L’Encyclopédie/1re édition/EFFET

EFFET, s. m. (Logique.) le produit d’une cause agissante. Voyez Agir.

Après avoir considéré les choses par rapport à ce qu’elles sont, on doit les étudier par rapport à ce qu’elles peuvent ; & si l’on découvre que l’une soit capable de produire l’autre, ou seulement de la varier, on conçoit entre le terme agissant & ce qu’il fait naître, une relation de cause & d’effet.

Cette relation de la cause & de l’effet est de la plus vaste étendue, car toutes les choses qui existent ou peuvent exister, y ont part ; ainsi nous appellons cause ce qui donne l’existence, ce dont la vertu produit une chose ; & ce qui est produit, ce qui reçoit son existence, ce qui tient sa naissance de la cause, porte le nom d’effet. Par exemple, dès que nous voyons que dans la substance que nous appellons cire, la fluidité qui n’y étoit pas auparavant, y est constamment produite par l’application de certain degré de chaleur, nous donnons à l’idée simple de chaleur le nom de cause, par rapport à la fluidité qui est dans la cire ; & celui d’effet à cette fluidité.

Les choses donc qui reçoivent une existence qu’elles n’avoient pas auparavant, sont des effets ; & celles qui procurent cette existence, sont des causes. Voyez Cause.

Les notions claires & familieres de cause & d’effet entraînent cette conséquence, que rien ne se fait sans cause, & qu’aucune chose ne peut se produire d’elle-même.

Il convient de s’assûrer de l’existence des effets, avant que d’en chercher les causes ; c’est pourquoi toutes les fois qu’il s’agit de découvrir les causes des effets extraordinaires que l’on rapporte, il faut examiner avec soin si ces effets sont véritables ; car souvent on se fatigue inutilement à imaginer des raisons de choses qui ne sont point, & il y en a une infinité qu’il faut résoudre de la même maniere que Plutarque résout cette question qu’il se propose : Pourquoi les poulains qui ont été courus par les loups, vont plus vîte que les autres ? Après avoir dit que c’est peut-être parce que ceux qui étoient plus lents, ont été pris par les loups, & qu’ainsi ceux qui sont échappés couroient le mieux ; ou bien que la peur leur ayant donné une vîtesse extraordinaire, ils en ont contracté l’habitude. En un mot, après toutes ces dépenses d’esprit il donne la bonne solution de la question : C’est peut-être, dit-il, que cela n’est pas vrai.

C’est peu de chose de s’être assûré de l’existence d’un effet ; il faut pour arriver à la découverte de la cause, s’assûrer aussi des indices convaincans que cette cause existe dans la nature ; que c’est elle qui opere l’effet qu’on lui attribue.

Dans la pratique & dans la conduite de la vie, la découverte des causes qui ont produit les effets que nous voyons arriver, est souvent de la derniere importance. Or comme les évenemens d’ici-bas sont pour l’ordinaire fort compliqués, il arrive aisément de prendre le change, l’accessoire & les circonstances, pour la cause de cet effet que nous considérons. L’ignorance, la petitesse d’esprit, la superstition, l’intérêt, les préjugés, en un mot toutes nos passions, nous abusent & nous précipitent dans de faux jugemens : aussi voit-on que rien n’est plus ordinaire dans les malheurs de la vie, que de les attribuer à de fausses causes, & de s’aveugler sur les véritables. On sait la réponse du duc de Vendôme à un courtisan du duc de Bourgogne dans la campagne de Flandres de 1708. Voyez l’histoire du siecle de Louis XIV. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

Effet, (Jurispr.) c’est ce qu’opere une loi, une convention, une action. Ce qui est nul ne produit aucun effet. Voyez Nullité.

Effets civils, sont les droits accordés à ceux qui participent aux avantages de la société civile, selon les lois politiques & civiles de l’état. Ces droits consistent à pouvoir intenter des actions en justice, à pouvoir succéder, disposer de ses biens par testament, posséder des offices & bénéfices dans le royaume : tout cela s’appelle la vie civile ou les effets civils, c’est-à-dire ce que peuvent faire ceux qui joüissent des avantages du droit civil.

Les regnicoles sont en général capables de tous les effets civils, au lieu que les aubains n’en joüissent point : ceux qui sont morts civilement ne les ont pas non plus.

Un mariage clandestin ne produit point d’effets civils, c’est-à-dire qu’il n’en résulte aucun droit de communauté ni de doüaire pour la femme.

Effet rétroactif, est celui qui remonte à un tems antérieur à la cause qui le produit, comme quand une loi ordonne que sa disposition sera observée, tant pour les actes antérieurs à cette loi, que pour ceux qui seront postérieurs.

Effet se prend aussi quelquefois pour tout ce qui est in bonis ; ainsi dans ce sens on dit qu’une maison, une terre, une rente, une obligation, un billet, de l’argent comptant, des meubles, sont des effets de la succession.

Effet caduc, est celui qui est de nulle valeur.

Effet commun, est celui qui appartient à plusieurs personnes.

Effet douteux, se dit de celui dont le recouvrement est incertain.

Effets, ou effets royaux, est le nom que l’on a donné aux rentes créées par le Roi, & aux billets & autres papiers qui ont été introduits en différens tems dans le commerce. (A)

Effet, terme de Peinture. Docti rationem artis intelligunt, indocti voluptatem. L’effet, en Peinture, est pour le spectateur cette volupté, ce plaisir qu’il cherche & qu’il s’attend à ressentir. Pour l’artiste l’effet est le concours des différentes parties de l’art, qui excite dans l’esprit de celui qui voit un ouvrage, le sentiment dont le peintre étoit rempli en le composant.

Il est inutile de s’étendre sur la premiere signification de ce mot. Le plaisir est fait pour être senti ; mais les moyens d’exciter cette sensation, sont intéressans pour les artistes. Voici quelques réflexions sur cette matiere.

L’art de la Peinture est composé de plusieurs parties principales, comme on le verra dans un plus grand détail au mot Peinture. Chacune de ces parties est destinée à produire une impression particuliere, qui est son effet propre.

L’effet du dessein est d’imiter les formes ; celui de la couleur, de donner à chaque objet la nuance qui le distingue des autres. Le clair-obscur imite les effets de la lumiere, ainsi des autres. La réunion de ces différens produits cause une impression qu’on nomme l’effet du tout ensemble.

Il est donc essentiel pour parvenir à conduire un tableau à un effet juste, que toutes ses parties tendent à un seul projet. Mais quelle est celle qui doit commander, qui doit marquer le but auquel elles doivent arriver ? c’est sans doute celle qu’on nomme invention, puisque c’est elle qui naît la premiere dans l’esprit du peintre, lorsqu’il médite un ouvrage ; & que celui qui commenceroit à peindre sans savoir ce qu’il veut représenter, ressembleroit à un homme qui voudroit, sans ouvrir les yeux, se livrer à ses fonctions ordinaires.

L’invention qui regne sur tous les genres de peindre, qui les a créés, & qui les reproduit dans chaque ouvrage, décide donc de l’effet qu’ils doivent avoir. Le tableau d’histoire doit faire consister son effet dans l’expression exacte des actions ; le portrait, dans la ressemblance des traits ; le paysage, dans la représentation des sites ; & la peinture d’une marine, dans celle des eaux.

Mais dans chacune des parties qui constituent l’art de peindre, on entend plus particulierement par le mot effet, une expression grande, majestueuse, forte. Ainsi l’effet dans le dessein, est un contour hardi qui exprime des formes que l’artiste connoît parfaitement ; la liberté, la confiance avec laquelle il indique leur place, leur figure, leur proportion, fait ressentir un juste effet. C’est ainsi que Michel-Ange en dessinant une figure, aura exprimé par le secours du simple trait, la conformation des membres, leur juste emmanchement, l’apparence des muscles, les enchâssemens des yeux, les plans sur lesquels les os de la tête sont placés, enfin le caractere de l’action qui doit infailliblement résulter de la justesse de toutes ces combinaisons. Il aura fait plus encore ; il aura indiqué aux yeux exercés dans l’art de la peinture l’effet du clair-obscur, & l’on pourroit dire même celui de la couleur : ce dessein se nommera un dessein d’effet.

L’effet particulierement appliqué au coloris, est celui qui porte l’imitation des couleurs locales à un point de perfection capable de faire une illusion sensible. La couleur locale est la couleur propre & distinctive de chaque objet : elle a, dans la nature, une force & une valeur que l’art a bien de la peine à imiter. Des organes justes & bien exercés peuvent y prétendre ; mais l’écueil funeste, qui sur cette mer difficile est le plus fameux par les naufrages, c’est cette habitude de tons & de nuances qui s’enracine, sans que les peintres s’en apperçoivent, par une pratique répétée ; & qui renaissant dans tous leurs ouvrages, fait dire de presque tous les artistes, qu’ils ont peint gris, ou roux ; que leur couleur ressemble à la brique, qu’elle est rouge, ou noire, ou violette. Ce défaut si favorable à ceux qui sans principes, veulent distinguer les manieres des maîtres, est une preuve de l’infériorité de l’imitation de l’artiste. La nature n’est, en effet, ni dorée, ni argentée ; elle n’a point de couleur générale : ses nuances sont des mélanges de couleurs rompues, réflectées, variées ; & celui qui aspire à l’effet par la route de la couleur, n’en doit avoir aucune à lui.

On peut favoriser l’effet de la couleur, par la disposition des lumieres, qui produit l’effet du clair-obscur : mais quelques périls menacent encore ceux qui se fondent sur ce secours. Le desir d’exciter l’attention par des effets, inspira au Carravage d’éclairer ses modeles d’une maniere qui se rencontre rarement dans la nature. Le jour qu’il faisoit descendre par des ouvertures ménagées avec art, offroit à ses yeux des lumieres vives, mais tranchantes ; il en résulta, dans les imitations qu’il en fit, des effets plus singuliers qu’agréables. Les oppositions trop dures, les ombres devenues noires, ont rendu, avec le tems, ses tableaux de deux seules couleurs ; le blanc & le noir y dominent ; & ces ombres ténébreuses que son affectation a répandues sur ses ouvrages, ont enveloppé dans leur obscurité les parties excellentes, dont cet habile artiste devoit tirer sa gloire. Il est donc de justes bornes qui renferment la perfection en tout genre, & les excès sont ses ennemis redoutables.

Au reste, un tableau dont l’effet est juste, produit sur tout le monde une sensation intéressante ; comme une piece de théatre dans laquelle les caracteres sont vrais, produit sur tous les spectateurs une satisfaction générale. Ces caracteres doivent être exprimés par les principaux traits qui les distinguent, & par les oppositions qui les font valoir. Les détails trop approfondis, quoique la nature en offre les modeles, sont un obstacle à l’effet théatral, qui a des rapports infinis avec les effets dont j’ai parlé. Mais la réussite ne consiste pas seulement à soustraire ces détails ; elle exige encore qu’on choisisse ceux qui sont essentiels, & qui constituent principalement le caractere qu’on représente.

Les distinguer, c’est le propre d’un génie grand, qui embrasse toutes les circonstances d’un objet, sans que leur nombre l’embarrasse. Il ne se laisse point séduire ; il ne perd pas de vûe le but où il tend, il distingue ce qui est plus propre à assûrer ses succès. Un peintre d’effet, est ordinairement un homme de génie ; & dans tous les arts, le génie qui ordinairement enfante la facilité, conduit à la science des effets. La Poésie, ainsi que la Peinture ; la Musique, ainsi que ses deux sœurs, ne pourront jamais prétendre que par cette voie à des succès éclatans, & à cette approbation générale, qui est si flateuse ; les autres parties auront des admirateurs, les grands effets réuniront tous les suffrages ; l’hommage qu’on leur rend, est, pour ainsi dire, involontaire ; il ne doit rien à la réflexion : c’est un premier mouvement. Voyez Dessein, Draperie. Cet article est de M. Watelet.

Effet, (Manége.) Personne n’ignore que le terme dont il s’agit, ne signifie que le produit d’une cause quelconque. Les auteurs du dictionnaire du Trévoux semblent néanmoins le restraindre, quant à la science du Manége, aux seules suites des actions de la main du cavalier. Effet, en terme de Manége, se dit des mouvemens de la main, qui servent à conduire un cheval ; ils expliquent ensuite savamment ces effets. Je prendrai la liberté de leur faire observer que nous disons non-seulement les effets de la main, mais les effets des jambes, les effets des aides du corps, les effets de la gaule, des châtimens, du cavesson, des piliers, de telles ou telles leçons : ainsi nous appliquons ce mot, en matiere d’équitation, indifféremment à tout ce qui peut être regardé comme le résultat d’une multitude de principes différens. Il étoit par conséquent inutile d’en faire un article, eu égard à notre art, dans lequel il n’a pas plus d’acception particuliere que dans tous les autres. (e)