3), d’où on les fait couler ; & tandis que les épingles tombent, le vent emporte le son, qui sert plusieurs fois, pourvû qu’on le resseche au four ou au soleil, car le plus usé se trouve le meilleur.

17°. On pique les papiers. Après qu’on les a pliés en plusieurs doubles, qui forment autant d’étages de 40 à 50 épingles chacun, jusqu’à la concurrence d’un demi-millier, on prend un poinçon ou peigne de fer à 20 ou 25 dents, d’où il tire le nom de quarteron ; & d’un seul coup de marteau qu’on frappe sur une élévation qui se trouve au dos du peigne, dans le centre, voilà la place faite à un quarteron d’épingles. Les demi-milliers sont divisés en deux colonnes, dont chacune contient 10 ou 12 rangs d’épingles. Outre ces papiers, il y en a dont on empaquete les demi-milliers par sixains ou dixains, qui contiennent 6 ou 10 milliers. Ces papiers sont marqués en rouge, à la marque de l’ouvrier qui fait les épingles, ou plûtôt du marchand qui les fait faire, & les débite en gros.

18°. On boute les épingles. C’est les placer dans le papier. On les prend à poignée, on les range par douzaine à-la-fois : il le faut bien, pour bouter jusqu’à 36 milliers d’épingles par jour ; encore ne gagne-t-on, quand on y excelle, que trois sous : aussi cet ouvrage reste entre les mains des enfans, qui gagnent deux liards pour 6 milliers qu’ils en peuvent bouter dans un jour.

On distingue l’espece & le prix des épingles par les numeros, qui varient avec la longueur & la grosseur. Tel est l’ordre des numeros : 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 12. 14. 17. 18. 20. 22. 24. 26. 30. 36. celles qui sont au-dessus s’appellent houseaux, espece d’épingles jaunes dont le millier se compte à la livre : il y a des milliers d’une livre, de deux & de trois. Le fil de laiton arrive de Suede en bottes de trois grosseurs : celles de la premiere grosseur servent à faire les houseaux & les drapieres ; la drapiere est une épingle grosse & courte, que les Drapiers employent à emballer leurs étoffes, ou à les attacher en double : la seconde grosseur s’employe aux épingles moyennes, c’est-à-dire depuis le n°. 20 jusqu’au n°. 10 ; & la troisieme grosseur, depuis le n°. 10 jusqu’au n°. 3, qui est le camion ou la demoiselle ; & pour en venir à ce point de finesse, le fil n’a besoin de passer que cinq à six fois par la filiere, tant il est ductile.

Il y a des épingles de fer qui passent par les mêmes épreuves que celles de laiton, excepté qu’au lieu de les blanchir, on les teint quelquefois en noir, pour le deuil ou pour les cheveux ; & qu’au lieu de les empointer, on en fait à double tête pour ce dernier usage : mais les têtes sont toûjours de laiton. La façon même de les blanchir est particuliere ; on y employe une poudre composée de sel ammoniac, d’étain commun, & d’étain de glace ou de vif-argent, qu’on fait bouillir avec les épingles dans un pot de fer.

Voici la maniere de préparer le fer pour le réduire en fil d’épingle, ou la description d’une allemanderie qu’on voit à Laigle en Normandie, à 30 lieues de Paris. Il y a d’abord une grande roue à palettes, que l’eau fait tourner comme celle des moulins à blé. L’arbre de cette roue est d’environ 24 piés de long sur 18 pouces de diametre : il est armé vers les deux extrémités de coins ou cames, placés tout-au-tour, les uns, vers le côté de la roue, acérés d’acier au nombre de 16, larges de 4 pouces, épais d’un pouce & demi, enfoncés dans l’arbre d’un demi-pié, & saillans de 4 pouces ; les autres, placés à l’opposite sont de bois, au nombre de 8, épais de 3 pouces, larges de 6, enfoncés de 8, & saillans de 8 aussi : à 3 ou 4 piés de l’arbre, sur une ligne parallele, est une poutre de la même longueur, large de 2 piés, épaisse d’un pié & demi : elle porte sur quatre piliers ou montans de bois qui la traversent, deux à chaque extrémité, vis-à-vis les cames, à 2 piés & demi de distance l’une de l’autre ; ils sont enchâssés dans la poutre, & taillés de façon que la poutre appuie dessus vers le milieu, & se trouve fixée en-haut par des coins de bois qui traversent les montans. Entre les deux premiers piliers, c’est-à-dire du côté de la grande roue, est un levier de bois qu’on appelle le manche du marteau, de 10 piés de long, & d’un pié quarré en grosseur, soûtenu par un axe ou hesse de fer qui le traverse par le milieu, & va s’appuyer sur deux brigues de fonte cloüées aux montans. Ce manche est armé de cercles de fer, & d’une plaque ou semelle de fer aussi, sur laquelle portent les coins ou cames de fer, qui la foulent en bascule à mesure que la roue tourne. L’autre bout du levier est armé d’un marteau ou martinet de fer acéré d’acier, pesant 40 livres, avec un bec d’environ 8 pouces de long sur 2 de large ou d’épaisseur ; sa surface ou sa base est convexe ; il tombe de la hauteur de demi-pié sur une enclume qui est au-dessous. Cette enclume de fer saillante d’environ 6 pouces, est enchâssée dans un sabot de fonte de 15 pouces de largeur & autant d’épaisseur, sur 20 de longueur. Le sabot est lui-même enchâssé à la profondeur de 6 pouces, dans un billot de bois de 3 piés de diametre, armé d’un cercle de fer, enfoncé dans la terre de 3 piés sur des pilotis de 3 à 4 piés de long, & saillant d’un pié hors de la terre. De l’autre côté est un ouvrage pareil à celui-ci, excepté que le manche n’est point de cercles ni d’une semelle de fer, que le marteau de fonte pese 280 livres, avec une enclume de même matiere & d’un poids égal, l’une & l’autre à surface plate.

La roue qui fait marcher les deux marteaux, fait aller aussi le soufflet de la forge, & voici comment. A l’extrémité de l’arbre opposée à la roue, est un tourillon de fer fiché dans l’arbre. Ce tourillon entre dans une nille ou manivelle de fer, semblable à celles dont on se sert pour monter les poids d’une horloge ou d’un tourne-broche. Le manche de la nille entre dans le branle, c’est-à-dire une piece de bois longue & mince, suspendue par une traverse ou cheville de fer à un morceau de bois fourchu. Cette fourche est clouée par la queue à un pouillerot ou petit madrier de bois, qui monte & descend au moyen d’un axe mobile dans ses pivots ; mais ces pivots sont fixés eux-mêmes dans la muraille voisine, ou à la charpente de la forge. Vers le milieu du poüillerot est une autre fourche, au bout de laquelle est un second branle de 18 piés de long. Ce branle placé horisontalement, est suspendu par une troisieme fourche, qui est attachée à un pouillerot semblable au premier, & qui soûtient la quatrieme fourche d’où pend la chaine du soufflet, & tout joüe à proportion que la nille tourne avec la roue.

Le fer qui vient des grosses forges en lingots ou en barres, est d’abord rougi au feu & passe sous le gros marteau qui l’amoindrit, le scie, le soude, le courroye lorsqu’il est pailleux, & lui donne enfin une meilleure qualité. De-là il passe sous le martinet. Un ouvrier est assis sur une bancelle ou planche accrochée par un anneau à un des piliers ou montans cités plus haut, & suspendue par une branloire ou chaîne de fer, à une poutre qui soûtient le toît de la forge, ensorte qu’elle est mobile. Un autre ouvrier met les barres à la forge, & les donne toutes rouges à celui qui est près du martinet. Celui-ci les présente & les tourne à chaque coup de marteau, tantôt à droite tantôt à gauche, & d’une seule chaude, dans l’espace de trois minutes, d’une barre de fer longue de 2 piés & grosse de 2 pouces quarrés l’on tire une verge de 6 piés de long, ou plûtôt une verge de 4 piés & de 2 lignes de diametre, le surplus restant en barre, car la verge n’en a pris que 2 pouces quarrés. C’est afin que la barre puisse s’allonger que la bancelle est mobile, ensorte que l’ouvrier avance ou recule selon le besoin. La verge sort de ses mains machée sur tous ses angles par la convexité du martinet. De la forge les verges passent à une trifilerie à l’eau, voyez les articles Forges grosses & Trifileries. En voici une à bras (fig. 1. Pl. I.) composée d’un banc, sur lequel est une filiere en-travers, avec une tenaille en forme de ciseaux, dont les branches sont prises par un chaînon ou cercle de fer armé d’un crochet qui va aboutir à une bascule que l’ouvrier foule à force de bras.

La perfection de l’épingle consiste dans la roideur ou plûtôt la dureté du laiton, dans la blancheur de l’étamage, dans la tournure des têtes, & la finesse des pointes : il seroit à souhaiter que cette façon fût une des dernieres ; car la pointe s’émousse dans les épreuves par où passe l’épingle au sortir de la meule : on pourroit du moins les tenir toûjours dans des poches de cuir ou dans le son.

Cet article est de M. Delaire, qui décrivoit la fabrication de l’épingle dans les atteliers même des ouvriers, sur nos desseins, tandis qu’il faisoit imprimer à Paris son analyse de la philosophie sublime & profonde du chancelier Bacon ; ouvrage qui joint à la description précédente, prouvera qu’un bon esprit peut quelquefois, avec le même succès, & s’élever aux contemplations les plus hautes de la Philosophie, & descendre aux détails de la méchanique la plus minutieuse. Au reste ceux qui connoîtront un peu les vûes que le philosophe anglois avoit en composant ses ouvrages, ne seront pas étonnés de voir son disciple passer sans dédain de la recherche des lois générales de la nature, à l’emploi le moins important de ses productions.

Épingles, s. m. pl. (Jurisprud.) que les auteurs comprennent sous le terme de jocalia ou monilia, sont un présent de quelques bijoux, ou même d’une somme d’argent, que l’acquéreur d’un immeuble donne quelquefois à la femme ou aux filles du vendeur, pour les engager à consentir à la vente. Les épingles sont pour les femmes, ce que le pot-de-vin est pour le vendeur ; mais elles ne sont point censées faire partie du prix, parce que le vendeur n’en profite pas directement ; elles sont regardées comme des présens faits volontairement à un tiers, & indépendans des conventions, ensorte qu’elles n’entrent point dans la composition du prix pour la fixation des droits d’insinuation & centieme denier, ni des droits seigneuriaux, à moins que le présent ne fût excessif, & qu’il n’y eût une fraude évidente.

Mais elles sont censées faire partie des loyaux coûts, pourvû qu’elles soient mentionnées & liquidées par le contrat, auquel cas le retrayant féodal ou lignager est tenu de les rendre à l’acquéreur. Voy. Buridan, sur la coûtume de Vermandois, article 236. & Billecoq, tr. des fiefs, p. 136 & 444. (A)

Cens en épingles ; j’ai vû une déclaration passée à la seigneurie de Gif, le 19 Octobre 1713, où le censitaire se chargeoit pour un arpent, entr’autres choses, de portion d’un cent d’épingles dû sur 13 arpens. (A)

Délit d’épingle. Sauval, en ses antiquités de Paris, tom. II. p. 594, dit, qu’en 1445 une insigne larronesse dont on ignore le pays, mais qui n’étoit ni de Paris, ni des environs, ni peut-être même de France, creva les deux yeux à un enfant de deux ans, & commit le délit d’épingles, ce qui étoit, dit-on, une grande cruauté ; mais Sauval avoue qu’il n’entend point ces paroles : il ajoûte que cette femme fut mise en croix, on l’exécuta toute déchevelée, avec une longue robe, & ceinte d’une corde les deux jambes ensemble au-dessous ; que toutes les femmes de Paris, à cause de la nouveauté, la voulurent voir mourir, interprétant son supplice chacune à leur maniere ; que les unes disoient que c’étoit à la mode de son pays, d’autres que sa sentence le portoit ainsi, afin qu’il en fût plus longuement mémoire aux autres femmes ; que le délit étoit si énorme, qu’il méritoit encore une plus grande punition. S’il m’est permis d’hasarder une conjecture sur le sens de ces termes délit d’épingle, je pense qu’ils ne signifient autre chose que le crime commis par cette femme d’avoir crevé les yeux à ce jeune enfant, ce qu’elle fit apparemment avec une épingle. Il fut un tems en France où l’on condamnoit les criminels à perdre la vûe, en leur passant un fer chaud devant les yeux : apparemment que quelques particuliers pour assouvir leur cruauté sur quelqu’un, lui crevoient les yeux avec une épingle, & que cela s’appelloit le délit d’épingle. (A)

Épingles des Cartiers ; ce sont de petits fils-de-fer enfoncés dans un morceau de parchemin plié en quatre, dont ils se servent pour attacher à des cordes les feuilles de carton dont ils font les cartes, afin de les faire sécher à l’air.

Épingle, (Rubanier.) est un petit outil de fer, long d’environ 3 ou 4 pouces, d’égale grosseur dans toute sa longueur, en forme de grosse épingle, mais sans pointe ; sa tête est ordinairement faite avec de la cire d’Espagne, & lui sert de prise : on s’en sert au même usage que le couteau à velours, excepté que celles-ci ne coupent point les soies, & ne font que former les boucles du velours en les tirant successivement comme les couteaux. Voyez Couteau à velours.