L’Encyclopédie/1re édition/DEGRADATION

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DEGRADATION (Jurisprudence.) d’un bien, est tout ce qui peut y causer du dommage ou le détériorer ; par exemple, si ce sont des terres qu’on néglige de cultiver, si ce sont des bois qu’on abatte ou coupe contre les ordonnances, si ce sont des bâtimens qu’on néglige de réparer & entretenir.

Celui qui se plaint des dégradations commises, demande qu’elles soient réparées ; & en cas de contestations, il demande que les lieux soient vûs & visités par experts, pour constater les dégradations, & évaluer les dommages & intérêts. (A)

Degradation d’un Beneficier. Voy. ci-après Degradation d’un Ecclesiastique.

Degradation d’une dignité. Voy. ci-après Degradation d’un ordre.

Dégradation d’un Ecclésiastique, est lorsqu’étant condamné pour crime à subir quelque peine afflictive ou infamante, on le dégrade avant l’exécution, c’est-à-dire qu’on le dépouille de toutes les marques extérieures de son caractere.

La dégradation des personnes consacrées au culte divin, a été en usage chez différens peuples dans les tems les plus reculés ; il n’y avoit pas jusqu’aux vestales chez les payens, qui ne pouvoient être exécutées à mort qu’elles n’eussent été solennellement dégradées par les pontifes, qui leur ôtoient les bandelettes & autres ornemens du sacerdoce.

Chez les Juifs, les prêtres convaincus de crime étoient dégradés.

L’Ecriture-sainte nous en fournit un premier exemple bien remarquable en la personne d’Aaron, que Dieu ayant condamné à mort pour son incrédulité, il ordonna à Moyse de le dégrader auparavant du sacerdoce, en le dépouillant pour cet effet de la robe de grand-prêtre, & d’en revêtir Eléazar fils d’Aaron ; ce que Moyse exécuta comme Dieu le lui avoit ordonné. Nomb. ch. xx.

Il y avoit aussi une autre sorte de dégradation semblable à celle que les Romains appelloient regradatio, dont l’effet étoit seulement de reculer la personne à un grade plus éloigné, sans la priver totalement de son état.

C’est ainsi que dans Ezechiel, ch. xljv. il est dit que les lévites qui auront quitté le Seigneur pour suivre les idoles, seront employés dans le sanctuaire de Dieu à l’office de portiers.

S. Jérome, in chronicis, fait mention de cette dégradation ou regradation ; il dit qu’Heraclius d’évêque fut réduit à être simple prêtre, in presbyterum regradatus est.

Pour ce qui est de la dégradation telle que nous l’entendons présentement, c’est-à-dire celle qui emporte privation absolue de la dignité ou office, dans la primitive Eglise on dégradoit les prêtres avant de les livrer à l’exécuteur de la justice : on pensoit alors qu’à cause de l’onction sacrée qu’ils ont, la justice ne pouvoit mettre la main sur eux en quelque façon que ce fût ; qu’étant dégradés, cette prohibition cessoit, parce qu’alors l’onction leur étoit ôtée & essuyée, & que l’Eglise elle-même les rendoit au bras séculier, pour être traités selon les lois comme le commun des hommes.

Au commencement, les évêques & les prêtres ne pouvoient être déposés que dans un concile ou synode ; mais comme on ne pouvoit pas toûjours attendre la convocation d’une assemblée si nombreuse, il fut arrêté au second concile de Carthage, qu’en cas de nécessité, ou si l’on ne pouvoit pas assembler un si grand nombre d’évêques, il suffiroit qu’il y en eût douze pour juger un évêque, six pour un prêtre, & trois avec l’évêque du lieu pour dégrader un diacre.

Boniface VIII. ch. ij. de pœnis, in 6°. décide que pour exécuter la dégradation il faut le nombre d’évêques requis par les anciens canons.

Mais cette décision n’a jamais été suivie parmi nous, & l’on a toûjours pensé avec raison qu’il ne falloit pas plus de pouvoir pour dégrader un prêtre que pour le consacrer ; aussi le concile de Trente, sess. 13. cap. jv. décide-t-il qu’un seul évêque peut dégrader un prêtre, & même que le vicaire général de l’évêque, in spiritualibus, a le même pouvoir, en appellant toutefois six abbés, s’il s’en trouve assez dans la ville, sinon six autres personnes constituées en dignité ecclésiastique.

La novelle 83 de Justinien ordonne que les clercs seront dégradés par l’évêque avant d’être exécutés. Il étoit d’usage chez les Romains, que l’ecclésiastique dégradé étoit incontinent curiæ traditus ; ce qui ne signifioit pas qu’on le livrât au bras séculier pour le punir, comme quelques ecclésiastiques ont autrefois voulu mal-à-propos le faire entendre, puisque ce criminel étoit déjà jugé par le juge séculier, mais cela vouloit dire qu’on l’obligeoit de remplir l’emploi de décurion, qui étoit devenu une charge très-onéreuse, & une peine sur-tout pour ceux qui n’en avoient pas les honneurs, comme cela avoit lieu pour les prêtres dégradés & pour quelques autres personnes. Et en effet, Arcadius ordonna que quiconque seroit chassé du clergé, seroit pris pour décurion ou pour collégiat, c’est-à-dire du nombre de ceux qui dans chaque ville étoient choisis entre les assistans pour servir aux nécessités publiques.

En France, suivant une ordonnance de l’an 1571, les prêtres & autres promûs aux ordres sacrés, ne pouvoient être exécutés à mort sans dégradation préalable.

Cette dégradation se faisoit avec beaucoup de cérémonie. L’évêque ôtoit en public les habits & ornemens ecclésiastiques au criminel, en proférant certaines paroles pour lui reprocher son indignité. La forme que l’on observoit alors dans cet acte paroît assez semblable à ce qui est prescrit par le chapitre de pœnis in 6°, excepté par rapport au nombre d’évêques que ce chapitre requiert.

Juvenal des Ursins rapporte un exemple d’une dégradation de deux Augustins, qui ayant-trompé le roi Charles V I. sous prétexte de le guérir, furent condamnés à mort en 1398, & auparavant dégradés en place de Grève en la forme qui suit.

On dressa des échaffauts devant l’hôtel-de-ville & l’église du S. Esprit, avec une espece de pont de planches qui aboutissoit aux fenêtres de la salle du S. Esprit, de maniere qu’une de ces fenêtres servoit de porte ; l’on amena par-là les deux Augustins habillés comme s’ils alloient dire la messe.

L’évêque de Paris en habits pontificaux leur fit une exhortation, ensuite il leur ôta la chasuble, l’étole, le manipule, & l’aube ; puis en sa présence on rasa leurs couronnes.

Cela fait, les ministres de la jurisdiction séculiere les dépouillerent & ne leur laisserent que leur chemise & une petite jacquette par-dessus ; ensuite on les conduisit aux halles où ils furent décapités.

M. le Prêtre tient qu’un ecclésiastique condamné à mort pour crime atroce, peut être exécuté sans dégradation préalable ; ce qui est conforme au sentiment des canonistes, qui mettent l’assassinat au nombre des crimes atroces.

Quelques évêques prétendoient que pour la dégradation on devoit se conformer au chapitre de pœnis, & qu’il falloit qu’elle fût faite par le nombre d’évêques porté par ce chapitre ; d’autres faisoient difficulté de dégrader en conséquence du jugement de la justice séculiere, prétendant que pour dégrader en connoissance de cause, ils devoient juger de nouveau, quoiqu’une sentence confirmée par arrêt du parlement suffise pour déterminer l’Eglise à dégrader le condamné, autrement ce seroit ériger la justice ecclésiastique au-dessus de la justice séculiere. Comme toutes ces difficultés retardoient beaucoup l’exécution du criminel, & que par-là le crime demeuroit souvent impuni, les magistrats ont pris sagement le parti de supprimer l’usage de la dégradation, laquelle au fond n’étoit qu’une cérémonie superflue, attendu que le criminel est suffisamment dégradé par le jugement qui le condamne à une peine afflictive.

On ne doit point confondre la dégradation avec la simple suspension, qui n’est que pour un tems, ni même avec la déposition qui ne prive pas absolument de l’ordre ni de tout ce qui en dépend, mais seulement de l’exercice. Voyez Déposition & Suspension. Voyez Loiseau, tr. des ordres, chap. jx. n. 29. & suivans. (A)

Dégradation d’un office ou ordre civil, est lorsque quelqu’un revêtu d’un office, ordre, ou dignité, en est dépouillé avec ignominie pour ses démérites, & privé des honneurs, fonctions, & priviléges qui y sont attachés.

Cette peine a lieu lorsque l’officier a fait quelque chose contre l’honneur de sa place, ou-qu’il a prévariqué autrement.

L’usage de cette sorte de dégradation est fort ancien ; on en trouve nombre d’exemples dans l’antiquité : mais il faut bien prendre garde que par le terme de dégradation les anciens n’entendoient pas la même chose que nous.

Il y avoit, par exemple, chez les Romains trois sortes de peines contre les soldats qui avoient démérité ; savoir, militiæ mutatio, de gradu dejectio seu regradatio, & ignominiosa missio.

La premiere de ces peines étoit lorsqu’on passoit d’un corps dans un autre, comme quand de chevalier on devenoit fantassin, ou qu’un fantassin étoit transféré dans les troupes auxiliaires de frondeurs, comme il est dit dans Ammian Marcellin, liv. XXIX. que Théodose, pour punir des chevaliers qui s’étoient revoltés, & néanmoins voulant marquer qu’il se contentoit d’une legere peine, les remit tous au dernier grade de la milice. Il y a eu beaucoup d’autres exemples dans le code Théodosien & dans celui de Justinien.

Ce qui vient d’être dit des soldats & officiers militaires, avoit aussi lieu pour les autres officiers qui étoient dans le même cas : on les transféroit pareillement d’un corps dans un autre corps inférieur.

La dégradation que les Romains appelloient de gradu dejectio, seu regradatio quasi retrogradatio, & non pas degradatio qui n’est pas latin, étoit lorsque quelqu’un perdoit le grade ou rang qu’il avoit dans sa compagnie, comme quand de tribun il étoit fait simple soldat, ex tribuno tyro fiebat ; ou comme on voit dans Lampride in Alexand. Sever. qu’un sénateur qui avoit donné un mauvais avis étoit reculé à la derniere place du sénat, in ultimum rejiciebatur locum.

La derniere peine, qu’ils appelloient ignominiosa missio ou exauctoratio, étoit une expulsion entiere de la personne à laquelle on ôtoit toutes les marques d’honneur qu’elle pouvoit avoir.

C’est ainsi que l’on traitoit les soldats & officiers militaires qui s’étoient revoltés, ou qui avoient manqué à leur devoir : dans quelqu’autre point essentiel on leur ôtoit les marques d’honneur militaires, insignia militaria.

On en usoit de même pour les offices civils : les officiers qui s’en étoient rendus indignes étoient dégradés publiquement.

Plutarque, en la vie de Cicéron, rapporte que le préteur Lentulus complice de la conjuration de Catilina, fut degradé de son office, ayant été contraint d’ôter en plein sénat sa robe de pourpre, & d’en prendre une noire.

Sidoine Apollinaire, liv. VII. de ses épîtres, rapporte pareillement qu’un certain Arnandus qui avoit été préfet de Rome pendant cinq ans, fut dégradé, exauguratus, qu’il fut déclaré plebeïen & de famille plébeïenne, & condamné à une prison perpétuelle.

Les lois romaines, & notamment la loi judices, au code de dignit. veulent que les juges qui seront convaincus de quelque crime, soient dépouillés de leurs marques d’honneur & mis au nombre des plébeïens.

Il en est à-peu-près de même en France.

Les soldats & officiers militaires qui ont fait quelque chose contre l’honneur, sont cassés à la tête de leur corps, & dépouillés de toutes les marques d’honneur qu’ils pouvoient avoir ; c’est une espece de dégradation, mais qui ne les fait pas déchoir de noblesse, à moins qu’il n’y ait eu un jugement qui l’ait prononcé.

Lorsqu’une personne constituée en dignité est condamnée à mort ou à quelque peine infamante, on lui ôte avant l’exécution les marques d’honneur dont elle est revêtue ; ce fut ainsi qu’avant l’exécution du maréchal de Biron, M. le chancelier lui ôta le collier de l’ordre du S. Esprit. Il lui demanda aussi son bâton de maréchal de France, mais il lui répondit qu’il n’en avoit jamais porté.

La dégradation des officiers de justice se fait aussi publiquement.

Loiseau, dans son traité des ordres, dit avoir trouvé dans les recueils de feu son pere, qu’en l’an 1496 un nommé Chanvreux conseiller au parlement fut privé de son état pour avoir falsifié une enquête ; qu’il fut en l’audience du parlement dépouillé de sa robe rouge, puis fit amende honorable au parquet & à la table de marbre.

Il rapporte aussi l’exemple de Pierre Ledet conseiller clerc au parlement, lequel, en 1528, fut par arrêt exauctoré solennellement, sa robe rouge lui fut ôtée en présence de toutes les chambres, puis il fut renvoyé au juge d’église.

On trouve encore un exemple plus récent d’un conseiller au parlement dégradé publiquement le 15 Avril 1693, pour les cas résultans du procès. Il fut amené de la conciergerie en la grand-chambre sur les neuf heures, toutes les chambres du parlement étant assemblées & les portes ouvertes ; il étoit revêtu de sa robe rouge, le bonnet quarré à la main : il entendit debout la lecture de son arrêt qui le banissoit à perpétuité, ordonnoit que sa robe & autres marques de magistrature lui seroient ôtées par les huissiers de service, avec condamnation d’amende envers le roi, & réparation envers la partie. Après la lecture de l’arrêt, il remit son bonnet entre les mains d’un huissier, sa robe tomba comme d’elle-même ; il sortit ensuite de la grand-chambre par le parquet des huissiers, descendit par le grand escalier, & rentra en la conciergerie. Voyez Brillon au mot Conseillers, n. 6.

Quand on veut imprimer une plus grande flétrissure à un juge que l’on dégrade, on ordonne que sa robe & sa soutane seront déchirées par la main du bourreau.

Loiseau distingue deux sortes de dégradation, suivant ce qui se pratiquoit chez les Romains ; l’une, qu’il appelle verbale, & l’autre réelle & actuelle.

Il entend par dégradation verbale, la simple déposition ou destitution qui se fait d’un officier sans cause ni note d’infamie, semblable au congé que l’empereur donnoit verbalement à certains soldats, qui n’étoient pas pour cela notés d’infamie ; par exemple, lorsqu’ils avoient fini leur tems ou qu’ils étoient hors d’état de servir.

La dégradation réelle, qui est la seule proprement dite dans le sens ordinaire que l’on donne parmi nous aux termes de dégradation, est celle qui est faite par forme de peine & avec ignominie. Voyez ci-devant Dégradation d’un Ecclesiastique, & ci-après Déposition, Destitution, & Loiseau, traité des ordres, ch. jx. (A)

Dégradation de noblesse, est la privation de la qualité de noble, & des priviléges qui y sont attachés.

Cette dégradation a lieu de plein droit contre ceux qui sont condamnés à mort naturelle ou civile, à l’exception néanmoins de ceux qui sont condamnés à être décapités, & de ceux qui sont condamnés à mort pour simple délit militaire par un jugement du conseil de guerre, qui n’emporte point infamie.

Elle a aussi lieu lorsque le condamné est expressément déclaré déchu de la qualité & des priviléges de noblesse, ce qui arrive ordinairement lorsque le jugement condamne à quelque peine afflictive ou qui emporte infamie. Toute condamnation qui emporte dégradation de noblesse contre le condamné, en fait aussi déchoir ses descendans, qui tenoient de lui la qualité de noble. (A)

Dégradation des ordres sacrés. Voyez ci-devant Dégradation d’un Ecclesiastique.

Dégradation d’un Prêtre. Voyez ci-devant Degradation d’un Ecclesiastique. (A)

Degradation, Degrader, en Peinture, c’est l’augmentation ou la diminution des lumieres & des ombres, ainsi que de la grandeur des objets. Ces dégradations doivent être insensibles ; celle de la lumiere, en s’affoiblissant peu-à-peu jusqu’aux plus grandes ombres ; celles de la couleur, depuis la plus entiere jusqu’à la plus rompue relativement à leurs plans. Voyez Couleur rompue. On dit, ce peintre fait bien dégrader les lumieres, ses couleurs, ses objets. Toutes ces choses dégradent bien, c’est-à-dire, sont bien traitées par la lumiere, la couleur, & la grandeur. (R)

Dégrader un vaisseau, (Marine.) c’est abandonner un vaisseau après en avoir ôté les agrès & aparaux, & tout ce qui servoit à l’équiper, lorsqu’il est trop vieux, ou que le corps du bâtiment est endommagé & hors de service. (Z)

Dégrader un homme, en terme de Marine, c’est lui faire quitter le vaisseau, & le mettre sur quelque côte ou quelque île deserte où l’on l’abandonne : ce qui se fait quelquefois pour punir des criminels qu’on ne vouloit pas condamner à la mort. (Z)

Dégrader, (Jardinage.) on dit dégrader un bois, quand on y coupe ou dégarnit trop d’arbres, ce qui y forme des clairieres. (K)