L’Encyclopédie/1re édition/LAITON

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* LAITON, s. m. (Métallurgie.) le laiton est un alliage d’une certaine quantité de pierre calaminaire, de cuivre de rosette, & de vieux cuivre ou mitraille. Voyez les articles Calamine, Cuivre, & Alliage.

Nous allons expliquer la maniere dont on procede à cet alliage : pour cet effet nous diviserons cet article en quatre sections. Dans la premiere, nous parlerons de l’exploitation de la calamine. Dans la seconde, de la préparation & de l’emploi de cette substance. Dans la troisieme, de la fonderie. Dans la quatrieme, des batteries & de la trifilerie.

Nous ignorons si ces travaux s’exécutent par-tout de la même maniere. On peut consulter là-dessus l’ouvrage de Schwendenborg qui a écrit très au long sur le cuivre. Nous nous contenterons de détailler ce qui concerne la calamine, d’après les manœuvres en usage dans la montagne de Lembourg ; & ce qui concerne les procédés sur le laiton, d’après les usines & les fonderies de Namur.

Sect. I. De l’exploitation de la calamine. On trouve de la pierre calaminaire à trois lieues de Namur ; à une demi-lieue de la Meuse, sur la rive gauche, aux environs des petits villages de Landenne, Vilaine, & Haimonet, tous les trois de la même jurisdiction. Haimonet situé sur une hauteur en fournit à une profondeur médiocre ; on n’y emploie par conséquent aucune machine à épuiser ; elle n’est point inférieure en qualité à celle des autres villages ; la mine en est seulement moins abondante. Il en est de même de celle de Terme au Griffe, lieu situé sur une autre montagne, à la rive droite de la Meuse.

L’exploitation de la calamine ne differe pas de celle du charbon-de-terre. Voyez Charbon-de-terre. Elle se fait par des puits qu’on appelle butes ; les bures ont d’ouverture depuis douze jusqu’à seize piés en quarré ; on soutient les terres par des assemblages de charpente, & l’on descend jusqu’à ce qu’on rencontre une bonne veine. Là, à mesure que l’on enleve le minerai, on pratique des galeries sous lesquelles on travaille en sureté, par le soin qu’on a de soutenir les terres avec des chassis. A mesure qu’on exploite, on rejette les déblais de la galerie d’où l’on tire, dans les galeries d’où l’on n’a plus rien à tirer ; observant d’enlever les chassis à mesure qu’on fait le remblai. Voyez les articles Chassis, Déblai, Remblai, & Bures.

On commence ordinairement l’ouverture d’une mine par deux bures. L’un sert à l’établissement des pompes à épuisement ; on le tient toûjours plus profond que l’autre qui sert à tirer & à monter le minerai. On en pratique encore de voisins qui servent à donner de l’air, lorsque les galeries s’éloignent trop du grand bure. On appelle ceux-ci bures d’airage : quelquefois on partage la profondeur du grand bure en deux espaces ; dans l’un, on établit les pompes ; c’est par l’autre qu’on monte & descend : alors les bures d’airage sont indispensables ; presque tous les grands bures de la calamine sont dans ce dernier cas. Lorsque les eaux abondent & menacent ou incommodent les ouvriers, on approfondit le bure, & l’on y pratique un canal que les gens du pays appellent une arène. L’arène part du grand bure, & se conduit en remontant jusqu’à la rencontre de la galerie qu’on veut dessécher. Il y a dans les galeries, qu’on appelle aussi charges, d’autres conduits par lesquels les eaux vont se perdre : on nomme ces conduits égoutoirs ou égougeoirs.

Lorsque nous écrivions ce memoire, le grand bure avoit en profondeur 43 toises du pays, ou trente-neuf toises un pouce six lignes de France ; il y avoit plusieurs bures d’airage, une plombiere ou fosse d’où l’on exploitoit du plomb ; cette fosse étoit poussée à trente-cinq toises. Le bure de la calamine & la plombiere avoient chacun leurs machines à épuisement ; ces machines étoient composées l’une & l’autre d’une grande roue de 45 piés de diametre ; cette route étoit enterrée de 19 piés, & contenue entre deux murs de maçonnerie qui la soutenoient à six piés au-dessus de la surface du terrein. Elle étoit garnie au centre d’une manivelle qui faisoit mouvoir des balanciers de renvoi, à l’extrémité desquels étoient les pompes établies dans le bure. C’étoit la machine de Marli simplifiée : des courans dirigés sur ses aubes la mettoient en mouvement ; on ménageoit l’eau par des beuses, comme on le pratique dans les grosses forges. Voyez cet article. On avoit encore conduit à mi-roue, par d’autres beuses souterraines, les eaux élevées de la mine. On avoit trouvé par ce moyen, l’art de multiplier les forces dont on a besoin pour accélérer le mouvement de ces grandes machines.

L’observateur qui jettera un œil attentif sur une mine en exploitation, verra des rochers coupés d’un côté, des mines travaillées, des déblais ; de l’autre des remblais, des mines où l’on travaille, des caves ou mines submergées, plusieurs galeries élevées les unes sur les autres, rarement dans un même plan, des sables & autres substances fossiles.

Le terrein produit à sa surface toutes sortes de grains ; les environs des mines dont il s’agit ici, sont couverts de genievre ; les eaux de la mine n’ont aucun goût dominant ; elles sont legeres ; le maître fondeur donne au propriétaire du sol tant par poids de mine exploitée. Lorsque nous y étions, le prix convenu étoit de cinquante-six sols de change, ou de 5 liv. 3 s. 4 d. argent de France, pour 15000 pesant de calamine ; auparavant on donnoit la dixieme charretée.

La calamine est dans ces mines très-poreuse ; calcinée ou non calcinée, l’action de l’air l’altere. Si on la tire d’un magasin sec & qu’on l’expose dehors, elle augmente considérablement de poids : sa couleur est d’un jaune pâle, en tirant quelquefois sur le rouge & le blanc ; elle est souvent mélée de mine de plomb. Il y a des mines qui sont d’autant meilleures, que les filons s’enfoncent davantage. Cette loi n’est pas applicable à la calamine : celle que l’on tire à 8 ou 10 toises est aussi parfaite que celle qu’on va chercher à 45 ou 50. La calamine calcinée en devient plus legere ; cette opération lui donne aussi un degré de blancheur ; cependant le feu lui laisse des mouches ou taches noires.

La planche premiere de celles qui ont rapport à cet article, montre la coupe d’une mine de calamine.

Sect. II. De la calcination de la calamine. Pour calciner la calamine, on en fait une pyramide, comme on la voit en A, B, C, fig. 2 ; sa base F, G, f, g, est fig. 3. partagée en quatre ouvertures, x, x, x, x, d’un pié ou environ de largeur ; ces ouvertures vont aboutir à une cheminée H, ménagée au centre. Cette cheminée regne tout le long de l’axe de la pyramide, & va se terminer à sa pointe A, fig. 2 ; la base a 10 à 12 piés de diametre ; elle est formée de bois à brûler, posés sur une couche de paille & de même bois. C’est avec le gros bois élevé à dix-huit pouces, que l’on forme les ouvertures x, x, x, x, & les fondemens de la cheminée. On arrose la derniere couche avec du charbon de bois, & l’on place dans la cheminée deux fagots debout.

Cela fait, on forme un lit de calamine de sept à huit pouces d’épaisseur ; sur ce lit, on en forme un de charbon de bois, mais beaucoup moins épais ; il ne faut pas qu’il couvre entierement la surface du lit de la calamine. Sur ce lit de charbon, on en étend un second de calamine, tout semblable au premier ; sur celui-ci, un lit de charbon, & ainsi de suite, jusqu’à ce que le volume que l’on veut calciner soit épuisé. Il faut observer de ménager à-travers ces lits l’ouverture de la cheminée. On calcine communément quatorze à quinze cent pesant de calamine à-la-fois ; on y emploie quatre cordes & demie de bois, & à-peu-près une bonne de charbon, ou une voiture de 25 vaux ou 18 queues, à deux mannes la queue ; ou, pour parler plus exactement, le charbon d’environ six cordes de bois.

La pyramide étant formée, on y met le feu ; il faut veiller à sa conduite : le feu trop poussé, brûle la calamine ou la calcine trop ; pas assez poussé, elle demeure sous forme de minerai. C’est l’habitude d’un travail journalier, qui apprend à l’ouvrier à connoître le vrai point de la calcination. On retire les premiers lits à mesure que le procédé s’avance ; ils ont souffert depuis huit jusqu’à douze heures de feu.

Lorsque la calamine est calcinée & refroidie, on la nettoye, c’est-à-dire qu’on en sépare les pierres & autres substances étrangeres ; on la porte dans un magasin bien sec, d’où on la tire ensuite pour l’écraser & la réduire en poudre.

On voit dans nos Planches, fig. 2. une pyramide de calamine en calcination ; fig. 3, la base de la pyramyde ; fig. 4, de la calamine calcinée ; fig. 1, de la calamine apportée de la mine & prête à être mise en pyramide.

On mêle la calamine de la montagne de Lembourg avec celle de Namur ; la premiere s’achete toute calcinée & nettoyée : elle est plus douce & produit davantage que celle de Landenne ; mais les ouvriers la trouvent trop grasse, défaut qu’ils corrigent par le mélange avec celle de Lembourg. Sans ce correctif, les ouvrages qu’on feroit se noirciroient & se décrasseroient avec peine. Lorsque nous écrivions ce mémoire, la calamine de Lembourg se vendoit 50 s. le cent pesant, ou 25 liv. de France le mille, rendu à Viset où on la mene par charrois, & de Viset 5 liv. le mille pour la transporter par bateau à Namur, où elle revenoit par conséquent à 30 livres de France.

Cette calamine de Namur n’est pas toute ni toûjours de la même qualité ; le fondeur en fait des essais. Pour cet effet, il met sur 60 livres de calamine de Namur, 15 à 20 livres de calamine de Lembourg ; il fait écraser & passer le tout au blutoir ; il y ajoute 35 livres de rosette ou cuivre rouge, & 35 livres de vieux cuivre ou mitraille ; ce qui doit donner une table de 85 à 87 livres. Dès la premiere fonte, il trouve la proportion qu’il doit garder entre ses calamines, tant que celle de Namur dure.

Trituration de la calamine. Cette opération se fait par le moyen d’un moulin ; ce moulin est composé de deux meules roulantes I, L, fig. 5. Pl. II. dont les essieux sont fixés à l’arbre vertical M, N, qu’un cheval dont on masque la vûe fait mouvoir. Ces meules portent sur un gros bloc de pierre P, qui est enterré ; ce bloc est revétu sur son pourtour de douves de bois S, S, S, arrêtées avec des cerceaux de fer, & des appuis de bois R, le tourillon d’en-bas N, tourne dans une crapaudine de fonte, enchâssée en un marbre quarré, placé au centre du bloc ; le tourillon d’en-haut M, se meut en un sommier du bâtiment, & est arrêté en V, par deux boulons qui traversent le sommier.

L’ouvrier employé au moulin remue continuellement la calamine avec une pelle, & la chasse sous les meules : le cheval doit faire quatre tours par minutes, & moudre 20 mesures par jour ; chaque mesure de 15 pouces 6 lignes de diametre en-haut, & de 13 pouces 6 lignes dans le fonds, sur 13 pouces de hauteur. Cette mesure ou espece de baquet cerclé de fer, contient 150 liv. & les 20 mesures font 3000 liv. ce poids est le travail ordinaire.

Le même moulin mout quatre de ces mesures de terre à creuset dans une heure, & trois mesures de vieux creusets, matiere cuite & plus dure. On écrase aussi six mannes de charbon de bois dans le même intervalle de tems ; & ces six mannes se réduisent à trois mannes de charbon pulvérisé. Les pierres qui forment ce moulin sont tirées des carrieres voisines de Namur ; elles sont très-dures, d’un grain fin & bien piqué ; les meules s’usent peu : bien choisies & bien travaillées, elles servent 40 à 50 ans. Le bloc sur lequel elles portent & qui fait la plate-forme, dure beaucoup moins.

Bluttage de la calamine. La calamine & le charbon étant écrasés au moulin, on les passe au blutoir A, B, fig. 6. Pl. II. C’est un cylindre construit de plusieurs cerceaux assemblés sur un arbre, & couverts d’une étamine de crin ; il est enfermé dans une caisse C, D, posée sur des traverses & incliné de A, en E. Il a une manivelle qui le fait mouvoir ; le son ou les parties grossieres qui peuvent passer au-travers de l’étamine tombent en F, & le gros & le fin séparés, s’amassent dessous le blutoir ; la matiere à tamiser est en G, & l’ouvrier qui est au blutoir la fait tomber d’une main dans la trémie H, qui la conduit dans le blutoir, tandis que de l’autre main il meut la manivelle. Les deux fonds du tambour étant ouverts, le gros descend vers la planche E, d’où on le ramasse pour le reporter au moulin ; la calamine passée au blutoir est en poudre très-fine.

La calamine de Lembourg passée au blutoir & pressée dans un cube d’un pouce, a pesé 1 once 1 gros 19 grains ; & la même quantité de Namur, a pesé 1 once 0 gros 24 grains ; leur différence étoit de 67 grains ; celle de Lembourg étoit d’un jaune fort pâle, & celle de Namur d’un jaune tirant sur le rouge, toutes les deux pulvérisées.

De l’alliage de 60 liv. de calamine avec 35 liv. de vieux cuivre & 35 liv. de rosette, il provient 15 à 17 livres d’augmentation, non compris l’arco, matiere qu’on sépare des cendres par des lessives, comme on le dira ci-après.

Sect. III. Fonderie. Une fonderie est ordinairement composée de trois fourneaux A, B, C, fig. 7. Pl. I. construits dans un massif de mâçonnerie E, F, fig. 8. Pl. III. enfoncés de maniere que les bouches de ces fourneaux D, ne soient que de trois à quatre pouces plus élevées que le niveau du terrein. On pratique en-avant deux fosses G, H, fig. 7. & 8. de 2 piés neuf pouces de profondeur, où l’on jette les cendres, ordures, & crasses qui proviennent de la fusion.

Il y a trois moules I, K, L, fig. 9. Pl. I. qu’on manœuvre avec des pinces, & qu’on ouvre & ferme au moyen du treuil M, N.

Sur la roue N, s’enveloppe une corde qui vient se rouler sur le tour O.

Il y a une cisaille p, fig. 10, qui sert à couper & à distribuer le cuivre.

Il y a un mortier enterré qui sert à faire des paquets de vieux cuivre. Pour cet effet on étend sur ses bords un morceau de vieux cuivre le plus large & le plus propre à contenir le reste de la mitraille ; on bat bien le tout ; l’on en forme ainsi une espece de pelote de calibre au creuset : les ouvriers appellent cette pelote ou boule, poupe. La poupe pese environ 4 livres.

Il y a un bacquet qui contient la calamine.

Des amas de rosette rompue par morceaux, d’un pouce ou deux en quarré ; une palette de fer pour enfoncer la rosette dans la calamine, & battre le tout dans le creuset.

Un instrument appellé la meé, pour mélanger la calamine avec le charbon de bois pulvérisé : on jette le tout dans le creuset, soit avec des pelles, soit à la main.

Trois lits autour des fourneaux, pour les fondeurs qui ne quittent leur travail que le samedi au soir.

Il faut que la hotte y, fig. 8. Pl. III. de la cheminée dépasse le bord du fosse H, afin que ce qui s’exhale des creusets suive la fumée des fourneaux.

Des moules pour former les creusets.

Des couvercles pour les fourneaux.

Les instrumens de la poterie.

Des pinces pour arranger les creusets dans les fourneaux, exporter le charbon où il faut, vers les bords des creusets ; on les appelle pinces ou etnets.

Une pince coudée pour retirer les creusets, les manier, transvaser la matiere d’un creuset dans un autre, les redresser : on l’appelle attrape.

Une pince ou etnet droit, pour retirer la table du moule, & l’ébarber tout de suite, lorsque la matiere s’est extravasée entre les lames de ler & le plâtre.

Un fourgon pour attiser le feu, & entasser la calamine dans le creuset.

Un crochet qu’on employe à différens usages ; il s’appelle havet.

Un caillou plat, en forme de ciseaux, emmanché de bois, pour tirer les crasses & les cendres du creuset, lorsqu’on vuide la matiere du creuset où elle est en fusion, dans celui d’où on doit la couler dans le moule. On appelle cet instrument le tiout.

Un bouriquet pour contenir les branches de la tenaille, lorsqu’il s’agit de tenir à plomb le creuset qu’on charge.

Une palette de fer pour entasser les matieres dans le creuset.

Une tenaille double, pour transporter le creuset & le verser dans le moule.

Un instrument coudé & plat par le bout, en forme de hoyau, emmanché de bois, pour former le lit d’argile, ou le raccommoder sur les barres du fourneau, lorsque les trous du registre qu’on y a pratiqués, deviennent trop grands. On l’appelle polichinelle.

D’autres cisailles pour débiler le cuivre.

Un etnet ou pince à rompre le cuivre qui vient de l’arcot.

Une enclume avec sa masse, pour rompre la rosette.

Des mannes à charbon.

Des bacquets pour la calamine & autres usages.

Des mesures pour les mélanges.

Des brouettes. V. sur ces outils nos pl. & leur exp.

Chaque fourneau, tel que A, fig. 7 & 8, contient huit creusets qui sont rangés dans le fond, sur un lit d’argille de quatre pouces d’épaisseur, étendu sur les barres : ce lit est percé de onze trous.

Le cendrier est au-dessous des barres qui ont deux pouces en quarré, & qui sont rangées tant plein que vuide, excepté dans les angles où l’espace est plus grand. On y a ménagé quatre registres plus ouverts que les autres.

On appelle tilla la premiere assisse du fourneau. Le tilla est une espece de brique faite de terre à creuset, qui sert à la construction du fourneau. Les piés droits du fourneau s’établissent sur la grille, & de la hauteur de deux piés quatre pouces. La calotte qui forme la voûte du four, est composée de quatre piéces, & s’assied sur la derniere portion du tilla. On travaille ces pieces de la calotte, comme les creusets, au tour.

Lorsque les cendriers & fourneaux sont construits, on remplit d’argille bien battue les intervalles des voûtes seulement : il n’y a qu’un parement de maçonnerie du côté de la fosse.

Les voûtes, les creusets & le tilla, sont tous d’une même matiere que les creusets.

La terre à creuset se prend à Namur, au-dessus de l’abbaye de Gerousart. On la coupe en plein terrein ; elle est noire, forte, fine & savonneuse. Elle pese 1 once le pouce ; elle détache les étoffes. Les ouvrages qu’on en forme, recuits sont très-durs. On en fait des chenets qui durent trois à quatre ans, des contrecœurs de cheminées ; la neuve se mêle avec la vieille dans la composition des creusets.

Des voutes & des tilla. On mêle un tiers de vieille sur deux tiers de neuve. La vieille provient des creusets cassés & autres ouvrages détruits. On la garde en magasin ; & quand on en a amassé une certaine quantité, on l’écrase au moulin ; on la passe dans une bassine percée de trous, & on l’emploie.

La terre à creuset se tient à couvert & en manne aux environs des fourneaux, où elle seche pendant l’hiver. Au commencement du printems, on la mout, puis on fait le mélange que nous avons dit. On en prépare 40 à 50 milliers à la fois ; on l’étend ensuite à terre ; on la mouille, & deux hommes pendant douze jours la marchent deux fois par jour, une heure chaque fois : on la laisse ensuite reposer quinze jours sans y toucher. Ce tems écoulé, on recommence à l’humecter & à la marcher encore douze jours ; alors elle est en pâte très-fine, & propre à être mise en œuvre, au tour ou autrement.

On met à sécher & à s’essuyer les ouvrages qu’on a préparés dans des greniers, & non au soleil ; & quand on veut s’en servir, on les cuit. Les voûtes du fourneau se cuisent en place ; cependant elles ont été passées au feu deux ou trois heures avant que d’être placées. On laisse le tilla & les chenets aux fourneaux depuis le samedi jusqu’au lundi : les creusets se cuisent à mesure qu’on en a besoin.

Des moules. Chaque moule, fig. 9, est composée de deux pierres posées l’une sur l’autre. Chacune de ces pierres a communément cinq piés de longueur, deux piés neuf pouces de largeur, & un pié d’épaisseur ; elles sont entaillées vers le milieu de leur épaisseur, & seulement de la profondeur d’un demi-pouce : cette entaille sert à recevoir les chassis de fer qui contiendront ces pierres.

C’est une espece de grès d’une qualité particuliere. On n’en a trouvé jusqu’à présent que dans les carrieres de Basanges, vis-a-vis S. Michel, près le Ponteau-de-mer : elles ne coutent sur les lieux que 60 livres la paire ; mais rendues à Namur, elles reviennent à cent florins du pays, ou à peu-près à 200 livres. Il y a du choix à faire ; les plus tendres sont les meilleures : le grain en est médiocre. Il ne faut ni les piquer au fer, ni les polir, parce que l’enduit dont il faut les revêtir, n’y tiendroit pas ; elles durent pour l’ordinaire quatre à cinq ans. Les Namurois ont bien cherché dans leurs carrieres ; mais à l’essai, toutes les pierres qu’ils ont employées se cassent ou se calcinent.

Les pierres du moule sont, comme on voit fig. citée, saisies dans un chassis de fer, dont les longs côtés se joignent à des traverses, où elles sont retenues & assujetties par des clavettes. Chaque barre a des œillets à divers usages, comme de recevoir des grilles qui soutiennent le platrage d’argille que l’on étend de niveau sur les pierres, & qui forme les levres de la gueule du moule ; ou de porter une bande de fer qui regne sur la plus grande longueur de la pierre de dessous, & qui garnie de deux chevilles est mise de niveau avec cette pierre. Cette bande est contrainte en cette situation par deux courbes placées debout sur la barre ; mais il est inutile d’entrer dans un plus long détail sur l’assemblage de ces pierres, la figure en dit assez. On voit que ces pierres ou moules font charniere ; on voit trois de ces moules en situations différentes. La pierre de dessous est emboîtée dans un plancher de gros madriers, cloués sur une traverse posée sur des coussins. Comme les deux extrémités de cette traverse font arrondies en dessous, il est facile d’incliner le moule. Les coussins sont établis dans une fosse, de même que la traverse.

Les deux pierres s’assujettissent ensemble par deux barres. Toutes les barres qui font de fer sont boutonnées aux extrémités, & le fixent comme on voit dans la figure 9.

On fait aussi a la pierre de dessus une levre en argille, qui avec celle de dessous forme une gueule.

Ce qui détermine la largeur & l’épaisseur de la table, ce sont des barres posées sur une traverse, & tenues par deux crochets qui entrent dans les œillets de la traverse.

Le platrage est d’argille. On prépare l’argille, en la faisant bien sécher, en séparant le gravier, la réduisant en poudre, la détrempant à la main, & la faisant passer à-travers une bassine percée de trous d’une demi-ligne. On en forme de la pâte dont on remplit les trous & autres inégalités des pierres : on applatit bien le tout avec les mains, mouillant toujours la pierre à mesure qu’on la répare. Après quoi on étend un enduit de la même pâte, & d’une demi ligne d’épaisseur sur toute la surface de la pierre : on applanit cet enduit avec des bois durs & polis en forme de briques, que l’on promene également partout. On donne ensuite le poli avec une couche d’argille bien claire, que l’on répand également, en commençant par la pierre de dessus qui est suspendue au treuil. L’ouvrier parcourt le long côté de cette pierre, en versant la coulêe uniformement, & tirant à soi le vase qui la contient. On en fait autant à la pierre de dessous ; & comme elle est horisontalement placée, on ôte le trop de coulée avec un morceau de feutre : on passe aussi le feutre à la pierre de dessus. Ce feutre sert encore à emporter le trop d’humidité : au reste on donne à cet enduit le moins d’épaisseur possible.

Lorsque les pierres sont enduites, on laisse sécher l’enduit à l’air. Si l’on est en hiver, que le tems soit humide & que l’on ne puisse remuer la pierre, on fait rougir les fourgons & autres instrumens de fer ; on les présente à l’en duit à une certaine distance, & on l’échauffe ainsi d’une chaleur douce. Lorsqu’il est parfaitement sec, on le réunit avec du charbon allumé, & on y tient le feu dix à douze heures, au point qu’il paroît prêt à gercer. On assujettit la pierre de dessus sur celle de dessous, afin que la chaleur se distribue également. Deux grandes mannes de charbon suffisent pour entretenir la chaleur pendant le tems de la recuite ; ensuite on nettoie à sec le moule, & cela se fait avec soin. On y pote les lames de fer qui doivent régler la largeur & l’épaisseur de la table : on ferme le moule & on l’incline.

La gueule du moule se fait en même tems que l’enduit, mais d’une argilie moins fine, mêlée avec de la bourre de crin, ce qui forme une espece de torche.

L’enduit recuit devient d’une dureté presqu’égale à celle de la pierre : on peut couler jusqu’à vingt tables sur le même plâtre.

Les tables coulées sur des pierres qui n’ont point servi, ont ordinairement des soufflures ; alors il faut rompre cet ouvrage & le remettre à la fonte en guise de mitraille. On observe, quand on emploie de cette mitraille, de mettre avec elle moins de rosette.

Dans l’intervalle d’une coulée à une autre, on repare le moule, & la pierre qui cesse de se tourmenter à la seconde coulée qui se fait l’instant d’après. La premiere, la seconde & la troisieme table, sont bonnes & se conservent.

Il y a des pierres d’une qualité si particuliere, que pendant sept à huit jours il faut toujours sacrifier la façon de la premiere table.

Chaque moule travaille tous les trois jours, & le même moule sert aux tables que l’on fond pendant vingt-quatre heures, c’est-à-dire à six tables par fonte, ou à une table par fourneau toutes les douze heures.

Quand l’enduit ne peut plus supporter de fonte, on le détache de la pierre avec des dragées de cuivre que l’on trouve dans l’arcot, ou les cendres de la tonte : cette opération s’appelle aiguiser la pierre.

On aiguise la pierre de la maniere suivante. On fixe une barre de fer coudée dans la mortoise de l’extrémité du support du moule ; un grand levier, fig. 11, est appliqué à cette barre. Il est mobile ; il est pareillement percé d’un trou rond à l’endroit où passe une cheville attachée au milieu de la tenaille. Cette tenaille se joint au chassis de fer, & par conséquent à la pierre de dessus, par le moyen de deux crochets & d’écroux que l’on arrête fortement.

L’extrémité du levier est tenue suspendu par une chaîne ; elle porte plusieurs pitons où l’on fait entrer des crochets. Des hommes appliqués à ces crochets poussent & tirent alternativement le levier : ce levier entraîne la pierre qui suit son mouvement, & les dragées arrachent le plâtre. Cependant d’autres ouvriers tournent la pierre, lui font faire des révolutions sur elle-même, ensorte que le frottement a lieu sur toute la surface.

Lorsque les dragées & le frottement ont pulvérisé le vieux plâtre, on nettoie les pierres, on les lave, on remet un nouvel enduit, & le travail reprend.

De la fonte. C’est l’habitude du travail qui apprend à connoître au fondeur la bonne fusion. Alors la flamme est legere, sa couleur change ; elle devient d’un bleu clair & vif ; & il s’en éleve une pareille des creusets quand on les transvase.

Lorsque le métal est prêt à jetter, on prépare le moule en posant avec soin les barres qui détermineront la dimension de la table. La longueur est à discrétion ; son épaisseur ordinaire est de trois lignes ; sa largeur de deux piés un pouce trois lignes, & son poids d’environ 85 à 87 livres.

Les lames de fer posées, on ferme le moule ; on le joint avec force ; on l’incline ; on retire le creuset du fourneau où on l’a mis quatre à cinq heures à rougir avant que de fondre ; on a un second creuset, on y transvase la matiere ; on en écarte les ordures, les crasses & les cendres ; on tire les autres creusets du fourneau, dont on transvase également la matiere dans le même second creuset : on continue jusqu’au huitieme creuset. Lorsque le creuset du jet contient la matiere de ces huit creusets de fourneau, on saisit celui ci avec la tenaille double, on le porte vers le moule, & l’on coule une table.

Au même moment un ouvrier court au treuil, fourne, releve le moule & le met dans sa situation horisontale ; après quoi continuant de tourner, & la pierre de dessous étant arrêtée, il sépare celle de dessus, & le fondeur avec une tenaille tire la table coulée qu’il a grand soin d’ébarber.

Le même moule sert, comme j’ai dit, à fondre les trois tables que fournissent les trois fourneaux ; & dans l’intervalle d’une jettée à l’autre on répare le moule.

Ainsi il y a trois fourneaux, huit creusets dans chacun ; ces huit creusets se versent dans un seul, & celui-ci fournit une table ; ce qui fait trois tables pour les trois fourneaux & pour les vingt-quatre creusets.

En réparant le moule, on le rafraichit avec de la fiente de vache ; pour cela on en écarte les lames de fer qui déterminoient les dimensions de la table. On les remet ensuite en place ; on bouche les vuides qu’elles peuvent laisser avec de la fiente de vache. On abat la pierre de dessus, on referme le moule, on le réincline & l’on coule.

Quand les trois tables d’une fonte ont été jettées, on nettoie & l’on rafraîchit encore le moule ; on repose les pierres l’une sur l’autre sans les serrer, & on les couvre avec trois ou quatre grosses couvertures de laine, afin de les tenir chaudes pour la fonte suivante qui se fait douze heures après.

On observe aussi de tenir les portes & les fenêtres de la fonderie bien fermées, seulement pendant qu’on coule : ensuite on ouvre les portes.

Les ouvriers tiennent le bout de leurs cravates entre leurs dents, soit qu’ils transvasent, soit qu’ils coulent ; ils amortissent ainsi la chaleur de l’air qu’ils respirent.

Après avoir transvasé le cuivre fondu du creuset de fourneau dans le creuset de jettée, le tondeur prend deux bonnes jointées de la composition de calamine & de charbon qui remplit un bacquet, les met dans le creuset qu’il vient de vuider, & par dessus cela la poupe de mitraille ; puis il replace le creuset au fourneau, où il reste jusqu’à ce que les tables soient jettées, c’est-à-dire environ une demi-heure : on en fait autant à tous les autres creusets de fourneau à mesure qu’on les en tire. Le vieux cuivre en s’échauffant devient cassant & s’affaisse bien mieux, lorsqu’on travaille à recharger le creuset ; c’est ce qu’on appelle amollir le cuivre ; le contraire arrive au cuivre rouge.

Les tables étant situées & le moule préparé pour la fonte suivante, on revient aux fourneaux d’où l’on retire les creusets les uns après les autres pour achever de les charger, ce qui se fait en remettant par-dessus le vieux cuivre déja fort échauffé, beaucoup de calamine de composition que l’on entasse avec le fourgon ; à quoi l’on ajoute le cuivre rouge que l’on enfonce dans la calamine en frappant fortement avec la palette : pour cet effet on assujettit & l’on tient droit le creuset avec la pince coudée & le bouriquet.

Chaque creuset chargé, on le replace au fourneau, on l’y arrange, on repart les onze trous du fond du fourneau qui servent de soufflet : on débouche ceux qui peuvent se trouver bouchés, ou l’on remet de l’argille à ceux qui sont trop agrandis ; en un mot on acheve comme pour la premiere fonte. On fait d’abord peu de feu, du-moins pendant les deux premieres heures, après lesquelles le fondeur prend de la calamine de composition dans un panier, & sans déplacer les creusets, il en jette sur chacun une ou deux poignées ; cela remplit l’espace causé par l’affaissement des matieres. D’ailleurs il y a une dose de matiere pour chaque creuset. & il faut qu’elle y entre ou tout de suite, ou à des intervalles de tems différens.

Si un creuset vient alors à casser, on le retire & on le remplace par celui qui a servi à couler les tables, parce qu’il est encore rouge & disposé à servir ; mais lorsque les huit creusets sont placés & attachés, s’il en casse un, on ne dérange plus rien ; la table se trouve alors d’un moindre poids & plus courte.

On attise en premier lieu en mettant au fourneau une manne de charbon qui contient 200 livres pesant. On commence par choisir les plus gros morceaux qu’on couche sur les bords du creuser ; quand on a formé de cette maniere une espece de plancher, on jette le reste du charbon sans aucune attention, & l’on couvre aux deux tiers la bouche du fourneau, quelques heures après on lui donne, comme disent les ouvriers, à manger de la petite houille, ou du charbon de terre menu.

C’est entre deux & trois heures de l’après-midi qu’on coule ; à cinq heures, les creusets sont tous rangés ; sur les dix heures on donne à manger aux fourneaux, & la seconde fonte se fait à deux heures & demie, ou trois heures après minuit, c’est-à-dire qu’il y a toujours environ douze heures d’une jettée à une autre.

Le samedi ou la veille des grandes fêtes, après la fonte ou jettée, on charge & l’on attise, comme si l’on devoit couler la nuit suivante ; mais sur les quatre à cinq heures du soir, les fondeurs ne font que fermer exactement les bouches des fourneaux qui font bien allumés ; ils ne laissent d’autre ouverture que celle qui est au centre du couvercle. Cette ouverture est d’environ d’un pouce & demi de diametre : le tout se tient en cet état jusqu’au lundi suivant. Sur les 5 heures du matin les fondeurs arrivent, & raniment le feu par de nouveau charbon son action a été si foible pendant tout l’intervalle qui s’est écoule, que le travail est quelquefois très-peu avancé, & qu’il faut forcer pour rattraper le cours des fontes accoutumées.

Le travail de la fonderie demande une attention presque continuelle, soit pour attiser & conduire le feu, en ouvrant & fermant les régîtres, soit pour aiguiser les pierres, y appliquer un nouvel enduit, couper & débiter les tables du poids requis. C’est au maitre fondeur à regler toutes ces choses : il a pour aide deux autres ouvriers ; & quoiqu’il n’y ait que trois hommes par fonderie, chaque manufacture a du-moins deux fonderies, dont les ouvriers vont de l’une à l’autre, lorsque la manœuvre le requiert, comme lorsqu’il s’agit d’aiguiser les pierres ou de couper les tables.

Les autres ouvriers sont employés ou au moulin ou au blutoir, & l’on emprunte leur secours dans l’occasion.

La paie du maître fondeur est plus forte que celle de ses aides.

On fournit à tous la biere, le chauffage, la houille pour leur ménage, qu’ils n’habitent que le samedi jusqu’au lundi. Ils ne s’éloignent jamais de leur attelier. Tandis qu’un d’entr’eux se repose sur les lits de l’usine, les autres veillent.

Trois fourneaux consomment ordinairement 1000 livres pesant de charbon par chaque fonte de douze heures, & 2000 livres pour vingt-quatre heures, le tems de deux fontes.

Le cuivre jaune ou laiton est composé de vieux cuivre de la même espece, appellé mitraille, de cuivre rouge de Suede, & l’alliage de la calamine. L’alliage est, comme je l’ai dit plus haut, de 35 livres de vieux cuivre, de 35 livres de cuivre rouge, & de 60 livres de calamine bien pulvérisée ; sur quoi l’on met 20 à 25 livres de charbon de bois réduit en poudre, passé au blutoir, & que l’on a la précaution de mouiller pour empêcher le cuivre de brûler. C’est après avoir été bluté qu’on le mouille. De ces parties mélangées, il vient une table de 85 à 87 livres ; d’où l’on voit que la calamine de Namur, jointe à celle de Lembourg, rapporte à-peu-près le quart du poids.

On connoît la valeur du cuivre rouge, on connoît la valeur du charbon, celle de la rosette ; ajoutez à ces frais ceux de la main-d’œuvre & de batterie, & vous aurez le produit d’un fourneau.

Chaque fonderie ayant au-moins six fourneaux allumés, & chaque fourneau produisant ces deux tables, en vingt quatre heures ; on aura douce tables par jour.

De l’évaporation qui se fait dans les fourneaux par l’action du feu, il se forme aux parois de la voûte contre la couronne & sur la surface des couvercles, un enduit qui se durcit, & qui dans la fracture montre plusieurs lits dictincts de couleur jaune plus ou moins foncée : on l’appelle tutie. Les fondeurs lui attribuent deux propriétés ; l’une c’est de produire un beau cuivre très-malléable & très-fin, si, réduite en poudre, on la substitue à la calamine. Mais il y en a si peu, que ce qu’on en détache est jetté au moulin & mélé à la calamine. On parle encore d’une autre espece de tutie qui se fait dans les forges de fer, de couleur brune, mélée d’un peu de jaune, qui produit le même effet avec la calamine ; mais on n’en use point : elle gâteroit le cuivre & le feroit gercer. La seconde propriété de la tutie du cuivre, c’est de soulager dans quelques maladies des yeux, si on les lave avec de l’eau de pluie où l’on en aura mis en poudre.

Les tables ordinaires varient depuis trois lignes jusqu’à quatre d’épaisseur ; ces dernieres sont les plus fortes qu’on puisse couper à la cisaille de la fonderie, encore faut-il mettre un homme de plus au levier.

Les lames qui déterminent l’épaisseur des tables, sont depuis deux jusqu’à quatre lignes. Dans les cas extraordinaires, on en met deux l’une sur l’autre.

Entre les tables extraordinaires, les plus fortes vont jusqu’à neuf lignes d’épaisseur ; elles ont les autres dimensions communes. Il faut cependant savoir qu’alors on emploie à une seule la matiere des trois fourneaux. Elles pesent depuis 255 jusqu’à 261 liv. Avant que de les couper à la cisaille, on les porte à la batterie pour les étendre.

S’il s’agit de jetter les tables à tuyaux de pompe, ou à fond de grandes chaudieres, on se sert de creusets de huit pouces de diametre en dedans. On en a deux qui rougissent dans les fourneaux six à sept heures avant qu’on ne jette. On y vuide la matiere des vingt-quatre creusets ; cela s’exécute avec la plus grande célérité : ensuite on jette un des creusets, puis l’autre ; mais à si peu d’intervalle entre ces jettées, qu’elles n’en font qu’une.

Quand on se propose de faire de ces grosses tables, on met un peu plus de cuivre des deux especes, & un peu moins de calamine.

Les tables jettées, on les coupe à la cisaille. La cisaille destinée à ce travail est plantée dans un corps d’arbre profondément enterré, comme on voit fig. 12 ; cet arbre est encore lié de gros cercles de fer : la cisaille qui n’y est retenue que par sa branche droite, peut se démonter ; l’autre branche coudée est engagée dans un levier de vingt piés de longueur, où son extrémité peut se mouvoir autour d’un boulon. La piece de bois emmortoisée où l’un des bouts du levier est reçu, est aussi fixée très fermement ; l’autre bout du levier est tenu suspendu par un treuil. On conçoit l’action de cette machine à l’inspection du dessein. L’ouvrier A, dirige la table entre les lames de la cisaille ; les ouvriers b, b, b, poussant le levier c, d, font mouvoir la branche K & couper la cisaille. A mesure que la table se coupe, elle descend par son propre poids entre les lames de la cisaille.

Pour la distribution des tables relativement au poids, on a dans les fonderies des baguettes quarrées de six à sept lignes de large, sur lesquelles on trouve les mesures suivantes :

Pour 10 livres pesant, il y a
sur le côté du quarré,
piés. pouces. lignes.
0 11 1
Pour 13, 1 0 3
Pour 18, 1 2 9
Pour 20, 1 4 3
Pour 25, 1 5 8
Pour 30, 1 6 6

Le pié quarré de roi en table, pese douze livres & quelquefois douze livres & demie, lorsque les pierres ont des fentes, que l’enduit d’argille fléchit, & que la table vient d’épaisseur inégale.

Les intervalles des mesures des baguettes, sont sous-divisés en petites portées qui donnent la gradation des fourrures. J’expliquerai à l’article des batteries ce que c’est qu’une fourrure.

Il faut se rappeller que j’ai dit que les crasses qui provenoient des creusets contenoient beaucoup de cuivre ; qu’il s’en répandoit en transvasant ; qu’on en retrouvoit dans les cendres & poussieres qu’on jette dans les fosses pratiquées au devant des fourneaux ; qu’on ne vuidoit ces fosses qu’à moitié ; que ce qui restoit servoit à asseoir le creuset qui l’étoit d’autant mieux, que la matiere est molle & continuellement chaude, & maintient le creuset ferme sur sa base & dans un état de chaleur.

Pour retirer de là le cuivre, on commence par mouiller le tas ; on en emplit deux mannes qu’on jette dans une grande cuve à demi-pleine d’eau : on remue le tout avec une pelle ou louchet ; on laisse reposer un instant, puis on prend une espece de poële percée de trou, qui ont quatre à cinq lignes de diametre ; on s’en sert pour retenir toutes les grosses ordures qui nagent, tandis que le cuivre pesant tombe au fond. Cela fait, on ajoûte deux autres mannes de cendres, & l’on réitere la même manœuvre ; on enleve aussi avec les grosses ordures les grosses crasses : ensuite on incline le cuvier au dessus d’un réservoir sait exprès, & l’on y verse la premiere eau bourbeuse : on passe la matiere restante par un crible à fil de laiton dont les ouvertures sont de deux lignes & demie ; il retient les grosses crasses, le reste tombe dans la cuve.

Ce n’est pas tout, on recharge le crible de matiere, & le trempant dans la cuve & le remuant à plusieurs reprises, les ordures passent dans l’eau. On change de tamis, on en prend un plus fin ; on opere avec le second tamis comme avec le premier, avec un troisieme, comme avec le second, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à retenir pures les parties crasseuses : c’est là ce qu’on appelle l’arco. C’est dans cet arco que l’on choisit les dragées qui serviront à aiguiser les pierres des moules, ou à remplacer une portion de mitraille dans la fonte des tables.

Section IV. Des usines. Une usine est composée de différentes machines qui servent à travailler le cuivre après qu’il a été coulé en table. Il y en a de deux sortes, les unes sont un assemblage de marteaux pour former toutes sortes d’ouvrages plats, comme tables de cuivre de toute épaisseur, toutes sortes d’ouvrages concaves, comme chaudieres, chauderons, &c. les autres sont des trifleries ou machines à mettre le laiton en fil. Les premieres s’appellent des batteries.

Des batteries. Pour établir une batterie, il faut avoir un courant d’eau qui fournisse un pié cube, & dont la chûte soit d’environ douze à treize piés. Avec cela on fera tourner quatre roues, dont deux serviront aux martinets, la troisieme à une meule, & la quatrieme à une triflerie. Il faut être à portée de fourrages pour les chevaux qu’on employera aux charrois des bois & des cuivres. Cette situation trouvée, il faut construire un grand bassin de retenue, semblable à ceux des moulins ordinaires, mais beaucoup plus étendu. Outre ce reservoir, Il faut une seconde écluse de décharge, & un roulis pour le dégorgement dans les crues.

La muraille du reservoir tient au bâtiment de l’usine, & un second mur parallele au premier, forme l’enceinte où l’on place la roue. A l’endroit du mur qui soutient toute la hauteur de l’eau, on établit une écluse qui distribue l’eau dans une beuse qui fait tourner la roue. En un autre endroit on établit encore une beuse qui traverse le mur & porte l’eau sur une seconde roue ; cette beuse est faite de madriers de chêne bien assemblés ; elle est couverte jusqu’au lieu ou il y a une écluse semblable à la premiere, que le maître usinier peut gouverner au moyen d’un levier dont la suspension est en quelque point de l’épaisseur de la muraille qu’il traverse ; son bout fait en fourchette tient à la tige de la vanne, & son autre extrémité est tirée ou poussée de bas en haut par une gaule attachée en cet endroit par deux chaînons. Une troisieme beuse, mais beaucoup plus petite que les premieres, fait tourner une troisieme roue, à l’arbre de laquelle tient une meule qui sert à racommoder les marteaux & enclumes. Une quatrieme beuse met en mouvement la roue de la triflerie, située dans le même bâtiment, à l’extrémité.

On pratique une voûte par où l’eau de toutes les beuses s’écoule & va rejoindre le ruisseau.

L’arbre bc, d’une des roues porte à sa circonférence, fig. 13, trois rangées d, d, d, de douze mantonets chacune ; ces mantonets rencontrant les queues e, f, g, de trois marteaux h, i, k, les éleve ; mais à l’échappée de la dent, ils retombent sur l’enclume l, m, n.

L’enclume l, ou m, ou n, est enchâssée dans des ouvertures faites à des billots : ces billots sont des troncs d’arbres de chêne enfoncés de trois à quatre piés en terre, cerclés de fer, & dont les têtes sont au niveau du terrein. Il y a autour d’eux un grand enfoncement commun où descendent les jambes des ouvriers assis sur les planches o, mises en travers de cet enfoncement.

Les manches des marteaux passent dans un collet de figure ovale, dont les tourillons sont soutenus par les montants qu’on voit dans la figure citée ; ces montans sont d’un pied en quarré solidement assemblés par le haut à un chapeau pq, & au niveau du terrein par une autre piece de la même solidité, sur laquelle sont attachées des pieces de fer plates, contre lesquelles donnent les queues des marteaux : ces pieces plates font la fonction de ressort, & doublent pour ainsi dire le coup du marteau, qu’elles renvoyent à son échappement.

Il faut appliquer à l’arbre A B tout ce que nous venons de dire de l’arbre R S ; il n’y a de différence qu’en ce que l’un porte treize mantonets sur chaque rangée.

Il faut observer que les mantonets soient distribués à ne pas élever à-la-fois les trois marteaux ; ce qui employeroit une force immense en pure perte. Il faur que quand un des marteaux frappe, l’autre échappe & que le troisieme s’éleve. Pour cet effet on divisera la circonférence de l’arbre en autant de parties égales qu’il doit y avoir de mantonets dans toutes les rangées ; ainsi, dans ce cas, en trente-six parties ; & l’on placera les mantonets de la seconde rangée de maniere qu’ils répondent aux vuides de la premiere, & les mantonets de la troisieme de maniere qu’ils répondent aux vuides de la seconde.

On voit à l’extrémité de la même Pl. IV. un fourneau : c’est-là qu’on recuit le cuivre à mesure qu’on le bat.

Les tourillons des arbres sont portés par des coussinets qui ne sont qu’à quinze pouces d’élévation au-dessus du niveau de l’usine, qui est élevée de six à sept piés au-dessus du terrein.

Ce sont des coffres qui s’appellent beuse, qui portent l’eau sur les aubes des roues. On lâche l’eau par des vannes, & les vannes sont toûjours proportionnées dans leurs levées à la quantité de marteaux qu’on fait travailler. Si l’on n’a à mouvoir que deux marteaux d’un poids médiocre, l’ouverture de l’écluse ne sera que de deux pouces six lignes. Si l’on a à mouvoir à-la-fois trois des plus gros marteaux, la levée de la vanne sera de quatre pouces six lignes. Il y a un chauderon percé de deux ou trois trous suspendu au-dessus des tourillons de l’arbre qu’il arrose de gouttes d’eau qui le rafraichissent : cette précaution est inutile ou côté des roues ; elles sont toûjours mouillées & leurs tourillons aussi.

Le mantonet en frappant la queue du marteau, la chasse devant lui, ensorte qu’ils se séparent immédiatement après le choc ; ainsi elle va porter avec force sur la piece plate qui la renvoie avec la même force.

Lorsque l’ouvrier veut arrêter son marteau, il a un bâton qu’il place sous le manche quand il s’éleve : alors le collier porte sur la plaque, & le mantonet n’engrene plus.

La queue du marteau est couverte d’une plaque recourbée, en s’arrondissant vers le mantonet ; l’autre extrémité assujettie dessous le collier, est percée de deux trous dans lesquels on met des clous qui entrent dans une espece de coin chassé avec force entre la queue de cette plaque & le manche du marteau. On fait entrer ce manche dans un collier oval, où il est fixé par d’autres coins & calles de bois. Les tourillons de ce collier oval portent dans deux madriers verticaux, garnis à cet endroit d’une bande de fer percée à cet effet : ces madriers, qui ont quatre pouces six lignes d’équarrissage, se placent dans une entaille pratiquée au montant. Comme ils sont plus courts que l’entaille, on les ressere par des morceaux de bois ou des coins. Aussi l’on peut démancher les marteaux quand on le juge à propos.

Les montants dans l’intervalle desquels les marteaux se meuvent, ont deux pouces d’équarrissage ; ils sont assujettis par le chapeau en haut ; à fleur de terre, par la traverse qui porte la piece plate, & dans la terre par une troisieme piece. Il est inutile de parler de ses appuis & de la maçonnerie solide qu’il faut pour fondement à un chassis aussi fort & qui fatigue autant. V. là-dessus l’art. Grosses Forges.

L’extrémité des manches des marteaux est en tenon d’une grandeur convenable.

Il y a deux sortes de marteaux. Des marteaux à bassin qui ne servent qu’à abbattre les plates, c’est ainsi qu’on appelle les tables destinées à faire le fil de laiton ; le plus petit pese 20 livres, & le plus gros 50. Entre ces deux limites, il y en a du poids de 23, 24, 26, 28 livres ; ils ont tous la même figure. La pointe de quelques-uns a quatre pouces de large. Il sert à battre les lames qui se couperont par filets pour faire le fil de laiton. Des marteaux qui ont assez la figure d’un bec de bécasse, & qu’on appelle marteaux à cuvelete, on bat avec ceux-ci les ouvrages concaves. Le plus petit est du poids de vingt-une livres, le plus gros du poids de trente-une ; il y en a d’autres intermédiaires : ceux de cette espece, dont la pointe est arrondie, servent aux petits ouvrages concaves.

Il y a aussi deux sortes d’enclumes ; les unes arrondies par un bout, pour les plates ; les autres quarrées, oblongues & plates, pour les concaves.

Ces enclumes sont fixées dans un enfoncement pratiqué au tronc d’arbre qui les supporte, avec des morceaux de bois resserrés par des coins.

On voit dans nos figures des ouvriers qui travaillent à trois sortes d’ouvrages ; l’un bat des plates qu’il tient des deux mains, les avançant peu-à-peu sous le marteau & parallelement, de maniere que le marteau frappe de toute sa surface. Quand le marteau a agi de cette maniere, l’ouvrier expose son ouvrage à ses coups, de maniere que ces seconds coups croisent les premiers.

Comme les ouvrages plats ont été coupés de maniere que posés les uns sur les autres ils forment une pyramide, & qu’ils se battent tous les uns autant que les autres ; après avoir passé sous le marteau, ils ont pris un accroissement proportionné, & leurs surfaces se surpassent après le travail de la même quantité dont elles se surpassoient auparavant.

Quand les plaques ou pieces plates ont été martelées deux fois, comme j’ai dit, on les recuit, en les rangeant sur la grille du fourneau, où l’on a allumé un feu clair qui dure ordinairement une heure & demie. Lorsque le cuivre est rouge, on laisse éteindre le feu, & l’on ne touche point aux pieces qu’elles ne soient refroidies. Le bois du feu à recuire est de saule ou de noisetier.

Les pieces plates étant refroidies, on les rebat & on les recuit de nouveau. Ces manœuvres se réiterent jusqu’à ce qu’elles aient l’étendue & l’épaisseur requises. On acheve de les arrondir à la cisaille : la cisaille de cet attelier qu’on voit, même pl. n’a rien de particulier. C’est ainsi que l’on prépare une fourrure ; une fourrure est une pyramide de pieces battues plates, au nombre de 3 à 400, destinées à faire des chauderons qui, tous plus petits les uns que les autres, entreront les uns dans les autres quand ils seront achevés.

Pour cet effet on prend quatre de ces pieces plates, ou de ces plates tout court, pour parler comme les ouvriers. La plus grande a neuf lignes de diametre plus que les trois autres. On place celles-ci sur le milieu de la premiere dont on rabat le bord, ce qui contient les trois autres, & on les martele toutes quatre à-la-fois. On se sert dans cette opération de marteaux à cuvelete, d’enclumes plates, & propres à la convexité qu’on veut donner. Les chaudrons se recuisent en se fabriquant, comme on a recuit les plates. Ce travail se mene avec tant d’exactitude, que tous les ouvrages se font de l’étendue rigoureuse que l’on se proposoit. Les fonds des chauderons se battent en calote, & la cire n’est pas plus douce sous sa main du modeleur, que le cuivre sous le marteau d’un bon ouvrier. La lame qu’on coupera pour le fil de laiton, n’a que quatre pouces de largeur, & ne se bat que d’un sens, sans croiser les coups.

Le morceau qui donne un chauderon de dix livres pesant, a 122 pouces 9 lignes de surface, sur 3 lignes d’épaisseur ; & le chauderon fait, a 20 pouces 8 lignes de diametre, 10 pouces 8 lignes de hauteur, sur un sixieme de ligne d’épaisseur ; ce qui, avec la surface du fond, forme 949 pouces & 1 ligne 9 points quarrés de surface. Il est vrai qu’à une sixieme de ligne d’épaisseur, la piece est foible ; mais il se fait des pieces qui le sont davantage, & qui durent. On ne comprend pas dans ce calcul la superficie des rognures ; mais c’est peu de chose ; la plate devient presque ronde en la travaillant. On n’en sépare à la cisaille que quelques coins. Ces rognures sont vendues au poids par l’usinier au maître fondeur, qui les remet à la fonte.

Lorsque les fourrures de chauderons ou d’autres ouvrages ont reçu leur principale façon aux batteries, on les rapporte à la fonderie, où on les finit, en effaçant au marteau les marques de la batterie, & en leur donnant le poli qu’elles peuvent prendre.

Dans presque toutes les fourrures il y a des pieces dont les parties ont été plus comprimées que d’autres, qui ont des pailles ou autres défauts ; de sorte que quand on les déboîte, on en trouve de percées, & même en assez grand nombre. Voici comment on y remet des pieces.

On commence par bien nettoyer le trou, en séparant tout le mauvais cuivre & arrachant les bords avec des pinces quand la piece a peu d’épaisseur, ou les coupant à la cisaille quand la piece est sorte ; ensuite on martele sur l’enclume les bords du trou, les rendant unis & égaux ; on a une piece de l’épaisseur convenable ; on l’applique au trou à boucher ; on prend une pointe, & suivant avec cette pointe les bords du trou, on trace sa figure sur la piece. A cette figure on en circonscrit sur la piece une pareille, qui l’excede d’environ deux lignes. On coupe la piece sur ce second trait ; on la dentelle sur toute sa circonférence, & les dents atteignent le premier trait. On replie ces dents alternativement & en sens contraire. On applique ainsi la piece au trou ; on rabat les dents qui serrent les bords du trou en dessus & en dessous ; on rebat sur l’enclume, & l’on soude le tout ensemble.

La soudure se fait d’une demi-livre d’étain fin d’Angleterre, de 30 livres de vieux cuivre & de 7 livres de zinc ; on fait fondre le mélange. Après la fusion on le coule par petites portions dans un vaisseau plein d’eau, qu’on remue afin d’occasionner la division. Cela fait on retire la soudure de l’eau, & on la pulvérise en la battant dans des mortiers de fer. On la passe pulvérisée par de petits cribles, qui en déterminent la finesse. Il en faut de différentes grosseurs, selon les différentes épaisseurs des ouvrages à souder.

Pour faire tenir la soudure sur les dents de la piece à souder, on en fait une pâte avec de l’eau commune, & partie égale de borax ; on en forme une traînée sur la dentelure ; on laisse sécher la traînée ; puis on passe la piece au feu, ou on la laisse jusqu’à ce que l’endroit à reboucher ait rougi.

Mais comme la couleur de la soudure differe de celle du cuivre, pour l’empêcher de paroître on a une eau rousse épaisse, faite de terre de potier & de soufre, détrempés avec de la biere, qu’on applique sur la soudure ; ensuite on remet au feu, qui rend au tout une couleur si égale, qu’il faut être du métier pour découvrir ce défaut, sur-tout après que l’ouvrage a été frotté avec des bouchons d’étoffe imbibés d’eau & de poussiere ramassée sur le plancher même de l’attelier. D’ailleurs, soit par économie, soit par propreté, soit pour pallier les défauts, après qu’on a battu les pieces on les passe au tour.

Ce tour n’a rien de particulier ; c’est celui des potiers d’étain. Deux poupées contiennent un arbre garni d’un rouet de poulie, sur laquelle passe une corde sans fin, qui va s’envelopper aussi sur une grande roue, qui se meut par une manivelle. Le bout de l’arbre qui tient à la poupée est en pointe ; l’autre bout porte un plateau rond & un peu concave, sur lequel on fixe le fond du chauderon par une piece destinée à cet usage, dont la grande barre est concave.

Les chauderons ou autres ouvrages ne manquent jamais par les soudures : les pieces n’y feroient de tort qu’en cas qu’on voulût les remarteler, alors la piece se sépareroit.

Voici comment on donne le dernier poli aux ouvrages de cuivre. Après avoir passé les ouvrages à polir par les marteaux de bois sur les enclumes de fer à l’ordinaire, de maniere qu’il n’y reste aucune trace grossiere ; on les met à tremper dans la lie de vin ou de biere, pour les dépouiller du noir qu’ils ont. Eclaircis par ce moyen, on les frotte avec le tripoli, puis avec la craie & le soufre réduits en poudre, & l’on finit avec la cendre des os de mouton. L’outil dont on se sert est une lissoire de fer, qu’on promene sur toutes les moulures & autres endroits.

Lorsqu’on a martelé & allongé une plate de cuivre en lame de 10 à 12 piés de longueur, sur quatre pouces de largeur, & un tiers ou quart de ligne d’épaisseur, on la coupe en filet pour faire le fil de laiton. Pour cet effet on se sert d’une cisaille affermie dans un soc profondément enfoncé en terre. Cet outil ne differe des cisailles ordinaires, qu’en ce qu’il a à l’extrémité de la branche fixée dans le soc, une pointe recourbée qui dépasse les tranchans, & qui s’éleve de 3 à 4 lignes au-dessus de la tête de la cisaille. Cette pointe a une tige qui traverse toute l’épaisseur de la tête ; & comme elle peut s’en approcher ou s’en éloigner, elle détermine la dimension du fil que l’on coupe.

Pour couper la bande de cuivre, l’ouvrier la jette dans la beuse, figure 18 ; car c’est ainsi qu’on appelle l’espece de boîte verticale qu’on voit dans la figure citée, qui embrasse la bande, la contient & la dirige. L’ouvrier tire la bande à lui, l’engage dans les tranchans de la cisaille, pousse une de ses branches du genou, & coupe. La branche qu’il pousse du genou est garnie d’un coussin. A mesure qu’il fait des filets, il les met en rouleau, comme on les voit figure 19.

S’il s’agissoit de mettre en filets une bande fort épaisse, on se serviroit d’un levier mobile horisontalement, & appliqué à la branche de la cisaille que l’ouvrier pousse du genou. On a des exemples de ce méchanisme dans l’attelier de fonderie que nous avons décrit plus haut, en parlant du debit des tables coulées.

Trifilerie. Cette partie de l’usine est à deux étages. Le premier est de niveau avec les batteries ; il y a une roue que l’eau fait mouvoir : cette roue n’a rien de particulier ; l’eau est portée sur elle par une beuse. A l’autre étage on voit un assemblage de charpente, composée de montans assemblés solidement par le bas dans une semelle de 11 pouces d’équarrissage, & par le haut à un sommier de plancher de 15 à 18 pouces d’équarissage. Chacun de ces montans en ont 12 ; ils sont percés d’une mortoise chacun, d’où partent autant de leviers mobiles autour d’un boulart qui les traverse, ainsi que les montans. Ils sont encore garnis de barres de fer, nécessaires au méchanisme & à la solidité. Vers le milieu de leur longueur, ces leviers posent sur des coussins de grosse toile, ou autre matiere molle, dont on garnit les petites traverses à l’endroit où elles reçoivent le choc des leviers quand ils sont tirés. Du reste, cette trifilerie n’a rien de différent de la trifilerie du fil de fer que nous avons décrite à l’article des grosses forges ; voyez cet article. C’est la même tenaille ; c’est le même mouvement ; c’est le même effet.

La roue a à mantonets, figure 20, agit sur la traverse mobile b ; cette traverse b, en baissant, tire à elle la partie coudée e ; cette partie coudée e tire à elle les attaches de la tenaille g ; la tenaille h tirée serre le fil de laiton & l’entraîne à-travers les trous de la filiere K. Cependant le mantonet de la roue a échappe ; le levier f agit, repousse la partie coudée e ; la partie coudée e repousse les attaches des branches de la tenaille, fait r’ouvrir la tenaille, avance la tête de cette tenaille jusques vers la filiere ; la roue a continue de tourner ; un autre mantonet agit en b, qui retire la partie coudée e ; cette partie retire les attaches de la tenaille ; la tenaille se referme ; en se refermant elle resserre le fil ; le fil resserré est forcé de suivre & de passer par le trou de la filiere, & ainsi de suite.

Ce qui s’exécute d’un côté de la figure citée, s’exécute de l’autre. On multiplie les tenailles & les leviers à discrétion. On voit, figure 19, quatre leviers & autant de tenailles.

La figure 21 montre le méchanisme de la tenaille ; 1 est l’étrier qui entre dans le bout de la partie coudée ; 2 est le tirant de l’attache des branches de la tenaille ; 3 sont les attaches de ces branches ; 4 est la tenaille ; les parties latérales 5, 6. servent à diriger la tenaille dans ses allées & venues. Le reste est le détail desassemblé de la machine.

On voit à l’extrémité de l’attelier, planche 5. une espece de fourneau avec sa grille ; c’est-là qu’on fait recuire le fil de laiton lorsqu’il a passé aux filieres. La chaudiere contient du suif de Moscovie, pour graisser à chaud le fil coupé sur la plate, au premier tirage seulement

La filiere 9, figure 19, est engagée dans deux crochets enfoncés dans l’établi. Il y a encore un étrier de fer contre lequel elle porte.

Il faut dans cet attelier un petit étau & des limes, pour préparer le bout du fil à passer par le trou de la filiere.

Il y a de plus une pelote de suif de Moscovie qui tient à la filiere du côté de l’introduction du fil, & qui le frotte sans cesse.

Au reste, comme il faut que dans toutes les parties de cette machine le mouvement soit doux, on doit les tenir bien graissées.

On voit d’espace en espace derriere les filieres, des montans 10 avec des chevilles ; c’est-là qu’on accroche les paquets de fil de fer à mesure qu’ils se font.

Le plan sur lequel la tenaille est posée est incliné. Sur ce plan il y a deux portions de fil de fer en arc, qui détermine la quantité de son ouverture : par cette précaution elle n’échappe jamais le fil de fer.

On voit, figure 22, la tenaille & ses attaches : c’est encore elle qu’on voit figure 23 ; a est son profil ; b, une piece quarrée où entre la queue de la tenaille, & qui dirige son mouvement entre les jumelles ; c, la clé qui arrête sa queue dans la piece quarrée.

La figure 24 est une piece qui s’ajuste aux attaches de la tenaille ; e, cette piece ; f & g, autres pieces d’assemblage.

On voit, figure 25. Pl. III. en A le dessus d’un fourneau ; en B la grille ; en C les creusets.

Les figures 26 & 27 sont les tours à creuset & à calotte.

Le reste, ce sont les différens instrumens de la fonderie dont nous avons parlé. 1, etnet ou pince à ranger le creuset ; 2, 3, attrappe ou pince ; 4, havet ; 5, bouriquet ; 6, palette ; 7, tenaille double ; 8, polichinelle ; 9, 10, 11, divers ringards ; 12, 13, pinces ; 14, 15, autres ringards ou fourgons ; 16, batte.

Voici l’état des échantillons qu’un naturaliste, qui visite une manufacture telle que celle que nous venons de décrire, se procurera. 1, de la calamine brute, telle qu’on la tire de la mine ; 2, de la calamine calcinée & prête à être broyée ; 3, du cuivre rouge ; 4, du vieux cuivre ; 4, de la tutie ; 5, du cuivre de l’épaisseur dont on coule les tables ; 6, du cuivre battu ; 7, de la terre à creuset brute, préparée & recuite.

Avant l’année 1595 on battoit tous les cuivres à bras ; en 1595 les batteries furent inventées. La premiere fut établie sur la Meuse. L’inventeur obtint pour sa machine un privilege exclusif. Cette machine renversoit les établissemens anciens des fondeurs & batteurs de cuivre ; car quoique ces martinets ne fussent pas en grand nombre, elle faisoit plus d’ouvrage en un jour que dix manufacturiers ordinaires n’en pouvoient faire en dix jours. Les fondeurs & batteurs anciens songerent donc à faire révoquer le privilége ; pour cet effet ils assemblerent tous leurs ouvriers avec leurs femmes & leurs enfans ; & à la tête de cette multitude, vêtue de leurs habits de travail, ils allerent à Bruxelles, se jetterent aux piés de l’Infante Isabelle, qui en eut pitié, accorda une récompense à l’inventeur des batteries, & permit à tout le monde de construire & d’user de cette machine.

Il n’y a pas deux partis à prendre avec les inventeurs de machines utiles ; il faut, ou les récompenser par le privilége exclusif, ou leur accorder une somme proportionnée à leur travail, aux frais de leurs expériences, & à l’utilité de leur invention ; sans quoi il faut que l’esprit d’industrie s’éteigne, & que les arts demeurent dans un état d’engourdissement. Le privilége exclusif est une mauvaise chose, en ce qu’il restraint du moins pour un tems les avantages d’une machine à un seul particulier, lorsqu’ils pourroient être étendus à un grand nombre de citoyens, qui tous en profiteroient.

Un autre inconvénient, c’est de ruiner ceux qui s’occupoient, avant l’invention, du même genre de travail, qu’ils sont forcés de quitter ; parce que leurs frais sont les mêmes, & que l’ouvrage baisse nécessairement de prix : donc il faut que le gouvernement acquierre à ses dépens toutes les machines nouvelles & d’une utilité reconnue, & qu’il les rende publiques ; & s’il arrive qu’il ne puisse pas faire cette dépense, c’est qu’il y a eu & qu’il y a encore quelque vice dans l’administration, un défaut d’économie qu’il faut corriger.

Ceux qui réfléchissent ne seront pas médiocrement étonnés de voir la calamine, qu’ils prendront pour une terre, se métalliser en s’unissant au cuivre rouge, & ils ne manqueront pas de dire, pourquoi n’y auroit-il pas dans la nature d’autres substances propres à subir la même transformation en se combinant avec l’or, l’argent, le mercure ? Pourquoi l’art n’en prépareroit-il pas ? Les prétentions des Alchymistes ne sont donc pas mal fondées.

Il n’y a pas plus de 5 ou 6 ans que ce raisonnement étoit sans réponse ; mais on a découvert depuis que la calamine n’étoit qu’un composé de terre & de zinc ; que c’est le zinc qui s’unit au cuivre rouge, qui change sa couleur & qui augmente son poids, & que le laiton rentre dans la classe de tous les alliages artificiels de plusieurs métaux différens.

Si le cuivre rouge devient jaune par l’addition de la calamine, c’est que le zinc est d’un blanc bleuâtre, & qu’il n’est pas difficile de concevoir comment un blanc bleuâtre fondu avec une couleur rouge, donne un jaune verdâtre, tel qu’on le remarque au laiton.

La merveille que les ignorans voyent dans l’union de la calamine au cuivre rouge, & les espérances que les Alchymistes fondent sur le zinc, s’évanouissent donc aux yeux d’un homme un peu instruit.