L’Encyclopédie/1re édition/DETROIT

DETROIT, s. m. en Hydrogr. est une mer étroite, ou boyau resserré des deux côtés par les terres, & qui ne laisse qu’un petit passage pour aller d’une mer à une autre. Voyez Mer & Océan.

Le détroit le plus fréquenté est celui de Gibraltar qui sépare l’Espagne de l’Afrique, & joint la Méditerranée avec l’océan Atlantique ou mer du Nord.

Le détroit de Magellan qui fut découvert en 1520 par Magellan, fut quelque tems fréquenté par ceux qui vouloient passer de la mer du Nord à celle du Sud : mais en 1616, on découvrit le détroit de le Maire, & on abandonna celui de Magellan, tant à cause de sa longueur, qui est plus que double de celle du détroit de Gibraltar, que parce que la navigation y est dangereuse, à cause des vagues des deux mers qui s’y rencontrent & s’entrechoquent.

Le détroit qui est à l’entrée de la mer Baltique, se nomme le Sund. Il ne faut pas le confondre avec le détroit de la Sonde, qui sépare les îles de Sumatra & de Java. Varenius croit que les golfes & les détroits ont été formés pour la plûpart par l’irruption de la mer dans les terres. Une des preuves qu’il en apporte, c’est qu’on ne trouve presque point d’îles dans le milieu des grandes mers, & jamais beaucoup d’îles voisines les unes des autres. On peut aussi voir les autres preuves aux articles Continent, Terraqué ; voyez aussi l’hist. naturelle de M. de Buffon, tom. I. On y remarque que la direction de la plûpart des détroits est d’Orient en Occident, ce qu’on attribue à un mouvement ou effort général des eaux de la mer dans ce sens. V. Mer.

Le détroit qui sépare la France d’avec l’Angleterre, s’appelle le pas de Calais. Voyez sur la jonction de l’Angleterre à la France, & sur le pas de Calais, la dissertation de M. Desmarets, qui a remporté le prix de l’académie d’Amiens en 1752. Voyez aussi Courant. (O)

Détroit, (Droit polit.) On fait en Droit politique, trois grandes questions sur les détroits & les golfes, qu’il importe de résoudre.

On demande 1°. à qui appartiennent légitimement les détroits & les golfes. La réponse est unanime. Ils appartiennent à celui qui s’est le premier établi sur les côtes du détroit, qui y domine de dessus terre, & qui en conserve la propriété, soit par la navigation, soit par des flottes. En effet le premier occupant s’approprie par cela seul & sans supposer aucune convention, tout ce qui n’est à personne. Ainsi la prise de possession est en ce cas, aujourd’hui aussi-bien qu’autrefois, la seule maniere d’acquérir originairement la propriété d’une chose.

On demande, en second lieu, si un souverain, maître d’un détroit, peut avec justice imposer des péages, des tributs, sur les vaisseaux étrangers qui passent par ce bras de mer. Ce péage paroît très-juste, parce que s’il est permis à un prince de tirer du revenu de ses terres, il lui doit être également permis de tirer du revenu de ses eaux. Personne ne peut s’en plaindre, puisqu’il ouvre un passage qui rend la navigation commode, le commerce florissant, & qui fait le profit des nations qui viennent se pourvoir par ce passage du détroit, de diverses choses qui leur sont nécessaires.

Enfin l’on demande si le souverain, maître du détroit, pourroit également imposer des droits de péage à un autre prince, dont les terres confineroient à la côte supérieure & inférieure de ce détroit. L’on répond qu’il le peut également, parce que la position d’un tiers ne sauroit rien diminuer des droits du souverain, premier possesseur du détroit. Dès qu’une fois quelqu’un s’est établi le premier sur un des côtés du détroit, & qu’il a pris possession de tout le détroit, celui qui vient ensuite habiter de l’autre côté, n’est maître que de ses ports & de ses rivages ; de sorte que le premier occupant est fondé à exiger le péage des vaisseaux de l’autre, tout de même que si ce dernier étoit en-deçà ou en-delà du détroit, à moins qu’il ne l’en ait dispensé par quelque convention. En vain le dernier prince établi sur le détroit repliqueroit, pour refuser le droit de passage au premier, que ce seroit se rendre tributaire de l’autre souverain, ou reconnoître sa souveraineté sur les mers dont le détroit est la clé : on lui répondroit qu’il n’est pas réellement par-là plus tributaire du souverain, maître du détroit, qu’un seigneur qui voyage dans les pays étrangers, & qui paye le péage d’une riviere, est tributaire du maître de la riviere : on lui attribue par ce payement, la souveraineté sur tout ce qui est au-delà de cette riviere. Mais le lecteur curieux d’approfondir ce sujet, le trouvera savamment discuté dans les œuvres de M. Bynkershoek, imprimées à Utrecht en 1730, in-4°. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.