L’Encyclopédie/1re édition/DOUX
DOUX, (Chimie.) le corps doux est une substance particuliere qui constitue une espece dans la classe des corps que les Chimistes appellent muqueux. Voy. Muqueux.
Ces corps doux sont le miel, la pulpe ou le suc de plusieurs fruits, comme de casse, de certains pruneaux, de raisins, de poires, de pommes, &c. le suc de quelques plantes, des cannes à sucre, de toutes les graminées, de celui de quelques racines, comme des bettes blanches & rouges, des panais, &c. les semences farineuses germées, certains sucs concrets ramassés sur les feuilles de quelques arbres, tels que la manne, le sucre de l’érable, &c. le suc tiré par incision du même arbre, celui du palmier, &c. en un mot, toutes les matieres végétales propres à produire sur l’organe du goût la même saveur qu’excitent celles que nous venons de nommer. Nous disons à dessein végétales, parce que les substances animales, dont le goût est le plus analogue à celui des corps doux végétaux, different pourtant sensiblement de ceux-ci, même par la saveur : le lait, par exemple, dont la douceur est passée en proverbe, ne produit pas la saveur douce exquise ou sans mêlange d’autre saveur ; la saveur du lait participe au contraire de deux autres, la fadeur & le gras ou onctueux, pingue. Voyez Saveur.
D’ailleurs ce n’est pas par la saveur douce que les corps doux des Chimistes sont essentiellement caractérisés, mais par une qualité plus intérieure ; savoir, la propriété d’être éminemment propres à la fermentation spiritueuse ; propriété que ne possede point le lait. Voyez Fermentation & Lait.
La saveur du sel ou sucre de saturne & de quelques autres sels ne sauroit les faire ranger non plus parmi les corps doux, dont ils different à tant d’autres titres.
L’analyse par la violence du feu, qui est la seule qu’on ait employée jusqu’à présent à l’examen de la composition des corps doux, ne nous a rien appris sur leur constitution spécifique ; tous les produits qu’on en a retirés par cette voie, sont presque absolument communs à ces corps & à toutes les especes de la classe. Les phénomenes & les produits de la fermentation nous ont éclairé davantage sur cet état spécifique. Voyez Fermentation & Muqueux. (b)
Doux, terme de Métallurgie & de Docimasie. Mine douce, c’est ainsi qu’on appelle une mine aisée à fondre. La mine qui a la qualité contraire, s’appelle rebelle ou refractaire.
Métal doux, c’est-à-dire malléable, ductile, flexible, non cassant ; le métal qui a la qualité opposée, s’appelle aigre. (b)
Doux, (Diete, matiere médicinale & Pharmacie.) On trouve dans les auteurs de Medecine peu de connoissances composées, exactes, sur les qualités des corps doux considérés comme aliment. Ils ont parlé davantage de quelques-uns de ces corps en particulier, comme du miel, du sucre, des fruits, des vins doux, &c. Voyez les articles particuliers.
Les alimens de ce genre ont été cependant accusés en général d’être échauffans, & même caustiques, épaississans, inviscans, bilieux, ennemis de la rate, propres à engendrer des vers, &c. C’est-là l’opinion que l’on en a assez communément, & c’est celle du plus grand nombre de Medecins.
Toutes ces prétentions sont ou fausses ou gratuites, ou pour le moins mal entendues : premierement, la qualité échauffante n’est établie que sur une prétendue abondance d’esprits acres & ardens, de sels exaltés, déduite, on ne peut pas plus inconséquemment, de la pente des corps doux à la fermentation spiritueuse. Voyez Fermentation, Muqueux, Doux, en Chimie.
Secondement, c’est en abusant de la même maniere de quelques demi-connoissances chimiques, que quelques auteurs ont imaginé la causticité des corps doux, qui fournissent par la distillation, selon ce que ces auteurs ont entendu dire, un esprit très caustique, une espece d’eau-forte ; fait d’abord faux en soi (les corps deux ne donnent par la distillation qu’un flegme acide très-foible) & dont on ne pourroit conclure, quand même il seroit vrai que les corps doux inaltérés pussent agir sur les organes de notre corps par ce principe. Voy. Analyse végétale au mot Végétal. Voy. aussi Sucre, dont quelques auteurs ont dit (ce qu’Hecquet a répété) que gardé pendant trente ans, il devenoit un puissant arsenic.
Troisiemement, les corps doux, comme tels, ou les doux exquis, ne sont absolument qu’alimenteux ou nourrissans, & ils ne sauroient par conséquent opérer que la nutrition dans les secondes voies, & point du tout l’épaississement ou l’inviscation des humeurs. D’ailleurs l’état des humeurs appellées épaisses & visqueuses dans la théorie moderne, n’est assûrément rien moins que déterminé ; & la réalité de cet état dans les cas où cette théorie l’établit, est encore moins démontrée. C’est donc au moins gratuitement que les alimens doux passent pour épaississans & inviscans. Voyez Nourrissant.
Quatriemement : quant à ce qui concerne la prétendue qualité bilieuse des corps doux, elle leur a été accordée par deux raisons ; savoir, parce qu’on les a crus gras ou huileux ; & en second lieu, parce qu’on a regardé la soif & l’épaississement de la salive, que les corps doux pris en abondance occasionnent en effet, comme un signe de la présence de la bile dans l’estomac. Mais premierement les doux ne sont pas huileux : secondement, ce n’est qu’au peuple qu’il est permis d’appeller bile la salive épaisse & gluante. Au reste, on remédie très-efficacement & à coup sûr, à ces legers accidens, je veux dire la soif & l’épaississement de la salive, en bûvant quelques verres d’eau fraîche.
Cinquiemement : ce n’est plus rien pour nous, depuis long-tems, qu’une qualité splénique, ou antisplénique.
Sixiemement : quoiqu’il faille avoüer que l’abus des alimens doux est souvent suivi de différentes affections vermineuses, sur-tout chez les enfans ; il n’est pourtant pas décidé jusqu’à quel point les doux sont dangereux à ce titre, & s’ils sont seuls & par eux-mêmes capables des maux qu’on met sur leur compte ; s’il n’y auroit pas moyen, au contraire, en variant leur administration, d’en faire-pour les enfans la nourriture la plus salutaire, & la plus propre à les préserver des vers. Quelques auteurs ont donné les doux pour des remedes vermifuges. Voyez Vermifuge.
Nous n’établirons qu’avec beaucoup de circonspection, des préceptes diététiques sur l’usage des alimens doux en général. Nous avons déjà observé dans quelques articles particuliers de diete, que nous ne connoissions presqu’aucune qualité absolue des alimens, & que la maniere dont ils affectoient les différens sujets varioit infiniment, ou au moins jusqu’à un point indéterminé. Voyez aussi Digestion. Nous pouvons cependant donner avec confiance pour des vérités d’expérience, les regles suivantes.
1°. Les personnes foibles, délicates, qui menent dans le sein des commodités les plus recherchées, une vie retirée, tranquille, sédentaire, soûmise au plus exact régime, dont l’ame affranchie du joug des passions vulgaires, n’est doucement remuée que par des affections purement intellectuelles ; ces personnes, dis-je, peuvent user sans inconvéniens, & même avec avantage, des alimens doux ; ensorte qu’une façon de parler assez commune, tirée de leur goût pour les sucreries, exprime une observation medicinale très-exacte.
La plûpart des femmes, les gens de lettres, & tous les hommes qui sont éloignés par état des travaux & des exercices du corps, en un mot toutes les personnes de l’un & de l’autre sexe qui n’ont que faire de vigueur, ou même qui perdroient à être vigoureuses, peuvent se livrer à leur goût pour les alimens doux, dès qu’ils auront observé que leur estomac n’en est point incommodé, sans se mettre en peine de leurs prétendus effets plus éloignés, qu’aucune observation ne peut leur faire raisonnablement redouter. La propriété de lâcher le ventre que tous ces alimens possedent, est très-propre à entretenir chez ces personnes une certaine foiblesse de tempérament très-favorable à la délicatesse de la peau, & à l’exercice libre & facile de la faculté de penser. Voyez Régime.
Au reste, ceci ne doit s’entendre que d’un certain excès dans l’usage des alimens doux, de l’habitude d’en manger comme du pain ; car les doux pris en petite quantité à la fin du repas, & après d’autres mets, sont devenus par habitude des alimens à peu-près indifférens.
2°. Les paysans, les manœuvres, les gens destinés à des travaux pénibles, à une vie dure, à des exercices violens, qui ont besoin d’un corps robuste, vigoureux, agile ; ces gens-là ne sauroient s’accommoder des alimens doux. On peut assûrer, malgré l’éloge que les anciens ont donné au miel, à qui ils ont attribué entre autres qualités celle de rendre les hommes, qui s’en nourrissoient, sains & vigoureux, que des paysans qui seroient nourris avec du miel dès leur enfance, seroient bien moins robustes que ceux qui se nourrissent de viandes salées ou fumées, d’un pain lourd & massif, qui boivent des gros vins austeres & tartareux, &c. & que si on donnoit des doux à ceux qui sont accoûtumés à ces derniers alimens, non-seulement on les rendroit bientôt incapables de supporter leurs travaux ordinaires, mais même on procureroit à la plûpart des indigestions, des diarrhées mortelles. Voy. Régime.
3°. Il est facile de conclure des observations précédentes, que toutes les personnes qui sont sujettes à des dévoyemens maladifs, ou qui en sont actuellement attaquées ; que celles chez qui les organes de la digestion sont relâchés, affaissés, embourbés, comme certains vieillards, certains paralytiques, &c. que ces personnes, dis-je, doivent éviter absolument l’usage des alimens doux.
4°. On doit diviser les doux en quatre especes : le doux exquis ou pur, tel que le miel, le sucre, le moût, &c. le doux aigrelet, tel que celui des cerises, des oranges douces, le suc de citron ou groseille assaisonnés avec du sucre, &c. les doux aromatiques, tels que les confitures & les gelées parfumées ; & enfin les doux spiritueux, tels que les vins doux, les ratafia-très-sucrés qu’on appelle gras, les confitures à l’eau-de-vie, &c.
Le doux exquis a éminemment les propriétés dont nous avons parlé jusqu’à présent. Le doux aigrelet & le doux aromatique, & sur-tout le doux aigrelet & aromatique, tel que le cotignac, sont des excellens analeptiques, restaurans, stomachiques, dont se trouvent très-bien les convalescens qui commencent à prendre quelque aliment un peu solide. Il faut observer que les fruits à noyau ont tous une vertu purgative, que l’on peut appeller cachée, c’est-à-dire qu’ils paroissent posséder indépendamment de leur douceur. Cette qualité rend les confitures qu’on en prépare, moins propres que celles des fruits à pepin, à l’usage que nous venons d’assigner aux doux aigrelets & aromatiques. On préférera donc le cotignac, la gelée de groseille, la gelée de pomme bien parfumée, à la marmelade d’abricot, de pêche ou de prune.
Les doux spiritueux sont stomachiques & cordiaux. Leur usage modéré à la fin des repas, est fort utile, du moins fort agréable, & sans inconvénient bien prouvé ; mais c’est la partie spiritueuse dont le doux n’est proprement que le correctif, qui joue ici le principal rôle. Voyez Vin & Esprits ardens.
Galien a reconnu le doux pour l’aliment par excellence, & même pour l’unique aliment. Voy. passim in oper. & sur-tout de simpl. Medic. facult. l. IV. c. xjv. On peut, en aidant un peu au sens littéral de quelques passages d’Hippocrate, trouver aussi la connoissance de cette vérité chez ce pere de la Medecine écrite. Mais ces auteurs ont pris le mot doux dans un sens beaucoup plus général que nous ne venons de le faire, & dans la même extension que nous donnerons au mot muqueux. Voyez Muqueux.
Les doux considérés comme médicamens, sont rangés parmi les purgatifs lubréfians ou lénitifs ; tous les corps doux sont en effet plus ou moins purgatifs, sur-tout pour les sujets qui n’y sont point accoûtumés : mais quelques-uns de ces corps possedent cette vertu en un degré si supérieur aux autres corps de la même classe, qu’on ne sauroit supposer qu’ils purgent comme doux, c’est-à-dire comme lubréfians, comme relâchans, ou même comme altérés dans les premieres voies, à la façon des corps doux en général. Les fruits à noyau, comme nous l’avons déjà observé, sont des corps éminemment purgatifs dans la classe des doux, & le pruneau est l’extrème dans ce genre ; la casse & la manne sont des purgatifs plus efficaces encore ; les figues sont émétiques. Voyez Purgatif.
Les doux sont regardés comme de bons pectoraux, c’est-à-dire des remedes propres à calmer la toux & à guérir les rhûmes appellés de poitrine. Voyez Pectoral. Les prétendus béchiques incrassans ne sont presque que des corps doux. Voy. Incrassant, & ce que nous avons déjà dit dans cet article sur l’épaississement & l’inviscation des humeurs. Nous n’avons pas meilleure opinion d’une certaine faculté adoucissante, attribuée aux doux & à quelques autres remedes, qu’à la vertu béchique incrassante.
La Pharmacie employe très-utilement plusieurs corps doux, pour masquer le goût de plusieurs purgatifs, & sur-tout du séné. La décoction des figues, des raisins secs, des dattes, des jujubes, de la racine du polypode, corrige très-bien le goût de ce dernier purgatif. Voyez Correctif. Cette correction est sur-tout avantageuse pour sauver à un malade le supplice de s’abreuver quatre fois par jour d’une liqueur détestable, lorsqu’on veut soûtenir chez lui des évacuations, en lui donnant plusieurs potions purgatives legeres dans la journée. L’infusion du séné dans la décoction bouillante de ces fruits, fournit un aposème purgatif, qui remplit très-bien cette indication.
Toutes les anciennes compositions officinales purgatives, soit tablettes, soit électuaires, soit sirops, contiennent des corps doux : les pulpes, le miel, la décoction des différens capillaires, &c.
Il est plusieurs façons de parler dans le langage ordinaire de la Medecine, dans lesquelles le mot doux est pris dans un sens figuré. On dit d’une purgation qui évacue sans fatiguer le malade, sans l’affoiblir, sans lui causer des tranchées, qu’elle est douce ; d’un remede qui n’agit pas assez efficacement, qu’il est trop doux, &c.
On dit de la chaleur considérée comme symptome de la fievre, qu’elle est douce, lorsqu’elle est modérée sans sécheresse de la peau, &c. Voyez Chaleur animale & Fievre.
Tout le monde sait ce que c’est qu’un sommeil doux, qu’une peau douce, &c. (b)
Doux, en Musique, est opposé à fort, & s’écrit au-dessus des portées, dans les endroits où l’on veut faire diminuer le bruit, tempérer & radoucir l’éclat & la véhémence du son ; comme dans les échos & dans les parties d’accompagnement. Les Italiens écrivent dolce, & plus communément piano dans le même sens ; mais leurs puristes en Musique prétendent que ces deux mots ne sont pas synonymes, & que c’est par abus que plusieurs auteurs les employent comme tels. Ils disent que piano signifie simplement une modération de son, une diminution de bruit ; mais que dolce indique outre cela une maniere de joüer, piu soave, plus douce, plus agréable, répondant à peu-près au mot louré des François. (S)
Doux, (Maréch.) On dit qu’un cheval a les allures douces, lorsqu’il ne tourmente point son homme. Voyez Allure.
Doux, (à la Monnoie.) se dit d’un métal qui a reçu les préparations nécessaires pour n’être pas facile à se casser, tant en passant par les laminoirs, que par les coupoirs. L’or perd sa douceur, ce que l’on dit en termes de monnoyage perd son doux, lorsqu’on le brasse avec le fer. Voyez Brassoir.
Doux, (venir à) Teinture : on dit qu’une cuve vient à doux, quand elle jette du bleu à la surface.
Doux, (le) Géog. mod. riviere de la Franche-Comté en France : elle prend sa source au mont Jura, & se jette dans la Saone en Bourgogne.