L’Encyclopédie/1re édition/CORDERIE
CORDERIE, subst. fémin. (Marine.) C’est le nom que l’on donne à un grand bâtiment couvert, fort long & peu large, destiné dans un arsenal de marine pour filer les cables & cordages nécessaires pour les vaisseaux du Roi. Voyez Pl. VII. part. 3. n. 6. le plan d’une corderie de 200 toises de long sur 8 toises de large. (Z).
* Corderie, (Ord. encyclop. Entend. Mémoire. Hist. Hist. de la nat. Hist. de la nat. employée. Arts mechan. Cord.) C’est l’art de faire des cordes. Une corde est un composé long, cylindrique, plus ou moins flexible, ou de lin, ou de laine, ou de coton, ou de roseau, ou d’écorce de tilleul, ou de soie, ou de chanvre, ou de cheveux, ou d’autres matieres semblables, tortillées ou simplement ou en plusieurs doubles sur elles-mêmes. Si la portion de matiere tortillée simplement sur elle-même est menue, elle prend le nom de fil, voyez Fil. Il y a encore des cordes de boyau, de léton, de cuivre, de fer, &c. mais il semble qu’on ne leur ait donné ce nom que par la ressemblance qu’elles ont pour la flexibilité, la forme, & même l’usage, avec celles de chanvre. Les cordes de chanvre sont les seules qui se fabriquent dans les corderies. Voyez à l’art. Boyaudier la maniere de faire les cordes à boyau ; à l’article Trifilerie ou grosses Forges, la fabrication des fils de fer ; à l’article Cuivre ou Léton, celle des cordes de léton. Nous avons laissé à l’article Chanvre cette matiere toute prête à passer entre les mains du cordier. Nous allons la reprendre ici, la transporter dans l’attelier des fileurs, & de cet attelier dans celui des commetteurs, jusqu’à ce que nous en ayons formé des cordes de toute espece.
Des Fileurs. Les filamens de chanvre qui forment le premier brin, n’ont que deux ou trois piés de longueur ; ainsi pour faire une corde fort longue, il faut placer un grand nombre de ces filamens les uns au bout des autres, & les assembler de maniere qu’ils rompent plûtôt que de se desunir, c’est la propriété principale de la corde ; & qu’ils résistent le plus qu’il est possible à la rupture, c’est la propriété distinctive d’une corde bien faite. Pour assembler les filamens, on les tord les uns sur les autres, de maniere que l’extrémité d’une portion non assemblée excede toûjours un peu l’extrémité de la portion déjà tortillée. Si l’on se proposoit de faire ainsi une grosse corde, on voit qu’il seroit difficile de la filer également, (car cette maniere d’assembler les filamens s’appelle filer), & que rien n’empêcheroit la matiere filée de cette façon, de se détortiller en grande partie ; c’est pourquoi on fait les grosses cordes de petits cordons de chanvre tortillés les uns avec les autres ; & l’on prépare ces cordons, qu’on appelle fil de carret, en assemblant les filamens de chanvre, comme nous venons de l’insinuer plus haut, & comme nous allons ci-après l’expliquer plus en détail.
L’endroit où se fait le fil de carret, s’appelle la filerie. Il y a des fileries de deux especes, de couvertes & de découvertes. Celles-ci sont en plein air, sur des remparts de ville, dans des fossés, dans les champs, &c. Celles-là sont des galeries qui ont jusqu’à 1200 piés de long sur 28 de large, & 8 à 9 de haut.
Il est évident qu’on ne laisse pas les instrumens dans les fileries découvertes ; les marchands qui y travaillent sont donc obligés de les avoir portatifs. Leur roüet, tel qu’on le voit à la Pl. II. est composé d’une roüe, de montans qui la soûtiennent, d’une grosse piece de bois qui sert d’empatement à toute la machine, & de montans qui soûtiennent des traverses à coulisses, dans lesquelles la planchette est reçûe ; de façon qu’on peut tendre ou détendre la corde à boyau qui passe sur la roüe, en rapprochant ou éloignant la planchette qui porte les molettes qu’on voit à terre détachées en abc, abc. a est un morceau de bois qui sert à attacher la molette à la planchette par de petits coins. b est la broche de fer de la molette ; elle est recourbée par un bout, l’autre traverse le morceau de bois a ; & rivé en a sur une plaque de fer, il peut tourner sur lui même. c est une petite poulie fixée sur la broche ; la corde de boyau passe sur cette poulie, & la fait tourner avec la broche. Les molettes sont toûjours disposées sur la planche, de maniere qu’une seule corde de boyau peut les faire tourner toutes à la fois. Ce seroit une chose à examiner, si cette disposition n’est pas telle en plusieurs cas, qu’une des molettes tournant plus vîte qu’une des autres, les fils qui en partent ne sont pas également tords.
Les roüets des corderies de roi sont différens ; ils sont plus solides, & ils servent en même tems à onze ouvriers. Le poteau a est fortement assujetti au plancher de la filerie ; il soûtient la roüe l. A la partie supérieure du poteau, au-dessus de l’essieu de la roüe, est une rainure où entre la piece de bois b, que les liens c, c retiennent, & à laquelle est attachée la piece e, qu’on appelle la croisille. La croisille porte les molettes ou cubes m, m, au nombre de sept ou onze. La même corde les fait tourner toutes disposées circulairement. La piece b est assemblée à coulisse avec le poteau a, pour qu’on puisse tendre ou détendre à discrétion la corde de boyau qui passe de dessus la roüe sur la croisille qui est verticalement au-dessus. Les crochets des molettes les plus élevées, sont quelquefois au-dessus de la portée de la main ; c’est pour y atteindre qu’on voit une espece de marche-pié ou pont en B. Le fileur accroche son chanvre ; on tourne, & le fil se fait. Mais à peine cet ouvrier est-il éloigné du roüet de cinq à six brasses, que le fil ourdi toucheroit à terre, si on ne le tenoit élevé dans les corderies de roi, sur des crochets fixés aux tirans de la charpente, ou à des traverses légeres G, & dans les fileries de marchands, sur des rateliers G fichés ou en terre ou dans des murs.
Le fileur recule à mesure que le fil se tord ; il parvient enfin à gagner le bout de la filerie : il faut alors dévider ce fil d’environ cent brasses de long. Cela se fait sur des especes de grandes bobines appellées tourets, qu’on voit en E, D. La construction en est si simple, qu’il est inutile de l’expliquer. Il y en a qui peuvent porter jusqu’à 500 livres de fil de carret. Quant à la manœuvre du fileur, la voici. Il a autour de sa ceinture un peignon de chanvre assez gros pour fournir le fil de la longueur de la corderie. Il monte sur le pont. Il fait à son chanvre une petite boucle, il l’accroche dans la molette la plus élevée ; le chanvre se tortille : à mesure que le fil se forme, il recule. Il a dans sa main droite un bout de lisiere s, qu’on appelle paumelle ; il en enveloppe le fil déjà fait, il le serre fortement en tirant à lui (ce mouvement empêche le fil de se replier sur lui-même, ou de se griper), l’allonge, & lui conserve son tortillement. Il desserre ensuite un peu, le tortillement passe au chanvre disposé par la main gauche ; il recule, la lisiere se trouve alors sur le dernier fil tortillé : il traite ce fil avec la lisiere, comme le précédent, & il continue ainsi.
Quand ce premier fileur, qu’on appelle le maître de roüe, est à quatre à cinq brasses, deux autres fileurs accrochent leur chanvre aux deux molettes suivantes ; deux autres en font autant après ceux-ci, & ainsi de suite jusqu’à ce que toutes les molettes soient occupées. Quand le maître de roüe a atteint le bout de la filerie, il avertit ; on détache son fil du crochet de la molette ; on le passe dans une petite poulie x, placée au plancher de la filerie ; on l’enveloppe d’une corde d’étoupe qu’on appelle livarde ; on charge la livarde d’une pierre n, n ; on porte le même bout sur le touret : un petit garçon tenant le fil enveloppé d’une autre livarde, le conduit sur le touret, sur lequel il se place tandis que le touret tourne ; il le frappe même d’une palette, pour qu’il se serre mieux sur le touret. Voyez cette manœuvre en D. Le fil s’unit en passant par les livardes de la pierre & du petit garçon ; il perd même un peu de son tortillement, qui étant porté en arriere, fait crisper l’extrémité i du fil, & contraint le fileur à lui permettre de se détordre. Il y a des fileurs qui, pour laisser cette partie du détortillement s’épuiser en entier, attachent l’extrémité qu’ils ont en leur main, à un petit émerillon.
Le maître de roüe rendu au crochet, décroche le fil de l’ouvrier le plus avancé vers le bout de la corderie ; il l’épisse ou tortille au bout du sien, & le met en état d’être dévidé ; celui-ci arrivé, en fait autant, & tout ce qu’il y a de fil fait se dévide tout de suite sur le touret. Quand il est plein, on l’accroche au palant D ; & en halant sur le garent, on le dégage de son essieu, & on y en substitue un autre. On transporte le premier au magasin, d’où il va à l’étuve pour être goudronné, ou à la corderie, pour y être commis en franc funin blanc. Il arrive quelquefois que l’étuve étant dans la corderie, le fil passe au goudron tout au sortir des mains du cordier, & avant que d’être dévidé sur le touret.
Il y a des corderies où l’on sait ménager le tems. Pour cet effet il y a des roüets & des tourets aux deux bouts, & le fileur commence un nouveau fil à l’extrémité où il est arrivé, tandis qu’un petit garçon dévide le fil qu’il a filé, sur le touret placé à côté du roüet où il commence son nouveau fil ; d’où il arrive que le fil filé est dévidé à brousse poil, ce qui le rend un peu plus velu, & plus propre au goudron, quand il doit le recevoir tout de suite. L’autre maniere est, selon M. Duhamel, meilleure pour le cordage blanc.
Le fileur a soin de séparer du chanvre, à mesure qu’il le file, les pattes, les parties mal travaillées, &c. ce qui lui tombe de bon, est ramassé par des enfans qui sont chargés de ce soin. On file le fil de carret à sec, sans quoi il se pourriroit sur les tourets, où il reste quelquefois long-tems. La seule humidité qu’il reçoive est de la paumelle qu’on trempe dans l’eau à Marseille, pays chaud, où elle est promptement dissipée.
Le fil, pour être bien filé, doit être uni, égal, sans meche, & couché en longues lignes spirales. Il y a des fileurs qui, après avoir prolongé le chanvre suivant l’axe du fil tu, en prennent une pincée de la main droite x, & la fourent au milieu des filamens tu. Si on examine comment ce chanvre se tortille, on trouvera que le chanvre tu se prolongera selon l’axe du fil, en se tordant par de longues hélices, pendant que la partie x se roulera sur l’autre en hélices courtes, comme sur une meche, ce qu’on voit en y. D’autres tiennent tous leurs filamens paralleles, z, en forment comme une laniere platte entre le pouce & les doigts de la main gauche, & contraignent les filamens à se rouler les uns sur les autres en longues hélices allongées z, sans qu’il y ait de meche. Il est évident que cette derniere façon est la meilleure.
Nous avons dit que les fileurs mettoient les peignons autour d’eux, c’est ce qu’on appelle filer à la ceinture ; mais en province presque tous les marchands font filer à la filouse ou à la quenoüille. Dans ce second cas, le fileur F tient une longue perche de sept à huit piés, chargée d’une queuë de chanvre peignée, comme nos fileuses leurs quenouilles ; il fournit le chanvre de la droite, & serre le fil de la gauche avec la paumelle. Les expériences ont prouvé que le fil filé à la ceinture étoit plus fort que le fil filé à la quenouille.
On ne peut douter que le plus ou moins de tortillement n’influe sur la force du fil. Pour déterminer ce point, il ne s’agissoit que d’expériences ; mais par l’expérience on a trouvé en général que le tortillement ne peut avoir lieu, sans affoiblir les parties qu’il comprime : d’où l’on a conclu qu’il étoit inutile de le porter au-delà du pur nécessaire, ou du point précis en-deçà duquel ces filamens, au lieu de rompre, se sépareroient en glissant les uns sur les autres ; & que pour obtenir ce point il falloit déterminer, d’après l’expérience, quel devoit être le rapport entre la marche du fileur & la vîtesse du tourneur. Une autre quantité non moins importante à fixer, c’étoit la grosseur du fil. L’expérience a encore fait voir qu’il ne falloit pas qu’il eût plus de trois lignes & demie, ou quatre lignes & demie ; observant toutefois de proportionner la grosseur à la finesse, de filer plus gros le chanvre le moins affiné, & de rendre le fil le plus égal qu’il est possible.
Onze fileurs qui employent bien leur tems, peuvent filer jusqu’à 700 livres de chanvre par jour. Il y a du fil de deux, & quelquefois de trois grosseurs. Le plus grossier sert pour les cables, & on l’appelle fil de cable ; le moyen pour les manœuvres dormantes & courantes, & on l’appelle fil de hautban ; & le plus fin pour de petites manœuvres, comme pour les lignes de loc, le lusin, le merlin, le fil à coudre les voiles, &c.
On entasse les tourets chargés de fil les uns sur les autres ; on ménage seulement de l’air entr’eux, on en tient le magasin frais & sec. Il est bon que ce magasin soit à rez de chaussée ; que le sol en soit élevé au-dessus du niveau des terres ; qu’il soit couvert de terre glaise ; qu’on ait pavé sur la glaise à chaux & à ciment ; que ce pavé soit couvert de planches de chêne, & que des lambourdes soûtiennent les tourets. Il faut encore veiller à ce que les tourets ne touchent pas aux murs. Moyennant ces précautions, le fil pourra rester assez long-tems, mais non plusieurs années, dans les magasins sans dépérir.
Des commetteurs. Il s’agit maintenant de mettre le fil en cordages.
Il y a deux especes de cordages : les uns simples, ou dont par une seule opération on convertit les fils en corde ; on les appelle des aussieres : les autres qu’on peut regarder comme des cordages composés de cordages simples ou d’aussieres commises les uns avec les autres, c’est-à-dire réunies par le tortillement ; on les appelle des grelins. Ces deux especes de cordages se subdivisent en un nombre d’autres qui ne different que par leur grosseur, & par l’usage qu’on en fait pour la garniture des vaisseaux. Voyez Cordages (Marine.) La plus petite & la plus simple de toutes les aussieres, qui n’est composée que de deux fils, s’appelle du bitord ; une autre un peu plus grosse, qui est composée de trois fils, se nomme du merlin. Pour donner par degré une idée de la corderie, nous traiterons 1o. de la fabrique de ces petites ficelles, parce qu’elles sont les plus simples : 2o. des aussieres qui sont composées de trois torons : 3o. des aussieres qui sont composés d’un plus grand nombre de torons : 4o. des grelins & des cables : 5o. des cordages en queuë de rat, ou qui sont plus gros d’un bout que de l’autre, & des cordages refaits.
Du bitord. Quand un cordier veut unir ensemble deux fils pour en faire du bitord, il se sert du roüet des fileurs, ou bien d’un roüet de fer dont voici la description.
Du roüet. Ce roüet a, Pl. I. fig. 4. est composé de quatre crochets mobiles, disposés en forme de croix ; ces crochets tournent en même tems que la roüe, & d’un mouvement bien plus rapide, à l’aide d’un pignon ou lanterne dont chacun d’eux est garni, & qui engrene dans les dents de la roüe qu’un homme fait tourner par le moyen d’une manivelle : la grande roüe imprime donc le mouvement aux quatre lanternes, qui étant égales, tournent toutes également vîte. Il est fort indifférent de se servir du roüet de fer ou des roüets ordinaires. Lorsqu’un cordier veut faire une corde seulement avec deux fils, il n’employe que deux des crochets de son roüet.
Le cordier b prend d’abord un fil qu’il attache par un de ses bouts à un des crochets du roüet ; ensuite il l’étend, le bande un peu, & va l’attacher à un pieu qui est placé à une distance proportionnée à la longueur qu’il veut donner à sa corde, & ce fil est destiné à faire un des deux cordons. Cela fait, il revient attacher un autre fil à un crochet opposé à celui où il a attaché le premier : il le tend aussi, il va l’arrêter de même au pieu dont nous venons de parler, & ce fil doit faire le second cordon : de sorte que ces deux fils doivent être de même longueur, de même grosseur, & avoir une égale tension. C’est-là ce qu’on appelle étendre les fils ou les vettes, ou bien ourdir une corde. Cette opération étant faite, la corde étant ourdie, le cordier prend les deux fils qu’il a attachés au pieu, & les unit ensemble, soit par un nœud ou autrement ; de sorte que ces deux fils ainsi réunis, n’en forment, pour ainsi dire, qu’un : car ils font précisément le même effet qu’un seul fil qui seroit retenu dans le milieu par le pieu, & dont les deux bouts seroient attachés aux deux crochets du roüet. La plûpart des cordiers suivent cette pratique, c’est-à-dire que le second fil n’est que le prolongé du premier ; ce qui est préférable, parce que les deux fils sont alors nécessairement tendus également, aussi longs & aussi forts l’un que l’autre, toutes conditions essentielles pour qu’une corde soit bien ourdie. Au reste, que les fils soient assemblés par leur extrémité qui répond au pieu, ou qu’ils soient d’une seule piece, cela ne rend la corde ni plus forte ni plus foible, pourvû qu’ils soient tendus également. C’est par ce point de réunion que le cordier accroche ces deux fils à un émerillon. Un bout de corde qui tient à l’anneau de l’émerillon, va passer sur une fourche qui est plantée quelques pas plus loin que le pieu où nous avons dit qu’on attachoit les fils à mesure qu’on les étendoit, & cette corde soûtient par son autre extrémité un poids proportionné à la grosseur de la corde qu’on veut commettre ; de sorte que ce poids a la liberté de monter ou de descendre plus ou moins le long de la fourche, selon qu’il est nécessaire. Voyez Pl. I. fig. b.
Ce contrepoids sert à tenir également tendus les deux fils ourdis ; & comme le tortillement qu’ils doivent souffrir les raccourcit, il faut que le contrepoids qui les tend, puisse monter à proportion le long de la fourche.
Lorsque tout est ainsi disposé, le cordier prend un instrument qu’on appelle le cabre, le masson, le cochoir, le toupin, le sabot, ou le gabieu.
Du toupin. Cet instrument est un morceau de bois tourné en forme de cone tronqué, dont la grosseur est proportionnée à celle de la corde qu’on veut faire ; il doit avoir dans sa longueur, & à une égale distance, autant de rainures ou gougeures que la corde a de cordons : ainsi dans cette opération, où il n’est question que d’une corde à deux cordons, le cordier se sert d’un toupin qui n’a que deux rainures diamétralement opposées l’une à l’autre, tel qu’on le voit en c. Ces rainures doivent être arrondies par le fond, & assez profondes pour que les fils y entrent de plus de la moitié de leur diametre. Le cordier place le toupin entre les deux fils qu’il a étendus, en sorte que chacune de ses rainures reçoive un des fils, & que la pointe du toupin touche au crochet de l’émerillon.
Pendant qu’il tient le toupin dans cette situation, il ordonne qu’on tourne la roüe du roüet pour tordre les fils. Chacun des deux fils se tord en particulier ; & comme ils sont parfaitement égaux en grosseur, en longueur, & par la matiere qui est également flexible, ils se tordent également ; mais à mesure qu’ils se tordent, ils se raccourcissent, & le poids qui pend le long de la fourche, remonte d’autant. Quand le maître cordier juge qu’ils sont assez tords, il éloigne le toupin de l’émerillon, & le fait glisser entre les fils jusqu’auprès du roüet, sans discontinuer de faire tourner la roüe ; moyennant quoi les deux fils se rassemblent en se roulant l’un sur l’autre, & font une corde dont on peut se servir, sans craindre qu’elle se détorde par son élasticité : c’est ce que les cordiers appellent commettre une corde. Mais il faut observer que pendant cette seconde opération, c’est-à-dire pendant que la corde se commet, elle continue de se raccourcir, & le poids remonte encore le long de la fourche. En réfléchissant sur cette manœuvre des cordiers, on conçoit pourquoi une corde ne se détord pas, pendant qu’un fil abandonné à lui-même, perd presque tout le tortillement qu’il avoit acquis. Tandis que le toupin étoit contre l’émerillon, les deux fils étoient tords chacun en particulier, & acquéroient un certain degré de force élastique qui tendroit à les détordre, ou à les faire tourner dans un sens opposé-à celui dans lequel ils ont été tortilles, si on leur en donnoit la liberté ; ce qui se manifeste par l’effort que le toupin fait pour tourner dans la main du cordier.
Si-tôt donc que le cordier aura écarté le toupin de l’émérillon, la partie du premier fil qui se trouve entre le toupin & l’émérillon étant en liberté, tendra par la force élastique qu’elle a acquise en se tortillant, à tourner dans un sens opposé à son tortillement, c’est-à-dire que si les fils ont été tords de droite à gauche, la partie du premier fil comprise entre le toupin & l’émerillon qui sera en liberté, tendra à tourner de gauche à droite ; & effectivement elle tournera en ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner avec elle le crochet mobile de l’émerillon. De même, le second fil ayant été tors de droite à gauche, la partie de ce fil comprise entre le toupin & l’émerillon tendra aussi à se détortiller & à tourner de gauche à droite, & effectivement elle tournera dans ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner le crochet mobile de l’émerillon. Les deux fils tourneront donc dans le même sens, & s’ils étoient libres ils ne feroient que se détordre ; mais comme ils sont attachés au même crochet, ils ne peuvent tourner autour d’un même axe sans se rouler l’un sur l’autre ; c’est en effet ce qu’ils exécutent ; ils se tordent de nouveau ensemble, mais dans un sens opposé à celui dans lequel ils avoient été tortillés séparément. Le chanvre mou doit être un peu plus tortillé que le dur : il est avantageux de commettre le fil en bitord si-tôt qu’il est filé, & il est important que les fils soient égaux.
Du merlin. Quand le cordier veut faire du merlin, qui est composé de trois fils, après avoir tendu un fil depuis le crochet du roüet jusqu’au crochet de l’émerillon, il lui reste à étendre de même les deux autres fils ; pour aller plus vite, il prend ordinairement un fil sur le touret e, fig. 4. Pl. I. il le passe sur un petit touret de poulie, monté d’un crochet qui lui sert de chape, comme on voit en f ; il l’attache au crochet de la molette. Cela fait, il va en tenant le croc à poulie (c’est le nom de l’outil f) passer la portion du fil qui étoit sur le touret e, dans le crochet de l’émerillon, & revient au touret ; il coupe son fil de longueur ; il l’attache au troisieme crochet, & sa corde est ourdie. Alors il prend le toupin à trois rainures ; il le place entre les fils prés de l’émerillon ; on tourne la roüe du rouet, & sa corde à trois fils se commet comme le bitord. Nous observerons seulement qu’il y a de l’avantage à employer trois fils fins préférablement à deux fils gros pour une corde de même quantité de chanvre. C’est le résultat de l’expérience & du raisonnement.
Le bitord sert à fourrer les cordages, c’est-à-dire à les couvrir entierement ; on empêche aussi que le frottement ne les endommage, & que l’eau ne les pénetre ; il se fait de second brin. On le godronne presque tout, & on le plie en paquet de vingt-cinq brasses. Il y en a de fin & de gros ; le gros pour les gros cordages, le fin pour les cordages menus. On le commet tout en blanc. On le trempe tout fait dans la cuve pour le godronner.
Du lusin. Le lusin est un vrai fil retors ; il se fait de deux fils de premier brin, simplement tortillés l’un avec l’autre & non commis ; c’est le goudron qui l’empêche de se détordre. On s’en sert pour arrêter les bouts des manœuvres coupées quand elles ne sont pas grosses ; quand elles sont grosses on y employe le merlin. On ne conserve que peu de merlin en blanc.
Du fil de voile. Ce n’est qu’un bon fil retors. Pour le faire, on prend du chanvre le mieux peigné & le plus fin : on en étend deux longueurs de vingt brasses chacune ; on les attache à une molette du roüet, mais disposée de maniere que la corde la fait tourner en un sens opposé à celui qu’ont les molettes, quand l’ouvrier file à l’ordinaire. Ces deux fils sont peu commis, puisqu’ils ne se raccourcissent que de quatre brasses. Quand ce fil est fait, on le lisse, afin qu’il passe mieux quand on s’en servira à assembler des lés de toile à voile.
Des aussieres. On appelle de ce nom tout cordage commis après qu’on a donné aux fils un degré convenable d’élasticité par le tortillement ; ainsi le bitord & le merlin sont à proprement parler des aussieres. Mais pour faire des cordages plus gros que ceux dont il a été question jusqu’ici, on réunit ensemble plusieurs fils qui forment des faisceaux : on tord à part chacun de ces faisceaux, comme nous avons dit qu’on tordoit les deux fils du bitord & les trois fils du merlin ; & ces faisceaux ainsi tortillés s’appellent torons : ainsi il y a des aussieres à deux, à trois, à quatre torons, &c. Nous donnerons d’abord la maniere de fabriquer celle à trois torons ; nous parlerons ensuite des autres.
Des quaranteniers. Les cordages en aussieres sont d’un grand usage dans la Marine ; il y en a de plusieurs grosseurs, depuis un pouce de circonférence, jusqu’à douze & par-delà. Les plus petits s’appellent quaranteniers ; & il y a des quaranteniers à six fils, à neuf, à douze, & à dix-huit. Les aussieres plus grosses se distinguent par leurs usages ; on les appelle garands de caliornes, garands de palans, rides, francs funins, itagues, haut-bans, &c. Quand ils n’ont point de destination déterminée, ils retiennent le nom générique d’aussieres. Ils se fabriquent tous de la même maniere. Dans les corderies du Roi, où l’on a de grands roüets, on commet ordinairement les quaranteniers à six & à neuf fils, de la même maniere que le merlin, à cela près seulement qu’en ourdissant les quaranteniers à six fils, on accroche deux fils à chacun des trois crochets du roüet, & que pour les quaranteniers à neuf on en attache trois à chaque crochet. Ils se travaillent de même que les merlins ; avec cette différence que quand les fils sont ourdis, on les tord pour les commettre dans un sens opposé à celui du tortillement. Entrons maintenant dans l’attelier des commetteurs des aussieres à plusieurs torons ; car il a ses dispositions & ses outils particuliers, & commençons par exposer sa disposition générale.
Cet attelier est, comme celui des fileurs, une galerie longue de deux cents brasses, ou de mille piés, large de six à sept brasses, ou de trente à trente-cinq piés. Aux deux bouts de cette galerie sont posés les supports des tourets, qui sont disposés de différente façon.
Des supports des tourets. On sait que le fil de carret est conservé dans les magasins sur des tourets ; on en tire la quantité dont on juge avoir besoin, & on les dispose sur des supports, de façon qu’ils puissent tourner tout à la fois sans se nuire les uns aux autres, afin que quand on veut ourdir une grosse corde, au lieu de faire autant de fois la longueur de la corderie qu’on veut réunir de fils ensemble, six fois, par exemple, si l’on a intention de faire un quarantenier à six fils, on puisse, en prenant six bouts de fils sur six tourets différens, ourdir sa corde tout d’une fois. C’est dans cette intention qu’on dispose au bout de la corderie les tourets sur des supports, qui sont quelquefois posés verticalement & d’autres fois horisontalement ; pour cela on pose à bas sur le plancher & par le travers de la corderie, une grosse piece de bois quarrée, dans laquelle on assemble un nombre de piés droits, (Planc. III. divis. prem.) plus ou moins, selon la largeur de la corderie ; le bout d’en-haut de ces piés droits est assemblé dans une autre piece de bois quarrée qui tient aux solives de la corderie ; les piés droits sont entaillés dans leur épaisseur, comme on le voit en B, & c’est dans ces entailles qu’on pose les essieux des roüets. Moyennant cette disposition, l’on peut réunir ensemble les bouts de plusieurs fils, & les étendre ainsi de toute la longueur de la corderie.
Dans beaucoup de corderies on les établit d’une autre façon plus solide & plus commode ; il faut imaginer deux assemblages de charpente CC, qui sont posés l’un sur l’autre, de telle sorte que l’un repose sur le sol de la corderie, & que l’autre soit posé au-dessus, étant plus élevé de trois ou trois piés & demi ; on place entre ces bâtis de charpente les tourets debout ou verticalement, & on les assujettit dans cette situation avec la broche qui leur sert d’essieu. De cette façon tous les tourets peuvent tourner ensemble, & on peut d’une seule fois étendre plusieurs fils de toute la longueur de la corderie ; on ordonne seulement à quelques petits garçons de se tenir auprès des tourets pour empêcher, avec un bâton qu’ils appuient dessus, que les tourets qui sont trop déchargés de fil, ne tournent trop vîte & ne mêlent leur fil. Les grands tourets sont quelquefois si chargés de fils, qu’en tirant le fil pour les faire tourner, le fil se rompt.
Du chantier à commettre. A quelques pas des tourets & directement au-devant est le chantier à commettre. Il est composé de deux grosses pieces de bois d’un pié & demi d’équarissage & de dix piés de longueur D, que l’on maçonne en terre à moitié de leur longueur.
Les deux pieces dressées ainsi à plomb à six piés de distance l’une de l’autre, supportent une grosse traverse de bois E, percée à distance égale de quatre & quelquefois de cinq trous, où l’on place les manivelles F, qui doivent, pour les gros cordages, produire le même effet que les molettes des roüets pour les petits.
Des manivelles. Les manivelles sont de fer & de différente grandeur, proportionnellement à la grosseur du cordage qu’on commet, (Pl. III. divis. 2.) G en est la poignée, H le coude, I l’axe, L un bouton qui appuie contre la traverse E du chantier, M une clavette qui retient les fils qu’on a passés dans l’axe I. On tord les fils qui sont attachés à l’axe I, en tournant la poignée G, ce qui produit le même effet que les molettes, plus lentement à la vérité : mais puisqu’on a besoin de force, il faut perdre sur la vîtesse, & y perdre d’autant plus qu’on a plus besoin de force ; c’est pourquoi on est plus long-tems à commettre de gros cordages, où l’on employe de grandes manivelles, qu’à en commettre de médiocres, où il suffit d’en avoir de petites.
Du quarré. Le quarré dont il s’agit, a trois objets à remplir. 1°. Comme les manivelles du chantier tournent lentement en comparaison de la vîtesse que le rouet imprime aux molettes, pour accélerer un peu l’ouvrage on met au quarré (Pl. III. divis. 1.) N un pareil nombre de manivelles qu’on avoit mis au chantier D ; & en les faisant tourner en sens contraire de celles du chantier, on parvient à accélerer du double le tortillement des torons ; pour cela on fait porter au quarré une membrure O, pareille à la membrure E du chantier, laquelle membrure du quarré doit être percée de trous qui répondent aux trous de celle du chantier. 2°. Quand les fils ont été assez tors, on les réunit tous ensemble par le bout qui répond au quarré, on les attache à une seule manivelle qu’un homme fait tourner, comme on le voit en P, (même Pl. divis. 2.) & alors cette seule manivelle tient lieu de l’émerillon dont nous avons parlé à l’occasion du bitord, du lusin & du merlin. 3°. Enfin on sait qu’en tortillant les fils avant que de les commettre, & quand on les commet, ils se raccourcissent ; c’est pour cette raison qu’on a dit en parlant du bitord, qu’on attache un poids à la corde qui est passée dans l’anneau de l’émerillon, que ce poids tient la corde dans un certain degré de tension, & qu’il remonte le long de la fourche à mesure que les fils se raccourcissent ; il faut de même que le quarré tienne les fils des grosses cordes dans une tension qui soit proportionnelle à la grosseur de la corde, & qu’il avance vers l’attelier à mesure que les fils se raccourcissent, C’est pourquoi le quarré est formé de deux pieces de bois quarrées ou semelles, jointes l’une à l’autre par des traverses ou paumelles-Sur les semelles sont solidement assemblés des montans qui sont affermis par des liens. Ainsi le quarré est un chantier qui ne differe du vrai chantier D, (même Pl. divis. 1.) que parce que celui-ci est immobile, & que le quarré est établi sur un traîneau pesant & qu’on charge plus ou moins, Q, suivant le besoin.
Du chariot du toupin. Quand les fils ont acquis un certain degré de force élastique par le tortillement, le toupin fait effort pour tourner dans la main du cordier, qui peut bien résister à l’effort de deux fils, mais qui seroit obligé de céder si la corde étoit plus grosse ; en ce cas on traverse le toupin avec une barre de bois R (même Planche, divis. 2.), que deux hommes tiennent pour le conduire.
Comme la force de deux hommes n’est quelquefois pas encore suffisante, pour lors on a recours au chariot S (voyez la divis. 2.) qu’on appelle chariot du toupin. Il y a deux sortes de ces chariots ; les uns sont en traîneau, & les autres ont des roulettes : ils sont formés par deux semelles sur lesquelles sont assemblés des montans ; & l’on attache de différente façon avec des cordes la barre R qui traverse le toupin, tantôt aux montans, tantôt aux traverses, suivant la disposition du chariot, desorte que le cordage repose sur le derriere du chariot qui sert de chevalet. On ne charge point le chariot ; au contraire il faut qu’il ne soit pas fort pesant, afin (pour me servir du terme des ouvriers) qu’il courre librement ; & quand on veut qu’il chemine lentement, on le retient par le moyen d’une retraite, qu’on nomme aussi une livarde ou une lardasse, c’est-à-dire, avec une corde d’étoupe T, qui est amarrée à la traverse R du toupin, & dont on enveloppe de plus ou moins de tours le cordage, suivant qu’on desire que le chariot aille plus ou moins vîte.
Du chevalet. Le chevalet V (même Plan. divis. 2.) qui est d’un grand usage dans les corderies, est néanmoins très-simple ; c’est un treteau dont le dessus est armé de distance en distance de chevilles de bois. Ces chevalets servent à soûtenîr les fils quand on ourdit les cordes, & à supporter les pieces pendant qu’on les travaille. Nous en avons déja parlé dans l’attelier des fileurs.
Des manuelles. Il y a encore dans les corderies de petits instrumens qui aident à la manivelle du quarré P (même Pl. divis. 2.), à tordre & à commettre les cordages qui sont fort longs. A Rochefort on appelle ces instrumens des gatons ; mais nous les nommerons avec les Provençaux, des manuelles, à cause de leur usage, quoiqu’ils imitent un foüet, étant composés d’un manche de bois & d’une corde, comme on les voit en X, même Plan. même divis. Pour s’en servir, l’ouvrier Y entortille diligemment la corde autour du cordage qu’on commet ; & en continuant à faire tourner le manche autour du cordage, il le tord. Quand les cordages sont fort gros, on met deux hommes Z sur chacune de ces manuelles, & alors la corde & est au milieu de deux bras de levier ; ainsi cette manuelle double est un bout de perche de trois piés de longueur, estropée au milieu d’un bout de quarentenier mou & flexible qui a une demi-brasse de long.
Des palombes. L’épaisseur du toupin, l’embarras du chariot, l’intervalle qui est nécessairement entre les manivelles, & plusieurs autres raisons, font que les cordages ne peuvent pas être commis jusqu’auprès du chantier : on perdroit donc toutes les fois qu’on commet un cordage, une longueur assez considérable de fil, si on les accrochoit immédiatement à l’extrémité des manivelles. C’est pour éviter ce déchet inutile, qu’on attache les fils au bout d’une corde en double, K, qui s’accroche de l’autre bout à l’extrémité F de chaque manivelle, où elle est retenue par la clavette M : c’est ce bout de corde qu’on appelle une palombe ou une hélingue.
Maniere de faire un cordage en aussiere à trois torons. Maintenant que l’on connoît la disposition de l’attelier & les instrumens qu’on y employe, il faut expliquer comment on fabrique les aussieres : on commence par ourdir les fils, dont on fait trois faisceaux ou longis, que l’on tord ensuite pour en faire les torons, & enfin on commet ces torons pour en faire des cordages. Pour bien ourdir un cordage il faut 1° étendre les fils, 2° leur donner un égal degré de tension, 3° en joindre ensemble une suffisante quantité, 4° enfin leur donner une longueur convenable relativement à la longueur qu’on veut donner à la piece de cordage.
Lorsqu’il s’agit d’ourdir un cordage de vingt-un pouces de grosseur ou de circonférence, qui est composé de plus de deux mille deux cents cinquante fils, s’il falloit prendre tous ces fils sur un seul touret, comme nous l’avons dit en parlant du bitord, on seroit obligé de faire quatre mille cinq cents fois la longueur de la corderie, qui a mille piés de long, ce qui fait quatre millions cinq cents mille piés, ou soixante & quinze mille toises, c’est-à-dire trente-sept lieues & demie. Il est donc important de trouver des moyens d’abréger cette opération. C’est pour cela que si la corde n’est pas fort grosse, le maître cordier fait prendre sur les tourets qui sont établis au bout de la corderie, tous les fils dont il a besoin ; il les fait passer dans un crochet de fer a (Plan. III. divis. 1.), qui les réunit en un faisceau qu’un nombre suffisant d’ouvriers qui se suivent l’un l’autre, prennent sur leur épaule ; & tirant assez fort pour devider ces fils de dessus leurs tourets, ils vont au bout de la corderie, ayant attention de mettre de tems en tems ce qu’il faut de chevalets pour que ces fils ne portent point par terre. Quand l’aussiere qu’il veut ourdir est trop grosse pour étendre les fils en une seule fois, les mêmes ouvriers prennent un pareil nombre de fils sur les tourets qui sont établis à l’autre bout de la corderie où est le quarré, & ils reviennent au bout où est le chantier, ce qui leur épargne la moitié du chemin ; & on continue de la même maniere jusqu’à ce qu’on ait étendu la quantité de fils dont on juge avoir besoin. Enfin il y a des corderies où pour étendre encore les fils plus vîte, on se sert d’un cheval qu’on attele aux faisceaux de fils ; ce cheval tient lieu de sept à huit hommes, il va plus vîte, & l’opération se fait à moins de frais. Quand on a étendu un nombre suffisant de fils, le maître cordier qui est auprès du quarré, ou au bout de la corderie opposé à celui où est le chantier à commettre, fait amarrer la queue du quarré avec une bonne corde à un fort pieu b, qui est exprès scellé en terre à une distance convenable du quarré. Pour distinguer dans la suite les deux extrémités de la corderie, on nommera l’une le bout du chantier, & l’autre le bout du quarré. Le cordier fait ensuite charger le quarré du poids qu’il juge nécessaire, & passer trois manivelles proportionnées à la grosseur de la corde qu’il veut faire, dans les trous qui sont à la membrure ou traverse du quarré. Tout étant ainsi disposé, il divise en trois parties égales les fils qu’il a étendus, il fait un nœud au bout de chaque faisceau pour réunir tous les fils qui les composent ; puis il divise chaque faisceau de fil ainsi lié, en deux, pour passer dans le milieu l’extrémité des manivelles, où il les assujettit par le moyen d’une clavette.
Imaginons donc que la quantité de fil qui a été étendu, est maintenant divisée en trois faisceaux, qui répondent chacun par un bout à l’extrémité d’une manivelle qui est arrêtée à la traverse du quarré ; trois ouvriers, & quelquefois six, restent pour tourner ces manivelles, & le maître cordier retourne avec les autres au bout de l’attelier où est le chantier à commettre ; chemin faisant il fait séparer en trois faisceaux les fils précédemment réunis, comme il avoit fait à l’extrémité qui est auprès du quarré ; les ouvriers ont soin de faire couler ces faisceaux dans leurs mains, de les bien réunir, de ne laisser aucuns fils qui ne soient aussi tendus que les autres ; & pour empêcher que ces fils ne se réunissent, ils se servent des chevilles qui sont sur l’appui des chevalets. Quand on a ainsi disposé les fils dans toute leur longueur, & qu’on est rendu auprès du chantier à commettre, le maître cordier fait couper les trois faisceaux de fil de quelques piés plus courts qu’il ne faut pour joindre les palombes, & y fait un nœud ; il les fait ensuite tendre par un nombre suffisant d’ouvriers, ou, pour me servir de leur expression, ils font hâler dessus jusqu’à ce que le nœud qui est au bout de chaque faisceau puisse passer entre les deux cordons des palombes.
Quand les trois faisceaux sont attachés d’un bout aux trois manivelles du quarré, & de l’autre aux trois manivelles du chantier, un cordier qui desire faire de bon ouvrage, examine, 1°. s’il n’y a point de fils qui soient moins tendus que les autres ; s’il en apperçoit quelques-uns, il les assujettit, dans un degré de tension pareil aux autres, avec un bout de fil de carret qu’on nomme une ganse : si cette différence tomboit sur un trop grand nombre de fils, il déferoit ou couperoit le nœud, pour remédier à ce défaut. 2°. Il faut que les trois faisceaux soient dans un degré de tension pareil ; il reconnoît ceux qui sont les moins tendus en se baissant assez pour que son œil soit juste à la hauteur des faisceaux, il voit alors que les moins tendus font un plus grand arc que les autres d’un chevalet à l’autre ; pour peu que cette différence soit considérable, il fait raccourcir le faisceau qui est trop long. C’est par ces attentions que certains cordiers réussissent mieux que d’autres : car il ne faut pas s’imaginer que des fils qui ont quelquefois plus de cent quatre-vingt-dix brasses de longueur, s’étendent avec autant de facilité que ceux qui n’auroient que quatre à cinq brasses. Il y a des cordiers qui pour s’épargner le tâtonnement dont nous venons de parler, font un peu tordre les faisceaux qui sont plus lâches, pour les roidir & les mettre de niveau avec les autres : c’est une très-mauvaise méthode, car il est très-nécessaire pour la perfection de l’ouvrage que tous les faisceaux ayent un tortillement pareil. Ces faisceaux de fil ainsi disposés, s’appellent en terme de Corderie, des longis, & quand on les a tortillés, des tourons ou des torons. Si l’on examine la disposition que prennent les fils tortillés dans un toron, on trouve qu’un ou plusieurs occupent le centre ou l’axe d’un toron, & sont enveloppés par un nombre d’autres qui font un petit orbe, & que cet orbe est enveloppé par d’autres fils qui font un orbe plus grand, & ainsi de suite jusqu’à la circonférence de ce toron. Pour distinguer ces différens orbes de fils représentant (Planche IV. fig. 9.) la coupe d’un toron perpendiculairement à son axe ; soit A le fil qui est au centre ; BB les fils qui l’enveloppent, ou ceux du premier orbe ; C ceux du troisieme orbe, D ceux du quatrieme, &c. Or il paroît que quand on tordra ce toron, le fil A ne faisant que se tordre ou se détordre suivant le sens où l’on tordra les torons, il doit être regardé comme l’axe d’un cylindre qui tournera à-peu-près sur lui-même & autour duquel tous les orbes s’entortilleront. L’orbe B se roulera sur le fil A, autour duquel il décrira une hélice ; mais comme cet orbe B est très-près du centre de révolution du cylindre, il fera très peu de mouvement ; les hélices que décriront les fils qui composent cet orbe, seront très-allongées, parce que le mouvement de ces fils sera très-peu différent de celui qu’éprouve le fil A. Les fils qui composent l’orbe C, sont plus éloignés du centre du mouvement, ils décriront une hélice plus courte qui enveloppera l’orbe B. Les révolutions de cet orbe C seront donc plus grandes que celles de l’orbe B ; donc les fils de cet orbe se raccourciront plus que ceux de l’orbe B : d’où l’on voit que les fils de l’orbe D se raccourciront encore plus que ceux des orbes qui seront plus près du centre A. Tous les fils qui composent un toron, sont donc dans des différens degrés de tension, lorsque le toron est tortillé ; ils résisteront donc inégalement aux poids qui les chargeroient : c’est un défaut qui devient d’autant plus grand, que les torons sont plus gros & plus tortillés. M. Duhamel a fait des tentatives très-délicates pour l’affoiblir, sinon pour l’anéantir ; mais il tient à des parties élémentaires de la corde, & à un si grand nombre de circonstances, qu’il lui a été impossible de réussir.
Du nombre de fils nécessaires pour une corde de grosseur donnée, & de la maniere de lui donner une longueur déterminée. Mais avant que de pousser plus loin la maniere de faire les cordes en aussiere à plusieurs torons, il est bon de savoir 1°. que les maîtres d’équipage fixent dans les ports la grosseur que doivent avoir les manœuvres relativement au rang & à la grandeur des vaisseaux ; & que si le maître cordier les faisoit plus grosses qu’on ne les lui a demandées, elles ne pourroient pas passer dans les poulies, ou elles y passeroient difficilement : plus menues, on pourroit craindre qu’elles ne fussent pas assez fortes. Un habile cordier doit donc en ourdissant ses cordages, savoir mettre à chaque toron un nombre de fils suffisant pour que quand la corde sera commise elle ait, à très-peu de chose près, la grosseur convenable. 2°. Qu’on demande aussi quelquefois une corde d’une longueur déterminée. Voici la pratique pour l’un & l’autre cas.
1°. De la grosseur & de la jauge. Les Cordiers ont une mesure pour prendre la grosseur des cordages, ils la nomment une jauge ; ce n’est autre chose qu’une laniere de parchemin divisée par pouces & par lignes, qu’on roule & qu’on renferme dans un petit morceau de bois qu’on appelle un barrilet, parce qu’il est tourné en-dessus comme un petit barril, & par dedans il est creusé comme un cylindre ; la bande de parchemin se roule & se renferme dans cet étui que l’on porte très-commodément dans la poche. On fait tenir par un ouvrier les trois torons réunis ensemble ; & quand tous les fils sont bien arrangés & bien serrés les uns contre les autres, on en mesure la grosseur, & on en conclut celle que la corde aura quand elle sera commise : assûrement lorsque les torons seront tortillés, les fils dont ils sont composés seront rapprochés les uns auprès des autres plus que ne le pouvoit faire celui qui les serroit entre ses mains ; ainsi occupant moins d’espace, le toron perdra de sa grosseur. Mais d’un autre côté les torons perdront de leur longueur à mesure qu’on les tortillera, & gagneront en grosseur une partie de ce qu’ils perdront en longueur. Ces deux causes qui doivent produire des effets contraires, se compensent à peu près l’une l’autre, ou du moins par l’usage on sait que ce qui manque à cette compensation, va à-peu-près à un douzieme de la grosseur des fils réunis & serrés dans la main. Ainsi quand un cordier veut faire une aussiere de 18 pouces, il donne à la grosseur de ces fils réunis 19 pouces 6 lignes, & par cette seule méchanique les Cordiers arrivent à peu de chose près à leur but ; si la corde étoit trop grosse pour l’empoigner & la mesurer tout-à-la-fois, le cordier donneroit à chaque toron un peu plus de moitié de la circonférence de la corde qu’il voudroit commettre : ainsi pour avoir une aussiere de 18 pouces de circonférence, il donneroit à chaque toron un peu plus de 9 pouces de circonférence ; car la proportion des torons est à la grosseur de la corde, à très-peu près comme 57 à 100.
2°. De la longueur nécessaire des fils, pour ourdir une corde de longueur donnée. Nous avons dit en parlant du bitord & du merlin, que les fils se raccourcissoient quand on les tordoit pour leur faire acquérir le degré d’élasticité qui étoit nécessaire pour les commettre, & qu’ils perdoient encore de leur longueur quand on les commettoit en bitord ou en merlin ; ce raccourcissement des fils a lieu pour toutes les cordes, ce qui fait voir qu’il est nécessaire d’ourdir les fils à une plus grande longueur que la corde ne doit avoir. Mais qu’est-ce qui doit déterminer cette plus grande longueur qu’on doit donner aux fils ? c’est le degré de tortillement qu’on donne à la corde. Il est clair que les fils d’une corde plus tortillée doivent être ourdis à une plus grande longueur que ceux qui doivent faire une corde moins tortillée ; c’est pour cela qu’on mesure le degré de tortillement d’une corde, par le raccourcissement des fils qui la composent. Il y a des cordiers qui tordent au point de faire raccourcir leur fil de cinq douziemes ; si ceux-là veulent avoir une corde de sept brasses, ils ourdissent leur fil à douze brasses, & l’on dit que ces cordes sont commises à cinq douziemes. D’autres cordiers, & c’est le plus grand nombre, font raccourcir leur fil d’un tiers ; ceux-là ourdissent leur fil à douze brasses pour en avoir huit de cordage ; & on dit qu’ils commettent au tiers. Enfin si d’autres ne faisoient raccourcir leur fil que d’un quart, l’ayant ourdi à douze brasses, ils auroient neuf brasses de cordage ; & on diroit que ces cordages seroient commis au quart, parce qu’on compte toûjours le raccourcissement sur la longueur des fils ourdis, & non sur celle de la piece commise. C’est une grande question que de savoir à quel point il est plus avantageux de commettre les cordages, si c’est aux cinq douziemes, au tiers, au quart, au cinquieme, &c. L’usage le plus ordinaire, qu’on peut presque regarder comme général, est de commettre précisément au tiers. Cela posé, continuons la maniere de faire les cordes en aussieres à trois torons.
Suite de la main-d’œuvre des cordes en aussiere à trois torons. Nous pouvons maintenant supposer que les torons sont d’une grosseur & d’une longueur proportionnées à la grosseur & à la longueur des cordes qu’on veut faire ; qu’ils sont dans un degré de tension pareil ; qu’ils sont assujettis par une de leurs extrémités aux manivelles du chantier, & par l’autre aux manivelles du quarré ; qu’ils sont soûtenus dans leur longueur de distance en distance par des chevalets, & que le quarré est chargé d’un poids convenable. Tout étant ainsi disposé, la piece de cordage étant bien ourdie, il s’agit de faire acquérir aux torons le degré d’élasticité qui est nécessaire pour les commettre, & en faire une bonne corde. C’est dans cette vûe qu’on tortille les torons, ou, pour parier le langage des Cordiers, qu’on donne le tord aux torons.
Comme les torons se raccourcissent à mesure qu’on les tord, on défait l’amarre qui retenoit le quarré, afin de lui donner la liberté d’avancer à proportion que les torons se raccourcissent, & un nombre suffisant d’ouvriers se mettent aux manivelles, tant du chantier que du quarré. Ceux du chantier tournent les manivelles de gauche à droite, ceux du quarré de droite à gauche ; les torons se tortillent, ils se raccourcissent, le quarré avance vers le chantier proportionnellement à ce raccourcissement, & les ouvriers qui sont aux manivelles du quarré, suivent les mouvemens du quarré. Enfin quand les torons sont assez tortillés, ce qu’on connoît par leur raccourcissement, le maître ordonne qu’on cesse de tourner les manivelles ; & cette opération est finie, les torons ayant acquis l’élasticité nécessaire pour être commis.
Il paroîtroit plus convenable de tortiller les torons dans le même sens que les fils l’ont été, surtout après ce que l’on a dit du bitord & du merlin, qu’on tord & qu’on doit tordre avant de les commettre, dans le même sens que les fils ont été filés ; pourquoi donc les Cordiers tortillent-ils leurs torons dans un sens opposé au tortillement des fils ? Cette question mérite d’être éclaircie avec soin & avec exactitude.
Avant que de commettre le bitord, qui est composé de deux fils, & le merlin qui l’est de trois, on tortille les fils plus qu’ils ne l’étoient au sortir des mains des fileurs, afin d’augmenter leur élasticité, qui est absolument nécessaire pour commettre les cordages. Si dans ce cas on tordoit les fils dans un sens opposé à celui qu’ils ont au sortir des mains des fileurs, au lieu d’augmenter leur élasticité on détruiroit celle qu’ils ont acquise ; il convient donc de tordre ces fils dans le sens qu’ils l’ont déjà été par les fileurs. Mais, dira-t-on, cette raison ne doit-elle pas engager à tordre les torons qu’on destine à faire de gros cordages, dans le même sens que les fils l’ont été, de droite à gauche si les fils l’ont été dans ce sens ? Pour mieux concevoir ce qui se passe dans cette occasion, faites tordre deux torons, l’un dans le sens des fils, & l’autre dans un sens opposé, vous ne vous écarterez pas en cela de la pratique des Cordiers ; car quelquefois ils tordent effectivement les torons dans le sens des fils, pour faire certains cordages qu’on nomme de main torse, ou en garochoir. Quand on fait tordre un toron dans le sens des fils, on apperçoit que les fils se roulent les uns sur les autres, comme le font les fibrilles du chanvre quand on en fait du fil, mais outre cela les fils se tortillent un peu plus qu’ils ne l’étoient : examinez ce qui doit résulter de ce tortillement particulier des fils & de leur tortillement général les uns sur les autres. Les fils, en se roulant les uns sur les autres, acquierent un certain degré de tension qui bande leurs fibres à ressort, lesquelles par leur réaction tendent à se redresser & à reprendre leur premier état : ainsi la direction de leur mouvement quand elles se redresseront, sera contraire à la direction du mouvement qui les aura tortillées. On peut imaginer au centre de chaque toron un fil qui ne feroit que se tordre, si on tournoit les manivelles du chantier dans le même sens que les fils sont tortillés ; & l’on voit que tous les autres fils qui recouvrent celui qui est dans l’axe, l’enveloppent en décrivant autour de lui des hélices, qui sont d’autant plus courtes que les fils sont plus éloignés de ce premier fil qui est au centre. Suivant cette méchanique, les fils tendroient par leur force élastique à se redresser par un mouvement circulaire dont le centre est dans l’axe des torons : or c’est-là le mouvement qui est absolument nécessaire pour commettre les torons & en faire une corde. Si l’on examine à présent ce que peut produire le tortillement particulier de chaque fil sur lui-même, on sera obligé de convenir que plus les fils sont tortillés, plus ils acquierent de force élastique, & plus ils tendent à se détordre : mais quelle est la direction de cette réaction ? C’est par une ligne circulaire dont le centre du mouvement est dans l’axe de chaque fil, & non pas dans l’axe des torons ; chaque fil tendra donc à tourner sur lui-même, ce qui produira un mouvement dont l’effet est presque inutile pour le commettage de la corde, quoiqu’il fatigue beaucoup chaque fil en particulier. Ces fils sont à cet égard comme autant de ressorts qui travaillent chacun en particulier, mais qui ne concourent point à produire de concert l’effet desiré. Il faut néanmoins remarquer que le tortillement que chaque fil acquiert dans le cas dont il s’agît, les roidit : or un toron composé de fils roides doit avoir plûtôt acquis la force élastique qui lui est nécessaire pour être commis, qu’un fil qui est mou, parce que les fils roides tendront avec plus de force à détordre les torons, que ne le feront dés fils mous. D’où il suit que si l’on tord les torons dans le sens des fils, on pourra se dispenser de les tordre autant que si on les tordoit dans un sens opposé à celui des fils ; ce qui pourroit faire croire qu’on gagneroit en force par la diminution du tortillement des torons, ce qu’on perdroit par le surcroît de tortillement qu’on donneroit aux fils. Pour que cette conséquence fût juste, il faudroit que toute l’élasticité que les fils acquierent chacun en particulier, fût entierement employée à procurer aux torons l’élasticité qui leur est nécessaire pour se commettre : or cela n’est pas.
Voyons maintenant ce qui arrive lorsqu’on tortille les torons dans un sens opposé au tortillement des fils. A mesure qu’on tortille les torons, les fils se détordent ; néanmoins les torons acquierent peu-à-peu l’élasticité nécessaire pour les commettre : il faut nécessairement tordre plus les torons, quand on le fait en sens contraire des fils ; que quand on les tord dans le même sens ; mais dans ce dernier cas la diminution du tortillement des torons ne compense point le tortillement particulier des fils, qui prennent des coques & qui deviennent dures & incapables de se préter sans dommage aux contours qu’on leur fait prendre ; au lieu que quand on tord les torons dans un sens opposé au tortillement des fils, les fils qui perdent une partie de leur tortillement, deviennent souples & plus capables de prendre toutes les formes nécessaires.
Les cordages qu’on nomme de main torse, & à Rochefort des garochoirs, ne different donc des aussieres ordinaires qu’en ce que les derniers ont leurs torons tortillés dans un sens opposé au tortillement des fils, & que les mains torses au contraire ont leurs torons tortillés dans le même sens que les fils, ensorte qu’on profite d’une partie de l’élasticité des fils pour commettre la corde ; c’est pour cela que les torons n’ont pas besoin d’être tant tortillés pour acquérir l’élasticité qui leur est nécessaire pour être réduits en corde : aussi se raccourcissent-ils beaucoup moins, & par conséquent la corde reste plus longue, c’est un avantage pour l’économie des matieres. Il reste à savoir s’il est aussi favorable pour la force des cordes, pour cela il faut avoir recours à l’expérience ; mais auparavant il faut remarquer que quand on tord les torons dans le sens des fils, si on ne charge prodigieusement le quarré, tous les fils prennent d’intervalle en intervalle des coques ou des commencemens de coques ; & pour peu qu’on continue à donner du tortillement aux torons, on apperçoit visiblement que cela dérange la direction du chanvre dans les fils, & produit des inégalités de tension pour chaque fil : d’ailleurs, puisque dans les mains torses le fil se tord plus qu’il ne l’étoit, & que dans les aussieres le fil se détord un peu, on doit regarder les mains torses comme étant faites avec du fil extrèmement tortillé, & les aussieres avec du fil beaucoup plus mou. Or il a été dit, en parlant des fileurs, que ce dernier cas est le plus avantageux, & l’expérience l’a confirmé.
Suite de la main-d’œuvre. On a vû à l’occasion du bitord & du merlin, qu’il falloit que les fils qui composent ces menus cordages fussent d’égale grosseur, & dans un égal degré de tension & de tortillement : il en est de même des torons ; & les Cordiers prennent des précautions pour qu’ils soient également gros & également tendus : il faut de plus qu’ils ne soient pas plus tortillés les uns que les autres ; c’est pourquoi les maîtres Cordiers recommandent aux ouvriers qui sont sur les manivelles, de virer tous ensemble, afin que tous fassent un nombre égal de révolutions. Si néanmoins, soit par la négligence des ouvriers, soit par d’autres raisons, il arrive qu’il y ait un toron qui soit moins tors que les autres, le maître cordier s’en apperçoit bien-tôt, ou parce que le quarré est tiré de côté, ou parce qu’il y a un toron qui baisse plus que les autres : alors il ordonne aux manivelles qui répondent aux torons trop tendus, de cesser de virer, afin de laisser l’autre manivelle regagner ce qu’elle a perdu ; & quand le toron précédemment trop lâche est bien de niveau avec les autres, il ordonne à toutes les manivelles de virer. Comme cette manœuvre se répete assez fréquemment pour éviter la confusion, le maître cordier convient avec tous ses ouvriers des noms que chaque toron doit avoir ; ce qui fait qu’ils entendent les ordres que le maître cordier donne. Enfin quand les torons ont le degré convenable de tortillement, le maître cordier, avant de mettre le toupin, ne doit jamais manquer de vérifier si ces torons sont bien de niveau, & si le quarré n’est point de biais.
Répartition du raccourcissement. On sait ce que c’est que de commettre un cordage au tiers, au quart, &c. & que l’usage général est de le commettre au tiers ; mais lorsqu’on commet une aussiere, il faut que ce tiers de raccourcissement soit réparti entre les deux opérations, savoir de tordre les torons, & de commettre la corde. Il y a des cordiers qui divisent en deux ce raccourcissement, & en employent la moitié pour le raccourcissement des torons, & l’autre pour le commettage : par exemple, s’ils veulent faire une piece de 120 brasses, ils l’ourdissent à 180, il y a donc 60 brasses de raccourcissement ; ils en employent 30 pour le tortillement des torons, & les 30 autres pour commettre la piece. Il y en a d’autres qui employent plus de la moitié pour le raccourcissement des torons, quarante brasses, par exemple, & ils ne réservent que vingt brasses pour commettre la piece. Chacune de ces pratiques a ses partisans, & peut-être ses avantages & ses inconvéniens. C’est ce que l’on examinera après avoir achevé le commettage d’une aussiere à trois torons.
Du commettage. Le maître cordier fait ôter la clavette de la manivelle qui est au milieu du quarré ; il en détache le toron qui y correspond, & le fait tenir bien solidement par plusieurs ouvriers afin qu’il ne se détorde pas : sur le champ on ôte la manivelle, & dans le trou du quarré où étoit cette manivelle, on en place une plus grande & plus forte, à laquelle on attache non-seulement le toron du milieu, mais encore les deux autres ; de telle sorte que les trois torons se trouvent réunis à cette seule manivelle, qui tient lieu de l’émerillon dont nous avons parlé à l’endroit du bitord. Comme il faut beaucoup de force élastique pour ployer ou plûtôt rouler les uns sur les autres des torons qui ont une certaine grosseur, il faudroit tordre extrèmement les torons, pour qu’ils pussent se commettre d’eux-mêmes, s’ils étoient simplement attachés à un émerillon : c’est pour cela qu’au lieu d’un émerillon on employe une grande manivelle qu’un ou deux hommes font tourner, pour concourir avec l’effort que les torons font pour se commettre. Ainsi par le moyen des manivelles, il suffit que les torons ayent assez de force élastique pour ne se point séparer quand ils auront été une fois commis ; au lieu qu’il en faudroit une énorme pour obliger des torons un peu gros à se rouler d’eux-mêmes les uns sur les autres par le seul secours de l’émerillon. Veut-on savoir à-peu-près à quoi se monteroit cette force ? on n’a qu’à remarquer qu’indépendamment de l’effort que les torons élastiques font pour se commettre, il faut qu’un, deux, trois, & quelquefois quatre hommes, travaillent de toute leur force sur la manivelle, pour aider aux torons élastiques à produire leur effet. Ce n’est cependant pas tout ; on est encore obligé, quand les cordes sont grosses, d’en distribuer 20 ou 30, Y, Z, Pl. III. divis. 2. qui avec des manuelles secourent ceux qui sont à la grande manivelle, comme nous l’expliquerons dans un moment : mais on voit dès-à-présent que quand il s’agit de grosses cordes, on romproit plûtôt les torons, que de leur procurer assez d’élasticité pour se rouler & se commettre d’eux mêmes les uns sur les autres. Les torons étant disposés comme nous venons de le dire, on les frotte avec un peu de suif, ou encore mieux de savon, pour que le toupin coule mieux ; ensuite on place le toupin, qui doit être proportionné à la grosseur des cordes qu’on commet, & qui doit avoir trois rainures quand l’aussiere qu’on commet est à trois torons ; on place, dis-je, le toupin dans l’angle de réunion des trois torons. Si les cordages sont menus, comme des quaranteniers, on ne se sert point de chariot ; deux hommes prennent le barreau de bois R, même Pl. même divis. qui traverse le toupin, & le conduisent sans avoir besoin d’autre secours. Mais quand la corde est grosse, on se sert du chariot, qu’on place le plus près que l’on peut du quarré. Les ouvriers qui sont sur la grande manivelle tournent quelques tours, la corde commence à se commettre, & le toupin s’éloigne du quarré : on le conduit à bras jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la tête du chariot, où on l’attache très-fortement au moyen de la traverse de bois R ; alors toutes les manivelles tournent, tant la grande du quarré que les trois du chantier. Le maître cordier examine si sa corde se commet bien, & il remédie aux défauts qu’il apperçoit, qui dépendent ordinairement, ou de ce que le toupin est mal placé, ou de ce qu’il y a des torons qui sont plus lâches les uns que les autres : on remédie à ce dernier défaut, en faisant virer les manivelles qui répondent aux torons qui sont trop lâches, & en faisant arrêter celles qui répondent aux torons qui sont trop tendus. Enfin quand il voit que sa corde se commet bien régulierement, il met la retraite du chariot : elle est formée par deux longues livardes ou cordes d’étoupe T, même Pl. divis. 2. qui sont bien attachées à la traverse du toupin, & qu’on entortille plus ou moins autour de la piece qui se commet, suivant qu’on veut que le chariot aille plus ou moins vîte. Quand tout est ainsi bien disposé, le chariot avance, la corde se commet, les torons se raccourcissent, & le quarré se rapproche de l’attelier. Lorsque les pieces de cordage sont fort longues, & elles le sont presque toûjours pour la Marine, la grande manivelle du quarré ne pourroit pas communiquer son effet d’un bout à l’autre de la piece ; c’est pourquoi un nombre d’hommes Y, Z, même Pl. même div. plus ou moins considérable, suivant la grosseur du cordage, se distribue derriere le toupin ; & à l’aide des manuelles, ils travaillent de concert avec ceux de la manivelle du quarré à commettre la corde, ou, comme disent les Cordiers, à faire courir le tord que donne la manivelle du quarré. On voit qu’à mesure que le toupin fait du chemin & que la corde se commet, les torons perdent de leur tortillement ; & ils le perdroient entierement, si l’on n’avoit pas l’attention de leur en fournir de nouveau : c’est pour cela que le maître cordier ordonne aux ouvriers qui sont aux manivelles du chantier, de continuer à les tourner plus ou moins vîte, suivant qu’il le juge nécessaire. Pour que la vîtesse des manivelles soit bien réglée, il faut qu’elle répare tout le tord que perdent les torons, & que ces torons restent dans un degré égal de tortillement ; les Cordiers en jugent assez bien par habitude. Mais il y a un moyen bien simple pour reconnoître si les torons perdent ou acquierent du tortillement, il ne faut que faire avec un morceau de craie une marque sur un des torons, vis-à-vis un des chevalets qui sont compris entre le toupin & le chantier. Si cette marque reste toûjours sur le chevalet, c’est signe que les manivelles du chantier tournent assez vîte ; si la marque de craie sort de dessus le chevalet & s’approche du chantier à commettre, c’est signe que les manivelles tournent trop vîte ; si au contraire la marque s’éloigne de ce chantier, c’est signe que les manivelles tournent trop lentement, & que les torons perdent de leur tortillement. La raison de cette épreuve est sensible : si les manivelles tournent trop vîte, elles augmentent le tortillement des torons, les torons qui sont plus tortillés se raccourcissent, & la marque de craie s’approche du chantier : si les manivelles tournent trop lentement, les torons qui perdent de leur tortillement s’allongent, & la marque de craie s’éloigne du chantier ; mais elle reste à sa même place si l’on entretient les torons dans un même degré de tortillement, qui est le point où l’on tend. C’est un moyen bien simple & bien commode de reconnoître si les torons conservent leur degré de tortillement ; circonstance qui influe beaucoup sur la perfection d’une piece de cordage ; puisque si l’on augmentoit le tortillement des torons, la corde seroit plus tortillée du côté du chantier à commettre, que de l’autre bout : le contraire arriveroit si on négligeoit d’entretenir le tortillement des torons ; & comme il convient de faire en sorte que les cordes ayent le plus précisément qu’on le peut un certain degré de tortillement, on conçoit qu’il est essentiel que ce degré soit le même dans toute la longueur de la corde. On peut encore reconnoître si la corde se commet bien, en examinant si le toupin avance uniformément ; car si les manivelles du chantier tournent trop vîte relativement à la manivelle du quarré, les torons sont plus tortillés qu’ils ne devroient être : ils deviennent donc plus roides & plus difficiles à commettre ; ce qui retarde la marche du toupin. Si au contraire on laisse perdre le tortillement des torons, ils deviennent plus flexibles, ils cedent plus volontiers à l’effort que fait la manivelle du quarré avec les manuelles pour commettre le cordage, & pour lors le toupin en avance plus vîte. Les Cordiers savent bien profiter de ces moyens pour donner à leur corde précisément la longueur qu’ils se sont proposée, comme nous allons l’expliquer : mais comme ils tirent vanité de cette justesse, il ne leur arrive que trop souvent de lui sacrifier la bonté de leur ouvrage de la maniere qui suit.
Mauvaise industrie des Cordiers. Nous avons dit qu’on ourdissoit une piece qu’on vouloit qui eût 120 brasses, à 180, pour que les torons pussent se raccourcir de 60 brasses, tant en les tordant qu’en les commettant : nous avons dit outre cela que le raccourcissement des torons, quand on les tord, se montoit à 40 brasses ; il reste donc 20 brasses de raccourcissement pour l’opération du commettage. Les Cordiers se font un point d’honneur de donner précisément ce raccourcissement, afin que leur piece de cordage ait juste la longueur qu’ils se sont proposée ; ils le font ordinairement : mais la difficulté est de répartir bien également ce tortillement dans toute la longueur de la piece ; c’est ce qu’il n’est pas aisé de faire, & à quoi ils réussissent très-rarement. Il faudroit pour cela, lorsqu’on commet une aussiere au tiers, que la vîtesse du toupin fût à celle du quarré, précisément comme 140 est à 20, ou comme 7 est à 1, si l’on employe quarante brasses pour le raccourcissement des torons ; ou comme 150 est à 30, ou 5 à 1, si l’on employe trente brasses pour le raccourcissement des torons ; ou comme 160 est à 40, ou 4 à 1, si l’on n’employe que vingt brasses pour le raccourcissement des torons. Si l’on choisit la premiere hypothese, il faudroit donc que la vîtesse du toupin fût sept fois plus grande que celle du quarré, ou que le toupin fît sept brasses pendant que le quarré en feroit une. On conçoit bien que cette proportion est bien difficile à attraper ; c’est pourquoi lorsque les Cordiers s’apperçoivent qu’il leur reste beaucoup de corde à commettre, & que le quarré approche des 120 brasses qu’ils doivent donner à leur piece, ils font tourner très-vîte la manivelle du quarré, & fort lentement celle du chantier ; avec cette précaution le quarré n’avance presque plus, & le toupin va fort vîte : au contraire, s’ils voyent que leur corde est presque toute commise, & que le quarré est encore éloigné de 120 brasses, ils sont tourner très-vîte les manivelles du chantier, & lentement celles du quarré ; alors les torons prennent beaucoup de tord, le quarré avance peu pendant que la corde se commet & que le chariot avance plus vîte ; par ce moyen le quarré arrive aux 120 brasses assez précisément dans le même tems que le toupin touche à l’attelier ; & le cordier s’applaudit, quoiqu’il ait fait une corde très-défectueuse, puisqu’elle est beaucoup plus tortillée d’un bout que de l’autre. Il vaudroit mieux laisser la piece de cordage tant soit peu plus longue & un peu moins torse, plûtôt que de fatiguer ainsi les torons par un tortillement forcé. Enfin le toupin arrive peu-à-peu tout près de l’attelier, il touche aux palombes ; alors la corde est commise, & les ouvriers qui sont aux manivelles du chantier cessent de virer. Il y auroit un moyen bien simple de régler assez précisément les marches proportionnelles du quarré & du toupin ; ce seroit d’attacher au chariot un fil de carret noir qui s’étendroit jusque sous le chantier où un petit garçon le tiendroit ; ce fil serviroit à exprimer la vîtesse de la marche du toupin. On attacheroit au quarré une moufle à trois roüets, & au chantier aussi une moufle à pareil nombre de roüets ; on passeroit un fil blanc dans ces six roüets ; un bout de ce fil seroit attaché à la moufle du quarré, & le petit garçon tiendroit l’autre qu’il joindroit avec le fil noir : ce fil blanc exprimeroit la vîtesse du quarré. Il est évident que si la marche du chariot étoit sept fois plus rapide que celle du quarré, les deux fils que le petit garçon tireroit à lui seroient également tendus ; s’il s’appercevoit que le fil blanc devînt plus lâche que le noir, ce seroit signe que le quarré iroit trop vîte, & on y remédieroit sur le champ en faisant tourner moins vîte les manivelles du chantier, ou plus vîte celle du quarré, ou en lâchant un peu la livarde du chariot : si au contraire le fil noir mollissoit, on pourroit en conclurre que le chariot iroit trop vîte ; & il seroit aisé d’y remédier en faisant tourner plus vîte les manivelles du chantier, ou plus lentement celle du quarré, ou en serrant un peu la livarde ou retraite du chariot. Cette petite manœuvre ne seroit pas fort embarrassante, & néanmoins elle produiroit de grands avantages ; car presque toutes les cordes sont commises dans une partie de leur longueur beaucoup plus serrée que le tiers ; à d’autres endroits elles ne le sont pas au quart ; & il y a bien des cordages où on auroit peine à trouver deux brasses qui fussent commises précisément au même point. Dans l’hypothese présente nous avons supposé qu’on se proposoit de commettre une corde au tiers, & qu’ainsi la marche du chariot devoit être à celle du quarré comme 7 est à 1 : il est clair qu’il faudroit varier le nombre des roüets des moufles, si on se proposoit que la marche du chariot fût à celle du quarré comme 5 est à 1, ou comme 4 est à 1 ; ou, ce qui est la même chose, si au lieu de commettre une corde au tiers, on se proposoit de la commettre au quart ou au cinquieme : mais dans tous ces cas le problème est aisé à resoudre, puisqu’il consiste à faire ensorte que le fil noir du chariot soit au nombre des fils blancs qui passent sur les roüets, comme la vîtesse du chariot doit être à celle du quarré. On s’apperçoit bien que nous avons recommandé de mettre un fil noir au chariot, & un fil blanc au quarré, pour qu’on pût reconnoître plus aisément à qui appartient le fil qui molliroit.
Autre mauvaise pratique des Cordiers. Quand le quarré n’est pas rendu aux 120 brasses, qui est la longueur que je suppose que l’on veut donner à la piece de cordage, quoique le toupin touche aux palombes, il y a des Cordiers qui continuent de faire virer la manivelle du quarré, pendant que les manuelles du chantier restent immobiles ; ils tordent ainsi la piece de cordage qui se raccourcit, & ne comptent leurs pieces bien commises que quand le quarré est rendu aux 120 brasses qu’ils veulent donner à leur piece ; ils prétendent donner par-là plus de grace à leur cordage, & faire qu’il se roue plus aisément : mais ils sont mal fondés à le penser.
Détacher la piece & la faire rasseoir. Quand le maître cordier voit que sa piece est précisément de la longueur qu’il s’est proposé de la faire ; quand il pense qu’elle est suffisamment tortillée, qu’elle a toute sa perfection, & qu’elle est en état d’être livrée au magasin des cordages, il fait arrêter la manivelle du quarré, il fait lier avec un fil de carret goudronné, & le plus serré qu’il le peut, les trois torons les uns avec les autres, tant auprès du toupin qu’auprès de la manivelle du quarré, afin que les torons ne se séparent pas les uns des autres : on détache ensuite la piece, tant de la grande manivelle du quarré que des palombes, & or la porte sur des chevalets qui sont rangés à dessein le long du mur de la corderie, ou sur des piquets qui y ont été scellés pour cet usage. On travaille une autre piece de cordage, & pendant ce tems-là celle qui vient d’être commise se rasseoit, comme disent les ouvriers, c’est-à-dire que les fils prennent le pli qu’on leur a donné en les commettant ; & à la fin de la journée on roüe toutes les pieces qui ont été commises.
Roüer. Il faut de nécessité plier les cordages pour les conserver dans les magasins ; ceux qui sont fort gros, comme les cables, se portent tout entiers par le moyen de chevalets à rouleau, ou sur l’épaule : on les place en rond dans le magasin sur des chantiers. A l’égard des cordages de moindre grosseur, on les roüe dans la corderie, c’est-à-dire qu’on en fait un paquet qui ressemble à une roüe, ou plûtôt à une meule. Il faut expliquer comment on s’y prend pour cela.
Le maître cordier commence par lier ensemble deux bouts de corde d’étoupe, d’une longueur & d’une grosseur proportionnées à la grosseur du cordage qu’on veut roüer ; mais cette corde doit être très-peu tortillée, pour qu’elle soit fort souple : ces deux cordes ainsi réunies s’appellent une liasse. On pose cette liasse à terre, de façon que les quatre bouts fassent une croix ; ensuite mettant le pié sur l’extrémité de la corde qu’on veut roüer, on en forme un cercle plus ou moins grand, suivant la flexibilité & la grosseur de la corde, & on a soin que le nœud de la liasse se trouve au centre de ce cercle de corde. Quand la premiere révolution est achevée, on lie avec un fil de carret le bout de la corde avec la portion de la corde qui lui répond ; & cette premiere révolution étant bien assujettie, on l’enveloppe par d’autres qu’on serre bien les unes contre les autres, en halant seulement dessus, si la corde est menue & n’est point trop roide ; ou à coups de maillet, si elle ne veut pas obéir aux simples efforts des bras. On continue à ajoûter des révolutions jusqu’à ce qu’on ait formé une espece de bourlet en spirale, qui ait un pié, un pié & demi, deux piés ou plus de largeur, suivant que la corde est plus ou moins grosse ou longue. Ce premier rang de spirale fait, on le recouvre d’un autre tout semblable, excepté qu’on commence par la plus grande révolution, & qu’on finit par la plus petite ; au troisieme rang on commence par la plus petite, & on finit par la plus grande ; au quatrieme on commence par la grande, & on finit par la petite : ce que l’on continue alternativement jusqu’à ce que le cordage soit tout roüé. Alors on prend les bouts de la liasse qui sont à la circonférence de la meule de cordages, on les passe dans la croix que forme la liasse au milieu de la meule ; & halant sur les quatre bouts à la fois, on serre bien toutes les révolutions les unes contre les autres. Quand on a arrêté les bouts de la liasse, & que la meule est bien assujettie, on la peut porter sur l’épaule, ou passer dans le milieu un levier pour la porter à deux ; on peut aussi la rouler, si la grosseur & le poids de la piece le demandent : car on n’a point à craindre que la meule se défasse. Le bitord, le lusin & le merlin sont trop flexibles pour être roüés ; on a coûtume de les dévider sur une espece de moulinet en forme d’écheveau, qu’on arrête avec une commande, ou, comme disent les tisserands, avec une centaine. Tous les soirs on porte les pieces qui ont été fabriquées, dans le magasin des cordages, où l’écrivain du Roi, qui en a le détail, les passe en recette après les avoir fait peser ; & cette recette doit quadrer avec la consommation qui a été faite au magasin des tourets, parce que dans cette opération il n’y a point de déchet. Le tord qu’on fait prendre aux pieces de cordage, lorsque le toupin est rendu auprès de l’attelier, après qu’elles sont commises, fait qu’elles se roüent plus aisément. Ce tortillement qui ne résulte point de la force élastique des torons, & qui est uniquement produit par la grande manivelle du quarré, donne à toute la piece un degré de force élastique qui fait que, si on la plioit en deux, elle se rouleroit, ou, ce qui est la même chose, les deux portions de cette corde pliée se commettroient un peu ; or cette force élastique qui donne aux cordes cette disposition à se rouler, fait aussi qu’elles se roüent plus aisément. Ceux qui prendront la peine de roüer une piece de cordage qui a reçû le tortillement dont nous venons de parler, en concevront aisément la raison ; c’est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas davantage : il nous suffira de faire remarquer que ce petit avantage doit être négligé, à cause des inconvéniens dont nous allons parler.
Il convient de faire remarquer que sur les vaisseaux on roüe différemment les cordages ; car on commence toûjours par la plus petite révolution, soit au premier, soit au second, soit au troisieme rang, jusqu’au bout de la corde. Cette pratique est préférée à bord des vaisseaux, parce que les cordages prennent moins de coques, & on l’appelle roüer à la hollandoise.
Nous avons observé en parlant du bitord, que le tortillement qui étoit produit par l’élasticité des torons, ne pouvoit pas se perdre ; mais que celui qui ne résultoit pas de cette élasticité, étoit semblable au tortillement d’un fil de carret, qui se détruit presqu’entierement si-tôt qu’on abandonne ce fil à lui-même. Assûrément le tortillement que les cordiers donnent à leurs pieces de cordage, quand elles sont commises, est dans ce cas. Il est donc certain que ce tortillement se perdra tôt ou tard par le service, d’où on peut déjà conclure qu’il est inutile. Ce tortillement ne laisse pas de subsister quelque tems dans les pieces à qui on l’a donné, ce qui produit une grande disposition à prendre des coques ; c’est un défaut considérable pour les manœuvres qui doivent courir dans les poulies. Si le tortillement dont nous parlons subsistoit dans certaines manœuvres qui sont arrêtées par les deux bouts, comme les haubans, il rendroit les hélices plus courtes, ce qui est toûjours desavantageux. Enfin par ce tortillement on fait souffrir aux fils un effort considérable qu’on pourroit leur épargner : tout cela prouve qu’il seroit à propos de le supprimer.
Mais on peut remarquer, 1°. que souvent le tortillement se perd par le service, & conséquemment que la dureté qu’il peut communiquer à la corde, s’évanoüit lorsque les hélices s’allongent, & l’inconvénient cesse. 2°. Que la corde détortillée, comme on vient de le dire, en devient plus longue, ce qui contribue à la rendre plus forte, puisqu’alors elle se trouve moins commise ; il est vrai que les maîtres cordiers pourroient lui procurer cet avantage sur le chantier ; mais comme leur préjugé s’y oppose, nous pourrions, en conservant cette pratique, les rapprocher de nos principes sans qu’ils s’en apperçussent. 3°. Comme il n’est presque pas possible que le toupin coule & s’avance uniformément le long des torons, on égalise à peu de chose près toutes les hélices qui se trouvent le long de la corde, par le tortillement qu’on donne en dernier lieu, puisqu’il est clair que ce seront les parties de la corde les plus molles ou les moins tortillées, qui recevront plus de ce dernier tortillement. 4°. Il arrive souvent que la force élastique occasionnée par le tortillement des torons, n’est pas entierement consommée par le commettage. En donnant à la piece le tortillement dont il s’agit, on répare cette inégalité, qui est toûjours un défaut pour le cordage. Cela arrive assez souvent dans les cordes où l’on prend les deux tiers du raccourcissement de la corde pour tordre les torons ; mais cela est encore plus visible dans les cordages de main torse ; car quand on ne leur donne pas le tortillement dont il s’agit, après qu’elles ont été commises, on les voit (quand elles sont abandonnées à elles-mêmes) se travailler & se replier comme des serpens, & cela dans le sens du commettage, comme si elles vouloient se tordre davantage, à quoi elles ne peuvent parvenir, soit par leur propre poids, soit par la situation où elles se trouvent.
On peut conclure de tout ce qui vient d’être dit, qu’il est bon de donner aux pieces, lorsqu’elles seront commises, un tortillement capable de les raccourcir d’une brasse ou deux, pourvû qu’on ait soin de le leur faire perdre avant que de les roüer.
Du mouvement de la manivelle du quarré. Nous avons dit qu’on n’employoit la manivelle du quarré que pour tenir lieu de l’émerillon, qui suffit quand on commet du bitord ou du merlin, & que cette grande manivelle devoit agir de concert avec l’élasticité des torons, pour les faire rouler les uns sur les autres, en un mot pour les commettre. Mais si la manivelle du quarré tourne trop lentement, eu égard à la force élastique que les torons ont acquise, quand la corde sera abandonnée à elle-même, elle tendra à se tordre, & elle fera des plis semblables à ceux d’une couleuvre, ce qui est un défaut ; si au contraire la manivelle du quarré tourne plus vîte qu’il ne convient, elle donnera aux cordages plus de tortillement que l’élasticité des torons ne l’exige, & il en résultera le même effet que si l’on avoit tortillé la piece après qu’elle a été commise, c’est-à-dire que le cordage aura une certaine quantité de tortillement, qui n’étant point l’effet de l’élasticité des fils, ne pourra subsister, & ne servira qu’à fatiguer les fils, & à rendre les cordages moins flexibles. Ce ne sont cependant pas là les seuls inconvéniens qui résultent de cette mauvaise pratique : nous en allons faire appercevoir d’autres.
Pour mieux reconnoître la défectuosité des pratiques que nous venons de blâmer, examinons ce qui doit arriver à une manœuvre courante, à une grande écoute, par exemple, à un gros cable, &c. en un mot, à un cordage qui soit retenu fermement par un de ses bouts, & qui soit libre par l’autre ; & pour le voir sensiblement, imaginons un quarantenier qui soit attaché par un de ses bouts à un émerillon, & qui réponde par l’autre à un cabestan. Si ce cabestan vient à faire force sur le quarantenier, de quelque façon qu’il soit commis, aussi-tôt le crochet de l’émerillon tournera, mais avec cette différence, que si le quarantenier a été commis un peu mou, & s’il n’a été tortillé que proportionnellement à l’élasticité de ses torons, le crochet de l’émerillon tournera fort peu, au lieu qu’il tournera beaucoup plus, si le quarantenier a été commis fort serré, & s’il a été plus tortillé que ne l’exigeoit l’élasticité des torons ; c’est une chose évidente par elle-même, & que l’expérience prouve.
Cette petite expérience, toute simple qu’elle est, fait appercevoir sensiblement que les cables des ancres très-tords, qui l’ont été plus que ne l’exigeoit l’élasticité des torons, font un grand effort sur les ancres pour les faire tourner, sur-tout quand à l’occasion du vent & de la lame les vaisseaux forceront beaucoup sur leur ancre ; or comme le tranchant de la patte des ancres peut aisément couper le sable, la vase, la glaise, & les fonds de la meilleure tenue, il s’ensuit que pour cette seule raison les ancres pourront déraper & exposer les vaisseaux aux plus grands dangers. Tout le tortillement que la manivelle du quarré fait prendre à une piece de cordage, au-delà de ce qu’exige l’élasticité des torons, donne à ce cordage un degré de force élastique qui fait que quand on en plie une portion en deux, elles se roulent l’une sur l’autre, & se commettent d’elles-mêmes : or il est bien difficile, quand on manie beaucoup de manœuvres, d’empêcher qu’il ne se fasse de tems en tems des plis. Si la corde est peu tortillée, ces plis se défont aisément & promptement ; mais si elle a été beaucoup tortillée, & sur-tout si elle l’a plus été que ne l’exigent les torons dont elle est composée, la portion de la corde qui forme le pli, étant roulée comme nous venons de l’expliquer, il en résulte une espece de nœud qui se serre d’autant plus, qu’on force davantage sur la corde ; c’est cette espece de nœud, ou plûtôt ce tortillement bien serré, que les marins appellent une coque. Quand un cordage qui a une coque, doit passer dans une poulie, souvent les étropes, ou la poulie elle-même, sont brisés ; la manœuvre est toûjours interrompue. Un homme adroit a bien de la peine à défaire ces coques avec un épissoir ; souvent les matelots sont estropiés, & le cordage en est presque toûjours endommagé ; ce qui fait que les marins redoutent beaucoup, & avec raison, les cordages qui sont sujets à faire des coques.
De la charge du quarré. Nous nous sommes contentés d’expliquer ce que c’étoit que le quarré ou la traîne, en donnant sa description, & de rapporter en général quels sont ses usages. Nous avons dit à cette occasion qu’on le rendoit assez pesant par des poids dont on le chargeoit, pour qu’il tînt les fils dans un degré de tension convenable ; mais nous n’avons point fixé quelle charge il falloit mettre sur le quarré.
Pour entendre ce que nous avions à dire à ce sujet, il étoit nécessaire d’être plus instruit de l’art du cordier. Il convient donc de traiter cette matiere, qui est regardée comme fort importante par quelques cordiers. Le quarré doit par sa résistance tenir les torons, à mesure qu’ils se raccourcissent, dans un degré de tension qui permette au cordier de les bien commettre : voilà quel est son objet d’utilité. Si le quarré n’avoit pas une certaine pesanteur, il est clair qu’il ne satisferoit pas à ce qu’on en attend ; les torons ne seroient pas tendus, & le cordier ne pourroit pas juger si sa corde a été bien ourdie. Pour peu qu’un des torons fût plus tendu que les autres, la direction du quarré seroit changée, il se mettroit de côté. Comme le traîneau éprouve nécessairement plus de frottement dans des tems que dans d’autres, quand, après que le quarré auroit éprouvé quelque résistance, il se trouveroit sur un plan bien uni, les torons élastiques le tireroient par une secousse à laquelle il obéiroit à cause de sa légereté, & bientôt sa marche seroit dérangée. Enfin, pour que le toupin courre bien, ce qui est toûjours avantageux, il faut que le quarré fasse quelque résistance ; car qui est-ce qui fait marcher le toupin ? c’est la pression des torons, c’est l’effort qu’ils font pour se commettre, ou par leur élasticité, ou par l’effet de la manivelle du quarré, qui fait qu’ils s’enveloppent les uns dans les autres. Si le quarré ne résistoit pas à un certain point, s’il obéissoit trop aisément à la tension des torons, il se rapprocheroit trop vîte du chantier, pendant que le toupin iroit lentement, à cause qu’il seroit moins pressé par les torons : il est donc évident qu’il faut que le quarré fasse une certaine résistance.
Mais si au contraire le quarré étoit extrèmement chargé, il en résulteroit d’autres inconvéniens : car comme c’est le raccourcissement des torons causé par le tortillement, qui oblige le quarré de se rapprocher du chantier ; comme il faut, par exemple, plus de force pour tirer six quintaux sur un plan que pour en tirer trois, il faudra que la tension des torons soit double pour faire avancer le quarré qui pesera six quintaux, de ce qu’elle seroit pour le faire avancer d’une pareille quantité s’il ne pesoit que trois quintaux. Les torons sont donc tendus proportionnellement à la charge du quarré, parce que la tension des torons vient du tortillement qu’on leur donne : donc le tortillement augmente proportionnellement à la tension, & la tension proportionnellement à la résistance du quarré ou à son poids, de sorte que le poids du quarré pourroit être tel que sa résistance seroit supérieure à la force des torons, alors ils romproient plûtôt que de le faire avancer. C’est ce qui est arrivé plusieurs fois dans les corderies, sans que pour cela les Cordiers qui voyoient rompre un toron sur leur chantier, pensassent à chercher la cause de cet accident : ils envisagent seulement que plus un cordage est serré, plus il paroît uni, mieux arrondi, & qu’on apperçoit moins ses défauts ; mais ils ne font pas attention que ce cordage est tellement affoibli par l’énorme tension que ses fils ont éprouvée, que quantité de ces fils sont rompus, & que les autres sont tout prêts à rompre par les efforts qu’ils auront à éprouver. Cependant on voit les tournevires, les rides de haubans, les haubans même, &c. se rompre ; on examine les cordages, on voit que la matiere en est bonne, que le fil est uni & serré, que la corde est bien ronde, & cela suffit pour disculper le cordier ; l’on ne veut pas voir que ce fil n’est uni que parce qu’il est très-tortillé, & que la corde n’est bien ronde que parce que les fibres du chanvre qui la composent, sont dans une tension si prodigieuse qu’ils sont tout prêts à se rompre ; le maître cordier lui-même qui a vû les fils & même les torons rompre sur son chantier, ne fait pas des réflexions si naturelles, & continue obstinément à suivre sa mauvaise pratique.
Nous ne prétendons pas que pour faire de bonnes cordes il suffise de diminuer la charge du quarré ; car il paroît évident qu’en mettant une grande charge sur le quarré, & raccourcissant peu les torons, on pourroit avoir une corde de même force que si l’on chargeoit peu le quarré, & qu’on raccourcît les torons d’une plus grande quantité. Par exemple, si pour avoir deux aussieres de 120 brasses on en ourdit une à 180, & qu’on charge le quarré seulement de 320 livres ; qu’on ourdisse l’autre seulement à 160 brasses, mais qu’on charge le quarré de 360 livres, peut-être ces deux cordes étant réduites à 120 brasses seront-elles d’égale force. Nous disons peut-être, parce que nous ne sommes pas sûrs que dans cet exemple la charge du quarré soit assez différente pour compenser la différence que nous avons supposée dans le raccourcissement des torons ; nous voulons seulement donner à entendre par cet exemple l’effet qui peut résulter de la différente charge qu’on met sur le quarré : mais pour être encore plus certain de l’effet que la charge du quarré peut faire sur la force des cordes, il faut consulter l’expérience.
On a fait faire avec de pareil fil deux aussieres tout-à-fait semblables, qui toutes deux étoient commises au tiers, mais la charge du quarré étoit différente pour l’une & pour l’autre ; si l’on avoit suivi l’usage du cordier, on auroit mis, y compris le poids du quarré, 550 livres. Pour une de nos aussieres nous avions augmenté ce poids de 200 livres, ce qui faisoit 750 livres, & pour l’autre nous l’avions diminué de 200 livres ; ainsi le poids du quarré n’étoit que de 350 livres, & la différence de la charge du quarré pour ces deux cordages étoit de 400 livres : c’étoit la seule, car chaque bout de ces cordages pesoit, poids moyen, 7 livres 11 onces 4 gros. Voyons quelle a été leur force. Chaque bout du cordage dont le quarré n’avoit été chargé que de 350 livres, a porté 5425 livres. Et chaque bout du cordage dont le quarré avoit été chargé de 750 livres, n’a pû porter force moyenne, plus de 4150 livres. D’où l’on voit combien il est dangereux de trop charger le quarré. Mais il convient de rapporter ici quel est l’usage de la plûpart des maîtres Cordiers. Il y en a qui mettent sur le quarré le double du poids du cordage ; par exemple, s’ils veulent commettre un cable de douze pouces de circonférence, sachant qu’un cordage de cette grosseur & de 120 brasses de longueur pese à-peu-près 3400 à 3500 livres, ils mettront sur le quarré 6800 livres. D’autres diminuent un douzieme, & ils mettront sur le quarré 6235 livres. A Rochefort, on met sur le quarré le poids de la piece, plus la moitié de ce poids ; ainsi supposant toûjours que le cable de 12 pouces pese 3400 livres, ils chargent le quarré de 5100 livres. Assûrément cette méthode ne fatigue pas tant les fils que la précédente. Cependant on a trouvé que quand les cordes étoient moins longues, elles se commettoient très-bien en n’ajoûtant que le tiers ou le quart au poids de la corde ; ainsi dans le cas dont il s’agit, si la corde n’avoit que 60 brasses de long, on pourroit ne mettre sur le quarré que 4533 livres ; ou même si elle étoit encore plus courte, 3825 livres suffiroient : en un mot, pourvû que l’on ne tombe pas dans l’excès de charger le quarré de presque le double du poids de la piece, il n’y a pas grand inconvénient à suivre la méthode de Rochefort, surtout pour les cordages qu’on ne commet pas bien serré ; car ayant fait commettre un cordage au quart avec le quarré plus chargé qu’à l’ordinaire, & un pareil cordage au tiers, le quarré étant moins chargé qu’à l’ordinaire, le cordage commis au quart s’est trouvé le plus fort : ce qui prouve qu’il y a plus d’avantage pour la force des cordes, de diminuer de leur raccourcissement, que de diminuer de la charge du quarré.
Nous croyons qu’on est maintenant assez instruit de la Corderie pour comprendre les considérations suivantes, que l’on peut regarder comme les vrais principes de l’art.
De la force des cordes, comparée à la somme des forces des fils qui les composent. Il est question de savoir en premier lieu, si la force des cordes surpasse la force des fils qui composent ces mêmes cordes. Le sentiment vulgaire (& plusieurs auteurs de réputation se sont efforcés de le soûtenir) est que deux fils tortillés l’un sur l’autre sont plus forts qu’étant pris séparément. Ce sentiment a été réfuté par l’expérience, & le raisonnement par M M. de Musschenbroeck & Duhamel. Voici les démonstrations de M. Duhamel. Voyez dans son ouvrage ses expériences.
1o. Les torons sont roulés en spirale ; donc leur surface extérieure occupe une plus grande place que l’intérieure ; donc la partie extérieure de ces torons est plus tendue que l’intérieure ; donc elle porte un plus grand poids, car ces fibres déjà tendues ne pourront s’allonger pendant que les autres seront en état de céder : donc elles rompront plus promptement.
2o. On ne peut tordre des fils, qu’on ne les charge d’une force pareille à un poids qu’on leur appliqueroit ; si on les tord trop, cette seule force est capable de les faire rompre : ainsi il n’est pas possible qu’ils n’en soient affoiblis.
3o. Quand on charge une corde tortillée, elle s’allonge, & toutes les fibres qui sont plus tendues se rompent, les autres se frottent & s’alterent, ce qui tend toûjours au détriment de la corde.
4o. La direction oblique des fils tortillés contribue aussi à l’affoiblissement des cordes ; pour cela examinons quelle est la disposition des cordons qui composent une corde : ce qu’on pourra voir dans la fig. 13. Pl. V. qui représente une corde composée de deux cordons, dont les deux bouts ne sont pas achevés de tortiller. Le cordon AP, qui n’est pas ombré dans la figure, est roulé ou tortillé sur le cordon CP qui est ombré, de même que le cordon CP est roulé ou tortillé sur le cordon AP ; ensorte qu’ils s’appuient l’un sur l’autre, & se croisent sans cesse dans tous les points, comme ils le font au point P. La direction de chacun de ces cordons est en forme d’hélice ; car nous supposons ici une corde parfaite dont les deux cordons soient égaux en tout sens, & par conséquent que les deux hélices formées par leurs deux directions soient égales, ensorte que le cordon CP soit autant courbé ou incliné sur le cordon AP, que le cordon AP est incliné vers le cordon CP. Cette égalité d’inclinaison doit subsister, & subsiste en effet dans tous les points imaginables de la longueur de la corde : ainsi ce qu’on pourra dire d’un point pris arbitrairement, pourra s’entendre de tous en particulier.
Nous avons dit en premier lieu que par le tortillement ces deux cordons se croisent, d’où il suit qu’ils forment continuellement de nouveaux angles. Nous avons dit en second lieu que les deux cordons étoient également inclinés l’un vers l’autre ; d’où il suit que les angles qu’ils forment en se croisant, sont égaux dans toute la longueur de la corde : mais comment découvrir la quantité de ces angles formés par la rencontre des deux hélices ? Il sera aisé de le connoître si l’on considere que les hélices, ainsi que toutes les autres courbes, peuvent être regardées comme étant composées d’une infinité de petites lignes droites ; & que les angles que forment sans cesse les deux hélices en se croisant, sont formés par la rencontre des petites lignes droites dont chacune d’elles est composée ; c’est-à-dire que l’angle P, par exemple, formé par les deux directions d’hélices des cordons, peut être regardé comme un angle rectiligne formé par la rencontre des deux petites lignes droites, dont PA & PC ne sont que le prolongé. Or qu’est-ce que c’est que le prolongé des petites, ou, si l’on veut, d’une des infiniment petites lignes droites dont une courbe est composée ? C’est sans contredit une tangente à cette courbe : donc l’angle P formé par la rencontre des deux petites lignes droites dont les deux hélices sont composées, peut être mesuré par l’angle que forment les deux tangentes AP & CP, en se rencontrant au point P, puisque les deux tangentes AP & CP ne sont que le prolongé des deux petites lignes dont les hélices sont composées.
Ce qui a été dit à l’égard du point P, peut se dire de tous les points imaginables pris dans la longueur de la corde ; ainsi il est constant qu’il n’y a pas un seul point de la corde dans lequel les cordons ne se croisent & ne forment un angle tel que l’angle P, duquel on pourra connoître la quantité en tirant par ce point pris où l’on voudra, deux tangentes à la direction des deux hélices, lesquelles seront respectivement paralleles aux deux lignes AP & CP. Il est question à présent d’examiner quel est l’effet que produit ce croisement des cordons, & s’il peut causer une augmentation ou une diminution de force à la corde qu’ils composent. Chacun des deux cordons porte sa part du fardeau appliqué au point H, & lui résiste avec un certain degré de force selon sa direction particuliere ; la direction des deux cordons est en forme d’hélice, ensorte qu’ils se croisent sans cesse & forment dans tous les points des angles tels que l’angle P : d’où il suit que dans tous les points imaginables de la corde, le cordon AP, qui n’est pas ombré, résistera au fardeau appliqué au point H avec un certain degré de force dans une direction telle que AP, c’est-à-dire parallele à AP ; & de même le cordon CP qui est ombré, résistera au fardeau appliqué au point H avec un certain degré de force, tel que CP ou parallele à CP.
Si donc 1o. un fardeau appliqué au point H de la corde, agit pour la tendre dans la direction PH, il est certain que le point P sera tiré selon cette direction. 2o. Puisqu’il a été dit que le cordon qui n’est pas ombré résistera à l’effort du poids dans la direction AP, il est encore certain que le point P sera tiré ou retenu avec un certain degré de force selon la direction AP. 3o. De même puisqu’il a été dit que le cordon qui est ombré résiste à l’effort du poids dans la direction CP, il est encore certain que le point P sera tiré ou retenu dans la direction CP avec un certain degré de force : voilà donc le point P tiré par trois puissances qui agissent les unes contre les autres, pour le tenir en équilibre selon les directions PH, PA, PC. Or il est démontré que trois puissances qui tiennent un point mobile en équilibre, sont en même raison que les trois côtés d’un triangle qui sont menés perpendiculairement à leur direction : si donc, fig. 14. les lignes PH, PA, PC, représentent la direction de ces trois puissances, les lignes BE, BD, DE, qui forment le triangle BDE dont les côtés sont menés perpendiculairement aux directions des trois puissances, exprimeront la juste valeur de chacune de ces puissances. Ensorte que 1o. le côté BE exprimera le degré de force de la puissance H, c’est-à-dire du poids ; & si ce poids est tel que la moindre petite augmentation soit capable de faire rompre la corde, cette ligne BE exprimera le degré de force avec lequel les deux cordons réunis & tortillés ensemble pour former une corde, sont capables de résister à l’effort de ce poids. 2o. Le côté BD exprimera le degré de force de la puissance A, c’est-à-dire le degré de force avec lequel le cordon qui n’est pas ombré est capable de résister à l’effort d’un poids, si ce cordon étoit tiré selon cette direction. 3o. Le côté D exprimera le degré de force avec lequel le cordon ombré est capable de résister à l’effort d’un poids, si ce cordon étoit tiré selon cette direction seulement. Il suffit d’avoir les élémens les plus simples de la Géométrie, pour connoître que les deux côtés d’un triangle valent ensemble plus que le troisieme tout seul ; ainsi on conviendra que dans le triangle BDE, le côté BE est moindre que la somme des deux autres BD + DE : or le côté BE exprime le degré de force des deux cordons réunis & tortillés pour former une corde, les côtés BD & DE expriment le degré de force avec lequel chacun des deux cordons est capable de résister à l’effort d’un poids.
Autre démonstration. La direction des torons dans une corde composée de deux, peut être considérée comme deux torons séparés l’un de l’autre, & auxquels on donneroit la même direction que les torons ont dans la corde commise ; ainsi les deux torons PA, PC, 15, feront un angle d’autant plus ouvert, que la corde sera plus commise ; APC, par exemple, si elle l’est au tiers ; IPL, si elle l’est au quart ; MPN, si elle l’est au cinquieme. Supposons maintenant, 16, que deux différentes personnes soûtiennent le poids H à l’aide des deux torons PC, PA, lequel soit capable de rompre chaque toron : l’effort composé qui résultera des deux forces particulieres PC, PA, sera représenté par PE, 17, qui est la diagonale du losange PA, EC ; cet effort composé marque tout le poids que peut soûtenir la corde, & cependant les deux efforts particuliers représentés par PC, PA, sont ensemble plus grands que l’effort composé représenté par PE ; c’est néanmoins cet effort particulier que les cordons ont à supporter. Il y a donc une partie de l’effort des cordons qui est en pure perte pour soulever le poids ; c’est ce qui devient sensible par l’inspection de la fig. 18. car on apperçoit aisément que si la corde étoit plus tortillée, ou, ce qui est la même chose, si les torons PC, PA, 18, approchoient plus de la perpendiculaire à HE, leur direction étant changée, ils produiroient encore moins d’effet pour soûlever le poids H : chaque toron à la vérité aura la même force particuliere, puisque les lignes PC, PA, n’auront point changé de longueur ; mais comme les forces particulieres seront encore plus contraires dans leur direction, & comme elles s’accorderont moins à agir suivant la verticale pour soûlever le poids H, ou suivant la direction de la corde HP, leur effort commun sera encore plus petit, parce qu’il y aura plus de force employée suivant une direction latérale, & par conséquent de perdue pour soûlever le poids H. Enfin si la direction des cordons PC, PA, 19, étoit perpendiculaire à HE, l’effort composé seroit anéanti, & les forces PC, PA, ne tendroient nullement à soûlever le poids H. Il est évident que le contraire arriveroit si la corde étoit très-peu commise ; car alors les cordons PC, PA, 20, approchant de la direction PH, l’effort composé PE deviendroit plus considérable, & les forces agiroient plus de concert pour soûlever le fardeau H. Ces cordons PC, PH, pourroient même être tellement rapprochés l’un de l’autre, que la diagonale PE qui exprime l’effort composé seroit presqu’aussi longue que les lignes PC, PA, qui expriment les forces particulieres. Donc deux cordes réunies & tortillées pour n’en faire qu’une, sont moins d’effort pour résister à un poids, que ne feroient ces deux cordes si elles agissoient séparément selon leur direction : c’est-à-dire que par le tortillement qui a assemblé ces deux cordes, chacune d’elles a perdu une partie du degré de force qu’elle avoit auparavant pour résister à l’effort d’un poids ; & par conséquent qu’elles sont moins en état de résister à cet effort, que si elles étoient tirées par un poids égal selon leur longueur ; ce qu’il falloit démontrer.
C’est d’après les même principes que l’auteur que nous analysons conclut, qu’il y auroit pareillement de l’avantage à ne raccourcir qu’au quart ou qu’au cinquieme, au lieu de suivre l’usage, qui est de raccourcir au tiers. C’est la certitude que le tortillement affoiblit les cordes, qui détermina M. de Musschembroeck à chercher le moyen d’en faire sans cette condition. Voyez dans M. Duhamel l’examen de ses tentatives. Lorsqu’il arrive au toupin d’être rendu auprès de l’attelier avant que le quarré soit au tiers accordé par le cordier pour le raccourcissement des fils, ses cordages sont dits par le cordier commis au tiers moû ; & ceux en qui cela n’arrive pas, sont dits commis au tiers ferme. L’expérience a fait voir que les premiers étoient les plus forts. Le tortillement diminue donc toûjours la force des cordes ; mais on ne peut s’en passer : il faut nécessairement tordre les torons, & avant que de les commettre, & pendant qu’on les commet. Supposons qu’on veuille faire une piece de cordage commise, suivant l’usage ordinaire, au tiers, on ourdira les fils à 180 brasses, pour avoir un cordage de 120 de longueur ; ainsi les fils auront à se raccourcir de 60 brasses par le raccourcissement des torons qu’on tord, soit avant de les commettre, soit pendant qu’on les commet. Nous avons dit que quelques cordiers divisoient en deux le raccourcissement total, & en employoient la moitié pour le raccourcissement des torons avant que d’être commis, & l’autre lorsqu’on les commet : ainsi, suivant cette pratique, on raccourciroit les torons de 30 brasses avant que de mettre le toupin, & des 30 autres brasses pendant que le toupin parcourroit la longueur de la corderie. Nous avons aussi remarqué que tous les Cordiers ne suivoient pas exactement cette pratique, & qu’il y en avoit qui raccourcissoient leurs torons, avant que de les commettre, de 40 brasses, & seulement de 20 brasses pendant l’opération du commettage : c’est assez l’usage de la corderie de Rochefort. On pourroit penser que cette derniere pratique auroit des avantages ; car en tordant beaucoup les torons avant que de les commettre, on augmente l’élasticité des fils, ce qui fait que quand la corde sera commise elle doit moins perdre sa ferme, & rester mieux tortillée : quand on la commettra, le toupin en courra mieux, les hélices que forment les torons seront plus allongées, & le tortillement se distribuera plus également sur toute la piece. Ceux qui donnent moins de tortillement aux torons, pourroient aussi appuyer leur pratique sur des raisons assez fortes : ils pourroient dire qu’ils fatiguent moins les fils, & qu’ils évitent de donner trop d’élasticité aux torons : mais l’expérience est contre eux ; elle démontre qu’on augmente la force des cordes en diminuant le tortillement des torons avant l’application du toupin. Ainsi un cordier qui obstinément voudroit commettre ses manœuvres au tiers, feroit donc de meilleures cordes s’il ne donnoit que trois neuviemes de tortillement à ses torons avant de mettre le toupin, & que six neuviemes après qu’il l’a mis, ou quand il commet sa corde, que s’il donnoit pour le raccourcissement de la premiere opération six neuviemes, & en commettant seulement trois neuviemes ; parce que, sans s’en appercevoir, il commettroit sa corde beaucoup plus lâche que le tiers. Cela seroit à merveille pour les cordages commis au tiers, mais nous croyons qu’il en seroit autrement pour un cordage commis au quart ou au cinquieme, c’est ce qu’il faut expliquer. Si l’on ourdit une piece de cordage qui doit avoir 120 brasses de longueur, & que l’intention soit de la commettre au tiers, on donne aux fils 180 brasses de longueur ; & pour faire ce cordage comme l’aussiere E de la premiere expérience, on raccourcit les torons, avant de mettre le toupin, des deux tiers du raccourcissement total, c’est-à-dire de 20 brasses, & ils acquierent assez de force élastique par ce tortillement pour se bien commettre ; il reste 40 brasses pour commettre la corde, & c’est beaucoup plus qu’il ne faut pour consommer la force élastique des torons. Mais si au lieu de se proposer de commettre une piece autiers, on la vouloit commettre au quart, on n’ourdiroit pas les fils à 180 brasses, mais seulement à 150 ; & au lieu d’avoir 60 brasses pour le raccourcissement, on n’en auroit que 30 : maintenant si on vouloit n’employer pour ce cordage, comme pour le précédent, qu’un tiers du raccourcissement total pour tordre les torons avant que de mettre le toupin, on ne devroit dans cette premiere opération raccourcir les torons que de dix brasses au lieu de vingt ; & alors les torons auroient acquis si peu de force élastique, que quand on viendroit à ôter la piece de dessus le chantier, les vingt brasses de tortillement qu’on auroit données en commettant se perdroient presqu’entierement ; & la corde étant rendue à elle-même, au lieu d’être commise au quart, ne le seroit peut-être pas au cinquieme : au contraire si on avoit raccourci les torons, dans la 1re opération, de la moitié du raccourcissement total, c’est-à-dire de 15 brasses, les torons ayant acquis plus de force élastique, la corde se détortilleroit moins quand elle seroit rendue à elle-même, & elle resteroit commise au quart. Il faut donc mettre d’autant plus de tortillement sur les torons avant de mettre le toupin, qu’on commet la corde plus lâche : ainsi pour commettre au cinquieme une corde pareille, le raccourcissement total étant de 24 brasses, il en faudroit employer plus de 12 pour le raccourcissement de la premiere opération, si l’on vouloit avoir une corde qui ne perdît pas tout son tortillement.
Noms & usages de différens cordages. 1°. Des lignes. On distingue de quatre sortes de lignes ; savoir, 1°. les lignes à tambour ; 2°. les lignes de sonde ou à sonder ; 3°. les lignes de loc ; 4°. les lignes d’amarrage. Les lignes à tambour sont ordinairement faites avec six fils fins & de bon chanvre, qu’on commet au roüet & qu’on ne goudronne point. Il n’est pas besoin de dire que leur usage est de rendre la peau sonore des caisses ou des tambours. Les lignes à sonder ont ordinairement un pouce & demi de grosseur, & 120 brasses de longueur. Les lignes de loc sont faites avec six fils, un peu plus gros que le fil de voile : on ne les goudronne point, afin qu’elles soient plus souples, & qu’elles filent plus aisément quand on jette le loc. Les deux dernieres especes de lignes sont à l’usage des pilotes. Les lignes d’amarrage sont, de même que les trois précédentes, de premier brin ; mais comme elles servent à beaucoup d’usages différens, savoir, aux étropes des poulies, aux ligatures, aux haubans, aux étais, &c. il en faut de différente grosseur ; c’est pourquoi on en fait à six fils & à neuf. On les commet toutes en blanc, mais on en trempe une partie dans le goudron, & l’autre se conserve en blanc, suivant l’usage qu’on en veut faire.
2°. Des quaranteniers. Il y a des quaranteniers de six & de neuf fils, qui ne different des lignes d’amarrage que parce qu’ils sont du second brin : car tous les quaranteniers sont de ce brin ; mais il y en a qui ont 18 fils, & même davantage. On les commet tout goudronnés : ils n’ont point d’usage déterminé ; on les employe par-tout où l’on a besoin de cordage de leur grosseur & qualité. On distingue les pieces par leur longueur en quaranteniers simples qui ont 40 brasses, & quaranteniers doubles qui en ont 80 ; & on distingue leur grosseur, en disant un quarantenier de six, de neuf, de quinze fils, &c.
3°. Des ralingues. Les ralingues sont destinées à border les voiles, où elles tiennent lieu d’un fort ourlet, pour empêcher qu’elles ne se déchirent par les bords. Il y a des corderies où l’on commet toutes les pieces de ralingues de 80 brasses de longueur, & dans d’autres on en commet depuis 35 jusqu’à 100, & on leur donne depuis un pouce jusqu’à six de grosseur, diminuant toûjours par quart de pouce. On les fait avec du fil goudronné, premier brin, & on les commet un peu moins serré que les autres cordages, afin qu’étant plus souples, elles obéissent aisément aux plis de la voile. Suivant l’usage ordinaire, on ourdit les fils à un quart plus que la longueur de la piece, plus encore un cinquieme de ce quart : ainsi pour 80 brasses, il faut ourdir les fils à 104 brasses : en virant sur les torons, on raccourcit d’un cinquieme ou de 20 brasses ; & en commettant, on réduit la piece à 80 brasses. Nous croyons qu’il les faut commettre au quart. Si donc l’on veut avoir une ralingue de 80 brasses, nous l’ourdirons à 100 brasses ; & comme il est important que les hélices soient très-allongées, afin que le toupin aille fort vîte, nous raccourcirons les torons de 15 brasses, & le reste du raccourcissement sera pour commettre. Si par hasard on employe une piece de ralingue à quelque manœuvre, il n’y a point de matelot qui ne sache qu’elle résiste beaucoup plus qu’une autre manœuvre de même grosseur avant que de rompre. N’est-il pas surprenant après cela qu’on se soit obstiné si long-tems à affoiblir les cordages à force de les tortiller ?
4°. Cordages qui servent aux carenes du port. Les cordages qui servent aux carenes du port, pourroient être simplement nommés du nom générique d’aussiere, qu’on distingueroit par leur grosseur en aussiere de deux ou trois pouces, &c. néanmoins on leur a donné des noms particuliers ; les uns se nomment des francs funins, les autres des prodes, des aiguillettes, des pieces de palans, &c. On commet toûjours ces différens cordages en pieces de cent vingt brasses, & on s’assujettit aux grosseurs que fournit le maître d’équipage. Néanmoins les francs funins ont ordinairement six pouces de grosseur, les prodes & les aiguillettes cinq, & les pieces de palans deux pouces & demi jusqu’à trois & demi ; ce qui souffrira beaucoup d’exceptions : car ordinairement les francs funins qu’on destine pour les grandes machines à mâter, ont cent trente brasses de longueur. Pour que ces manœuvres roulent mieux dans les poulies, on ne les goudronne point, ce qui n’est sujet à aucun inconvénient, puisqu’on peut ne les pas laisser exposées à la pluie ; & comme elles doivent souffrir de grands efforts, on les fait toutes de premier brin. Il y a des ports où on fait les francs funins moitié fil blanc & moitié fil goudronné : cette méthode est très-mauvaise.
Pieces servant aux manœuvres des vaisseaux. Outre les différens cordages que nous venons de nommer, on commet dans les corderies des pieces qui n’ont point une destination fixe, qui servent tantôt à une manœuvre & tantôt à une autre, selon le rang des vaisseaux. Elles ont toutes 120 brasses de longueur, elles sont toutes faites avec du fil goudronné, & on ne les distingue que par leur grosseur : on en fait depuis dix pouces jusqu’à deux. Il y a des maîtres d’équipage qui font un grand usage des aussieres à trois torons. Ceux-là demandent des pieces de haubans, des tournevires, des itagues, des drisses, des guinderesses, des écoutes de hune, &c. pour lors on s’assujettit aux proportions qu’ils donnent, & suivant les méthodes que nous avons indiquées.
Des aussieres à quatre, cinq & six torons. On ourdit ces sortes de cordages comme ceux qui n’ont que trois torons. Quand les fils sont étendus, on les divise en quatre, en cinq ou en six faisceaux ; ainsi pour faire une aussiere à trois torons, comme il a fallu que le nombre des fils pût être divisé par trois, une corde, par exemple, de vingt-quatre fils pouvant être divisée par trois, on a mis huit fils à chaque toron ; de même pour faire une corde de vingt-quatre fils à quatre torons, il faut diviser les fils par quatre, & on aura six fils pour chaque toron ; ou pour faire une corde de vingt-quatre fils à six torons, il faudra diviser vingt-quatre par six, & on aura quatre fils par toron. Mais on ne pourroit pas faire une corde de vingt-quatre fils à cinq torons, parce qu’on ne peut pas diviser exactement vingt-quatre par cinq ; ainsi il faudroit mettre vingt-cinq fils, & on auroit cinq fils par toron.
On met autant de manivelles au quarré & au chantier, qu’on a de torons, & on vire sur ces torons comme sur les trois dont nous avons parlé dans les articles précédens ; on les raccourcit d’une même quantité, on les réunit de même du côté du quarré à une seule manivelle : pour les commettre on se sert d’un toupin qui a autant de rainures qu’il y a de torons. Enfin en commettant les torons on les raccourcit autant que quand il n’y en a que trois ; ainsi il y a peu de différence entre la façon de fabriquer les aussieres à quatre, cinq ou six torons, & celles à trois.
De la meche. Quand on examine attentivement une aussiere à trois torons, on voit que les torons se sont un peu comprimés aux endroits où ils s’appuient l’un sur l’autre, & qu’il ne reste presque point de vuide dans l’axe de la corde. Si on examine de même une aussiere à quatre torons, on remarque qu’ils se sont moins comprimés, & qu’il reste un vuide dans l’axe de la corde. A l’égard des cordes à six torons, leurs torons sont encore moins comprimés, & le vuide qui reste dans la corde est très-grand.
Pour rendre sensible la raison de cette différence, considérons la coupe de trois torons placés parallelement l’un à côté de l’autre, comme dans la Pl. IV. fig. 1. C’est dans ce cas où il paroît qu’il doit moins rester de vuide entr’eux, parce que quand les torons sont gros, la difficulté qu’il y aura à les plier, augmentera le vuide, & d’autant plus que les révolutions des hélices seront plus approchantes de la perpendiculaire à l’axe de la corde. Nous ferons remarquer en passant, que cette raison devroit faire qu’il y auroit moins de vuide dans les aussieres à quatre & à six torons, que dans celles à trois, puisque les révolutions d’un toron dans celles à trois torons, sont bien plus fréquentes que dans celles à quatre, & dans celles à quatre que dans celles à six, néanmoins il reste plus de vuide dans les aussieres à quatre torons que dans celles à trois, & dans celles à six que dans celles à quatre, & cela pour les raisons suivantes.
Nous considérons l’aire de la coupe de trois torons posés parallelement comme les trois cercles, fig. 1. ABC, qui se touchent par leur circonférence. On appercevra que les cercles qu’on suppose élastiques, s’applattiront aux attouchemens, pour peu qu’ils soient pressés l’un contre l’autre, & que les torons rempliront aisément le vuide qui est entr’eux ; car ce vuide étant égal au triangle GHI, moins les trois secteurs ghi, qui valent ensemble un demi-cercle, ne sera que la vingt-huitieme partie de l’aire d’un des torons ; ainsi chaque toron n’a à prêter, pour remplir le vuide, que d’une quantité égale à la quatre-vingt-quatrieme partie de son aire ; encore cette quatre-vingt-quatrieme partie est-elle partagée en deux, puisque la compression s’exerce sur deux portions différentes de chaque toron. Or les torons peuvent bien se comprimer de cette petite quantité, d’autant qu’à mesure qu’ils se commettent, ils se détordent un peu, ce qui les amollit ; & les torons d’un cordage à trois torons faisant plus de révolutions dans des longueurs pareilles, que les torons des aussieres à quatre & à six torons, ils doivent se détordre & mollir davantage, à moins qu’en les commettant on ne fasse tourner les manivelles du chantier beaucoup plus vite que quand on commet des aussieres à quatre, à cinq ou à six torons. Pour appercevoir à la simple inspection que la compression des torons d’une aussiere à trois torons est peu considérable, on peut jetter les yeux sur la figure 2. où l’on verra que les surfaces comprimées des torons font des angles de cent vingt degrés.
Il suit de ce que nous venons de dire, que pour connoître la quantité du vuide qui reste entre les torons de toutes sortes de cordages, il n’y a qu’à chercher le rapport d’une suite de polygones construits sur le diametre d’un des torons ; car le rapport des vuides sera celui de ces polygones, diminué successivement d’un demi-toron pour l’aussiere à trois torons, d’un toron pour l’aussiere à quatre, d’un toron & demi pour l’aussiere à cinq, & de deux torons pour l’aussiere à six torons, pourvû que les torons soient d’égale grosseur dans toutes les aussieres. Cela posé, examinons le vuide qui restera entre les torons d’une aussiere à quatre torons. Il est égal à un quarré L M N O, fig. 3. dont le côté est égal au diametre d’un toron, moins quatre secteurs lmno, égaux ensemble à un toron : or l’aire d’un quarré circonscrit à un toron étant à l’aire de la coupe de ce toron, à-peu-près comme 14 est à 11, l’aire de la coupe d’un toron sera au vuide compris entre les quatre torons, comme 14 moins 11 est à 11, ou comme 3 est à 11, c’est-à-dire que le vuide compris entre les quatre torons, ne sera que les trois onziemes de l’aire du toron. Il suffit donc, pour remplir le vuide, que chacun des quatre torons prête du quart de ces trois onziemes, ou de trois quarante-quatriemes, ou d’une quantité à-peu-près égale à la quinzieme partie de son aire. Il faudroit que les torons prissent à-peu-près la forme représentée par la fig. 4. & que les côtés applatis fissent des angles de quatre-vingt-dix degrés ; c’est trop : ainsi il restera un vuide dans l’axe de la corde, mais qui ne sera pas assez considérable pour qu’on soit dans la nécessité de le remplir par une meche. Si l’on examine de même la coupe d’une aussiere à six torons, fig. 5. on appercevra que le vuide qui restera entre les torons, sera beaucoup plus grand, puisqu’il égalera à peu de chose près l’aire de la coupe de deux torons, & que chacun des six torons sera obligé de prêter d’un tiers de son aire ; ainsi pour que les torons pussent remplir le vuide qu’ils laissent entr’eux, il faudroit qu’ils prissent à-peu-près la forme qui est représentée par la figure 6. & que les côtés applatis formassent des angles de 60 degrés.
On remarque sans doute que nous avons comparé des cordes de grosseur bien différente, puisque nous les avons supposé faites avec des torons de même grosseur, & que les unes sont formées de trois torons, les autres de quatre, les autres de six ; & on juge peut-être que nous aurions dû comparer des cordes de même grosseur, mais dont les torons seroient d’autant plus menus, que les cordes seroient composées d’un plus grand nombre de torons, pour dire, par exemple, que le vuide qui est dans une aussiere de quatre pouces de grosseur, est tel, si elle est formée de trois torons, tel, si elle est formée de quatre torons, & tel, si elle est formée de six torons ; mais ce problème est résolu par ce qui a précédé : car puisqu’il est établi que l’espace qui reste entre trois torons, est égal à la vingt-huitieme partie de l’aire d’un toron ; que celui qui reste entre quatre torons, est égal à trois onziemes de l’aire d’un des torons ; & que l’espace qui reste entre six torons, est égal à l’aire de la coupe de deux torons, on pourra, sachant la grosseur des torons, en conclure le vuide qui doit rester entr’eux pour des aussieres de toute grosseur, & composées de trois, quatre ou six torons. Néanmoins il faut convenir que plusieurs causes physiques rendent cet espace vuide plus ou moins considérable. Entre les cordages de même grosseur, ceux à trois torons sont commis plus ferré que ceux à quatre, & ceux-ci plus que ceux à six ; ce qui peut faire que les torons seront plus comprimés dans un cas que dans un autre ; & le vuide de l’axe peut encore être changé par la direction des torons, qui dans les cordages à trois est plus approchante de la perpendiculaire à l’axe de la corde, que dans ceux à quatre, & dans ceux-ci que dans ceux à six. Mais une plus grande exactitude seroit superflue. Il suffit de savoir qu’il reste un vuide au centre des cordages, & de connoître à-peu-près de combien il est plus grand dans les cordages à six torons que dans ceux à quatre, & dans ceux-ci que dans ceux à trois, pour comprendre que ce vuide les rend difficiles à commettre, & souvent défectueux, surtout quand les aussieres sont grosses, à cause de la roideur des torons, qui obéissent plus difficilement aux manœuvres du cordier. Il est aisé d’en appercevoir la raison, car puisqu’il y a un vuide à l’axe du cordage, les torons ne se roulent autour de rien qui les soûtienne ; ils ne peuvent donc prendre un arrangement uniforme autour de cet axe vuide, qu’à la faveur d’une pression latérale qu’ils exercent les uns à l’égard des autres : or pour que cet arrangement régulier se conserve, il faut qu’il y ait un parfait équilibre entre les torons, qu’ils soient bien de la même grosseur, dans une tension pareille, également tortillés, sans quoi il y auroit immanquablement quelque toron qui s’approcheroit plus de l’axe de la corde que les autres ; quelquefois même, surtout dans les cordes à cinq & six torons, un d’eux se logeroit au centre de la corde, & alors les autres se rouleroient sur lui : en ce cas ce toron ne feroit que se tordre sur lui-même, pendant que les autres formeroient autour de lui des hélices qui l’envelopperoient. Une corde de cette espece à cinq ou six torons seroit très-mauvaise, puisque quand elle viendroit à être chargée, le toron de l’axe porteroit d’abord tout le poids, qui le feroit rompre ; & alors l’aussiere n’étant plus composée que des quatre ou cinq torons restans, auroit perdu le cinquieme ou le sixieme de sa force, encore les torons restans seroient-ils mal disposés les uns à l’égard des autres, & le plus souvent hors d’état de faire force tous à la fois. C’est pour éviter ces défauts que la plûpart des cordiers remplissent le vuide qui reste entre les torons avec un nombre de fils qui leur servent de point d’appui, & sur lesquels les torons se roulent : ces fils s’appellent l’ame ou la meche de la corde. Voici les précautions que l’on prend pour la bien placer.
Grosseur des meches. On ne met point, & on ne doit point mettre de meche dans les cordages à trois torons, la compression des torons remplissant presque tout le vuide qui seroit dans l’axe. On n’est pas dans l’usage de faire de grosses cordes avec plus de quatre torons, & quelques cordiers ne mettent point non plus de meche dans ces sortes de cordages. Le vuide qui reste dans l’axe n’étant pas à beaucoup près assez considérable pour recevoir un des quatre torons, un habile cordier peut, en y donnant le soin nécessaire, commettre très-bien & sans défaut quatre torons sans remplir le vuide ; néanmoins la plûpart des cordiers, soit qu’ils se méfient de leur adresse, soit pour s’épargner des soins & de l’attention, prétendent qu’on ne peut pas se passer de meche pour ces sortes de cordages ; & ceux qui sont de ce sentiment, sont partagés sur la grosseur qu’il faut donner aux meches : les uns les font fort grosses, d’autres les tiennent plus menues, chacun se fondant sur des tables qu’ils ont héritées de leurs maîtres, & auxquelles ils ont donné leur confiance. Nous avons entre les mains quelques-unes de ces tables de la plus haute réputation, qui néanmoins ne sont construites sur aucun principe, & qui sont visiblemens défectueuses. Cependant il nous a paru qu’il étoit bien-aisé de fixer quelle grosseur il faut donner aux meches ; car le seul objet qu’on se propose étant de remplir le vuide qui reste dans l’intérieur, pour donner aux torons un point d’appui qui empêche qu’ils n’approchent plus les uns que les autres de l’axe de la corde, il suffit de connoître la proportion du vuide avec les torons, eu égard à leur grosseur & à leur nombre : car il faut augmenter la grosseur des meches proportionnellement à l’augmentation de grosseur des torons, & proportionnellement à celle de leur nombre, évitant toûjours de faire des meches trop grosses, 1°. pour ne point faire une consommation inutile de matiere, 2°. pour ne point augmenter le poids & la grosseur des cordages par une matiere qui est inutile à leur force, 3°. parce que des meches trop grosses seroient extrèmement serrées par les torons, & nous ferons voir dans la suite que c’est un défaut qu’il faut éviter le plus qu’il est possible.
Pour remplir ces différentes vûes, connoissant par ce qui a été dit dans l’article précedent, que pour remplir exactement tout le vuide qui est au centre des quatre torons, il faut les trois onziemes d’un toron, on croiroit qu’il n’y a qu’à se conformer à cette regle pour a voir une meche bien proportionnée ; mais ayant remarqué que les torons se compriment non-seulement aux parties par lesquelles ils se touchent, mais encore à celles qui s’appuient sur la meche, nous avons jugé qu’il suffiroit de faire les meches de la grosseur d’un cercle inscrit entre les quatre torons, tel que le cercle A, fig. 7. la compression des torons & celle de la meche étant plus que suffisantes pour remplir les petits espaces représentés par les triangles curvilignes aaaa, c’est-à-dire que la meche ne doit être que la sixieme partie d’un des torons, parce que le rapport du cercle A au cercle B est comme 1 à 6. Suivant cette regle, dont l’exactitude est fondée sur beaucoup d’expériences, on a tout d’un coup la grosseur des meches pour des cordages à torons de toutes sortes de grosseurs : il faut donner un exemple de son application.
Si on veut commettre une aussiere à quatre torons de onze pouces de grosseur, sachant qu’en employant des fils ordinaires, il en faut cinq cent quatre-vingt, non compris les fils de la meche, on divise cinq cens quatre-vingt par quatre, & on a cent quarante-cinq fils pour chaque toron. On divise ensuite ce nombre de fils par six, & le quotient indique que vingt-quatre à vingt-cinq fils suffisent pour faire la meche de ce cordage, supposé toutefois qu’on veuille mettre une meche dans ces cordages ; car il est à propos de s’en passer. A l’égard des cordages à six torons, pour peu qu’ils soient gros, il n’est pas possible de les commettre sans le secours d’une meche ; mais quoique le vuide de l’axe soit à-peu-près égal à l’aire de deux torons, on sait par bien des épreuves qu’il suffit de faire la meche égale à un cercle inscrit entre les six torons, ou, ce qui est la même chose, égal à un des torons, fig. 8.
Maniere de placer les meches. Il ne suffit pas de savoir de quelle grosseur doivent être les meches, il faut les placer le plus avantageusement qu’il est possible dans l’axe des cordages ; pour cela on fait ordinairement passer cette meche dans un trou de tarriere qui traverse l’axe du toupin, & on l’arrête seulement par un de ses bouts à l’extrémité de la grande manivelle du quarré, de façon qu’elle soit placée entre les quatre torons qui doivent l’envelopper. Moyennant cette précaution, la meche se présente toûjours au milieu des quatre torons, elle se place dans l’axe de l’aussiere, & à mesure que le toupin s’avance vers le chantier, elle coule dans le trou qui le traverse, comme les torons coulent dans les rainures qui sont à la circonférence du toupin.
Il faut remarquer que comme la meche ne se raccourcit pas autant que les torons qui l’enveloppent, il suffit qu’elle soit un peu plus longue que le cordage ne sera étant commis ; un petit garçon a seulement soin de la tenir un peu tendue à une petite distance du toupin pour qu’elle ne se mêle pas, & qu’elle n’interrompe pas la marche du chariot. Pour mieux rassembler les fils des meches, la plûpart des cordiers divisent les fils qui les composent en deux ou trois parties, & en font une vraie aussiere à deux ou à trois torons.
On conçoit bien que quand les torons viennent à se rouler sur ces sortes de meches, ils les tortillent plus qu’elles ne l’étoient, quand même ils auroient l’attention de les laisser se détordre autant qu’elles l’exigeroient sans les gêner en aucune façon. Or pour peu qu’elles se tortillent, elles augmentent de grosseur & se roidissent ; ainsi elles sont dans l’axe de l’aussiere fort roides, fort tendues, & fort pressées par les torons qui les enveloppent. C’est pour cette raison qu’on entend les meches se rompre aux moindres efforts, & que si on défait les cordages après qu’ils en ont éprouvé de grands, on trouve les meches rompues en une infinité d’endroits.
Voilà quel est l’usage ordinaire des Cordiers, & l’inconvénient qui en doit résulter ; car il est visible que la meche venant à se rompre, les torons qui sont roulés dessus ne sont plus soûtenus dans les endroits où elle a rompu, alors ils se rapprochent plus de l’axe les uns que les autres, ils s’allongent donc inégalement, ce qui ne peut manquer de beaucoup affoiblir les cordes en ces endroits.
Ne point commettre les meches. Il seroit à souhaiter qu’on eût des meches qui pûssent s’allonger proportionnellement aux torons qui les enveloppent ; mais c’est en vain qu’on a essayé d’en faire : on a seulement rendu les meches ordinaires moins mauvaises. Quand des aussieres un peu grosses font des efforts considérables, les torons pressent si fort la meche qu’ils enveloppent, qu’elle ne peut glisser ni s’allonger. Pour meche (au lieu d’une corde ordinaire) il faudra employer un faisceau de fils qui forme le même volume & que l’on placera de la même maniere, mais que l’on tortillera en même tems & dans le même sens que les torons ; par ce moyen la meche se tortillera & se raccourcira tout autant que les torons. Il faut se souvenir que quand on commet une corde, la manivelle du quarré tourne dans un sens opposé à celui dans lequel les torons ont été tortillés, & comme ils le seroient pour se détordre. Or comme la meche qui sera déjà tortillée tournera sans obstacle dans ce sens-là, il faut absolument qu’elle se détortille à mesure que la corde se commet ; & comme elle ne peut se détortiller sans que les fils qui la composent se relâchent & tendent à s’allonger, la meche restera lâche & molle dans le centre de la corde, tandis que les torons qui sont autour seront fort tendus ; & s’il arrive que la corde chargée d’un poids s’allonge, la meche qui sera lâche pourra s’étendre & s’allonger un peu : s’il avoit été possible de la faire si lâche qu’elle ne fît aucun effort, assurément elle ne romproit qu’après les torons ; mais jusqu’à présent on n’a pû parvenir à ce point, sur-tout quand les cordages étoient un peu gros.
On convient qu’une meche, de quelqu’espece qu’elle soit, ne peut guere ajoûter à la force des cordes, ainsi il ne faut y employer que du second brin ou même de l’étoupe ; tout ce qu’on doit desirer, c’est de les rendre moins cassantes, pour qu’elles soient toûjours en état de tenir les torons en équilibre, & de les empêcher de s’approcher les uns plus que les autres de l’axe des cordes.
Des cordages à plus de trois torons. Comme on est obligé d’employer une meche pour la fabrique des cordages qui ont plus de trois torons, il est évident que cette meche qui est dans l’axe toute droite & sans être roulée en hélices comme les torons, ne peut contribuer à la force des cordages ; car si elle résiste, comme elle ne peut pas s’allonger autant que les torons, elle est chargée de tout le poids & elle rompt nécessairement ; si elle ne résiste pas, elle ne concourt donc pas avec les torons à supporter le fardeau : ainsi les cordages à meche contiennent nécessairement une certaine quantité de matiere qui ne contribue point à leur force ; ces sortes de cordages en sont par conséquent plus gros & plus pesans sans en être plus forts, ce qui est un grand défaut. Encore si cette meche ne rompoit pas, si elle étoit toûjours en état de soûtenir les torons, le mal ne seroit pas si considérable ; mais de quelque façon qu’on la fasse, elle rompt quand les cordages souffrent de grands efforts, & quand elle est rompue les torons perdent leur ordre régulier, ils rentrent les uns dans les autres, ils ne forcent plus également, & ils ne sont plus en état de résister de concert au poids qui les charge.
Enfin on ajoûte encore que la meche étant enveloppée de tous côtés par les torons, conserve l’humidité, s’échauffe, pourrit & fait pourrir les torons ; d’où l’on conclut qu’il faut proscrire les cordages à plus de trois torons. Cependant on trouve par l’expérience, que quoique la supériorité de force des cordages à quatre & à six torons ne se trouve pas toûjours la même, cependant les torons sont constamment d’autant plus forts qu’ils sont en plus grand nombre, plus menus, & que leur direction est plus approchante de la parallele avec l’axe de la corde ; & cette supériorité est telle, qu’elle compense souvent & même surpasse quelquefois la pesanteur de la meche qui est inutile pour la force des cordages.
Des aussieres à plus de quatre torons. On ne croit pas qu’il soit possible de faire des aussieres avec plus de six torons. Les aussieres à six torons sont assez difficiles à bien fabriquer ; elles demandent toute l’attention du cordier pour donner à chaque toron un égal degré de tension & de tortillement : ainsi il faudra se réduire à les faire de quatre, de cinq, ou de six torons tout au plus.
Quoiqu’il soit très-bien prouvé qu’il est avantageux de multiplier le nombre des torons, nous n’oserions néanmoins décider si pour l’usage de la marine il conviendroit toûjours de préférer les aussieres à cinq ou six torons à celles à trois & à quatre, parce que l’avantage qu’on peut retirer de la multiplication des torons s’évanoüit pour peu qu’on laisse glisser quelques défauts dans la fabrique de ces cordages ; & peut-on se flatter qu’on apportera tant de précautions dans des manufactures aussi grandes & aussi considérables que les corderies de la marine, tandis que des cordages faits avec une attention toute particuliere, se sont quelquefois trouvés défectueux ?
De l’usage de la meche dans les cordages à 4, 5, & 6 torons. L’avantage des cordages à quatre, cinq, ou six torons seroit très-considérable si on pouvoit les commettre sans meche ; la chose n’est pas possible pour les aussieres qui ont plus de quatre torons, mais il y a des cordiers assez adroits pour faire des cordages à quatre torons très-bien commis, sans le secours des meches ; ils parviennent à rendre leurs torons si égaux pour la grosseur, pour la roideur & pour le tortillement, & ils conduisent si bien leur toupin, que leurs torons se roulent les uns auprès des autres aussi exactement que si l’axe du cordage étoit plein. Le moyen de les commettre avec plus de facilité, & qui a le mieux réussi, a été de placer au centre du toupin une cheville de bois pointue, qui étoit assez longue pour que son extrémité se trouvât engagée entre les quatre torons, à l’endroit précisément où ils se commettoient actuellement ; de cette façon la cheville servoit d’appui aux torons ; à mesure que le toupin reculoit, la cheville reculoit aussi, elle sortoit d’entre les torons qui venoient de se commettre, & se trouvoit toûjours au milieu de ceux qui se commettoient actuellement. Avec le secours de cette cheville, on parvient à commettre fort régulierement & sans beaucoup de difficulté des cordages à quatre torons sans meche. Mais, dira-t-on, si moyennant cette précaution, ou seulement par l’adresse du cordier, on peut commettre régulierement des cordages à quatre torons sans meche, n’y a-t-il pas lieu de craindre que quand on chargera ces cordages de quelque poids, leurs torons ne se dérangent ? n’aura-t-on pas lieu d’appréhender que les torons ne perdent par le service leur disposition réguliere ? Encore si on commettoit ces torons bien ferme, on pourroit espérer que le frottement que ces torons éprouveroient les uns contre les autres, pourroit les entretenir dans la disposition qu’on leur a fait prendre en les commettant : mais puisqu’il a été prouvé qu’il étoit dangereux de commettre les cordages trop serrés, rien ne peut empêcher ces torons de perdre leur disposition ; & alors les uns roidissant plus que les autres, ils ne seront plus en état de résister de concert au poids qui les chargera.
Ces objections sont très-bonnes : néanmoins s’il y a quelques raisons de penser que les torons qui seront fermement pressés les uns sur les autres par le tortillement seront moins sujets à se déranger, il y a aussi des raisons qui pourroient faire croire que cet accident sera moins fréquent dans les cordages commis au quart que dans ceux qui le seroient au tiers. Car on peut dire : les torons des cordages commis au tiers sont tellement serrés les uns sur les autres par le tortillement, que le poids qui est suspendu au bout de ces cordes tend autant (à cause de leur situation) à les approcher les uns contre les autres, qu’à les étendre selon leur longueur ; au lieu que les torons des cordages commis au quart étant plus lâches, & leur direction étant plus approchante d’une parallele à l’axe de la corde, le poids qui est suspendu au bout tend plus à les étendre selon leur longueur, qu’à les comprimer les uns contre les autres. Si la corde étoit commise au cinquieme, il y auroit encore moins de force employée à rapprocher les torons ; ce qui paroîtra évident si l’on fait attention que les torons étant supposés placés à côté les uns des autres sans être tortillés, ne tendroient point du tout à se rapprocher les uns des autres, & toute leur force s’exerceroit selon leur longueur.
Effectivement il est clair que deux fils qui se croiseroient & qui seroient tirés par quatre forces qui agiroient par des directions perpendiculaires les unes aux autres, comme AAAA, (fig. 9. Pl. V.) ces fils se presseroient beaucoup plus les uns contre les autres au point de réunion D, que s’ils étoient tirés suivant des directions plus approchantes de la parallele BBBB, & alors ils presseroient plus le point de réunion E, que s’ils étoient tirés suivant des directions encore plus approchantes de la parallele, comme CCCC ; c’est un corollaire de la démonstration que nous avons donnée plus haut.
Il est certainement beaucoup plus difficile de bien commettre un cordage à quatre torons sans meche qu’avec une meche ; mais cette difficulté même a ses avantages, parce que les Cordiers s’apperçoivent plus aisément des fautes qu’ils commettent ; car il est certain qu’en commettant une pareille corde, si l’un des torons est plus gros, plus tortillé, plus tendu, en un mot plus roide que les autres, le cordier s’en apperçoit tout aussi-tôt, parce qu’il voit qu’il s’approche plus de l’axe de la corde que les autres, & il est en état de remédier à cet inconvénient ; au lieu qu’avec une meche les torons trouvant à s’appuyer sur elle, le cordier ne peut s’appercevoir de la différence qu’il y a entre les torons, que quand elle est considérable ; c’est principalement pour cette raison qu’en éprouvant des cordages qui avoient des meches, il y aura souvent des torons qui rentreront plus que les autres vers l’axe de la corde aux endroits où la meche aura rompu.
On sait par l’expérience, qu’avec un peu d’attention l’on peut fort bien commettre de menues aussieres à quatre torons, qui n’auroient pas plus de quatre pouces de grosseur, sans employer de meche ; mais il n’est pas possible de se passer de meche pour commettre des aussieres de cette grosseur lorsqu’elles ont six torons.
On n’a pas essayé de faire commettre sans meche des aussieres à quatre torons qui eussent plus de quatre pouces & demi de grosseur ; mais on en a commis & on en commet tous les jours à Toulon de six, huit, dix, douze, & quinze pouces de grosseur, qui ont paru bien conditionnées ; en un mot, toutes les aussieres à quatre torons qu’on fait à Toulon n’ont point de meche : on ne se souvient pas qu’on ait jamais mis de meche dans les cordages, & l’on prétend même que la meche étant exactement renfermée au milieu des torons, s’y pourrit & contribue ensuite à faire pourrir les torons.
Mais si, comme il y a grande apparence, on peut se passer de meches pour les cordages à quatre torons, il ne s’ensuit pas qu’il n’en faille point pour les cordages à cinq & à six torons ; le vuide qui reste dans l’axe est trop considérable, & les torons étant menus, échapperoient aisément les uns de dessus les autres & se logeroient dans le vuide qui est au centre, d’autant que ce vuide est plus considérable qu’il ne faut pour loger un des torons. Mais les épreuves qu’on a faites pour reconnoître la force des cordages à quatre torons sans meche, prouvent non-seulement qu’on peut gagner de la force en multipliant le nombre des torons, mais encore que quand des aussieres de cette espece seroient bien faites, elles soutiendront de grands efforts sans que leurs torons se dérangent.
Noms & usages des cordages dont on vient de parler. Il y a des ports où l’on employe peu d’aussieres à quatre torons ; dans d’autres on en fait quelquefois des pieces de hauban depuis six pouces jusqu’à dix, des tournevires depuis six pouces jusqu’à onze, des itagues de grande vergue depuis six pouces jusqu’à onze, des aussieres ordinaires sans destination précise, des francs-funins, des garants de caliorne, des garants de palants, des rides, &c. depuis un pouce jusqu’à dix.
Des grelins. Si l’on prend trois aussieres, & qu’on les tortille plus que ne l’exige l’élasticité de leurs torons, elles acquerront un degré de force élastique qui les mettra en état de se commettre de nouveau les unes avec les autres ; & on aura par ce moyen une corde composée de trois aussieres, ou une corde composée d’autres cordes : ce sont ces cordes composées qu’on appelle des grelins. Ce terme, quoique générique, n’est cependant ordinairement employé que pour les cordages qui n’excedent pas une certaine grosseur ; car quand ils ont dix-huit, vingt, vingt-deux pouces de circonférence, ou plutôt quand ils sont destinés à servir aux ancres, on les nomme des cables ; s’ils doivent servir à retenir les grapins des galeres, on les nomme des gummes, ou simplement des cordages de fonde ; parce qu’on dit en italien, en espagnol, & en provençal, dare fondo, dar fondo, donner fonde, pour dire mouiller.
Suivant l’idée générale que nous venons de donner des grelins, il est clair qu’il suffit pour les faire, de mettre des aussieres sur les manivelles du chantier & du quarré, comme on mettroit des torons, de tourner ces manivelles dans le sens du tortillement des aussieres, jusqu’à ce qu’elles ayent acquis l’élasticité qu’on juge leur être nécessaire, de réunir les aussieres à une seule grande manivelle par le bout qui répond au quarré, de placer le toupin à l’angle de réunion des torons, de l’amarrer sur son chariot, & enfin de commettre ce cordage comme nous avons dit qu’on commettoit les grosses aussieres. C’est à quoi se réduit la pratique des Cordiers pour faire des grelins de toute sorte de grosseur. Il est seulement bon de remarquer que, quoiqu’exactement parlant les grelins soient composés d’aussieres, néanmoins les Cordiers nomment cordons les aussieres qui sont destinées à faire des grelins : ainsi lorsque nous parlerons des cordons, il faut concevoir que ce sont de vraies aussieres, mais qui sont destinées à être commises les unes avec les autres pour en faire des grelins. De cette façon les torons sont composés de fils simplement tortillés les uns sur les autres ; les cordons sont formés de torons commis ensemble, & les grelins de cordons commis les uns avec les autres. On appelle souvent cabler, lorsqu’on réunit ensemble plusieurs cordons, au lieu qu’on se sert du terme de commettre lorsqu’on réunit des torons. Il est bon d’expliquer ces termes, pour se faire mieux entendre des ouvriers.
Les grelins ont plusieurs avantages sur les aussieres. 1°. On commet deux fois les cordages en grelin, afin que lorsqu’ils auront à souffrir quelque frottement violent, les fibres du chanvre soient tellement entrelacées & embarrassées les unes dans les autres, qu’elles ne puissent se dégager facilement : quelques fils viennent-ils à se rompre, la corde est à la vérité affoiblie en cet endroit ; mais comme ces fils sont tellement serrés par les cordons qui passent dessus, qu’ils ne peuvent se séparer plus avant, il n’y a que ce seul endroit de la corde qui souffre, tout le reste du cable est aussi fort qu’auparavant ; & il n’y a pas à craindre que cet accident le rende défectueux dans les autres parties de la longueur du cordage, duquel on peut se servir après avoir retranché la partie endommagée, supposé qu’elle le soit au point qu’on craignit que le cable ne pût résister dans cet endroit aux efforts qu’il est obligé d’essuyer.
2°. Les Cordiers prétendent, aussi-bien que la plûpart des marins, que l’eau de la mer dans laquelle ces cordages sont presque toûjours plongés, pénétreroit avec plus de facilité dans l’intérieur des cables, si on les commettoit en aussiere, & que cela les feroit pourrir plus aisément. Nous ne croyons pas que ce soit la façon de commettre les cordages qui les rend moins perméables à l’eau : il ne faut pas nier que l’eau pénétrera plus promptement & plus abondamment dans un cordage qui sera commis mollement, que dans un qui sera fort dur ; mais cette circonstance peut regarder les cordages commis en grelin, comme ceux qui le seroient en aussiere : aussi est-ce sur une meilleure raison que nous croyons les grelins préférables aux aussieres.
3°. Nous avons prouvé qu’il étoit avantageux de multiplier le nombre des torons ; 1°. parce qu’un toron qui est menu, se commet par une moindre force élastique qu’un toron qui est gros ; 2°. parce que plus un toron est menu, & moins il y a de différence entre la tension des fils qui sont au centre du toron, & la tension de ceux de la circonférence : le plus sûr moyen de multiplier le nombre des torons, est de faire les cordages en grelin, puisqu’il ne paroît pas qu’on puisse faire des aussieres avec plus de six torons, au lieu que le plus simple de tous les grelins en a neuf ; & on seroit maître de multiplier les torons dans un gros cable presqu’à l’infini. On peut faire des grelins avec toute sorte d’aussieres, & les composer d’autant de cordons qu’on met de torons dans les aussieres ; ainsi on peut faire des grelins,
Des archigrelins. Ce n’est pas tout : il seroit possible de faire des cordes commises trois fois ; nous les nommerons des archigrelins, c’est-à-dire des grelins composés d’autres grelins : en ce cas, les plus simples de ces archigrelins seroient à vingt-sept torons ; & si l’on faisoit les cordons à six torons, les grelins de même à six cordons, & l’archigrelin aussi avec six grelins, on auroit une corde qui seroit composée de 216 torons. On voit par-là qu’on est maître de multiplier les torons tant qu’on voudra. Les cordes en seroient-elles meilleures ? J’en doute ; il ne seroit guere possible de multiplier ainsi les opérations, sans augmenter le tortillement ; & sûrement on perdroit plus par cette augmentation du tortillement, qu’on ne gagneroit par la multiplication des torons ; ces cordes deviendroient si roides qu’on ne pourroit les manier, sur-tout quand elles seroient mouillées. D’ailleurs, elles seroient très-difficiles à fabriquer, & par conséquent très-sujettes à avoir des défauts. Mais tous les grelins qu’on fait dans les ports sont à trois cordons, chaque cordon étant composé de trois torons, ce qui fait en tout neuf torons. On en fait aussi, dans l’intention de les rendre plus propres à rouler dans les poulies, qui ont quatre cordons, composés chacun de trois torons ; ce qui fait en tout douze torons. Il est naturel qu’on fasse beaucoup de grelins à neuf torons, puisque ce sont les plus simples de tous & les plus faciles à travailler ; c’est la seule raison de préférence qu’on puisse appercevoir.
Mais si l’on veut faire des grelins à douze torons, lequel vaut mieux de les faire avec trois cordons qui seroient composés chacun de quatre torons, ou bien de les faire avec quatre cordons qui seroient chacun composés seulement de trois torons ? On apperçoit dans chacune de ces pratiques des avantages qui se compensent : le grelin qui sera fait avec quatre cordons sera plus uni, les hélices que chaque cordon décrira seront moins courbes ; il restera un vuide dans l’axe de la corde, ou bien les torons se rouleront sur une meche qui empêchera qu’ils ne fassent des plis si aigus ; enfin ces grelins seront plus flexibles. Mais les grelins à trois torons auront aussi des avantages : ils n’auront point de meche ; les torons qui composeront les cordons seront assez fins, à moins que le cordage ne soit fort gros, pour qu’un cordier médiocrement habile puisse les commettre sans meche : enfin cette derniere espece de grelin sera plus aisée à commettre ; ce qui ne doit pas être négligé. Il paroît donc que ces deux especes de grelin ont des avantages qui se compensent à peu de chose près : mais pourquoi ne fait-on pas des grelins avec quatre cordons, qui seroient chacun composés de quatre torons ? ces cordages réuniroient tous les avantages des deux especes dont nous venons de parler ; & outre cela, comme ils seroient composés de seize torons, ils auroient encore l’avantage d’avoir leurs torons plus fins que ceux des autres, qui ne sont qu’à douze torons. Qu’on ne dise pas que ce qu’on gagnera par cette multiplication des torons, compensera à peine le poids des meches, puisque les torons seront si fins pour quantité de manœuvres, qu’on n’aura pas besoin d’employer de meches pour les commettre ; on en jugera par l’exemple suivant. Un grelin de sept pouces trois quarts de circonférence, est assez gros pour quantité de manœuvres courantes ; néanmoins en supposant les fils de la grosseur ordinaire, il ne sera composé que de 240 fils, qui étant divisés par seize, qui est le nombre des torons, on trouvera qu’il ne doit entrer que quinze fils dans chaque toron ; & ils seroient encore assez menus pour que les cordons composés de quatre de ces torons pussent être commis quatre à quatre sans meche. La grande difficulté qu’il y auroit à commettre des cordages plus composés, fait que nous croyons qu’il ne convient pas d’en fabriquer dans les corderies du Roi, quoiqu’il soit évident que si on pouvoit remédier aux inconvéniens de la fabrication, ils en seroient considérablement plus forts.
De la longueur & du raccourcissement des fils dont on ourdit un grelin. Si l’on prenoit des aussieres ordinaires pour en faire un grelin, comme les fils qui composent ces aussieres se seroient déjà raccourcis d’un tiers de leur longueur, & que pour cabler ces aussieres il faut qu’elles souffrent encore un raccourcissement ; il s’ensuit qu’un tel grelin seroit commis plus serré que ne le sont les aussieres, puisqu’il seroit commis au-delà d’un tiers. Beaucoup de cordiers suivent cette pratique. S’ils veulent faire une aussiere qui ait 120 brasses de longueur, ils ourdissent les fils à 190 brasses ; en virant sur les torons, ils les raccourcissent de 30 ; en commettant les torons, ils les accourcissent de 20 ; en virant sur les cordons, ils les raccourcissent de 10 ; & enfin en cablant, ils les raccourcissent encore de 10 : ainsi le total de raccourcissement est de 70, qui étant retranchés de 190, le grelin reste de 120. C’est-là l’usage le plus commun. Néanmoins quelques cordiers ne commettent leurs grelins qu’au tiers, comme les aussieres ; & dans cette vûe, s’ils veulent avoir un cordage de 120 brasses, ils ourdissent leurs fils à 180 ; en virant sur les torons pour les mettre en état d’être commis en cordons, ils les accourcissent de 30 ; en commettant les torons, ils les accourcissent de 13 ; en virant sur les cordons pour les disposer à être cablés, ils les raccourcissent de 9 ; enfin en cablant, ils les accourcissent encore de 8 : le total du raccourcissement se monte à 60, qui fait précisément le tiers de la longueur à laquelle on avoit ourdi les fils ; si on le retranche de 180, il restera pour la longueur du grelin 120. Depuis que M. Duhamel a fait des expériences à Rochefort, le maître cordier commet ses grelins un peu moins qu’au tiers ou aux trois dixiemes, comme on le va voir par l’énumération des différens raccourcissemens qu’il a coûtume de leur donner. Il ourdit ses fils à 190 brasses, il raccourcit ses torons de 38 brasses ; en les commettant en cordons, 12 brasses ; en tordant les cordons, 10 brasses ; en commettant le grelin, six brasses ; quand la piece est finie, deux brasses ; ce qui fait 68 brasses, qui étant retranchées de 190, il reste pour la longueur du cable 122 brasses. Il n’est pas douteux que le petit nombre de cordiers qui suivent cette derniere méthode, ne fassent des grelins beaucoup plus forts que les autres : mais on peut faire encore beaucoup mieux, en ne commettant les grelins qu’au quart ou au cinquieme, & en ce cas on pourra suivre à-peu-près les regles suivantes.
Regle pour commettre un grelin au quart. On ourdira les fils à 190 brasses ; en virant sur les torons, on les accourcira de 12 ; en commettant, de 11 ; en virant sur les cordons, de 12 & demie ; enfin en cablant, de 12 brasses ; raccourcissement total, 47 brasses & demie ; reste pour la longueur du grelin 142 brasses & demie, plus long qu’à l’ordinaire de 22 brasses & demie.
Regle pour commettre un grelin au cinquieme. Il faudra ourdir les fils à 190 brasses ; on les raccourcira en virant sur les torons, de 10 ; en commettant les torons, de 9 ; en virant sur les cordons, de 10 ; enfin en cablant, de 9 ; total du raccourcissement, 38 brasses ; reste pour la longueur du grelin 152 brasses, plus long qu’à l’ordinaire de 52 brasses : ainsi pour commettre toute sorte de grelins au quart, il faut commencer par diviser la longueur des fils par quatre ; si ces fils ont 190 brasses, on trouvera 47 brasses & demie, qui expriment tout le raccourcissement que les fils doivent éprouver. Ensuite comme il y a quatre opérations pour faire un grelin, il faut diviser ces 47 brasses & demie par quatre ; on trouvera au quotient 59 piés 9 pouces, qui doivent être employés à chaque raccourcissement, & on met, si l’on veut, la fraction de neuf pouces en augmentation du tortillement des cordons, ce qui fait que le grelin s’entretient mieux commis. M. Duhamel, pour plusieurs de ses expériences, a même diminué du tortillement des deux premieres opérations, & a augmenté proportionnellement le tortillement des deux dernieres : on peut voir par ce qu’on a dit des aussieres, que la répartition du tortillement entre les diverses opérations n’est pas une chose indifférente. A l’égard des grelins commis au cinquieme, on divise la longueur des fils par cinq, & ce qui se trouve au quotient par quatre. Pour s’assûrer de l’exactitude des raisonnemens précédens, on a consulté l’expérience, & on a toûjours trouvé que les expériences s’accordoient avec la théorie à rendre les cordes d’autant plus fortes, qu’on multiplie davantage le nombre des torons. Les aussieres à quatre torons sont plus fortes que celles qui n’en ont que trois ; les aussieres à six torons sont plus fortes que celles à quatre. Les grelins les plus simples, ceux qui n’ont que neuf torons, sont plus forts que les aussieres à six torons. On augmente la force des grelins en les faisant de seize & de vingt-quatre torons ; & si les archigrelins ou grelins composés d’autres grelins, ne suivent pas exactement la même loi, c’est qu’il est difficile d’en fabriquer, où les défauts de main-d’œuvre ne diminuent pas la force d’une quantité plus grande, qu’elle n’y est augmentée par la multiplication des torons.
Noms & usages des grelins. Il y a des maîtres d’équipage & des officiers de port qui employent beaucoup plus de cordages en grelin les uns que les autres ; & on doit conclure de ce qui vient d’être dit, qu’il est à-propos d’employer beaucoup de grelins. Il y a à la vérité plus de travail à faire un grelin qu’à faire une aussiere ; mais on sera bien dédommagé de cette augmentation de dépense, par ce qu’on gagnera sur la force de ces cordages.
Des cables. Tous les cables pour les ancres, & les gumènes pour les galeres, depuis 13 pouces de grosseur jusqu’à 24, sont commis en grelin ; ils ont ordinairement 120 brasses de longueur ; ils sont goudronnés en fil ; on ne les roüe point ; on les porte au magasin de la garniture & aux vaisseaux, ou sur l’épaule, ou sur des rouleaux. Il y en a qui prétendent qu’il faut commettre les cables les plus longs qu’il est possible : mais ce n’est pas l’avis de M. Duhamel ; il pense que le tortillement a trop de peine à se faire sentir dans une piece d’une grande longueur. Ces cables seroient donc plus tortillés par les bouts que par le milieu, ce qui seroit un grand défaut.
Pieces en grelin. On commet aussi des pieces en grelin depuis trois pouces de grosseur jusqu’à treize, dont les usages ne sont point déterminés, & que les maîtres d’équipage employent à différens usages. On en commet de goudronnées en fil & en blanc pour le service des ports.
Haubans. On commet quelquefois en grelin des pieces pour les haubans, depuis 80 brasses de longueur jusqu’à 130, & depuis 5 pouces de grosseur jusqu’à 10 ; elles sont toutes goudronnées en fil. Il est inutile que les haubans soient souples & flexibles, mais ils doivent être forts & ne doivent pas s’allonger ; c’est le cas où on les pourroit faire en grelin commis trois fois.
Tournevires. La plûpart des tournevires sont commis en grelin ; on en commet depuis 40 brasses jusqu’à 67 de longueur, & depuis 7 pouces jusqu’à 12 de grosseur : quelques-uns font mal-à-propos les tournevires en aussieres, disant qu’ils s’allongent moins & qu’ils sont plus souples ; mais on peut procurer aux grelins ces avantages en ne les tordant pas trop, & en multipliant les torons ; alors ils seront bien meilleurs que les aussieres.
Itagues. On commet des itagues de grandes vergues en grelin, qui ont de grosseur depuis 7 pouces jusqu’à 12, & de longueur depuis 26 jusqu’à 44 brasses.
Drisses & écoutes. On commet aussi en grelin toutes les drisses & les écoutes de grande voile & de misene, depuis 3 pouces jusqu’à 7 de grosseur, & depuis 46 jusqu’à 110 brasses de longueur.
Guinderesses. On commet en grelin toutes les guinderesses de grand & de petits mâts de hune, & en en fait depuis 4 jusqu’à 8 pouces, qui ont depuis 40 jusqu’à 75 brasses.
Orins. On fait des orins en grelins, qui ont depuis 4 pouces de grosseur jusqu’à 8 pouces, & 90 brasses de longueur.
Etais. On fait des étais en grelins, qui ont depuis 4 jusqu’à 15 pouces de grosseur, & depuis 25 jusqu’à 36 brasses de longueur.
Des cordages en queue de rat. On donne ce nom à un cordage qui ayant moins de diametre à l’une de ses extrémités qu’à l’autre, va toûjours en diminuant ou en grossissant.
Des aussieres en queue de rat. Pour les ourdir, on commence par étendre ce qu’il faut de fils pour faire la grosseur du petit bout, ou la moitié de la grosseur du gros bout, comme nous l’avons expliqué en parlant des aussieres ordinaires ; on divise ensuite cette quantité de fils en trois parties, si l’on veut faire une queue de rat à trois torons, ou en quatre, si l’on veut en avoir une à quatre torons. Ainsi si l’on se propose de faire une écoute de hune à trois torons, de neuf pouces de grosseur au gros bout, sachant qu’il faut pour avoir une aussiere de cette grosseur, 384 fils, il faut diviser en deux cette quantité de fils pour avoir la grosseur de la queue de rat au petit bout, & étendre 192 fils de la longueur de la piece, mettant en outre ce qu’il faut pour le raccourcissement des fils. On apperçoit que chaque piece doit faire sa manœuvre, c’est-à-dire que chaque piece ne doit pas avoir plus de longueur que la manœuvre qu’elle doit faire ; car s’il falloit couper une manœuvre en queue de rat, on l’affoibliroit beaucoup en la coupant par le gros bout, & elle deviendroit trop grosse si l’on retranchoit du petit bout. Sachant donc qu’une écoute de hune de 9 pouces de grosseur doit servir à un vaisseau de 74 canons, & que pour un vaisseau de ce rang elle doit avoir 32 brasses de longueur, on étend 192 fils à 48 brasses, si on se propose de la commettre au tiers, & à 43 brasses, si on se propose de la commettre au quart. Ensuite on divise les 192 fils en trois, si l’on veut faire une aussiere à trois torons, & l’on met 64 fils pour chaque toron ; ou bien on divise le nombre total en 4, pour faire une aussiere à 4 torons, & l’on met 48 fils pour chaque toron. Jusque-là on suit la même regle que pour faire une aussiere à l’ordinaire ; mais pour ourdir les 192 fils restans, il faut allonger seulement quatre fils assez pour qu’ils soient à un pié de distance du quarré, & au moyen d’une ganse ou d’un fil de quarret, on en attache un à chacun des torons, & voilà l’aussiere déjà diminuée de la grosseur de 4 fils. On étend de même quatre autres fils, qu’on attache encore avec des ganses à un pié de ceux dont nous venons de parler, & la corde le trouve diminuée de la grosseur de huit fils ; en répétant quarante-huit fois cette opération, chaque toron se trouve grossi de quarante-huit fils ; & ces 192 fils étant joints avec les 192 qu’on avoit étendus en premier lieu, la corde se trouve être formée au gros bout de 384 fils, qu’on a supposé qu’il falloit pour faire une aussiere de neuf pouces de grosseur à ce bout. Suivant cette pratique, l’aussiere en question conserveroit neuf pouces de grosseur jusqu’aux quatre cinquiemes de sa longueur, & elle ne diminueroit que dans la longueur d’un cinquieme. Si un maître d’équipage vouloit que la diminution s’étendît jusqu’aux deux cinquiemes, le cordier n’auroit qu’à raccourcir chaque fil de deux piés au lieu d’un, &c. car il est évident que la queue de rat s’étendra d’autant plus avant dans la piece, qu’on mettra plus de distance d’une ganse à une autre ; si on jugeoit plus à propos que la diminution de grosseur de la queue de rat ne fût pas uniforme, on le pourroit faire en augmentant la distance d’une ganse à l’autre, à mesure qu’on approche du quarré. Voilà tout ce qu’on peut dire sur la maniere d’ourdir ces sortes de cordages ; il faut parler maintenant de la façon de les commettre.
Quand les fils sont bien ourdis, quand les fils qui sont arrêtés par les ganses sont aussi tendus que les autres, on démarre le quarré ; mais comme les torons sont plus gros du côté du chantier que du côté du quarré, ils doivent se tordre plus difficilement au bout où ils sont plus gros : c’est pour cette raison, & afin que le tortillement se répartisse plus uniformément, qu’en tordant les torons on ne fait virer que les manivelles du chantier, sans donner aucun tortillement du côté du quarré. Quand les torons sont suffisamment tortillés, quand ils sont raccourcis d’une quantité convenable, on les réunit tous à l’ordinaire à une seule manivelle qui est au milieu de la traverse du quarré ; on place le cochoir ou toupin dont les rainures ou gougeures doivent être assez ouvertes pour recevoir le gros bout des torons, & on acheve de commettre la piece à l’ordinaire, ayant grande attention que le toupin courre bien ; car comme l’augmentation de grosseur du cordage fait un obstacle à sa marche, & comme la grosseur du cordage du côté du quarré est beaucoup moindre qu’à l’autre bout, il arrive souvent, sur-tout quand on commet ces cordages au tiers, qu’ils rompent auprès du quarré.
Des grelins en queue de rat. Ayant fait les cordons comme les aussieres dont nous venons de parler, les grelins se commettent tout comme les grelins ordinaires, excepté que pour tordre les grelins on ne fait virer que les manivelles du chantier.
Usages des cordages en queue de rat. On fait des écoüets en queue de rat à quatre cordons, & les cordons à trois torons deux fois commis, ou en grelin ; on en fait depuis quatre pouces de grosseur jusqu’à neuf, & depuis dix-huit jusqu’à trente brasses de longueur. On fait des écoutes de hune en aussieres à quatre torons depuis trois jusqu’à huit pouces de grosseur, & depuis dix-huit jusqu’à trente-quatre brasses de longueur ; on en commet aussi en grelin sur ces mêmes proportions.
Des cordages refaits & recouverts. Quand les cordages sont usés, on en tire encore un bon parti pour le service ; car comme on a toûjours besoin d’étoupe pour calfater les vaisseaux, on les envoye à l’attelier des étoupieres, qui les charpissent & les mettent en état de servir aux calfats : mais quelquefois un cable neuf, ou presque neuf, aura été endommagé dans une partie de sa longueur, pour avoir frotté sur quelque roche dans un mauvais mouillage, ou bien dans les magasins ou dans les vaisseaux un cable se sera pourri en quelques endroits pour des causes particulieres, pendant que le reste se trouve très-sain ; alors ce seroit dommage de charpir ces cables, on en peut tirer un meilleur parti : pour cela on desassemble les torons, on sépare les fils, on les étend de nouveau, & l’on en fait de menus cordages qui servent à une infinité d’usages. Il y a des cordiers qui croyant beaucoup mieux faire, font retordre les fils au roüet comme on feroit des fils neufs ; mais après ce que nous avons dit, il est évident qu’ils en doivent être moins forts : néanmoins il y a des cas où il convient de le faire. Supposons que les fils, assez bons d’ailleurs (car quand ils ne valent rien, il vaut mieux les envoyer aux étoupieres), soient endommagés seulement dans quelque endroits ; pour remédier à ces défauts, on fera très-bien de les mettre sur le roüet, & de rétablir les endroits défectueux avec du second brin neuf ; alors de petits garçons suivent les fileurs pour leur fournir du chanvre, ou pour leur donner le bout des fils quand ils sont rompus. Il y a des cordiers qui recouvrent entierement les vieux fils dont nous venons de parler, avec du second brin ou de l’étoupe ; ce qui fait de gros fils qui paroissent tout neufs, mais qui ne valent pas grand-chose. On pourroit passer ces fils dans le goudron avant que de les commettre ; mais ordinairement on les commet en blanc, on les étuve ensuite, & on les passe dans le goudron. Comme les fils ainsi réparés sont fort tortillés, pour en tirer un meilleur parti on fera bien de ne les commettre qu’au quart tout au plus : ces sortes de cordages qu’on appelle recouverts, ont l’air de cordages neufs, & les cordiers les vendent souvent pour tels. On fait de ces cordages recouverts ou non-recouverts, de diverses longueur & grosseur ; ce qui est indifférent, puisqu’ils ne doivent pas servir pour la garniture des vaisseaux ni pour aucun ouvrage de conséquence : mais on s’en sert à plusieurs usages, pour les constructions des vaisseaux, pour les bâtimens civils, ou pour amarrer les canots & les chaloupes ; de cette façon ils épargnent beaucoup les cordages neufs. C’est dans cette même intention & pour de pareils usages, qu’il faudroit faire des cordages d’étoupes.
Quelques personnes plus chagrines qu’instruites pourront blâmer dans cet article une étendue, que d’autres ont loüée dans les articles Bas au métier, Chamoiseur, Chiner des étoffes, Chapeau, &c. Nous leur ferons observer pour toute réponse, que si dans le détail d’une manufacture il y a quelque défaut à craindre, c’est d’être trop court, tout étant dans la main-d’œuvre presque également & essentiel & difficile à décrire ; & que cet article Corderie n’est qu’un extrait fort abregé d’un ouvrage qui a acquis avec justice une grande réputation à son auteur, & dans lequel M. Duhamel, auteur de cet ouvrage, n’a point traité de la goudronnerie, & n’a qu’effleuré l’usage des cordages, quoiqu’il ait employé au reste près de 400 pages in-4°. dans lesquelles nous ne croyons pas que les censeurs trouvent du superflu. O vous, qui ne vous connoissez à rien, & qui reprenez tout, qu’il seroit facile de faire mal & de vous contenter, si l’on ne travailloit que pour vous ! Nous renvoyons à l’ouvrage même de M. Duhamel pour des détail d’expériences qu’il a multipliées, selon que l’importance de la matiere lui a paru l’exiger, & dont nous avons cru qu’il suffisoit au plan de ce Dictionnaire de rapporter les résultats généraux ; quant aux autres parties de la Corderie, voyez les art. Cordages (Marine), Étuve, Goudron, Goudronnerie, &c.