L’Encyclopédie/1re édition/DÉLECTATION VICTORIEUSE

◄  DELBRUGH

DÉLECTATION VICTORIEUSE, (Théologie.) terme fameux dans le système de Jansenius, qui par cette expression entend un sentiment doux & agréable, un attrait qui pousse la volonté à agir, & la porte vers le bien qui lui convient ou qui lui plaît.

Jansenius distingue deux sortes de délectations : l’une pure & céleste, qui porte au bien & à l’amour de la justice ; l’autre terrestre, qui incline au vice & à l’amour des choses sensibles. Il prétend que ces deux délectations produisent trois effets dans la volonté : 1°. un plaisir indélibéré & involontaire : 2°. un plaisir délibéré qui attire & porte doucement & agréablement la volonté à la recherche de l’objet de la délectation : 3°. une joie qui fait qu’on se plaît dans son état.

Cette délectation peut être victorieuse ou absolument, c’est-à-dire par des moyens ineffables, & que Dieu seul peut employer : miris & ineffabilibus modis, dit S. Augustin, lib. de corrept. & gratiâ, cap. v. ou relativement, entant que la délectation céleste, par exemple, surpasse en degrés la délectation terrestre, & réciproquement.

Jansenius, dans tout son ouvrage de gratiâ Christi, & nommément liv. IV. ch. vj. jx. & x. liv. V. ch. v. & liv. VIII. chap. ij. se déclare pour cette délectation relativement victorieuse, & prétend que, dans toutes ses actions, la volonté est soûmise à l’impression nécessitante & alternative des deux délectations, c’est-à-dire de la concupiscence & de la grace. D’où il conclut que celle des deux délectations qui dans le moment décisif de l’action se trouve actuellement superieure à l’autre en degrés, détermine nos volontés, & les décide nécessairement pour le bien ou pour le mal. Si la cupidité l’emporte d’un degré sur la grace, le cœur se livre nécessairement aux objets terrestres. Si, au contraire, la grace l’emporte d’un degré sur la concupiscence, alors la grace est victorieuse, elle incline nécessairement la volonté à l’amour de la justice. Enfin, dans le cas où les deux délectations sont égales en degrés, la volonté reste en équilibre sans pouvoir agir. Dans ce système, le cœur humain est une vraie balance, dont les bassins montent, descendent ou demeurent au niveau l’un de l’autre, suivant l’égalité ou l’inégalité des poids dont ils sont chargés.

Il n’est pas étonnant que de ces principes Jansenius infere qu’il est impossible que l’homme fasse le bien quand la cupidité est plus forte que la grace ; que l’acte opposé au péché n’est pas en son pouvoir, lorsque la cupidité le domine ; que l’homme, sans l’empire de la grace, plus forte en degrés que la concupiscence, ne peut non plus se refuser à la motion du secours divin, dans l’état présent où il se trouve, que les bienheureux qui sont dans le ciel peuvent se refuser à l’amour de Dieu. Jansen. lib. VIII. de grat. Christi, c. xv. & lib. IV. de stat. naturæ lapsæ, c. xxjv.

C’est par cette découverte de la délectation relativement victorieuse, qui est la base de tout son système, que Jansenius est parvenu à réduire le mystere de l’action de la grace sur la volonté, à une explication fondée sur les lois de la méchanique. Voyez Jansenisme. (G)