L’Encyclopédie/1re édition/OCÉAN
OCÉAN, s. m. (Géog.) c’est cette immense étendue de mer qui embrasse les grands continens du globe que nous habitons. Les Grecs nous ont donné le mot Océan, Ὠκεανὸς, formé d’Ὠκέως, rapidement, & de ναίω, couler.
On dit la mer simplement pour signifier la vaste étendue d’eaux qui occupent une grande partie du globe. L’Océan a quelque chose de plus particulier, & se dit de la mer en général par opposition aux mers qui sont enfermées dans les terres. L’Océan n’environne pas moins le nouveau monde que l’ancien ; mais dans les mers resserrées dans de certains espaces de terre, le nom d’Océan ne convient plus.
L’Océan lui-même se partage en diverses mers, non qu’il soit divisé par aucune borne, comme les mers enfermées entre des rivages, & où l’on entre par quelques détroits, mais parce qu’une aussi grande étendue de mer que l’Océan est parcourue par des navigateurs qui ont besoin de distinguer en quel lieu ils se sont trouvés, on a imaginé des parties que l’on distingue par des noms plus particuliers.
Mais en général plusieurs géographes ont divisé l’Océan principal en quatre grandes parties, dont chacune est appellée aussi Océan, & qui répondent aux quatre continens ou grandes îles de la terre, telles sont :
1°. L’Océan atlantique, qui est situé entre la côte occidentale du vieux monde, & la côte orientale du nouveau. On l’appelle aussi Océan occidental, parce qu’il est à l’occident de l’Europe. L’équateur le divise en deux parties, dont l’une est contiguë à l’Océan hyperboréen, & l’autre à la mer Glacée ou mer Méridionale.
2°. L’Océan pacifique, ou grande mer du sud, qui est située entre la côte occidentale d’Asie & d’Amérique, & s’étend jusqu’à la Chine, & aux îles Philippines.
3°. L’Océan hyperboréen ou septentrional, qui environne le continent arctique.
4°. L’Océan méridional, qui regne au-tour du continent méridional, & dont l’Océan indien fait partie.
D’autres géographes divisent aussi l’Océan principal en quatre parties de la maniere suivante : l’Océan atlantique, selon eux, en fait une partie ; mais ils ne l’étendent pas au-delà de l’équateur, où ils font commencer l’Océan éthiopique. Ils comptent aussi avec nous l’Océan pacifique, & ils y ajoutent l’Océan indien. Mais nous avons plus d’égards dans notre division aux quatre grands continens. Quelques-uns ne le divisent qu’en trois parties ; savoir, l’atlantique, le pacifique & l’indien ; mais alors ils donnent plus d’étendue à l’Océan pacifique. Chacun peut s’attacher à la division qui lui semblera la meilleure ; cela n’est pas fort important ; car cette division n’est point faite par la nature même, c’est l’ouvrage de l’imagination seule.
L’Océan dans son étendue continuée environne toute la terre & toutes ses parties. Sa surface n’est interrompue nulle part par l’interposition de la terre ; il y a seulement des endroits où la communication ne se fait que par des trajets plus étroits.
La vérité de cette proposition ne peut se prouver que par l’expérience qu’on a acquise principalement en navigeant autour de la terre ; ce qui a été plusieurs fois entrepris & exécuté heureusement ; premierement par les Espagnols sous le capitaine Magellan, qui a découvert le premier le détroit auquel il a donné son nom ; ensuite par les Anglois, savoir, par François Drak, Thomas Cavendish & autres ; & postérieurement par les Hollandois, &c.
Les anciens n’ont jamais douté que l’Océan ne fût ainsi continué ; car ils supposoient que l’ancien monde étoit élevé au-dessus des eaux qui l’environnoient de toutes parts ; quelques uns même ont cru qu’il étoit flottant. Mais quand on eut découvert l’Amérique, qui a beaucoup d’étendue du nord au sud, & qui semble interrompre la continuité de l’Océan, & que l’on eût trouvé les continens arctique & antarctique ; alors on commença à changer de sentiment ; car on s’imagina que l’Amérique étoit jointe à quelque partie du continent méridional ; ce qui n’étoit pas sans vraisemblance, de même que la plûpart de nos géographes modernes supposent que l’Amérique méridionale est jointe au Groenland. Si ces deux conjectures eussent été justes, il s’en seroit suivi à la vérité que l’Océan n’environnoit pas toute la terre ; mais Magellan a levé tous les scrupules, & écarté tous les doutes à cet égard, en découvrant, en 1520, les détroits qui séparent l’Amérique d’avec le continent du sud, & qui joignent l’Océan atlantique avec la mer pacifique. Ainsi, ce que les anciens avoient supposé par une mauvaise forme de raisonner, l’expérience nous a démontré que c’est une vérité certaine. On en peut dire autant de l’Afrique ; car les Anciens supposoient sans hésiter qu’elle étoit bornée au sud par l’Océan, & qu’elle ne s’étendoit pas si loin au-delà de l’équateur, ce qui s’est trouvé exactement vrai ; mais quand les Portugais eurent navigé le long de la côte occidentale d’Afrique, & découvert qu’elle s’étendoit bien au-delà de l’équateur, on douta alors si on pourroit en faire le tour de maniere à pouvoir y trouver un passage pour aller aux Indes ; c’est-à-dire, si l’Afrique s’étendoit bien loin au midi, & si elle étoit entourée de l’Océan. Mais Vasco de Gama leva encore ce doute ; car, en 1497, il côtoya d’abord la partie la plus méridionale du promontoire d’Afrique, appellé le Cap de bonne espérance ; nom qui lui fut donné par Jean II. roi de Portugal, en 1494, lorsque Barthelemi Diaz, qui d’abord en revint, quoiqu’il n’eut pas doublé ce cap faute de provision, & à cause des temps orageux, lui eût donné une description détaillée de l’état tempestueux & orageux de la mer auprès de ce promontoire.
On fait bien des questions curieuses sur l’Océan ; nous n’en toucherons que quelques-unes d’entre celles que Varenius n’a pas dédaigné de résoudre. Les voici.
I. On recherche pourquoi l’Océan apperçu du rivage paroît s’élever à une grande hauteur, à mesure qu’il s’éloigne ?
Je réponds que c’est une erreur de la vue, ou pour parler plus exactement, une faute de calcul, qui a jetté bien des gens dans l’erreur, & leur a fait croire qu’en beaucoup d’endroits la mer est plus élevée de quelques stades que la terre. Mais il est bien surprenant que ces personnes n’aient jamais pensé à une expérience qu’on est à portée de faire tous les jours, & qui découvre aisément cette tromperie des sens. Quand nous regardons une longue allée d’arbres ou une rangée de colonnes, la partie la plus éloignée nous paroît toujours plus haute que celle qui est auprès de nous ; & toute l’allée semble s’élever petit-à-petit, à mesure que ses parties s’éloignent de nous, quoique réellement elle soit partout au même niveau : c’est ainsi que nous estimons aussi la hauteur de la mer ; car, si nous prenions un niveau, & que du rivage nous observassions les parties éloignées de la mer, nous ne les trouverions pas plus hautes que nous ; au contraire elles se trouveroient un peu plus basses que l’horison sur lequel nous sommes.
II. On demande si l’Océan est partout de la même hauteur ?
Il paroît que les différentes parties de l’Océan & les baies ouvertes sont toutes de la même hauteur ; mais les baies en longueur, & principalement celles que forment des détroits serrés, sont un peu plus basses, surtout à leurs extrêmités. Il seroit cependant à souhaiter que nous eussions des observations meilleures & plus exactes que celles qu’on a faites jusqu’à ce jour sur ce sujet. Il seroit desirable que ceux qui sont à portée de les faire, travaillassent à lever, s’il est possible, les doutes suivans : savoir, 1°. si l’Océan indien, pacifique & atlantique n’est pas plus bas que les deux autres ; 2°. si l’Océan septentrional auprès du pole, & sous la zone froide est plus élevé que l’atlantique ; 3°. si la mer rouge est plus haute que la Méditerranée ; 4°. si la mer pacifique est plus haute que la baie de Mexique ; 5°. si la mer baltique est aussi haute que l’Océan atlantique. Il faudroit encore observer ces différences dans la baie de Hudson, au détroit de Magellan, & dans d’autres endroits.
Le flux & reflux continuel de la mer, & les courans, font changer la face de l’Océan, & rendent les parties d’une hauteur différente dans différens tems : mais ce changement est opéré par des causes étrangeres, & nous n’examinons ici que la constitution naturelle de l’eau ; d’ailleurs, il ne paroît pas que ce changement de hauteur soit si sensible au milieu de l’Océan qu’auprès des côtes.
III. La profondeur de l’Océan n’est-elle pas variable, & telle dans quelques endroits qu’on n’en peut pas trouver le fond ?
La profondeur de l’Océan varie suivant que son lit est plus ou moins enfoncé ; on la trouve quelquefois de , , , , , &c. mille d’Allemagne, &c. Il y a des endroits où l’on trouve un mille & plus, & où la sonde ne se trouve pas communément assez longue pour atteindre au fond ; cependant il est assez vraisemblable que, même dans ce cas, le fond n’est pas aussi éloigné qu’on le croit, si ce n’est peut-être aux endroits où il se rencontre des trous extraordinaires, ou des passages souterrains.
La profondeur des baies n’est pas si grande que celle de l’Océan, & leurs lits sont d’autant moins creux, qu’ils se trouvent plus proches de la terre : par la même raison l’Océan n’est pas si profond auprès des côtes que plus avant, ce qui est occasionné par la figure concave de son lit.
Les marins trouvent la profondeur de la mer avec un plomb de figure pyramidale, & d’environ douze livres de pesanteur ; qu’ils attachent à une ligne de 200 perches de longueur ; quelquefois on prend un plomb plus pesant. Cependant ils peuvent bien être trompés dans cette observation lorsque la sonde est entraînée par un courant ou un tournant d’eau : car alors elle ne descend pas perpendiculairement, mais dans une direction oblique. Lorsque la profondeur est si grande que la sonde ne suffit pas pour y parvenir, on peut employer la méthode donnée par le docteur Hook dans les Transactions philosophiques, n°. 9.
Il paroît pourtant que la profondeur de l’Océan est limitée par-tout, & qu’elle ne va pas jusqu’aux Antipodes ; car si deux portions de terre étoient divisées par quelque partie de l’Océan qui pût être continuée à-travers le centre du globe jusqu’au côté opposé, elles tomberoient ensemble au centre, à moins d’être soutenues par les arcades, par la raison que la terre est plus pesante que l’eau. D’ailleurs toute la masse de la terre & de l’eau est limitée, & conséquemment la profondeur de l’Océan ne peut pas être infinie.
D’ailleurs les observations qu’on a faites en divers endroits à ce sujet, prouvent clairement que la profondeur de la mer équivaut à-peu-près à la hauteur des montagnes & des lieux méditerranés, c’est-à-dire qu’autant les unes sont élevées, autant l’autre est déprimée ; & que comme la hauteur de la terre augmente à mesure qu’on s’éloigne des côtes, de même la mer devient de plus en plus profonde en avançant vers son milieu, où communément sa profondeur est la plus grande.
La profondeur de la mer est souvent altérée dans le même lieu par quelques-unes des causes suivantes : 1°. par le flux & reflux ; 2°. par l’accroissement & le décroissement de la lune ; 3°. par les vents ; 4°. par les dépôts du limon qui vient des côtes : ce qui fait qu’avec le tems les sables & le limon rendent petit-à-petit le lit de la mer plus plat.
IV. Pourquoi l’Océan qui reçoit tant de rivieres, ne s’aggrandit-il point ? Cette question est très-curieuse.
Puisque l’Océan reçoit perpétuellement une quantité prodigieuse d’eau, tant des rivieres qui s’y déchargent que de l’air par les pluies, les rosées & les neiges qui y tombent, il seroit impossible qu’il n’augmentât pas considérablement, s’il ne diminuoit de la même quantité par quelqu’autre moyen ; mais comme on n’a remarqué aucun accroissement considérable dans la mer, & que les limites de la terre & de l’Océan sont les mêmes dans tous les siecles, il faut chercher par quel moyen l’Océan perd autant d’eau qu’il en reçoit par les pluies & les rivieres. Il y a à ce sujet deux hypothèses chez les Philosophes : l’une est que l’eau de la mer est portée par des conduits souterrains jusqu’aux sources des rivieres, où se filtrant à-travers les crevasses, elle perd sa salure : l’autre hypothèse est que cette perte se fait par les vapeurs qui s’élevent de sa surface. La premiere opinion est presqu’abandonnée de tout le monde, parce qu’il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, d’expliquer comment l’eau de l’Océan, étant plus basse que l’embouchure des rivieres, peut remonter aux sources, qui sont la plûpart sur de hautes montagnes. Mais dans la seconde hypothèse on n’a point cette difficulté à expliquer, ni à empêcher l’accroissement de l’Océan, ni à fournir d’eau les sources : ce qui se doit faire aisément par les vapeurs que nous savons certainement être attirées de la surface de l’Océan.
La quantité de vapeurs qui s’éleve de la mer a été calculée par M. Halley de la maniere suivante. Trans. philos. n°. 189.
Il a trouvé, par une expérience faite avec beaucoup de soin, que l’eau salée au même degré que l’est ordinairement l’eau de mer, & échauffée au degré de chaleur de l’air dans nos étés les plus chauds, exhale l’épaisseur d’un soixantieme de pouce d’eau en deux heures : d’où il paroît qu’une masse d’eau d’un dixieme de pouce se perdra en vapeurs dans l’espace de douze heures. De sorte que connoissant la surface de tout l’Océan ou d’une de ses parties, comme la Méditerranée, on peut aussi connoître combien il s’en éleve d’eau en vapeurs en un jour, en supposant que l’eau soit aussi chaude que l’air l’est en été.
Il s’ensuit de ce qui vient d’être dit, qu’une surface de dix pouces quarrés perd tous les jours un pouce cubique d’eau ; un pié quarré une demi-pinte, le quarré de quatre piés, un gallon ; un mille quarré 6914 tonneaux ; & un degré quarré de 69 milles anglois, 33 millions de tonneaux.
Le savant Halley suppose que la Méditerranée est d’environ 40 degrés de longueur & 4 de largeur, compensation faite des lieux où elle est plus large avec ceux où elle est plus étroite : de sorte que toute sa surface peut être estimée à 160 degrés quarrés ; & par conséquent toute la Méditerranée, suivant la proportion ci-devant établie, doit perdre en vapeurs au moins 5 milliars 280 millions de tonneaux d’eau dans un jour d’été. A l’égard de la quantité d’eau que les vents emportent de dessus la surface de la mer, qui quelquefois est plus considérable que celle qui s’exhale par la chaleur du soleil, il me paroît impossible d’établir aucune regle pour la fixer.
Il ne reste qu’à comparer cette quantité d’eau avec celle que les rivieres portent tous les jours à la mer : ce qu’il est difficile de calculer, puisqu’on ne peut mesurer ni la largeur du lit de ces rivieres, ni la vîtesse de leur courant. Il n’y a qu’une ressource, c’est d’établir une comparaison entre elles & la Tamise ; & en les supposant plus grandes qu’elles ne sont réellement, on peut avoir une quantité d’eau plus considérable qu’elles n’en fournissent réellement dans la Méditerranée.
La Méditerranée reçoit neuf rivieres considérables, savoir l’Ebre, le Rhône, le Tibre, le Pô, le Danube, le Neister, le Boristhène, le Tanaïs & le Nil ; toutes les autres sont peu de chose en comparaison. Cet ingénieux auteur suppose chacune de ces rivieres dix fois plus grande que la Tamise, non qu’il y en ait aucune de si forte, mais afin de compenser toutes les petites rivieres qui vont se rendre dans la même mer.
Il suppose que la Tamise au pont de Kingston, où la marée monte rarement, a 190 aunes de large & trois de profondeur, & que ses eaux parcourent l’espace de deux milles par heure. Si donc on multiplie 190 aunes de largeur de l’eau par trois aunes de profondeur, & le produit 390 aunes quarrées par 48 milles ou 84 milles 480 aunes, qui est la vîtesse que l’eau parcourt en un jour, le produit sera 25 millions 344 mille aunes cubiques d’eau, ou 20 millons 300 mille tonneaux qui se rendent chaque jour dans la mer Méditerranée.
Or si chacune de ces neuf rivieres fournit dix fois autant d’eau que la Tamise, il s’ensuivra que chacune d’elles porte tous les jours dans la mer 203 millions de tonneaux d’eau, & conséquemment toutes les neuf ensemble donneront 1827 millions de tonneaux d’eau par jour.
Or cette quantité ne fait guère plus que le tiers de ce qui s’en exhale en vapeurs de la Méditerranée en douze heures de tems : d’où il paroît que la Méditerranée, bien loin d’augmenter ou de déborder par l’eau des rivieres qui s’y déchargent, seroit bien-tôt desséchée si les vapeurs qui s’en exhalent n’y retournoient pas en partie au moyen des pluies & des rosées qui tombent sur sa surface.
V. Il y a des parties de l’Océan dont la couleur est différente des autres, & l’on en cherche la raison.
On observe que vers le pole du nord la mer paroît être de couleur noire, brune sous la zone torride, & verte dans les autres endroits ; sur la côte de la nouvelle Guinée elle paroît blanche & jaune par endroits, & dans les détroits elle paroît blanchâtre sur la côte de Congo. Vers la baie d’Alvaro, où la petite riviere Gonzales se jette dans la mer, l’Océan est d’une couleur rouge, & cette teinture lui vient d’une terre minérale rouge sur laquelle la riviere coule. Mais l’eau la plus singuliere pour sa couleur, est celle du golfe Arabique, qu’on appelle aussi par cette raison la mer Rouge. Il est probable que ce nom lui a été donné à cause du sable rouge qui se trouve sur son rivage, & qui contre sa nature se mêle souvent avec l’eau par la violence du flux & reflux, qui est extraordinaire dans ce golfe : de sorte qu’il le balotte comme des cendres, & l’empêche de tomber au fond par sa violente agitation. Les marins confirment ce fait, & disent que cette mer paroît quelquefois aussi rouge que du sang ; mais que si on met de cette eau dans un vase sans le remuer, le sable rouge se précipite, & qu’on peut le voir dans le fond. Il arrive souvent que de fortes tempêtes exerçant leur furie sur la mer Rouge vers l’Arable & l’Afrique, emportent avec elles des monceaux de sable rouge capables d’engloutir des caravanes entieres, & des troupes d’hommes & d’animaux, dont par succession de tems les corps se changent en véritables momies.
VI. Pourquoi la mer paroit-elle claire & brillante pendant la nuit, sur-tout quand les vagues sont fort agitées dans une tempête ?
Ce phénomene nous paroît être expliqué par ce passage de l’optique de Newton, pag. 314. « Tous les corps fixes, dit-il, ne luisent-ils pas & ne jettent-ils pas de la lumiere lorsqu’ils sont échauffés jusqu’à un certain point ? Cette émission ne se fait-elle pas par le mouvement de vibration de leurs parties ? Tous les corps qui ont beaucoup de parties terrestres & sur-tout de sulphureuses, ne jettent-ils pas de la lumiere toutes les fois que leurs parties sont suffisamment agitées, soit que cette agitation se fasse par la chaleur, par la friction la percussion, la putréfaction, par quelque mouvement vital, ou autre cause semblable ? Par exemple, l’eau de la mer brille la nuit pendant une violente tempête, &c. »
VII. Comment arrive-t-il que l’Océan abandonne ses côtes en certains endroits, de sorte qu’il se trouve de la terre ferme où il y avoit autrefois pleine mer ?
En voici les principales causes : 1°. si la violence des vagues qui s’elancent contre la côte est arrêtée par des rochers, des bas fonds, & des bancs répandus çà & là sous l’eau, la matiere terrestre contenue dans l’eau, comme la boue, la vase, &c. fait un dépôt & augmente la hauteur des bancs de sable, au moyen de quoi ils opposent de plus en plus de la résistance à la violence de l’Océan, ce qui lui fait déposer encore plus de sédiment : de sorte qu’à la longue les bancs de sable étant devenus fort hauts, excluent tout à-fait l’Océan & se changent en terre seche.
2°. Ce qui contribue beaucoup à augmenter les bas-fonds, c’est quand ils sont de sable & de rocher : car alors la mer venant s’y briser & s’en retournant, n’en peut rien détacher ; au lieu que toutes les fois qu’elle en approche elle y laisse un sédiment qui les augmente, comme je l’ai déja dit.
3°. Si quelque rivage voisin est d’une terre legere, poreuse, & qui se détache aisément, le flux de la mer en emporte des parties qui se mêlent avec l’eau, & qu’elle dépose sur quelqu’autre côte adjacente qui se trouve plus dure. D’ailleurs quand la mer anticipe sur une côte, elle quitte autant de terrein sur une autre voisine.
4°. Les grandes rivieres apportent une grande quantité de sable & de gravier à leurs embouchures ou à l’endroit où elles se déchargent dans la mer, & l’y laissent, soit parce que le lit est plus large & moins profond à cet endroit, soit parce que la mer résiste à leur mouvement. C’est une observation que l’on fait principalement dans les pays où les rivieres débordent tous les ans.
5°. Si les vents soufflent fréquemment de la mer vers les côtes, & que la côte elle-même soit de rocailles ou d’une terre dure sans sable, elle amasse la vase & les sédimens, ce qui la rend plus haute.
6°. Si la marée y monte vîte & sans beaucoup d’effort, & qu’elle descende lentement, elle apporte beaucoup de matieres étrangeres sur le rivage, & n’en remporte point.
7°. Si la côte a une longue pente oblique dans la mer, la violence des vagues se trouve ralentie & diminuée par degrés, au moyen de quoi la mer y dépose sa vase & sa bourbe.
Il y a plusieurs endroits ou cantons de terrein que l’on sait certainement avoir été couverts autrefois par l’Océan. L’endroit où est actuellement l’Egypte étoit une mer autrefois, comme le démontre l’expérience & le témoignage des anciens : car le Nil venant des régions éloignées de l’Ethiopie, quand il est débordé, couvre toute l’Egypte pour un tems ; & ensuite diminuant insensiblement, il dépose de la vase & une matiere terrestre, que le cours violent du fleuve avoit entraînées avec lui ; au moyen de quoi l’Egypte devient plus élevée d’année en année. Mais avant que le Nil eût apporté cette quantité si prodigieuse de matiere, la mer, qui maintenant est repoussée par la hauteur que l’Egypte a acquise, couvroit alors tout son terrein.
Le Gange & l’Inde, deux fameuses rivieres de l’Inde, font le même effet que le Nil par leurs inondations, aussi bien que le Rio de la Plata au Brésil. Il est probable que la Chine s’est formée de la même maniere, ou du moins qu’elle s’est considérablement étendue, parce que le fleuve rapide appelle Hoambo, qui coule de la Tartarie dans la Chine, & qui est sujet à des débordemens fréquens, quoique non annuels, contient tant de sable & de gravier, que ces matieres font presque le tiers de ses eaux.
Ces exemples démontrent la quatrieme cause ; savoir que les rivieres font que la mer abandonne la côte ; mais il y a plusieurs pays où la mer elle-même est cause de cet abandon, parce qu’elle apporte & dépose sur le rivage assez de matiere & de sédiment pour augmenter la hauteur de la côte, de maniere qu’elle n’est plus en état de la couvrir de ses eaux. C’est ainsi que la Hollande, la Zélande & la Gueldres ont été formées, car la mer couvroit autrefois ces pays, comme il est démontré, tant par les anciens monumens conservés dans l’Histoire, que par la qualité même de leur terrein. On trouve dans les montagnes de Gueldres, près de Nimegue, des coquillages de mer ; & en creusant la terre en Hollande, on a trouvé à une grande profondeur des arbrisseaux de mer & des matieres marécageuses. Outre cela, la mer même y est plus haute que les terres, qui en seroient submergées si on ne la retenoit par des digues & des écluses. D’un autre côté, il y a des gens qui croient avec assez de vraissemblance que la Hollande & la Zélande ont été formées des sédimens déposés par le Rhin & la Meuse. De même la Prusse & les pays voisins s’aggrandissent de jour en jour, parce que la mer se retire.
VIII. Il n’est pas difficile de comprendre par quelle raison l’Océan couvre la terre dans des lieux où il n’y avoit point d’eau auparavant.
Cela peut arriver de plusieurs manieres : 1°. quand il se fait passage dans les terres en formant des baies & des détroits, comme la Méditerranée, la baie de Bengale, le golfe d’Arabie, &c. Ainsi se sont formés les détroits d’entre la Sicile & l’Italie, entre Ceylan & l’Inde, entre la Grece & le Négrepont ; les détroits de Magellan, de Manille & du Sund. Quelques-uns même prétendent que l’Océan atlantique a été ainsi formé, & qu’il a séparé l’Amérique d’avec l’Europe, afin de pouvoir par ce moyen expliquer plus aisément comment ses habitans descendent d’Adam. Il est certain qu’un prêtre égyptien dit à Solon l’athénien, qu’environ 600 ans avant Jesus-Christ (comme on le voit dans le Timée de Platon) il y avoit vis-à-vis du détroit de Gibraltar une île plus grande que l’Afrique & l’Asie, qu’on appelloit Atlantis, & que par un grand tremblement de terre & une inondation, la plus grande partie fut submergée en un jour & une nuit : ce qui nous fait voir qu’il y avoit parmi les savans d’Egypte une tradition que l’Amérique avoit été séparée du vieux monde plusieurs siecles auparavant.
2°. Quand les eaux de la mer sont poussées par de gros vents sur les côtes, & qu’elles minent les rivages & les bancs formés par la nature ou par l’industrie des hommes, il y a plusieurs exemples d’inondations considérables, comme autrefois en Thessalie, & plus récemment dans la Frise & le pays de Holstein.
3°. Quand par les mêmes causes l’Océan se répand dans les terres, & y forme des îles en plusieurs endroits, comme dans les Indes orientales.
4°. Quand la mer mine ses bords & entre dans les terres, par exemple, la mer Baltique s’est étendue dans la Poméranie, & a détruit Vineta port de mer très-célebre. La mer a miné la côte de Norwege, & séparée du continent quelques îles. L’Océan germanique est entré dans la Hollande auprès du village de Catti, & a submergé un grand espace de terrein. Les ruines de l’ancien château Breton qui étoit un lieu de garnison des Romains, sont fort avancées dans la mer, & ensevelis sous les eaux. Dans la partie méridionale de Ceylan, auprès de l’Inde, la mer a mangé 20 milles de terrein, & forme une petite île ; on pourroit citer encore beaucoup d’autres exemples.
On conçoit aisément, par ce détail historique, que l’Océan occupe maintenant des lieux qui faisoient autrefois partie du continent, & qui pourront retourner à leur premier état, si le monde dure encore des milliers d’années.
IX. Enfin, on demande pourquoi, il y a peu d’îles dans le milieu de l’Océan, & qu’on ne trouve jamais de petites îles ramassées, qu’auprès des grandes îles ou du continent.
L’expérience confirme la vérité de ce fait, & personne n’en doute. On trouve à peine une petite île dans le milieu de l’Océan pacifique ; & il y en a très peu dans le grand Océan, entre l’Afrique & le Bresil, si ce n’est Sainte-Hélene & l’île de l’Ascension ; mais c’est sur les côtes de l’Océan & du grand continent que se trouvent toutes les iles, excepté celles que je viens de nommer, & sur-tout les bouquets d’îles. Celles de la mer Egée sont auprès de l’Europe & de l’Asie & le continent méridional : il n’y a que les Açores qui semblent être au milieu de l’Océan, entre l’Amérique & le vieux Monde, quoiqu’elles soient plus proches du dernier.
La cause de ce phénomene paroît venir de ce que la mer les a séparées du continent, en se faisant passage dans les terres, & qu’elle n’a pas pû les couvrir, à cause de leur hauteur ; peut-être aussi que quelques-unes ont été formées de la maniere suivante. La mer ayant miné quelque étendue de terrein, & ne pouvant pas en emporter les petites parties, les a déposées insensiblement auprès de la terre, ce qui a formé à la fin des iles : mais on voit peu d’iles dans le milieu de l’Océan. 1°. Parce que la mer n’a pas pû emporter si loin les particules qu’elle détachoit des côtes ; 2°. parce que l’eau y a beaucoup de force & un mouvement qui tend à augmenter la profondeur de la mer, plutôt qu’à former des iles ; 3°. parce que n’y ayant point là de continent, il n’a pas pû se former des grappes d’iles de la maniere dont j’ai dit qu’elles se formoient. Cependant dans les tems reculés, lorsque le milieu de l’Océan n’étoit pas où il est maintenant, il a pû y avoir des grappes d’iles, que la force de l’eau aura pû miner & détruire par la suite des siecles. Le Chevalier de Jaucourt.
Océan, (Mythol.) les Poëtes ont jugé à propos d’en faire une divinité : Hésiode nous dit que l’Océan eut de Thétis prise pour la terre, tous les fleuves dispersés dans le monde, & la plûpart des Nymphes qui, par cette raison porterent le nom d’Océanides. Homere va plus loin, il atteste que l’Océan est le premier de tous les dieux ; les hymnes attribués à Orphée nous débitent la même idée. Virgile lui-même l’appelle le pere de toutes choses, Oceanum patrem rerum, suivant la doctrine de Thalès, qui enseignoit d’après les Egyptiens, que l’eau étoit la matiere premiere dont tous les corps étoient composés.
Homere fait faire aux dieux de fréquens voyages chez l’Océan, où ils passoient douze jours de suite dans la bonne chere & les festins : c’est une allusion que le poëte grec fait à une ancienne coutume des peuples qui habitoient sur les bords de l’Océan atlantique, lesquels célébroient dans une certaine saison de l’année des fêtes solemnelles, où ils portoient en procession la statue de Jupiter, de Neptune & des autres dieux, & leur offroient des sacrifices.
Les Grecs & les Romains n’oublierent point de leur côté de sacrifier à la divinité de l’eau, sous le nom de l’Océan, ou sous celui de Poseidon chez les uns, & de Neptune chez les autres. De-là, tant d’autels & de temples que le paganisme éleva à la gloire de ce dernier, dont la souveraineté bornée d’abord à la Méditerrannée, s’étendit depuis à toutes les autres mers. Nous apprenons de Diodore de Sicile, que les Egyptiens donnerent le nom d’Océan au Nil, & qu’ils le reconnurent pour une divinité suprème.
D’anciens monumens nous représentent l’Océan sous la figure d’un vieillard, assis sur les ondes de la mer, & ayant près de lui un monstre marin ; ce vieillard tient une urne, dont il verse de l’eau, symbole de la mer, des fleuves & des fontaines. (D. J.)