L’Encyclopédie/1re édition/CYCLOIDE
CYCLOIDE, s. f. en Géomét. est une des courbes méchaniques, ou, comme les nomment d’autres auteurs, transcendantes. On l’appelle aussi quelquefois trochoïde & roulette. Voyez Courbe, Epicycloide, & Trochoïde.
Elle est décrite par le mouvement d’un point A (fig. 55. Pl. de Géométr.) de la circonférence d’un cercle, tandis que le cercle fait une révolution sur une ligne droite A P. Quand une roue de carrosse tourne, un des clous de la circonférence décrit dans l’air un cycloïde.
De cette génération il est facile de déduire plusieurs propriétés de cette courbe, savoir que la ligne droite AE est égale à la circonférence du cercle ABCD, & AC égale à la demi-circonférence ; & que dans une situation quelconque du cercle générateur, la ligne droite Ad est égale à l’arc ad ; & comme ad est égale & parallele à dc, ad sera égale à l’arc du cercle générateur d F. De plus la longueur de la cycloïde entiere est égale à quatre fois le diametre du cercle générateur ; & l’espace cycloïdal AFE est triple de l’aire de ce même cercle. Voyez ci-dessus l’article Cycloidal. Enfin une portion quelconque FI de la courbe prise depuis le sommet, est toûjours égale au double de la corde correspondante Fb du cercle ; & la tangente GI à l’extrémité I est toûjours parallele à la même corde F b. Si le cercle tourne & avance en même tems, de maniere que son mouvement rectiligne soit plus grand que son mouvement circulaire, la cycloïde est alors nommée cycloïde allongée, & la base AE est plus grande que la circonférence du cercle générateur. Au contraire, si le mouvement rectiligne du cercle est moindre que le mouvement circulaire, la cycloïde est nommée cycloïde accourcie, & sa base est moindre que la circonférence du cercle. Voyez Roue d’Aristote.
La cycloïde est une courbe assez moderne ; & quelques personnes en attribuent l’invention au P. Mersenne, d’autres à Galilée ; mais le docteur Wallis prétend qu’elle est de plus ancienne date ; qu’elle a été connue d’un certain Bovillus vers l’année 1500, & que le cardinal Cusa en avoit même fait mention long-tems auparavant, c’est-à-dire avant l’an 1451.
Il est constant, remarque M. Formey, que le P. Mersenne divulgua le premier la formation de la cycloïde, en la proposant à tous les géometres de son tems, lesquels s’y appliquant à l’envi, y firent alors plusieurs découvertes ; ensorte qu’il étoit difficile de juger à qui étoit dû l’honneur de la premiere invention. Delà vint cette célebre contestation entre MM. de Roberval, Toricelli, Descartes, Lalovera, &c. qui fit alors tant de bruit parmi les savans.
Depuis ce tems-là à peine a-t-on trouvé un mathématicien tant soit peu distingué, qui n’ait éprouvé ses forces sur cette ligne, en tâchant d’y découvrir quelque nouvelle propriété. Les plus belles nous ont été laissées par MM. Pascal, Huyghens, Wallis, Wren, Leibnitz, Bernoulli, &c.
Cette courbe a des propriétés bien singulieres. Son identité avec sa développée, les chûtes en tems égaux par des arcs inégaux de cette courbe, & la plus vîte descente, sont les plus remarquables. En général à mesure qu’on a approfondi la cycloide, on y a découvert plus de singularités. Si l’on veut qu’un pendule fasse des vibrations inégales en des tems exactement égaux, il ne faut point qu’il décrive des arcs de cercle, mais des arcs de cycloïde. Si l’on développe une demi-cycloïde, en commençant par le sommet, elle rend par son développement une autre demi-cycloïde semblable & égale ; & l’on sait quel usage M. Huyghens fit de ces deux propriétés pour l’Horlogerie. Voyez plus bas ; voyez aussi l’article Pendule. En 1697, M. Bernoulli professeur de Mathématiques à Groningue, proposa ce problème à tous les géometres de l’Europe ; supposé qu’un corps tombât obliquement à l’horison, quelle étoit la digne courbe qu’il devoit décrire pour tomber le plus vîte qu’il fût possible. Car, ce qui peut paroître étonnant, il ne devoit point décrire une ligne droite, quoique plus courte que toutes les lignes courbes terminées par les mêmes points. Ce problème résolu, il se trouva que cette courbe étoit une cycloïde. Une des plus importantes connoissances que l’on puisse avoir sur les courbes, consiste à mesurer exactement l’espace qu’elles renferment, ou seules, ou avec des lignes droites ; & c’est ce qu’on appelle leur quadrature. Si cet espace se peut mesurer, quelle que soit la portion de la courbe qui y entre, & les ordonnées, ou les parties du diametre qui le terminent avec elle, c’est la quadrature absolue ou indéfinie, telle qu’on l’a de la parabole. Mais il arrive quelquefois que l’on ne peut quarrer que des espaces renfermés par de certaines portions de la courbe & par de certaines ordonnées, ou de certaines parties du diametre déterminées. On vit d’abord que la quadrature indéfinie de la cycloïde dépendoit de celle de son cercle générateur, & que par conséquent elle étoit impossible selon toutes les apparences. Mais M. Huyghens trouva le premier la quadrature d’un certain espace cycloïdal déterminé. M. Leibnitz ensuite trouva encore celle d’un autre espace pareillement déterminé ; & l’on croyoit qu’après ces deux grands géometres, on ne trouveroit plus aucun espace quarrable dans la cycloïde. Cependant M. Bernoulli découvrit depuis dans la cycloïde une infinité d’espaces quarrables, dans lesquels sont compris, & pour ainsi dire absorbés les deux de M. Huyghens & de M. Leibnitz. C’est ainsi que la Géométrie, à mesure qu’elle est maniée par de grands génies, va presque toûjours s’élevant du particulier à l’universel, & même à l’infini. Histoire & mém. de l’acad. 1699.
M. Huyghens a démontré le premier que de quelque point ou hauteur que descende un corps pesant qui oscille autour d’un centre, par exemple, un pendule ; tant que ce corps se mouvra dans une cycloïde, les tems de ses chûtes ou oscillations seront toûjours égaux entr’eux. Voici comment M. de Fontenelle essaye de faire concevoir cette propriété de la cycloïde. La nature de la cycloïde, dit-il, est telle qu’un corps qui la décrit, acquiert plus de vîtesse à mesure qu’il décrit un plus grand arc, dans la raison précise qu’il faut, pour que le tems qu’il met à décrire cet arc soit toûjours le même, quelle que soit la grandeur de l’arc que le corps parcourt ; & de-là vient l’égalité dans le tems, nonobstant l’inégalité des arcs, parce que la vîtesse se trouve exactement plus grande ou moindre, en même proportion que l’arc est plus grand ou plus petit.
C’est cette propriété de la cycloïde qui a fait imaginer l’horloge à pendule. M. Huyghens a donné sur ce sujet un grand ouvrage intitulé, horologium oscillatorium. Voyez la suite de cet article ; voyez aussi Brachystochrone, Tautochrone, Isochrone, &c. Ceux qui voudront s’instruire dans un plus grand détail de l’histoire de la cycloïde, pourront consulter la vie de Descartes in-4o. par M. Baillet, liv. IV. chap. xiij. xjv. xv. Il résulte de l’histoire assez étendue que cet auteur en donne :
1°. Que le premier qui a remarqué cette ligne dans la nature, mais sans en pénétrer les propriétés, a été le P. Mersenne qui lui a donné le nom de roulette.
2°. Que le premier qui en a connu la nature, & qui en a démontré l’espace, a été M. de Roberval qui l’a appellée d’un nom tiré du grec, trochoïde.
3°. Que le premier qui en a trouvé la tangente, a été M. Descartes, & presque en même tems M. de Fermat, quoique d’une maniere défectueuse ; après quoi M. de Roberval en a le premier mesuré les plans & les solides, & donné le centre de gravité du plan & de ses parties.
4°. Que le premier qui l’a nommée cycloïde, a été M. de Beaugrand ; que le premier qui se l’est attribuée devant le public, & qui l’a donnée au jour, a été Toricelli.
5°. Que le premier qui en a mesuré la ligne courbe & ses parties, & qui en a donné la comparaison avec la ligne droite, a été M. Wren, sans la démontrer.
6°. Que le premier qui a trouvé le centre de gravité des solides, & demi-solides de la ligne & de ses parties, tant autour de la base qu’autour de l’axe, a été M. Pascal ; que le même a aussi trouvé le premier le centre de gravité de la ligne & de ses parties ; la dimension & le centre de gravité des surfaces, demi-surfaces, quart-de-surfaces, &c. décrites par la ligne & par ses parties tournées autour de la base & autour de l’axe : & enfin la dimension de toutes les lignes courbes des cycloïdes allongées ou accourcies. M. Pascal publia ces propriétés de la cycloïde dans un petit livre imprimé au commencement de 1658, sous le titre de traité de la roulette, & sous le nom de A. d’Ettonville. Il est fort rare, le libraire n’en ayant tiré que 120 exemplaires. La bibliotheque des Peres de la Doctrine en possede un. Baillet, vie, de Descartes, loco citato. (O)
Application de la cycloïde au pendule des horloges. M. Huyghens ayant cru que les erreurs auxquelles les horloges sont encore sujettes, naissoient des petites inégalités qui regnent entre les tems des vibrations d’un même pendule simple, lorsqu’elles sont différemment étendues ; il imagina de faire osciller ce régulateur entre deux arcs de cycloïde, sa lentille décrivant par ce moyen une semblable courbe, devoit, selon lui, achever toutes ses vibrations en des tems égaux (Voyez Cycloïde), & communiquer une parfaite justesse à l’horloge : mais l’expérience & la théorie ont démontré le contraire.
Ce qu’il y eut de plus particulier dans l’erreur de M. Huyghens, c’est que tous les savans de l’Europe y resterent plus de trente années, malgré les irrégularités qu’on remarquoit tous les jours dans les pendules à cycloïde. Tantôt ils les attribuoient au peu d’attention que les artistes prenoient dans la formation de ces courbes, ce qui pouvoit en effet y avoir assez souvent part ; tantôt ils s’en prenoient à la maniere dont elles étoient posées ; d’autres fois les principales erreurs venoient, selon eux, de plusieurs effets physiques : enfin ils n’en purent découvrir la véritable cause, jusqu’à ce qu’un artiste intelligent, M. Sully, vint dessiller leurs yeux.
Il leur fit voir qu’à la vérité le pendule simple qui oscille dans une cycloïde, fait des vibrations parfaitement isochrones ; mais que pour celui qui est appliqué aux horloges, deux causes concourant dans ses vibrations, la pesanteur & l’action continuelle de la force motrice par le moyen de l’échappement, causes dont il n’y a que la premiere qui soit proportionnelle aux arcs, l’autre ne suivant point du tout ce rapport ; il est impossible que cet isochronisme ne soit pas troublé par les variations de cette derniere force. Il confirma son raisonnement par l’expérience, & fit voir qu’on pouvoit à volonté faire avancer ou retarder une pendule à cycloïde, en changeant la forme de son échappement.
Quoique la cycloïde, dans le tems où elle étoit d’usage, loin de concourir à la justesse des horloges, leur fût au contraire desavantageuse ; cependant par la découverte des échappemens à repos, faite depuis ce tems, cette courbe pouvoit leur être favorable quand elles ont des pendules courts : elle seroit aussi fort utile pour certains régulateurs qu’on pourroit peut-être découvrir, & dont la gravité seule causeroit les vibrations. Ces raisons m’ont engagé à donner ici la méthode prescrite par M. Huyghens, horol. oscill. pars prima, pour former cette courbe.
La longueur de votre pendule étant donnée ; sur une table aussi platte qu’il est possible, posez une regle épaisse d’un demi-pouce environ ; ayez ensuite un cylindre de même épaisseur & d’un diametre, moiné de la longueur du pendule ; prenez un fil de soie, ou si vous voulez de laiton, afin qu’il ait plus de consistance ; attachez-le à la petite regle, & en un point de la circonférence du cylindre : cela fait, appliquez ce dernier contre la regle, de façon qu’il soit enveloppé par le fil, que vous développerez ensuite en faisant mouvoir le cylindre le long de la regle. Par ce moyen une petite pointe de fer que vous aurez fixé à la circonférence du cylindre, tracera une cycloïde sur la table ; car la courbe décrite sera formée par le mouvement d’un point pris sur la circonférence d’un cercle ou cylindre, lequel en roulant aura appliqué toutes ses parties sur une ligne droite, savoir la regle. Ce sera donc une cycloïde.
Cette opération faite, si vous disposez des lames de laiton en telle sorte que les appliquant sur la courbe elles répondent exactement à chacun de ses points, vous aurez pour lors des cycloïdes telles que vous pouvez les desirer ; si vous les attachez au point de suspension d’un pendule dans l’ordre où le point décrivant les a formées ; la soie enveloppant & développant alternativement les deux courbes, fera décrire à votre lentille des arcs cycloïdaux, dans chaque point desquels la pesanteur lui imprimera des vîtesses proportionnelles à sa distance du point de repos. (T)