L’Encyclopédie/1re édition/ENTHOUSIASME (peinture)

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ENTHOUSIASME, (Peint.) heureux effort de l’esprit qui fait concevoir, imaginer, & représenter les objets d’une maniere élevée, surprenante, & en même tems vraissemblable. Ce beau transport capable de porter l’ame de l’artiste au sublime, a son principal effet dans la pensée, & dans l’ordonnance. Il consiste en même tems à donner de la vie à tous les personnages par des expressions ravissantes, & par tous les plus beaux ornemens que le sujet peut permettre.

Quoique le vrai plaise toujours, parce qu’il est la base de toutes les perfections, il ne laisse pas néanmoins d’être souvent sec, froid, & insipide, au milieu de la correction du dessein. Mais quand il est peint avec l’enthousiasme, il éleve l’esprit, & le ravit avec violence. C’est à cette élévation sublime, mais juste, mais raisonnable, que le peintre doit porter ses productions, aussi-bien que le poëte, s’ils veulent arriver l’un & l’autre, à l’extraordinaire qui remue le cœur, & qui fait le plus grand mérite de l’art. Telle est la poésie de Raphaël & de Michel-Ange ; telle est celle de Poussin & de le Sueur, & telle fut souvent celle de Rubens, & de le Brun.

Mais quelques esprits de feu prennent mal-à-propos les écarts de leur imagination, pour un bel enthousiasme, tandis que l’abondance & la vivacité de leurs productions, ne sont que des songes de malades, qui n’ont aucune liaison, & dont il faut éviter la dangereuse extravagance. Tout emportement qui n’est pas guidé par une intelligence sage & judicieuse, est un pur délire, & non pas le véritable enthousiasme, dont nous faisons ici l’éloge.

Il est certain que ceux qui ont un génie de feu entrent facilement dans l’enthousiasme, parce que leur imagination est presque toujours agitée ; mais ceux qui brûlent d’un feu doux, qui n’ont qu’une médiocre vivacité jointe à un bon jugement, peuvent encore, comme a fait le Dominicain, se porter par degrés à l’enthousiasme, & le rendre même plus reglé par la solidité de leur esprit. S’ils n’entrent pas si facilement ni si promptement dans cette verve pittoresque, ils ne laissent pas de s’en laisser saisir peu-à-peu ; parce que leurs profondes réflexions leur font tout voir & tout sentir, & que non-seulement il y a plusieurs degrés d’enthousiasme, mais encore plusieurs moyens d’y parvenir.

En général pour y disposer l’esprit, il faut se nourrir de la vue des ouvrages des grands maîtres, à cause de l’élévation de leurs pensées, de la beauté de leur imagination, de la noblesse de leurs expressions, & du pouvoir que les exemples ont sur les hommes. Le peintre doit en travaillant, se demander à lui-même, comment Raphaël, le Carrache, & le Titien, auroient-ils pensé, auroient-ils dessiné, auroient-ils colorié ce que j’entreprends de représenter ? De tels moyens sont utiles à tous les artistes ; car ils enflammeront ceux qui sont nés avec un puissant génie, & ceux que la nature n’a pas si bien traités, en ressentiront au-moins quelque chaleur, qui se répandra sur leurs ouvrages.

Qu’on ne vienne point ensuite le crayon à la main, éplucher, censurer les légers défauts qui ont pu échapper à l’artiste à la suite de son transport, & qui doivent échapper nécessairement aux plus grands maitres, par l’effet de l’enthousiasme même. Plaignons ces peintres flegmatiques réduits aux vérités seches & correctes, & qui sont incapables de goûter les beautés de l’imagination & du sentiment. (D. J.)